Si Lucia ne savait pas ce qu’était la physique des hautes énergies ni en quoi consistait son travail, elle s’était aperçue que le Roi faisait souvent les cent pas en regardant cette plaque, comme si ces mots détenaient un pouvoir miraculeux.
Ceci n’avait fait que renforcer son enthousiasme.
Son travail au sein du laboratoire n’était guère différent de ce qu’elle faisait dans le Secteur des Fours, cependant, son instinct lui disait qu’elle participait à quelque chose d’extraordinaire.
Azéma, qui se reposait sur son siège, ouvrit les yeux à son arrivée :
– « Hé, vous voilà! » S’exclama-t-elle.
– « Bonjour! » Répondit poliment Lucia.
– « Il fait tellement chaud et l’on se sent si bien ici qu’on s’endort facilement », expliqua Azéma en baillant. Elle s’étira : « Alors, nous commençons ? »
– « Bien sûr. Merci pour votre aide. »
– « De rien, vraiment », répondit Azéma en agitant la main. « Je suis votre assistante, tenue de suivre vos instructions. Par ailleurs, voilà un moment que nous travaillons ensemble, inutile de nous faire autant de politesses. De plus… »
La voix de la sorcière devint un murmure que le vent chaud apportait à Lucia :
« Nous serions bien mal avisées de nous plaindre quand nous pouvons gagner deux Royals d’or par mois en restant assises ici… »
Lucia se retint de rire. À vrai dire, elle avait un peu peur d’Azéma depuis qu’elle avait entendu Wendy parler du conflit interne qui régnait sur l’Île Dormante. Cette sorcière aux cheveux roux et au visage anguleux, un chef de bande, parlait et se comportait de manière tranchante avec un air de supériorité, c’est pourquoi Lucia s’était montrée très inquiète lorsque le Roi la lui avait affectée comme assistante. Elle se demandait alors si vraiment elle était compétente pour diriger ce nouvel institut.
Néanmoins, après plusieurs mois de collaboration, Lucia avait pu constater qu’Azéma n’était pas aussi terrible qu’elle le pensait. Bien que, de temps à autre, elle se plaignît de la Princesse Tilly et parfois même de Sa Majesté, dans l’ensemble, c’était une assistante dévouée et travailleuse. Très sensible vis-à-vis de son salaire, elle laissait parfois échapper des remarques comme : « Je vais faire mes preuves! Attendez un peu, Rossignol », ou encore « Je peux parfaitement subvenir à mes besoins », ce que Lucia trouvait plutôt amusant.
– « Très bien, commençons », dit cette dernière.
Elle tira de son placard un vêtement de protection blanc qu’elle tendit à Azéma.
La première étape, en effet, consistait à se protéger de l’environnement extérieur.
Non seulement il leur était interdit de toucher le sujet de leur recherche, mais elles devaient également porter un filtre spécial pour respirer. Roland avait bien souligné qu’une minuscule quantité de ce matériau de recherche purifié, hautement toxique, suffirait à tuer quiconque la toucherait ou l’inhalerait. Pour éviter un drame, le Roi avait demandé aux chercheuses de contrôler méticuleusement les vêtements de l’autre, en particulier aux endroits qu’elles ne pouvaient examiner elles-mêmes.
Une fois leur combinaison anti radiations enfilée, Azéma leva le pouce et toutes deux se rendirent dans une cour à ciel ouvert.
Sur le sol étaient soigneusement alignées des tonnes de dalles, à l’origine vertes mais qui avaient pris une couleur plus sombre, un peu semblable à celle des briques que l’on produisait dans le Secteur des Fours. Par ailleurs, elles étaient extrêmement lourdes. On aurait dit qu’elles n’étaient pas faites de pierre mais de métal.
Lucia en saisit une et y appliqua son pouvoir magique. La dalle était un peu chaude d’être restée longtemps exposée au soleil mais cela n’affectait pas les effets de sa capacité. Sous ses yeux, la dalle prit l’apparence d’un mélange de composés colorés, certains brillants. Cependant, le matériau requis par Roland ne nécessitait qu’une infime partie de la substance dispersée, telle des projections d’encre, à la surface de la dalle.
Cela valait mieux que d’avoir à extraire le matériau des minerais du Versant Nord.
Lentement, ces blocs de couleur se déplacèrent et se réassemblèrent pour former quatre groupes bien distincts, de tailles différentes. Lucia élimina le plus gros. Celui dont Roland avait besoin, un matériau argenté et toxique, n’était pas plus gros qu’un grain de sel.
Lucia le prit délicatement et le déposa dans un bocal de verre qu’elle mit de côté.
Des deux autres blocs de métal, beaucoup plus gros, l’un avait la taille d’une amande et l’autre celle de la moitié d’un ongle. Comme ils étaient également argentés, le seul moyen de les distinguer était de faire appel à la magie. Le plus gros fut placé dans un panier et envoyé à Anna qui était supposée l’utiliser pour tester la nouvelle machine sur laquelle elle travaillait. Quant à l’autre, il fut placé dans une boite de plomb capable de contenir cinq kilogrammes.
Si Lucia n’avait eu que cela à faire, il lui aurait suffi d’un ou deux jours pour extraire tous ces blocs de métal. Ces dalles étant toutes des matériaux de construction utilisés par le clan aux radiations, elles avaient déjà été purifiées et étaient beaucoup plus faciles à travailler que le minerai brut.
Une fois la dalle terminée, Lucia se leva, s’approcha d’Azéma et lui montra ses mains.
C’était également l’une des règles établies par Roland : Avant que Lucia ne passe à une nouvelle dalle, son assistante était tenue de vérifier qu’il ne restait aucun résidu de particules sur les lieux ni sur ses vêtements, sa capacité lui permettant de détecter la moindre trace de matériau.
Environ deux heures plus tard, Lucia avait épuisé tout son pouvoir.
– « C’est assez pour aujourd’hui », déclara Azéma en l’aidant à se relever. « N’oubliez pas que nous devons étudier ce soir. Si vous continuez, nous serons contraintes de vous ramener jusqu’au château. »
– « C’est vrai », acquiesça Lucia. « Vous avez raison. »
Non seulement elle était fatiguée, mais elle étouffait dans sa combinaison anti radiations. Il était donc inutile de persister dans ces conditions.
Les deux jeunes filles ôtèrent donc leurs vêtements et se douchèrent. Le crépuscule approchait et une brise fraîche soufflait sous leurs joues, faisant doucement bruisser les plantes qui grimpaient sur le mur extérieur. Lucia, qui se sentait beaucoup mieux à présent, poussa un profond soupir.
Soudain, elles entendirent derrière elles une voix familière :
– « Vous avez fait de l’excellent travail. »
Lucia se retourna et vit Roland, souriant, entrer dans la cour, suivi de Rossignol qui tenait à la main deux flacons de Boisson du Chaos de couleur bleue.
– « C’est… » balbutia Azéma, un peu surprise.
– « Une récompense », répondit discrètement Roland. « Mais ne le dites à personne. »
– « Merci », dit alors la sorcière, un peu rigide, en s’emparant du flacon.
Lucia, qui ne pouvait pas attendre, la déboucha. La boisson rafraîchissante lui fit aussitôt tout oublier, son travail comme ses ambitions.
Lorsque toutes deux eurent vidé leur bouteille, Roland demanda :
– « Alors, comment vont les choses ? »
– « J’ai séparé les éléments comme vous me l’avez demandé », répondit Lucia.
Elle conduisit le Roi dans une pièce et ouvrit une armoire où étaient soigneusement alignées des dizaines de boîtes de plomb.