Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 28 – Le Feu
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Chapitre 28 Le Feu

Son visage était gravement mutilé. Je ne savais pas si c’était sa peau qui avait fondu et laissait voir les muscles ou si le sang suintait de son corps et couvrait son visage, mais j’eus soudain l’impression qu’il m’était très familier. En regardant de plus près, je fus horrifié de constater qu’il s’agissait de Poids-lourd. Comment un homme aussi bon avait-il pu devenir comme ça ?

La balle qui lui avait arraché une couche de peau sur le côté gauche de sa tête et mis son crâne à nu n’avait pas atteint son cerveau. Je me réjouis en constatant que, même très mal en point, il n’avait pas l’air de vouloir mourir.

― Viens par ici, vite ! lui dis-je, nous pouvons peut-être encore te sauver !

Mais il ne bougea pas. Il me fixait avec des yeux remplis de haine, comme s’il nous en voulait de l’avoir abandonné et de nous être enfuis sans lui. J’étais terrifié et avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il avait déjà attrapé ma main. L’horrible couleur rouge sang qui couvrait son corps se répandit très vite sur ma main, aussitôt suivie d’une démangeaison cuisante.  Je suis foutu ! pensai-je.

Poids-lourd fit un bruit guttural et me tira vers le bas. La vision terrifiante de sa peau fondant sur son corps me rendait fou. Je parvins à rejeter sa main, mais il attrapa mon pied et ouvrit grand la bouche comme pour me dire qu’il voulait que nous soyons enterrés ensemble.

― Poids-lourd, laisse-moi partir, criai-je. Ainsi va la vie ! Si tu veux vivre, suis-moi ! Tu as encore une chance de guérir ! Sinon, tu n’as aucun intérêt à m’entraîner dans ta chute.

Je ne savais pas ce qui l’avait énervé. Toutefois, après avoir entendu cela, il bondit vers moi comme un fou, une lueur sauvage dans les yeux. On aurait dit qu’il avait complètement perdu la tête. Brusquement, il m’agrippa le cou pour tenter de m’étrangler.

Réalisant qu’un seul d’entre nous s’en sortirait vivant, je sentis monter en moi une envie de tuer et lui décrochai un furieux coup de pied. Alors qu’il relâchait son emprise, je pointai mon arme sur sa poitrine et pressai la détente. Les balles – des cartouches de pistolet à canon plat – étaient si puissantes qu’il vola dans les airs dans une pluie de sang. Ses mains s’agitèrent comme pour tenter de se raccrocher à quelque chose mais en vain : il retomba lourdement dans le tas de mangeurs de cadavres.

Ma main – celle qu’il avait agrippée – était si engourdie que je ne la sentais plus du tout. Je n’aurais même pas su dire si je tenais toujours la branche ou non. Me sentant tomber, je tentai, de mon autre main, de me rattraper à une liane à main fantôme qui pendait à proximité. Mais comme j’avais encore de cette poudre de roche Tianxin sur moi, la liane s’éloigna aussitôt. Je glissai avec un juron et atterris sur une grosse branche en contrebas.

La branche était couverte de mangeurs de cadavres, la plupart ayant été entraînés dans ma chute. Je fis appel à ce qui me restait de force pour resserrer à grand peine mes jambes autour de la branche afin de ne pas tomber plus bas mais à nouveau, je me retrouvai entouré d’insectes. J’eus un rire amer : plusieurs façons de mourir s’offraient à moi : tomber, me faire piquer par des insectes ou finir empoisonné. Décidément, le ciel m’aimait bien.

Je commençais à déprimer lorsque soudain, le gros arriva à ma hauteur et repoussa d’un coup de pied quelques mangeurs de cadavres. Ce type grimpait beaucoup plus lentement que moi.

― Tu as encore la tête à t’allonger ici ? Grommela-t-il. Regarde un peu toutes ces morsures sur mon cul !

Il s’approcha pour m’aider à me relever.

― Ne me touche pas. J’ai été empoisonné ! Passe devant, tu ne peux rien pour moi !

Gros-lard fit comme s’il n’avait rien entendu et me souleva :

― Regarde-toi dans un miroir ! Ton fichu teint est bien plus beau que le mien. Il est aussi rose et brillant que celui d’une fille. Comment peux-tu prétendre avoir été empoissonné ?

Surpris, je baissai les yeux. Ma main et mon bras étaient couverts de boutons rouges, comme si j’avais été piqué par des milliers de moustiques, mais la rougeur s’arrêtait à hauteur de mon épaule et s’estompait lentement. Je me demandai pourquoi le poison ne m’avait pas affecté.

Le gros me hissa sur son dos, serra les dents et se remit à grimper. Comme je lui servais de bouclier humain, tous les mangeurs sautaient sur mes fesses et me mordaient. J’avais si mal que je lui criai :

― Espèce de gros lard ! Je te croyais sympa mais tout ce que tu voulais, c’était m’utiliser comme bouclier !

― Qu’est-ce que tu racontes ? Si tu n’es pas content, on peut toujours échanger les rôles. Tu n’as pas vu que je n’avais presque plus de chair sur le cul ?

Je n’avais pas envie de discuter avec lui. De nombreux cadavres étaient accrochés aux branches tout autour du tronc du Cyprès Serpent à Neuf Têtes et de temps en temps, mon porteur les heurtait. Heureusement pour nous, les insectes faisaient la même chose. Comme ils ne pouvaient pas faire la distinction entre les différents objets en mouvement, bon nombre d’entre eux finissaient par attaquer les corps momifiés que nous bousculions au passage plutôt que nous.

Pensant que cela pourrait nous aider, Gros-lard me demanda de frapper les cadavres afin qu’ils se balancent. Malgré ma réticence, je savais qu’il n’y avait pas d’autre moyen, d’autant que ma vie était en jeu.

Je frappai donc tous les morts que je croisais jusqu’à ce que chaque endroit où nous passions soit plein de cadavres tournoyants. Ces insectes n’avaient certainement pas un QI comparable à celui des humains car ils furent très vite désorientés par ce chaos. De toute évidence, ils ne savaient pas s’ils devaient nous poursuivre ou s’attaquer aux cadavres. Heureusement, cela mit fin à leur assaut et ils se mirent à tourner en cercles confus. Le gros en profita pour accélérer et mettre suffisamment de distance entre eux et nous pour que nous puissions reprendre notre souffle.

Après les exercices que nous venions de faire, mes mains et mes pieds avaient enfin retrouvé leur sensibilité. Je ne pus m’empêcher de penser à quel point mon ressenti lors de l’empoisonnement ressemblait à ce qu’avait éprouvé mon grand-père, comme évoqué dans ses notes. Le fait qu’il n’en soit pas mort signifiait-il que j’étais immunisé ? J’avais beau y réfléchir, je ne comprenais pas.

Constatant que je pouvais bouger mes bras et mes jambes, je demandai au gros bonhomme de me déposer. Il avait le visage couvert de sueur et haletait fortement. Je pensai : Tout à l’heure, quand nous étions sur la plate-forme, j’ai failli cracher du sang en essayant de te porter. Nous sommes quittes à présent.

Soudain, je vis quelqu’un assis sur une branche derrière Gros-lard et qui me faisait signe.

Je frissonnai et me frottai les yeux, mais la personne avait disparu. Pensant qu’elle s’était cachée derrière l’arbre, je tendis la tête.

― Cesse donc de lambiner, me cria le gros, allons-y !

― Attends une minute, dis-je en le retenant. À gauche, à gauche ! je viens de voir quelqu’un me faire signe.

Il soupira et me suivit, mais en fait, il n’y avait personne. Nous ne vîmes qu’un trou dans l’arbre, à peine assez grand pour accueillir une personne. L’intérieur était très sombre et je n’avais aucune idée de ce qui pouvait s’y trouver.

Gros-lard sortit sa lampe de poche, la braqua dans le trou et fit un bond en arrière, effrayé à la vue d’un cadavre en état de décomposition avancée, étroitement enroulé dans un épais bouquet de lianes. Les yeux bleus du mort étaient trop voilés pour qu’on puisse voir ses pupilles et il avait la bouche grande ouverte comme s’il voulait nous dire quelque chose. Le gros me regarda :

― Ce n’est qu’un homme mort. Tu as dû voir un fantôme !

J’avais vu tant de choses étranges en chemin que je ne pouvais écarter la possibilité qu’il y ait aussi des fantômes dans cet endroit. Je me disais qu’il devait y avoir une raison pour qu’il nous fasse signe. Machinalement, je regardai sa bouche : son menton était si décomposé qu’il était pratiquement tombé. En continuant mon examen, je vis qu’il semblait serrer quelque chose dans sa main. J’écartai donc ses doigts et découvris un pendentif.

Comme les mangeurs de cadavres recommençaient à grimper, je ne pris pas la peine de fouiller le reste de ses affaires. Il portait des vêtements de camouflage, aussi lui adressai-je un salut avant de me remettre en route. Le gros balourd avait grimpé si vite tout à l’heure que nous n’étions plus très loin de l’ouverture dans le plafond. Nous l’atteignîmes donc en deux temps trois mouvements.

Une fois dehors, nous regardâmes en bas : les mangeurs de cadavres n’avaient visiblement pas l’intention d’en rester là. Tous avaient presque atteint le bord de la crevasse.

― Pas le temps de nous reposer. Cours ! cria le gros.

J’avais passé tellement de temps sous terre que je ne parvenais pas à savoir quelle direction était la bonne. Soudain, je vis un homme sortir en courant de l’herbe devant moi. Il portait quelque chose. J’exultai de joie en reconnaissant mon oncle.

― Va vite au camp et ramène toute l’essence ! me cria-t-il sitôt qu’il me vit.

Je courus jeter un coup d’œil. La crevasse n’était séparée de l’endroit où nous avions creusé notre tunnel de pilleurs que par une petite falaise de moins de dix mètres de haut. Tout notre équipement s’y trouvait encore et quand je vis ces barils d’essence, j’eus l’impression que mon cœur s’était embrasé.  Très bien , me dis-je. Cette fois, c’est vous qui allez souffrir !

Le gros et moi attrapâmes chacun un baril et courûmes rejoindre Oncle San qui avait déjà déversé le sien dans la crevasse. Les mangeurs de cadavres ayant pratiquement atteint la surface, il alluma son briquet et le jeta dedans. Des flammes jaillirent et une odeur de brûlé envahit l’air. Le raz-de-marée d’insectes recula aussitôt tandis que l’essence générait un mur de flammes au niveau de la crevasse. C’était vraiment jouissif que de voir ces insectes hurler et se tordre de douleur alors que leurs entrailles brûlaient.

Nous déversâmes le second baril, puis le troisième sur le feu et les flammes qui sortaient de la crevasse atteignirent presque deux fois la hauteur d’un homme. La vague de chaleur qui en résulta était si intense qu’elle me brûla les sourcils.

Je reculai de quelques pas et regardai le pendentif que j’avais gardé dans la main. C’était une plaque nominative qui m’apprit que le nom du mort était James. Je l’essuyai et la mis dans la poche de mon manteau en pensant : Je le rendrai à ta famille quand j’en aurai l’occasion. Tu peux reposer en paix à présent.

Gros-lard, qui transpirait sous l’effet de la chaleur, se retourna brusquement et demanda à Oncle San.

― Où sont les deux autres ?

― Grande-gueule ne va pas très bien. Il semble avoir de la fièvre. Quant à Petit Frère, je ne l’ai pas vu. Je pensais qu’il était avec vous les gars, répondit mon oncle en pointant une direction derrière lui.

Je jetai un coup d’œil au gros qui soupira :

― Je ne l’ai plus revu depuis l’explosion. J’ai bien peur que quelque chose de grave ne lui soit arrivé.

Oncle San secoua la tête :

― Peu probable. Ce garçon est comme un fantôme, il va et vient de façon imprévisible. De plus, il nous précédait lorsque nous grimpions. Même s’il avait été balayé par l’onde de choc, il se serait probablement hâté d’atteindre le sommet.

A voir l’expression de mon oncle, il n’était pas convaincu de ce qu’il avançait. Aussi puissant que puisse être Poker-face, face à une explosion, il était comme nous tous. S’il avait été projeté hors de l’arbre par l’onde de choc, il était certainement mort.

Nous cherchâmes dans les environs mais en vain. Aucun signe de vie. Oncle San m’adressa un sourire désabusé.

Nous retournâmes au camp, emballâmes nos affaires et allumâmes un feu de camp pour réchauffer les conserves que nous avions laissées dans nos sacs. J’avais tellement faim que j’étais prêt à manger n’importe quoi. Alors que nous prenions notre repas, mon oncle pointa du doigt la petite falaise derrière nous.

― Vous voyez ça ? Ce camp est juste à côté de la crevasse. Il semble que l’arbre démoniaque que le vieil homme a vu était en fait le cyprès serpent. Ils ont certainement fait trop de bruit lors de leur petite fête nocturne, ce qui l’a attiré hors de la faille. Heureusement que nous n’avons pas passé la nuit ici et que nous sommes descendus directement dans le tunnel de pilleurs, sans quoi nous aurions nous aussi été emportés par ce cyprès serpent.

― On ne sait pas combien de temps le feu va durer, dit le gros, s’il s’éteint et que ces insectes sortent à nouveau, nous risquons d’avoir des problèmes. Puisque l’aube va se lever, je suis d’avis que nous quittions au plus vite cette forêt. On pourra parler de tout ça plus tard.

J’acquiesçai et pris à la hâte quelques bouchées, puis nous partîmes dans les bois. Oncle San et Gros-lard se relayèrent pour porter Grande-gueule.

Nous restâmes silencieux tout au long du chemin. En arrivant ici, nous bavardions et chantions sans nous soucier du monde. Mais ce retour, nous le faisions à la hâte, tête baissée, comme si nous fuyions pour sauver notre peau.

Je n’avais pas dormi de la nuit, mes nerfs avaient été mis à rude épreuve et j’avais atteint les limites de ma force physique. Notre périple touchant à sa fin, je ne tenais plus que par la volonté. Si un lit apparaissait brusquement devant moi, je m’y allongerais et m’endormirais en moins de deux secondes.

Il nous fallut toute une journée et une matinée de marche pour sortir de la forêt. Nous escaladâmes ensuite la petite pente rocheuse formée par la coulée de boue et aperçûmes enfin le petit village familier.

Mais le moment n’était pas encore venu de nous reposer. Nous déposâmes d’abord Grande-gueule à la clinique du coin. Lorsque le médecin aux pieds nus (1) vint l’examiner, il fronça les sourcils et appela d’urgence l’infirmière afin qu’elle vienne l’aider. Je m’assis sur un tabouret à proximité et m’endormis après les avoir écoutés échanger quelques mots.

C’était le genre de sommeil qui vous prend lorsque vous êtes vraiment épuisé. Un sommeil sans rêves. J’ignore combien de temps je dormis mais à mon réveil, j’entendis beaucoup de bruit à l’extérieur. Que se passait-il ?

Note explicative :

(1) Les médecins aux pieds nus (赤脚医生 chijiao yisheng) sont des agriculteurs de la République Populaire de Chine qui recevaient une formation médicale et paramédicale minimale (environ 6 mois) en plus des médecines traditionnelles afin d’exercer dans les villages où les médecins formés en ville ne venaient pas s’installer. On les appelait ainsi car ils travaillaient souvent pieds nus dans les rizières. (Source : Wikipedia)



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