“Votre Majesté? Votre Majesté ?… Majesté ?”
La voix d’Étoile Rayonnante fit sursauter Roland.
“Euh…” bégaya-t-il puis en se frottant le front : “Quelqu’un d’autre est-il au courant ?”
“Seuls les astrologues nommés d’après une étoile le savent. Les étudiants de l’Académie d’Arithmétique, quant à eux, l’ignorent. “, répondit le vieux savant en s’agenouillant.
Il comprenait à présent pourquoi les astrologues avaient tous un air sombre, comme s’ils risquaient la peine de mort. De toute évidence, ils étaient convaincus Roland allait les tuer pour empêcher qu’ils ne révèlent la terrible vérité sur la Lune Sanglante, le véritable objectif derrière la fondation de cette Association d’Astrologie étant d’explorer L’Étoile de l’Apocalypse, un secret auquel seuls les Rois avaient accès.
Experts en jeux politiques, ces astrologues étaient parfaitement conscients des conséquences de leur découverte.
Impressionné par leur prudence et leur loyauté Roland secoua la tête et dit :
“Vous avez fait un excellent travail. N’en parlez à personne mais continuez à gérer l’Académie d’Arithmétique et oubliez l’astrologie. En effet, il est bien plus important pour vous d’aider la Cité Sans Hiver que de vous préoccuper de quelque chose qui n’existe pas.”
Sur ce, Roland quitta le grenier, laissant derrière lui l’érudit stupéfait.
“Retournons au château”, dit le Roi à voix basse.
Il marcha bien plus vite qu’à l’aller et faillit même se mettre à trotter.
“Pensez-vous que les astrologues aient dit la vérité ?” demanda Rossignol en sortant de sa Brume.
“Je ne sais pas… Simple intuition”, lui expliqua Roland. “Cela ne veut pas dire que la Lune Sanglante n’existe pas. Peut-être que c’est autre chose…”
“Autre… chose ?”
“Une faille, par exemple…”
Roland ne s’était jamais beaucoup attardé sur la Lune Sanglante. Si elle était si énorme, c’était uniquement parce qu’elle était proche de la terre. Jupiter, par exemple, observé depuis IO* occupe les deux tiers du ciel. Les gens de cette époque appelaient cet objet une lune c’était simplement parce qu’il était rond et émettait une douce lueur.
Si l’Érosion était en cause, il pouvait tout aussi bien s’agir d’un carré ou d’un polygone.
“Vous dites que le ciel se fendille ?” Demanda Rossignol, confuse.
“C’est peut-être même pire que ça, mais je dois d’abord le découvrir.”
“Comment ?”
Le Roi lui jeta un regard et répondit :
“En rêvant.”
…
Bien qu’il fût encore tôt pour aller dormir, personne n’avait interdit à Roland d’entrer dans le Monde des Rêves durant la journée. Cette fois, il s’abstint d’en informer des Sorcières du Châtiment Divin, mais demanda simplement à son “garde du corps magique” de veiller sur lui. “Nous nous reverrons à l’apparition de la Divine Volonté.”
Il n’avait aucune idée de ce qu’était la Divine Volonté. Il réalisa soudain que le messager ne faisait pas référence au temps du Monde des Rêves, mais à celui du monde réel.
Il était incroyable que le messager connaisse la vraie nature du Monde des Rêves et ait, en même temps, un certain savoir sur le monde réel. Il était fort probable qu’il puisse même sentir le changement dans les deux mondes. Tous les soupçons du Roi s’étaient confirmés lorsqu’ Étoile Rayonnante avait déclaré “la Lune sanglante n’existe pas“. La “Bataille de la Divine Volonté” décrite par les cadres de la Cité du Prisme et le livre anonyme avaient mené Roland à la même conclusion.
“Que voulez-vous manger au petit déjeuner ?” lui demanda Cléo, debout devant l’évier, une brosse à dents dans la bouche.
“Je ne prendrai pas de petit-déjeuner aujourd’hui. Vous pouvez manger seule !” Lui cria le “maître des deux mondes” sans se retourner. Il enfila à la hâte son manteau, ses tongs, et sortit précipitamment.
En bas de l’immeuble, la ruelle était très animée. Les étudiants et jeunes travailleurs s’amassaient devant les stands de petit-déjeuner où l’on vendait des pâtes frites et des brioches. On entendait partout dans le quartier les cris rauque des vendeurs et le grésillement de la pâte dans l’huile.
Le seul endroit qui semblait épargné par tous ces bruits était le Café de la Rose.
Le café était comme un solitaire qui semblait échapper à la communauté. En sortant sa clé pour ouvrir la porte, il vit le vendeur d’en face lui lancer le regard pitoyable et méprisant que les gens réservent généralement aux idiots.
Roland prit une profonde inspiration et se rendit directement à la chambre 302. Quoiqu’il n’y eût qu’une seule chambre dans tout l’établissement et qu’elle soit située au rez-de-chaussée, le Roi avait insisté pour qu’elle potre le numéro 302. C’était un peu étrange, mais il ne s’en souciait pas.
Il était si occupé à gérer les incidents de la Cité Sans Hiver qu’il avait, pendant un certain temps, quelque peu oublié le Monde des Rêves aussi, étrangement, se sentit-il un peu nerveux en poussant la porte.
Roland ne se souciait pas de savoir si le messager pourrait entrer dans le café malgré la porte fermée. S’il était capable de lui envoyer un message à travers une coupe de champagne, il possédait certainement un pouvoir extraordinaire. Peut-être allait-il apparaître comme ça, comme surgi de nulle part.
Le Roi prit une profonde inspiration et posa la main sur la poignée de la porte.
La pièce était vide, à l’exception d’une table et de quatre chaises. Par ailleurs, il n’y avait nul endroit où se cacher.
Un peu déçu, Roland s’approcha lentement de la table et s’assit.
S’était-il trompé ?
Puis il réalisa que le messager n’était pas une apparition capable de voyager d’un endroit à l’autre en une fraction de seconde. Peut-être devait-il attendre un peu.
Ceci dit, il doutait de plus en plus.
Le messager était-il vraiment en mesure de trouver ce café qui venait d’ouvrir depuis à peine un mois ? Et s’il attendait ailleurs ?
Et si ce message était un canular sans aucun rapport avec la Divine Volonté dans le monde réel ?
Roland n’avait pas la moindre preuve de sa théorie.
Apparemment, la question n’allait pas être si facile à résoudre.
Il était sur le point de quitter le café lorsque soudain, la cloche retentit.
“Bienvenue à … ”
Les mots que le jeune homme s’apprêtait à dire lui restèrent sur le bout de sa langue. Les Sorcières du Châtiment Divin ne l’accompagnaient pas cette fois-ci et il était rare que Garcia vienne au café. Compte tenu des prix absurdes annoncés à l’extérieur, il n’attendait pas non plus de clients.
Il ouvrit donc la porte: une silhouette familière se tenait devant la boutique. Une personne que Roland avait déjà vue deux fois: lors de l’orientation des nouveaux martiaux dans la Cité du Prisme et à l’Église du Reflet dans l’Ancienne Cité Sainte d’Hermès.
Le Roi se souvenait de ce visage.
“Je ne m’attendais pas à ce que vous ouvriez un café ici et que vous l’appeliez “Café de la Rose””dit Lan. “J’étais certaine que vous n’aviez pas trouvé le mot”
*io est un satellite naturel de Jupiter.