– « Il n’y en a pas beaucoup, Votre Altesse », répondit le chasseur. « Chaque année, nous ne voyons que deux à trois démons d’espèces mêlées. Heureusement, sinon la Forteresse de Longsong aurait beaucoup de souci à se faire. »
– « Vous semblez très observateur », fit remarquer Roland qui ordonna à l’homme de se relever : « Comment vous appelez-vous ? Je ne vous ai jamais vu dans mon Royaume. »
– « La moitié de ma lignée provient du Clan Mojin, les gens de la ville m’appellent Hache-de- Fer. »
Le Clan Mojin, les gens du Royaume de Shamin, situés au sud-ouest des terres arides… On disait qu’ils étaient les descendants de géants. Roland chercha dans sa mémoire des souvenirs liés au Clan Mojin et remarqua que Hache de Fer n’avait pas donné son nom dans le clan mais plutôt celui que lui avaient donnés les habitants de Border Town. Apparemment il ne voulait pas avoir de relation avec le Royaume de Shamin. Quant à la raison, comme il était évident qu’il venait de la frontière sud-ouest des terres désolées, il devait y avoir quelques histoires tristes à ce sujet.
Mais pour le moment, ces histoires n’étaient pas importantes. Tout le monde était le bienvenu à Border Town, quel que soit son passé.
Roland frappa dans ses mains :
– « Ce n’est pas pour cette raison que je vous ai fait appeler. Carter, donnez-leur à chacun dix Royals d’argent, ensuite ils pourront partir. »
– « Merci beaucoup pour la récompense, Votre Altesse », dirent les trois à l’unisson.
Ensuite, Carter les emmena. Quand il eut fini sa tâche, il revint et demanda :
– « Votre Altesse, pourquoi avez-vous posé ces questions ? Voulez-vous rester ici ? »
Roland n’exprima aucune opinion et demanda :
– « Qu’en pensez-vous ? »
– « Cela est hors de question, Votre Altesse! », Dit le chevalier à haute voix, « Selon les dires du chasseur, même un ours démoniaque sauvage serait difficile à gérer. Hors des cinquante mètres, un tir avec une arbalète n’aurait aucun effet; Nous devrions attendre jusqu’à ce qu’il approche les quarante mètres, ou même les trente mètres avant de tirer, seuls nos soldats d’élite peuvent accomplir cela. De plus, les démons sont trop nombreux, et nous ne pouvons pas compter sur des murs puissants, avec des gardes locaux pour les arrêter. Je crains que les pertes ne dépassent les réussites, notre défaite serait assurée. »
– « Vous avez déjà vu ce qu’est capable de faire une sorcière, alors pourquoi ne pensez-vous pas positivement ? » Soupira Roland.
– « Cette… Les sorcières en général sont mauvaises, mais Anna… Mademoiselle Anna est différente. En tant que Chevalier en Chef, je me fie aux faits pour rechercher la vérité. »
– « Si je vous faisais construire un mur pour protéger la ville, pensez-vous que ce serait possible ? »
– « Pardon ? » Durant un instant, Carter crut avoir mal entendu.
– « Je propose de construire un mur entre le versant nord de la montagne et la rivière Redwater », reprit Roland en insistant sur chaque mot. « Il ne sera pas aussi immense que les murs de Graycastle, mais il devrait suffire à arrêter ces animaux. »
– « Monsieur, réalisez-vous ce que vous êtes en train de dire ? » Le chevalier ne savait pas s’il fallait se fâcher ou rire : « Même vos sottises doivent avoir une limite, si vous n’arrêtez pas, vous devrez excuser mon manque de manières. »
– « Il nous reste encore trois mois, n’est-ce pas ? J’ai observé les registres antérieurs, la première neige ne devrait pas commencer à tomber avant cette période. »
– « Même si nous avions trois ans, ce ne serait pas suffisant! La construction d’un mur nécessiterait de nombreux ouvriers, pour établir les fondations il leur faudrait compresser la terre et faire des renforts tous les 70 centimètres, faute de quoi nous risquerions l’effondrement. Ce serait le plus simple des murs de terre » répondit Carter en secouant la tête. « Les murs de briques et de pierres sont encore plus difficiles à construire et il faudrait des centaines de maçons qui devraient d’abord tailler les pierres ou durcir l’argile en briques. Ensuite, ils devraient le construire bloc par bloc. Votre Altesse, tous les murs ont été construits de cette façon, sans exception. Une ville construite en un jour et une nuit, on ne voit ça que dans les légendes. »
Roland fit signe qu’il en avait assez entendu :
– « Je vois. Ne vous bouleversez pas ainsi! Si nous ne réussissons pas à construire un mur fiable ici, je vous accompagnerai à la Forteresse de Longsong. Je n’ai pas l’intention d’y laisser la vie. »
Le chevalier s’agenouilla :
– « Je vous protégerais! »
Un peu plus tard, dans les beaux jardins du château, Roland buvait à petites gorgées sa bière amère tout en contemplant Anna qui mangeait des gâteaux à la crème.
Il avait décidé d’arrêter les bêtes démoniaques à Border Town. En rassemblant les soldats d’élite et les gardes de la ville, il intensifierait également l’agriculture en élargissant la zone surveillée par les gardes. S’il voulait construire un mur reliant le versant nord de la montagne à la rivière Redwater en trois mois, il devrait utiliser une technologie des temps modernes.
Ce n’était pas une décision soudaine. Précédemment Roland avait étudié les abords de Border Town (bien qu’il n’y soit pas allé personnellement), et en avait encore une image claire. Le versant nord de la montagne et la rivière n’étaient séparés que par 600 mètres au point le plus proche, c’était un goulot d’étranglement naturel. Et en raison de l’exploitation minière continue de la Mine du Versant Nord, elle était entourée de gravier provenant des roches extraites de la grotte.
Ces morceaux de gravier gris cendré contenaient de nombreux carbonates de calcium, qui, une fois broyés, pourraient donner du calcaire. Avec le calcaire il avait sa solution, ce serait une sorte de ciment.
Oui, cela changerait l’histoire de l’humanité de pouvoir construire à l’aide d’un matériau qui une fois mélangé à l’eau pouvait se solidifier, et de plus composé de matières premières faciles à obtenir, faciles à préparer.
Roland avait estimé le temps nécessaire. Même s’il mettrait en œuvre de nouvelles technologies, il n’était pas sûr que cela soit réalisable, la quantité de ciment requise étant très importante. Le Prince n’était pas certain de pouvoir calciner autant de poudre de ciment en trois mois. Et la dureté du béton serait moindre. Il faudrait le renforcer avec de l’acier, par conséquent la probabilité de réussir à construire un mur de ville en béton n’était pas idéales.
Ils devaient maximiser l’utilisation des matériaux existants et économiser du ciment, de sorte que la construction en pierres de champ soit le choix le plus approprié.
Ladite pierre de champ était une pierre qui n’avait pas subi de broyage, un simple sous-produit naturel de l’exploitation minière. Cette pierre, en raison de sa forme irrégulière, ne pouvait être utilisée directement pour la construction : Il fallait d’abord qu’un maçon la taille afin qu’elle soit utilisable. Il était cependant possible de construire un mur à l’aide de ce matériau si l’on utilisait du ciment pour les souder. Quelle que soit leur forme irrégulière, on remplirait simplement les espaces vides avec du ciment ce qui permettait de l’économiser tout en utilisant des matériaux qui autrement auraient été perdus.
Les grandes lignes de cette réalisation étant définies, Roland craignait d’être contraint d’agir seul. Personne à part lui ne connaissant le procédé de calcination du ciment ni ne sachant comment réaliser un mur en pierre brute, le Prince allait être particulièrement occupé pour les trois mois à venir.
– « Regardez! »
Il entendit la voix claire d’Anna résonner derrière lui.
Se retournant, Roland constata que dans la main de la jeune fille, un petit bouquet de flammes vacillait tranquillement. Il n’y avait manifestement pas de vent, mais la pointe des flammes montait et descendait, comme si elles la saluaient. Anna remua son doigt. Le feu devint tout petit et se déplaça lentement pour finir au bout de son index, frémissant.
– « Vous avez réussi! »
Le Prince était plein d’admiration devant un tel spectacle. Cela n’avait rien à voir avec l’art des illusionnistes, ce n’était pas non plus un truc chimique. Non, c’était réellement un pouvoir surnaturel. Mais bien au-delà de la flamme, ce qui retint surtout l’attention de Roland fut le regard d’Anna.
Alors qu’elle regardait attentivement ses doigts, les yeux limpides comme l’eau d’un lac réfléchissaient la flamme vibrante, comme un elfe dans un saphir. Les traces laissées par les tortures endurées en prison avaient disparu et si elle souriait rarement, son visage était devenu expressif. Sur le bout du nez de la jeune fille perlait un peu de sueur et le rose qui teintait ses joues blanches reflétait sa vitalité. La regarder ne pouvait que réjouir le cœur.
– « Que se passe-t-il ? »
– « Ah… Rien », répondit Roland en détournant son regard qu’il sentait trop insistant. Il se racla la gorge : « Essayez à présent de faire fondre du fer. »
Ces derniers temps, à part lorsqu’elle mangeait ou dormait, elle n’avait cessé de s’entraîner. Devant tant d’enthousiasme et de travail acharné, le Prince se sentit rougir de honte. Il n’avait jamais travaillé si dur, fut-ce pour son examen d’entrée à l’université.
De toute évidence, elle ne mettrait guère de temps à s’approprier totalement sa capacité. Roland allait enfin pouvoir donner suite à de nouveaux projets qu’il avait en tête.
Note: Pour des informations sur le béton et pourquoi il est logique qu’il ait pu l’inventer.