Les sources de neutrons, qui pouvaient être classées comme catalyseurs, fournissaient des neutrons supplémentaires capables de soutenir la réaction en chaîne même lorsque la masse d’uranium 235 avait passé le seuil critique.

Théoriquement, le polonium et le radium séparés de l’uranium naturel pouvaient former des composés contenant du béryllium et servir de sources de neutrons. Roland n’y voyait aucune difficulté technique dans la mesure où le polonium, lors d’une collision avec des particules alpha, pouvait libérer un grand nombre de neutrons. Ces trois éléments existant à l’état naturel, ils n’auraient pas à les créer artificiellement ce qui leur ferait gagner beaucoup de temps.

Si Roland préférait le polonium au radium, c’était uniquement pour des raisons de sécurité. Bien que le polonium -210 ait une courte demi-vie, lors de sa décomposition, il ne libère que très peu de photons, aussi n’est-il pas plus dangereux que l’uranium inactif. Le radium au contraire, qui, lors de son activation, libère du radon et des photons, présente un réel danger.

De plus, le béryllium, capable de réfléchir les neutrons, pouvait augmenter davantage leur capacité d’interaction avec d’autres éléments. En combinant du polonium et du béryllium, et avec une quantité suffisante d’uranium 235, le plus simple fusil pouvait devenir une arme létale.

De plus, le béryllium était un élément largement présent dans les émeraudes, facilement accessibles au sein des Quatre Royaumes. Azéma n’aurait donc pas à aller les chercher dans la nature sauvage.

Roland était parfaitement conscient du niveau technologique de la Cité Sans Hiver. Le principe du Rayonnement Resplendissant était simple, mais accroître le taux d’utilisation de l’énergie de 1  à 90 % nécessitait des tonnes de calculs théoriques et de nombreux tests. Si le taux de conversion restait faible, il ne pourrait pas réduire la taille des armes et gaspillerait de précieuses ressources en uranium. Fort heureusement, la capacité de Lucia minimisait les pertes résultant de son extraction.

Néanmoins, même si les pertes étaient minimes, créer de toute pièce une arme nucléaire nécessitait des compétences technologiques avancées. La puissance destructrice des armes nucléaires étant phénoménale comparée aux explosifs ordinaires, 1 % de l’uranium impliqué dans la fission suffirait à renverser le cours de la guerre.

Roland devait tout mettre en œuvre pour remporter cette bataille, décisive pour le sort de l’humanité.

Détenir entre ses mains le pouvoir du soleil à une époque peu civilisée ne tenait-il pas du roman fiction ? Même si cela semblait impossible, il voulait tenter sa chance.

– « Excellent travail! Continuez comme ça », dit le Roi en tapotant la tête de Lucia. « Sitôt que toutes les armoires seront pleines, nous pourrons commencer les essais. »

– « Bien Majesté », répondit Lucia avec ferveur.

Pendant ce temps, à l’Académie des Chevaliers Aériens de la Cité Sans Hiver…

La région située à l’Ouest de l’institut de recherche était très calme ce jour-là, tous les étudiants étant en permission pour rendre visite à leurs familles, à l’exception de Good.

– « Vent de face, manche vers le bas! »

– « Vent latéral, roulage! »

Assis devant le poste de pilotage du simulateur, Good s’entraînait, selon les instructions du manuel de vol, à modifier le réglage en fonction de la direction du vent. La tige de bois grinçait comme un vieux moulin à eau. L’air, dans la salle d’entraînement, était étouffant. Il avait le dos trempé et la sueur coulait de son menton sur le tableau de bord rudimentaire.

Progressivement, sa main devint si moite qu’il ne pouvait plus maintenir fermement le levier. Il s’arrêta et poussa un profond soupir.

Depuis six mois qu’il apprenait à voler, Good avait gravé dans sa mémoire toutes les instructions de base du manuel de vol rédigé par la Princesse Tilly. Il était loin, le novice qui se laissait facilement déstabiliser par les mouvements de l’avion. Good avait désormais acquis de rapides réflexe et son corps réagissait aussi vite que sa pensée.

Mais pourrait-il vraiment piloter un avion ?

Il avait bien du mal à s’imaginer manœuvrer seul contre le vent. Le manuel suggérait qu’il devrait “sentir la force et la direction du vent, percevoir le mouvement de l’avion et de l’air en conséquence”, mais il n’avait aucune idée de ce qu’était ce ressenti. Qu’il change de vitesse ou non, le faux poste de pilotage restait immobile, comme s’il se riait de ses vaines tentatives.

Plus il s’entraînait, plus il était frustré.

Il était extrêmement découragé lorsque la porte de la salle de formation s’ouvrit brusquement.

– « Oho! Tu es là! »

– « Je vous l’avais dit. J’avais raison, n’est-ce pas ? »

Good se retourna et, contre toute attente, vit reconnut Finkin et Hinds, deux membres de son équipe.

– « Vous ne profitez pas de votre permission ? » Siffla Finkin « Vous vous amusez mieux à l’école ? »

– « Que faites-vous là ? N’avez-vous pas une sœur ? » Renchérit Hinds en passant son bras autour du cou de Good. « Elle m’a demandé de vous dire que vous devriez vous reposer. C’est vraiment… gentil de sa part. »

Good se crispa et il demanda d’un ton sec :

– « Une minute. Vous êtes allés chez moi ? »

– « Bien sûr, pour aller vous chercher! » Finkin leva un sourcil : « Elle s’appelle bien Rachel, n’est-ce pas ? Cela vous ennuierait-il de me la présenter ? »

– « Hors de question! » Répliqua Good en lui lançant un regard froid.

– « Nous ne sommes pas assez bien ? » S’exclama Finkin, indigné. « N’oubliez pas que je possède une maison près de la Rivière Écarlate! »

Pensif, Good garda un moment le silence avant de secouer la tête :

– « Cela n’a rien à voir avec vous », répondit-il enfin. « Ma sœur… Rachel a ses propres problèmes. Je doute fort qu’elle ait envie de sortir avec vous. »

– « Pourquoi ? Elle me semble plutôt gentille », fit Hinds, confus.

– « Mais parlez, bon sang! » Insista Finkin, intrigué.

– « Laisse tomber », répondit Good d’un ton bourru. « Pour changer de sujet, que vouliez-vous dire par « vous vous amusez mieux à l’école ? »

Finkin baissa la voix et demanda d’un ton mystérieux :

– « Ne voulez-vous pas piloter un vrai avion ? »

– « Que dites-vous ? »

– « Il y a quelques jours, lorsque j’ai fait le mur, j’ai vu de nouveaux avions dans le hangar. Une toile les recouvrait, mais j’ai vu qu’ils avaient à peu près la même taille que la Licorne, que pilote la Princesse Tilly. En d’autres termes, ces avions nous sont destinés! »

– « Il y a quelques jours ? Pourquoi ne nous avez-vous rien dit ? »

– « Parce que je craignais que par excès d’enthousiasme vous ne divulguiez l’information », répondit Finkin en haussant les épaules. « Profitons de ce que nous sommes en permission et qu’il n’y a guère de monde à l’Académie pour aller les voir! »

– « Êtes-vous devenu fou ? » S’exclama Good, incrédule. « Personne ne peut entrer sans autorisation! »

– « Il est évident que les soldats ne nous laisseront pas entrer », répondit Finkin en levant les yeux au ciel. « Nous prendrons donc un autre chemin et contournerons l’aéroport. »

– « Mais… »

– « C’est juste pour jeter un coup d’œil », insista Hinds. « Vous avez sans doute remarqué que, depuis quelque temps, la Princesse Tilly était plutôt maussade et plus stricte avec nous. Nous ne pourrons sans doute pas les piloter avant au moins deux mois. Ne voulez-vous pas savoir à quoi ressemblent nos avions ? À moins que vous ne préfériez ce stupide tableau de bois ? »

– « Si vous ne voulez pas venir, nous irons sans vous », dit Finkin avec un clin d’œil.

Good fixa le manche de bois branlant, hésita un long moment comme s’il était en proie à un conflit interne et finalement, se mordit la lèvre et répondit avec un signe de tête :

– « D’accord, je vous suis. »