Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 44 – Une peau qui s’effrite
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― Une queue ? Où as-tu vu une queue ? Pourquoi ne l’ai-je pas remarquée tout à l’heure ? Ne te moque pas de moi.

 

― Et ça alors, qu’est-ce que c’est ? dit Gros-lard en montrant l’endroit du doigt avec un air solennel. Quoi, tes yeux sont donc si divins que tu ne puisses distinguer quelque chose d’aussi petit ?

 

Je regardai dans la direction indiquée. Il y avait bien une protubérance sur le coccyx du cadavre. Elle était de couleur sombre et mesurait environ 10 cm de long pour deux doigts d’épaisseur. Elle semblait aussi desséchée que la momie elle-même et on aurait presque dit une queue de vache durcie recourbée vers le haut.

 

J’étais un peu perplexe. Je ne me souvenais pas avoir vu ceci lorsque nous déplacions le cadavre à l’instant. Cela signifiait-il qu’elle avait poussé au cours des dernières minutes ?

 

J’eus beau réfléchir, je n’en avais pas la moindre idée. J’étais si nerveux que je ne me souvenais plus très bien si je l’avais vue ou non. Soudain, je sentis un frisson me parcourir l’échine, le vague pressentiment que quelque chose de grave allait se produire.

 

Ce n’était pas le moment de paniquer. De plus, le cadavre était si desséché et flétri que je n’étais pas sûr qu’il s’agisse d’une queue : 

 

― Ne tire pas de conclusions trop hâtives, dis-je au gros. Comment une queue pourrait-elle pousser sur un être humain ? Ce doit être simplement sa bite. Pourquoi n’irais-tu pas voir de plus près ?

 

― Va te faire foutre, s’exclama Gros-lard en éclatant de rire. Une bite peut-elle pousser sur ton cul ? En plus, s’il est mort, pourquoi c’est si… si…

 

Comprenant ce qu’il voulait dire, je l’interrompis aussitôt :

 

― Ok, ok. Ça suffit. Cesse-donc de t’inquiéter à ce sujet. De toute façon, il n’en restera rien lorsque nous l’aurons fait exploser. Si tu continues à l’examiner, dans quelques années, quelqu’un viendra nous étudier nous aussi. 

 

Mes paroles ayant rappelé à mon compagnon que nous étions dans une situation délicate, il détourna aussitôt son attention de l’étrange protubérance et se remit au travail.

 

Je l’aidai à retourner le cadavre, puis l’attachai au pilier avec la corde que j’avais utilisée pour grimper. Nous n’avions aucun moyen de calculer la violence de l’explosion, néanmoins je me souvins que lorsque j’écoutais « Les trois héros et les cinq galants » (1), il était mentionné qu’il existait des explosifs en forme de tuiles de mahjong capables de faire sauter dix couches de roche de diamant. Logiquement parlant, le mécanisme de ce cadavre ne devrait pas être très différent.

 

Après avoir fébrilement attaché le corps, je tirai fortement sur notre corde de fortune. Même si les nœuds n’étaient pas très serrés, ils tiendraient sans doute assez longtemps pour ce que nous avions à faire.

 

Ne voulant pas m’attarder plus longuement là-haut, je vérifiai une dernière fois que tout était en ordre, puis me préparai à descendre.

 

Je ne pouvais m’empêcher de me sentir nerveux à l’idée que le moment de déclencher l’explosion approchait à grands pas. Une seule tentative et nous saurions si ce plan fonctionnait ou non. Pour le moment, nous ne pouvions rien faire d’autre que prier pour que le ciel nous bénisse. Tout le reste pouvait attendre que nous sortions de ce tombeau. Je n’osais pas demander l’impossible, je voulais juste rester en vie. 

 

J’étais perdu dans mes pensées lorsque le gros, brusquement, m’attrapa : 

 

― Une minute. J’ai l’impression qu’il manque quelque chose.

 

Ayant déjà tout revérifié, j’étais perplexe : 

 

― Quoi donc ? Tout n’est pas là ?

 

Il me demanda d’attendre pour redescendre, puis tourna la tête et s’adressa au cadavre :

 

―  Ancêtre à queue, que tu sois un singe ou un humain, tu es mort et ta chair mortelle ne te sert plus à rien. Même si c’est un peu abusif de notre part que de t’utiliser comme paquet d’explosifs, nous y sommes contraints par la situation dans laquelle nous nous trouvons. Tu es quelqu’un de sage et de généreux, aussi ne t’offusque pas de ce que nous faisons. Dans quelques instants, tu t’évaporeras comme la vapeur d’un sauna et tu seras à mille lieues des préoccupations de ce monde, libéré de tous les interdits.

 

Sur ces paroles, il s’inclina symboliquement devant le corps doré.

 

Je sentis la colère monter et le tirai par les sous-vêtements : 

 

― Merde, tu es encore d’humeur à faire l’imbécile dans un moment pareil ?!

 

Il se laissa glisser près de moi sur le pilier :

 

― Tu ne comprends pas ! Cette créature a l’air maléfique et rien ne nous dit qu’elle ne nous portera pas malheur par la suite. D’ailleurs, il était assis là, bien tranquille, jusqu’à ce qu’on décide de l’utiliser comme paquet d’explosifs. Comme c’est nous qui sommes en tort, il fallait lui dire ça, ne serait-ce que pour sauver les apparences.

 

― Lâche-moi un peu ! Tu as fait ça tout à l’heure quand tu as sorti le cadavre à douze mains du cercueil ? Pourquoi ne t’ai-je jamais vu faire des courbettes aux autres ? Il a juste une longue queue. C’est quoi tout ce cirque ?

 

C’était précisément comme cela qu’étaient nées les frictions entre l’école de pillage de tombes du Nord et celle du Sud. Une simple question d’idéologie. Contrarié par mon attitude, Gros-lard soupira d’indignation, puis se détourna et m’ignora.  

 

Lorsqu’enfin nous redescendîmes, Poker-face, qui avait chargé A Ning sur son dos, nous fit signe de le suivre dans le coin de la pièce. Nous déplaçâmes les autres miroirs de bronze et les mîmes devant nous afin qu’ils nous servent de boucliers dans le cas où, la bombe étant trop puissante, l’explosion projette des gravats dans notre direction. Tout était fin prêt. Il ne nous restait plus qu’à attendre le bon moment et à faire confiance à la précision de Petit Frère pour lancer l’un des pieds du miroir sur le cadavre et faire exploser le mécanisme dissimulé dans son estomac. Il avait presque tué le gros en lançant sa lame lorsque nous étions au Palais du Roi de Lu. Ça ne devait donc pas être un problème pour lui. De toute façon, il était vain, dans l’immédiat, de réfléchir à d’autres méthodes. Je me mis donc à prier en focalisant mon attention sur ma montre.

 

Le flux et le reflux de la mer suivaient un schéma fixe : la marée haute avait lieu deux fois par jour, à douze heures d’intervalle. En général, elle pouvait durer plus d’une heure avant de commencer à redescendre. La marée basse, quant à elle, survenait à deux reprises, entre chaque marée haute. C’était à ce moment que le niveau de la mer était le plus bas, révélant même parfois les fonds marins.

 

Mais si la mer avait été si peu profonde à cet endroit, il y aurait eu davantage de navires échoués. J’étais d’avis que si l’eau baissait jusqu’à deux mètres au-dessus de nous, ce serait l’idéal. 

 

Je ne savais pas combien de temps durerait la marée basse. Pour autant que je sache, ce devrait être très court, mais il fallait attendre que l’eau s’engouffre par la brèche, ce qui prendrait un certain temps. Donc une fois le processus lancé, il n’y aurait plus une minute à perdre. 

 

Bien entendu, il s’agissait là encore d’une estimation optimiste. En effet, d’autres évènements inattendus pouvaient très bien se produire, nous obligeant à nous adapter. À mesure que je réfléchissais au plan que j’avais conçu, je sentis l’incertitude me gagner. Si les choses ne se déroulaient pas comme prévu et que tout le plafond vienne à s’effondrer, je serais vraiment désolé pour les autres. Avec toutes ces pensées qui tournaient dans ma tête, j’étais vraiment nerveux. Devant mon expression et comme s’il avait deviné que je n’étais pas tout à fait sûr de moi, Gros lard, inquiet, me demanda : 

 

― Dites-moi la vérité, vous deux. Vous n’êtes pas sûrs que ça va marcher ?

 

Ne sachant pas quoi dire, je lui répondis sommairement :

 

― Dans notre situation, il est difficile de savoir comment les choses vont tourner. En tout cas, il est trop tard pour faire machine arrière. Attendons et voyons.

 

― Je te jure, plus tu agis comme ça, plus je panique. Tu dis qu’il faut attendre, mais que ferons-nous si ce truc n’explose pas ? Vous avez des plans de secours ? Si oui, dépêchez-vous de m’en faire part pour que je puisse tranquilliser mon esprit.

 

― Il y a un moyen, lui dis-je, et c’est même toi qui l’as suggéré : repartir par le chemin que nous avons pris pour venir ici et voir si la chambre auriculaire par laquelle nous sommes entrés dans ce tombeau a réapparu. Dans le cas contraire, notre seule alternative sera de rester ici et d’attendre qu’un troisième groupe vienne nous sauver.

 

― Et combien de temps devrons-nous attendre ? Et si jamais ils ne viennent pas ? Devrons-nous passer toute notre vie à attendre ? Cette tombe deviendra alors une tombe de morts-vivants sous les mers de Xisha et le Mojin Xiaowei s’éteindra.

 

― Je veux dire que même si cet endroit est étrange et dangereux, et quand bien même nous ne pourrions pas en sortir avant un moment, nous n’allons tout de même pas mourir tout de suite, lui dis-je pour le réconforter. Nous aurons alors du temps pour faire des plans sur le long terme et trouver une solution. Tu vois, il y a beaucoup d’espace ici, donc nous avons assez d’air pour tenir plusieurs jours. Peut-être même une semaine si nous dormons davantage, évitons de nous déplacer et faisons tout notre possible pour l’économiser.  

 

Le gros était dubitatif :

 

― Il y a peut-être assez d’air, mais il faut aussi manger. Nous ne sommes ni sur une montagne ni dans une forêt. Il n’y a absolument rien ici, pas même le vent du nord-ouest pour boire. (2) Je préfère suffoquer que mourir de faim.

 

J’eus un sourire :

 

― Les être humains trouvent toujours une solution. Regarde comme tu es gros. Tu ne mourras pas d’inanition en une semaine et si vraiment tu as faim, il y a toujours le singe des mers. Si ça ne suffit pas, il y a aussi la Femme Interdite en bas. Il nous suffira de l’attraper et de l’étriper.

 

Le gros fut ravi de m’entendre dire ça. Il était du genre à s’enthousiasmer tant qu’il avait quelqu’un avec qui discuter :

 

― Excellent, ce que tu dis est conforme à mon style. Pour faire une révolution, il faut être sans peur. Il semblerait que tu aies beaucoup grandi.

 

Ce que je venais de dire me surprit et je me demandais bien pourquoi je m’étais mis à débiter de telles âneries. On aurait dit que Gros-lard m’avait influencé sans même que je m’en aperçoive. Mais non, je ne pouvais pas être comme lui. Refusant de poursuivre cette discussion, je reportai mon attention sur ma montre. Il restait encore cinq minutes, mais je dis à Poker-face de se préparer. Si nous décidions de faire exploser la bombe immédiatement, cela ne ferait sans doute guère de différence. De plus, je ne voulais pas qu’en attendant trop longtemps, nous passions à côté de notre chance. Le cadavre n’étant pas solidement attaché au pilier, s’il venait à tomber et à exploser au sol, ce ne serait vraiment pas bon pour nous. 

 

Petit Frère soupesa le pied du miroir et acquiesça de la tête. Soudain, le gros poussa un cri :  

 

― C’est quoi ce bordel ? Où est passée la momie ? 

 

Nous levâmes les yeux et constatâmes que le corps n’était plus sur le pilier. Je pensai d’abord que nous l’avions mal attaché et qu’il était tombé, mais il n’y avait rien sur le sol. Je lâchai un juron : c’était vraiment étrange ! 

 

Il ne m’était même pas venu à l’esprit qu’une chose comme celle-ci puisse se produire. Plus tôt, j’avais tenté de me calmer en me disant que j’étais prêt à improviser quoi qu’il advienne, mais honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que la situation se présente aussi vite.

 

― Regardez, regardez ! Ne vous l’avais-je pas dit ? Cette putain de créature à queue est vraiment maléfique ! cria le gros. Dépêchez-vous de la retrouver !

 

Nous nous précipitâmes. La momie était agrippée au plafond derrière le pilier, ses ongles profondément enfoncés dans la sculpture en relief. Sa peau dure et noircie était fissurée et s’effritait morceau par morceau, révélant une sorte de couche sanguinolente. Mais à cette distance, je ne pouvais pas vraiment voir ce que c’était.

 

Je constatai en revanche que la corde était toujours attachée autour de sa taille. Les multiples bandes élastiques provenant de nos combinaisons de plongée étaient encore suffisamment solides pour l’empêcher de se libérer, mais ça n’allait pas durer longtemps.

 

― Vite ! Faites-la exploser avant qu’elle ne s’échappe ! cria Gros-lard en levant les yeux vers la créature. 

 

C’était superflu car avant même que les mots n’aient quitté ses lèvres, Poker-face était passé à l’action. J’entendis comme quelque chose qui fendait l’air et vis passer un rai de lumière d’un vert bleuté qui vint frapper la momie droit dans l’estomac.





Notes explicatives :

 

(1) “Trois héros et cinq galants” (alias “Sanxia Wuyi”) est un roman chinois de 1879 basé sur les performances orales du conteur Shi Yukun. L’histoire, qui se déroule au XIe siècle sous la dynastie Song, raconte l’ascension du légendaire juge Bao Zheng et comment un groupe de youxia (chevaliers errants ou héros) – chacun doté d’un talent martial exceptionnel et d’un héroïsme désintéressé – l’aide à combattre les crimes, l’oppression, la corruption et la rébellion. C’est l’un des premiers romans à fusionner les genres gong’an (fiction judiciaire) et wuxia (fiction chevaleresque).

 

(2) Le sens original de l’expression “boire le vent du Nord-Ouest” est de vivre en respirant simplement l’air. Vous ne mangez ou ne buvez rien d’autre. C’est un état dans le Tao. De nos jours, cela signifie généralement ne rien avoir à manger à cause de la pauvreté.



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