Les jours suivants, Roland reçut divers rapports de l’État-major qui réexaminaient le projet Flambeau et établissaient des conclusions à partir de la reconstruction opérée par Assia et les recherches ayant eu lieu dans les fouilles de Taquila. Ces rapports arrivaient sur son bureau comme portés par un blizzard et s’empilaient à hauteur de sa taille.
La vérité, progressivement, fit surface.
Roland apprit ainsi que la Pierre du Châtiment Divin géante découverte lors de la Bataille du Versant Nord et de la Bataille de Taquila provenait de la mine des ruines de Taquila. Au fond de la mine, le Groupe de Détectives avait trouvé la partie manquante de la pierre : il s’agissait de la partie supérieure de deux piliers de Pierre du Châtiment Divin qui avaient été sectionné en leur milieu par une arme tranchante, comme semblaient l’indiquer leurs coupes lisses et uniformes.
Bien qu’Assia ne pût pas faire appel à sa capacité à proximité des pierres, Roland eut tôt fait de déduire que celles-ci pouvaient avoir un lien avec les Squelettes Géants. En fait, ceux-ci n’étaient pas seulement un outil de transport mais aussi un petit Obélisque capable de régénérer la Brume Rouge, comme en témoignait l’érosion de la terre observée autour des ruines. Néanmoins, comparés à un Obélisque de taille normale capable de propager la Brume Rouge sur des centaines de kilomètres, les squelettes ne pouvaient couvrir qu’un rayon de cent à deux cents mètres. De plus, ils avaient besoin de la ligne d’approvisionnement pour subvenir à leurs besoins et diffuser la brume.
En d’autres termes, les Squelettes Géants étaient les postes de sentinelle mobiles destinés aux Diables qui avaient une mise en œuvre stratégique importante. L’État-major en était parvenu à la conclusion que ces Squelettes Géants, tout comme les Diables Araignées étaient une espèce rare. Si tel n’était pas le cas, les Diables en auraient fait leurs sentinelles et pris possession des Plaines Fertiles avant même que les humaines n’aient eu le temps d’intervenir.
Par ailleurs, la plupart des passages à l’arrière de Taquila étaient l’œuvre des Diables Araignées qui n’étaient certes pas aussi compétents que les vers dévorants en matière d’excavation mais surpassaient de loin les Diables Fous. Ces passages, qui partaient de la Mine de Pierres du Châtiment Divin, se ramifiaient et la mesure entre eux et la surface tenait évidemment compte du seuil de capacité d’observation. Par conséquent, il aurait été difficile à quiconque de les repérer d’en haut.
Céline et Ayesha ayant une nette tendance à voir les Squelettes Géants et les Diables Araignées comme un type particulier de Diables, Roland proposa de les appeler les “Bêtes Monstrueuses” pour les distinguer des Diables porteurs et des Diables communs et suggéra une précision permettant de classer par catégorie les Diables encore inconnus.
Les Squelettes Géants reçurent donc le nom de Bêtes Monstrueuses de Type Forteresse et les Diables Araignée celui de Bêtes Monstrueuses de Type Arachnéen, ces dernières étant classées en deux sous-catégories : celles qui lançaient des aiguilles et celles qui projetaient des Diables. Non seulement ce système de dénomination facilitait les opérations militaires, mais il simplifiait également la collecte de données et les rapports statistiques.
Outre l’analyse d’après-guerre, Roland était également soucieux des faiblesses de la Première Armée signalées par l’État-major, en particulier au niveau du renseignement.
À en croire l’historique des guerres de l’humanité, la guerre souterraine n’avait jamais été une tactique militaire courante en raison des technologies limitées, du facteur temps et des ressources considérables requises. Cependant, tout était différent désormais avec l’implication des vers dévorants et des Bêtes Monstrueuses de Type Arachnéen qui permettaient des stratégies militaires ayant recours à des tunnels à grande échelle. Les Diables pouvaient désormais creuser un passage souterrain suffisamment large pour que leur armée puisse traverser en un temps record. La Première Armée allait devoir redoubler de vigilance vis-à-vis de l’espace souterrain, considéré comme une zone dangereuse.
Pour ce faire, nul doute qu’ils allaient avoir besoin de quelqu’un d’autre que Sylvie pour faire le guet. Sa capacité, en effet, requérait une quantité considérable de pouvoir magique pour pouvoir voir à travers les objets solides. Par ailleurs, elle ne lui permettait pas de surveiller une région supérieure à celle que représentaient deux terrains de football ni devoir à plus de trois ou quatre mètres sous terre. Ceci dit, en extérieur, l’Oeil Magique pouvait voir n’importe où dans un rayon de dix kilomètres et rester vigilant toute une journée.
Les sorcières, à l’exception des Extraordinaires, avaient une limite à l’utilisation de leur pouvoir qui, si elles allaient au-delà, chutait considérablement. Aussi était-il très rare, à moins d’une urgence absolue, qu’elles outrepassent leurs limites.
Ceci étant, la Première Armée allait devoir développer son propre système de renseignement.
Roland se souvint que dans l’histoire de l’humanité, lors d’une guerre, les deux camps avaient écouté attentivement sous terre pour recueillir des informations sur l’emplacement des tunnels et des camps ennemis. Ils utilisaient des appareils assez similaires au stéthoscope qu’utilisent les médecins, capables de détecter les mouvements par transmission du son à travers des matériaux solides.
Cependant, cette méthode ne fonctionnait que pour les tunnels en cours de construction.
Après de longues délibérations, Roland trouva enfin un moyen pratique d’infiltrer l’ennemi : le test de pénétration standard, sorte de procédure destinée à tester la résistance du sol.
Ancien élève ingénieur, Roland avait souvent entendu ses colocataires discuter de cette méthode, très employée dans le génie civil. Le procédé consistait à enfoncer dans le sol des tiges d’acier empilées en quinconce, chaque tas à plusieurs mètres de distance. Aidés d’un outil de sondage, des gens pouvaient effectuer le test sur une grande surface. Si la tige s’enfonçait, cela signifiait que le sol en dessous était creux.
Si l’armée maîtrisait ces deux méthodes de détection, elle pourrait surveiller le mouvement des Diables sous terre sans l’aide des sorcières.
Par ailleurs, le seul moyen pour l’armée de pouvoir mener une mission de reconnaissance dans le ciel sans dépendre de Foudre et Maggie était de développer une force aérienne.
Et Tilly en était la clé.
En outre, le rapport d’Édith soulignait : “L’armée n’a pas de plan d’urgence capable d’apporter une assistance immédiate”. Roland fut impressionné par les progrès remarquables des capacités de l’État-major même si, dans le même temps, le commentaire d’Édith le laissait un peu démuni. Il était parfaitement conscient de ces problèmes mais étant donné ses limites de population, comment la ville pourrait-elle les surmonter dans l’immédiat ?
Pour finir, le rapport d’un responsable de la logistique attira l’attention de Roland. L’officier y mentionnait que la mitrailleuse lourde Mark I n’était pas suffisamment performante lors de combats intenses. De nombreux soldats, en effet, s’étaient plaints de passer plus de temps à recharger qu’à tirer et par ailleurs, cela représentait un lourd fardeau pour l’équipe logistique. L’officier exprimait le souhait que le Département du Génie puisse y apporter les améliorations nécessaires.
C’était la première fois que Roland recevait des retours de soldats du front depuis la mise en place du système de retour d’information. En tant que manipulateurs directs, ils étaient mieux placés que quiconque pour connaître les forces et les faiblesses de chacune des armes.
Le Roi avait bien remarqué une augmentation inhabituelle de fusils cassés après l’attaque nocturne de la Station de la Tour n ° 1. Cependant, comme il était facile de remplacer les pièces endommagées, il n’avait pas vraiment pris ce problème au sérieux et avait mis cela sur le compte du manque d’expérience des soldats et des attaques ennemies plus nombreuses. Les combattants étant généralement plus stressés lors d’un combat nocturne dans la mesure où ils ne pouvaient pas voir les résultats du tir, ils étaient très possibles qu’ils aient quelque difficulté à presser la détente. De plus, les canons refroidis par air étant intrinsèquement moins résistants que ceux refroidis par eau, ils surchauffaient plus facilement.
Ce problème alerta Roland. Au départ, il avait l’intention de créer une équipée d’un canon à refroidissement par air pour n’avoir qu’une seule arme polyvalente, convaincu qu’elle serait plus efficace que la . Cependant, son invention n’avait pas fonctionné. Malgré l’aide de traceurs et l’expérience que les soldats pouvaient acquérir au regard des combats de nuit, ils rencontreraient beaucoup plus de Diables lors de la prochaine guerre. Roland n’osait imaginer les conséquences que pourrait entraîner l’endommagement de mitrailleuses lourdes lorsque la Bataille de la Divine Volonté serait officiellement déclarée et qu’ils seraient assaillis par des milliers de Diables.
Ce rapport venait de lui faire réaliser son erreur.
Le remède à ce problème était d’abandonner l’idée de mitrailleuses multitâches en séparant les mitrailleuses lourdes des autres. Le canon des premières devrait être allongé et équipé d’un radiateur. Quant aux mitrailleuses qui pouvaient être transportées à la main ou par véhicule, elles devraient être légères et portable afin de répondre aux besoins des futures guerres. Il lui suffirait alors d’améliorer le modèle actuel de Mark I.