Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 5 – L’ombre dans l’eau
Chapitre 4 – La Caverne à Cadavres Menu Chapitre 6 – La décharge à cadavres

― Hé, ne me fais pas peur comme ça, jeune maître ! Je suis peut-être grand mais j’ai particulièrement peur de l’inexpliqué, dit Poids-lourd. Ça n’aurait pas été le cas si tu m’avais dit qu’il s’agissait d’une bande de voleurs de chevaux, mais tu ne sais même pas ce que c’est. Regarde, j’ai les jambes en coton.

On ne peut pas rester ici, me dis-je. Par moments, une prémonition désagréable me trottait dans la tête. Je ne savais pas si c’était l’emprise qu’avait cette grotte déprimante sur nous ou non.

― Peu importe ce que c’est. Le plus important dans l’immédiat est de sortir d’ici au plus vite. Nous naviguons à contre-courant mais en faisant demi-tour, nous devrions gagner du temps. Cela fait moins de dix minutes que nous sommes ici à mon sens, ça ne devrait donc pas être long, dis-je au groupe.

― Oui, oui, Maître San a raison, s’empressa d’acquiescer Poids-lourd. Dis quelque chose, Maître San. Au pire, si nous étions contraints de traverser la montagne une fois sortis, je me chargerai de tout porter. Je suis assez fort. Cela ne fera pas une grande différence si nous retardons le travail d’un jour ou deux, n’est-ce pas ? Nous n’aurons qu’à creuser plus vite le tunnel pour rattraper le temps perdu.

Oncle San regarda Poker-Face et demanda :

― Qu’en penses-tu, mon jeune ami (1) ?

― Je crains qu’il ne soit trop tard. Si ces deux personnes nous ont amenés ici, elles ont dû s’assurer qu’on n’en ressorte pas.

― Dans ce cas, on va devoir attendre ici jusqu’à ce qu’on meure de vieillesse ? Demanda Grande-gueule en se tournant vers lui.

Mais Poker-Face l’ignora, tourna la tête et ferma les yeux pour se reposer.

Voyant cela, Grande-gueule s’adressa à Oncle San :

― Je ne pense pas que nous puissions continuer. Regarde Poids-lourd, il est mort de trouille. Nous devrions faire demi-tour. L’accès jusqu’ici n’était pas très compliqué, nous retrouverons peut-être notre chemin. Si vraiment nous rencontrons quelque chose d’étrange, nous réfléchirons !

Oncle San hocha la tête.

― C’est la seule solution. Puis il ordonna à Grande-gueule : Place une lampe de mineur à l’avant et à l’arrière des bateaux et sors les fusils. Poids-lourd et moi prendrons la perche pour diriger les bateaux. Grande-gueule et mon neveu garderont un œil sur l’arrière et notre jeune ami restera à l’avant pour m’indiquer le chemin.

Tout le monde était d’accord. Grande-gueule prit une autre lampe de mineur, l’alluma et l’accrocha derrière nous. Le bœuf, qui se trouvait sur le second bateau, mugit brusquement à la vue de la lumière.

Grande-gueule étouffa un juron :

― Il faut mettre cette vache à l’eau, Maître San, sans quoi les perches ne seront pas en mesure de diriger le bateau.

Comme la lampe éclairait l’avant, nous n’avions pas fait attention à ce qui se trouvait derrière nous et avions totalement oublié le bateau que nous tirions. Nous en restâmes tous abasourdis. Ces deux vieux voleurs avaient vraiment pensé à tout. La grotte était si basse que le bœuf ne pouvait pas tenir debout, à plus forte raison ne pouvions nous le mettre à l’eau. Le poids de notre équipement, du chariot et du bœuf avait fait prendre l’eau à l’embarcation. Si l’un d’entre nous montait sur ce second bateau, non seulement nous ne pourrions plus le diriger avec les perches, mais il pourrait couler. Cette remorque constituait un « bouchon » qui nous bloquait la sortie.

C’est alors qu’à nouveau, je perçus ce vague son étrange provenant des profondeurs de la grotte, mais beaucoup plus proche qu’auparavant. Tel le murmure de nombreux petits démons, il nous mit tous extrêmement mal à l’aise. Nous fîmes silence et durant un moment, l’atmosphère devint très inquiétante. Brusquement, toute mon attention fut attirée par ce son. J’essayai à plusieurs reprises de me ressaisir mais aussitôt, il me happait.

Ça craint ! M’écriai-je intérieurement. Il y a quelque chose de bizarre dans ce son !

J’avais beau lutter, je n’arrivais pas à reprendre mes esprits et ma tête tambourinait au rythme de cette litanie. Puis quelqu’un me donna un violent coup de pied. Je perdis l’équilibre et tombai à l’eau.

Le son disparut de ma tête et je vis Grande-gueule tomber lui aussi. Oncle San et Poids-lourd suivirent rapidement et enfin Poker-Face qui tenait à la main une lampe de mineur. Dans l’eau, le son était déformé et n’avait pas d’emprise sur nous. Tout était flou et même en plissant les yeux, je ne distinguais qu’approximativement.

Poker-Face nous montra quelque chose, puis, de sa lampe, éclaira les environs. L’eau, qui n’était pas très profonde, courait sur un lit de sable blanc. Il balaya les alentours mais il n’y avait ni plantes, ni poissons, ni crevettes, rien. Incapable de retenir mon souffle plus longtemps, je refis surface et pris une grande inspiration. Mais au moment où je chassai l’eau de mes yeux, je vis un visage ensanglanté suspendu à l’envers et qui me fixait du regard.

Je reconnus le batelier qui nous avait menés à l’intérieur de la grotte. Je levai les yeux et constatai qu’il ne lui restait plus que le haut du corps. Un gros insecte noir, depuis la voûte, dévorait ses intestins et le secouait de temps en temps. Je restai là, figé de stupéfaction.

N’est-ce pas un mangeur de cadavres ? Mon Dieu, combien de morts a-t-il bien pu manger pour devenir aussi gros ? !

La tête de Grande-gueule émergea de l’eau. Mais malheureusement, il n’était visiblement pas aussi chanceux que moi, car avant même qu’il n’ait pu comprendre ce qui se passait, l’insecte poussa un cri strident, balança le cadavre sur le côté et se jeta sur sa tête. Levant ses grosses pattes en forme de pinces, il les planta d’un coup sec dans le cuir chevelu de sa nouvelle victime.

Mais Grande-gueule était un homme de caractère. Malgré les circonstances défavorables dans lesquelles il se trouvait, je le vis retourner sa main gauche et planter son couteau à la base de la patte de l’insecte dont il coupa l’une des pinces. Le mangeur de cadavre laissa échapper un cri perçant. Si j’avais été à sa place, cette attaque m’aurait expédiée tout droit devant le Roi Yama.

L’autre pince ne pouvant supporter son poids, Grande-gueule l’arracha d’un coup de poing.

Tout s’enchaîna si vite que Grande-gueule, qui n’avait pas remarqué ma présence, lança l’insecte en direction de mon visage.

Je le maudis. Pourquoi est-il si méchant ? Il dit toujours qu’il va me protéger mais quand quelque chose se produit, il me jette cet insecte mortel au visage ! Tu as toujours ton couteau, moi je n’ai que mes mains. Je suis foutu !

L’insecte ne perdit pas de temps. De ses pinces acérées, il coupa un morceau de peau de mon visage. Je serrai les dents et tentai de m’en débarrasser, seulement, il avait sur certaines de ses pattes des crochets. Certains agrippèrent fermement mes vêtements et d’autres se plantèrent dans ma chair, m’arrachant des larmes de douleur.

C’est alors que Poker-Face sortit de l’eau. Voyant que j’étais presque vaincu, il se précipita, enfonça deux doigts dans le dos de l’insecte et d’un geste puissant, en retira ce qui ressemblait à des macaronis d’un blanc brillant. Le pauvre mangeur de cadavre, qui pourtant avait le dessus, fut tué en moins d’une seconde. Je jetai donc ses restes sur le bateau avec l’impression de me réveiller d’un cauchemar.

Poids-lourd leva le pouce à l’adresse de Poker-Face :

― Je suis impressionné, mon jeune ami. Cet insecte était énorme et pourtant, tu lui as arraché les intestins comme un rien.

― Arrête, fit Grande-gueule qui avait deux trous sanguinolents à la tête, heureusement peu importants. Tu manques vraiment de culture, dit-il entre ses mâchoires serrées. On appelle ça le système nerveux central, pas les intestins. Ce gars a littéralement paralysé l’insecte !

Poids-lourd, qui avait déjà une jambe dans le bateau, la replongea aussitôt dans l’eau.

― Tu veux dire que ce truc n’est pas mort ?

Poker-Face grimpa sur l’embarcation et du pied, poussa l’insecte sur le côté.

― Nous ne pouvons pas le tuer pour le moment. Nous en aurons besoin pour sortir de cette caverne à cadavres.

― Tu crois que le bruit provenait de cet insecte ? Demanda Oncle San qui, ayant entendu les cris de celui-ci, trouvait qu’ils n’avaient rien à voir avec les murmures entendus plus tôt.

Poker-Face retourna l’insecte et nous vîmes une cloche hexagonale en cuivre de la taille d’un poing soudée à sa queue. Elle devait y être depuis longtemps, car le cuivre avait verdi et était en très mauvais état. Sur les six côtés de la cloche était gravé un ensemble compact d’incantations.

Grande-gueule, qui se bandait la tête, donna un coup de pied à l’insecte et la cloche se mit à tinter toute seule !

Le son, qui ressemblait à celui que nous venions d’entendre, était plus réel que le précédent qui, éthéré, semblait flotter depuis d’obscures profondeurs. Ce son devait provenir de la cloche qui le combinait à l’écho de la grotte pour nous ensorceler. Elle disposait probablement d’un mécanisme très élaboré qui, pour avoir survécu des milliers d’années sans se détériorer, devait être fait d’or ou d’argent. Mais comment pouvait-elle sonner toute seule ?

Alors que je réfléchissais à la question, la cloche sonna de plus en plus fort comme s’il y avait, à l’intérieur, un esprit furieux qui cherchait à s’échapper. Une pensée plus drôle qu’effrayante étant donné la petitesse de l’objet.

Lorsque Grande-gueule eut fini d’appliquer son bandage – une chose pour laquelle il était très doué, ce qui laissait à penser qu’il avait l’habitude de se blesser – il s’approcha de la cloche, horripilé de l’entendre sonner, et marcha dessus. Mais à sa grande surprise, le bronze était en si mauvais état qu’il se fissura sous son pied et un liquide vert extrêmement repoussant en jaillit.

Très remonté contre Grande-gueule pour ce qu’il venait de faire, Oncle San voulut le frapper à la tête mais se rappelant ses blessures, il se contint. L’homme risquait de se retrouver dans le même état que la cloche.

― Tu ne peux donc pas contrôler tes fichus pieds ? Cet objet est un artefact et tu viens de le détruire !

― Je ne savais pas que cette chose était si fragile, Maître San, répondit Grande-gueule.

Exaspéré, Oncle San secoua la tête puis prit un couteau et perça les fragments de bronze. Parmi ceux-ci, on pouvait voir de petites cloches de tailles et de formes variées qui ressemblaient à des alvéoles. Toutes étaient attachées à une délicate sphère creuse perforée en maints endroits.

Comme elle était fendue, nous pûmes voir à l’intérieur de cette dernière un gros mille-pattes dont la tête avait été écrasée. Un liquide vert s’écoulait de son corps aussi épais qu’un doigt.

De la pointe de son couteau, Oncle San retourna la sphère et remarqua qu’un tube la reliait directement au corps de l’énorme mangeur de cadavres.

― Apparemment, ce mille-pattes utilisait ce tube pour entrer dans le ventre du mangeur de cadavres et se nourrir. Comment ont-ils réussi à mettre au point un tel système symbiotique ?

La moitié supérieure du corps du batelier, qui flottait dans l’eau comme un bouchon, coulait et remontait périodiquement.

Oncle San soupira :

― Ils ont récolté ce qu’ils ont semé à vouloir nous abandonner dans cette caverne à cadavres et attendre notre mort pour venir nous voler. J’ignore ce qui s’est passé aujourd’hui, néanmoins ils ont fini dévorés par cette chose. Ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient !

― Curieuse coïncidence tout de même, fis-je remarquer. Nous avons eu de la chance.

Grande-gueule secoua la tête :

― A mon avis, les pinces de cette bestiole ne sont pas suffisamment puissantes pour avoir pu couper quelqu’un en deux en si peu de temps. Si c’était le cas, elle m’aurait arraché le cerveau en un instant. Je pense qu’il y en a plus d’une par ici. Celle-ci a dû ramener le corps ici pour le manger une fois démembré.

En entendant cela, Poids-lourd qui était déjà très tendu, ne put s’empêcher de déglutir bruyamment.

― Pas de panique, dit Oncle San. Notre jeune ami ne vient-il pas de dire que nous aurions besoin de cette chose pour sortir de la grotte ? Plaçons ce gros mangeur de cadavres à l’avant et laissons-le nous ouvrir la voie. Comme il a mangé des cadavres toute sa vie, son énergie Yin est très lourde. Ça devrait dissuader les zombies. Je dirais même que dans cette caverne à cadavres, ces insectes sont les maîtres. Avec celui-là sur notre bateau, nous nous en sortirons certainement. Maintenant allons-y. De toute façon, nous ne pouvons pas faire marche arrière. Je suis curieux de voir à quoi ressemble un endroit capable de produire un si gros insecte.

Je trouvais raisonnable ce que venait de dire Oncle San. J’avais l’impression d’avoir passé beaucoup de temps dans cette grotte et cet espace où l’on ne pouvait même pas lever la tête était vraiment trop déprimant.

Nous sortîmes nos pelles pliantes des bagages à l’arrière pour les utiliser en guise de perches contre les parois rocheuses et faire avancer les bateaux.

Ce faisant et tandis que j’examinai la paroi supérieure de la grotte, une question me vint.

― Tu vois cette roche solide ? Demandai-je à Oncle San. Comment les anciens pilleurs de tombes ont-ils pu la creuser ? Même aujourd’hui, des centaines de personnes travaillant de concert ne pourraient probablement pas creuser une grotte aussi profonde.

― Vois à quel point cette grotte est ronde, dit Oncle San. Elle est très ancienne. Je suppose que ceux qui l’ont creusée à l’époque étaient un groupe d’officiels, c’est-à-dire une armée spécialisée dans le pillage de tombes. On dirait bien que nous allons avoir plus de difficultés que prévu pour trouver la tombe indiquée sur la carte.

― Maître San, comment peux-tu être certain que cette tombe s’y trouve toujours ? Si une armée est venue ici et a creusé un si long tunnel, rien ne nous garantit qu’elle n’ait pas déjà été nettoyée ! Dit Poids-lourd. Je parie que nous n’y trouverons même pas un couvercle de cercueil.

― Si cette tombe a été pillée il y a des milliers d’années, nous ne pouvons rien y faire, renifla Oncle San. Mais le fait que cette grotte figure sur la carte signifie que ce tunnel de pilleurs existait déjà lorsque le défunt a été enterré. Il doit être plus ancien que la tombe que nous recherchons et il y a probablement plus d’une sépulture dans ce coin. Qui sait quand ce tunnel a été creusé ?

Ce que venait de dire Oncle San me glaça.

― Si je comprends bien, l’énorme mangeur de cadavres et l’antique cloche de bronze hexagonale ainsi que leur maître remontent à une époque antérieure à celle des Royaumes Belligérants ?

Mon oncle secoua la tête :

― Je me demande surtout pourquoi le défunt a voulu construire sa tombe à proximité d’une autre déjà pillée… Ce genre de chose n’est-il pas interdit par les règles du Feng Shui ?

Soudain, Poker-Face nous fit signe de nous taire et pointa du doigt l’espace devant nous. Nous observâmes alors une phosphorescence verte provenant des profondeurs de la grotte que ne pouvait atteindre la lumière de nos lampes.

Oncle San soupira.

― Nous voici arrivés à la décharge de cadavres !

Note explicative :

Littéralement : « Petit frère », qui est une manière familière de s’adresser à un jeune homme dont on ne connait pas le nom, ce qui, en Français, peut se traduire par « Mon jeune ami ».



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