Pourquoi Dingzhu-Zhuoma voulait-elle me voir ? Je n’avais jamais parlé à la vieille dame auparavant. Je l’avais vue peut-être trois fois. Pourquoi m’avait-elle fait venir au milieu de la nuit ?

Tashi me voyait confus :

― Je t’en prie, viens avec moi. C’est très important. 

Je me levai, il se retourna immédiatement et nous nous éloignâmes du feu de camp dans l’obscurité du désert. 

Dingzhu-Zhuoma et sa belle-fille étaient toutes deux assises sur d’épaisses couvertures étendues au sol près de leur feu de camp. Elles étaient accompagnées d’une autre personne, mon bon vieux partenaire silencieux, Qilin. 

Le scintillement de la lumière du feu m’afficha le visage de Dingzhu-Zhuoma tordu en un rictus qui semblait malveillant. Pourquoi ? Nous ne nous étions jamais parlé. 

Tashi me fit signe de m’asseoir et la belle-fille m’apporta une tasse de thé. Je la remerciai en jetant un coup d’œil à Qilin, qui me regardait l’air surpris. Tant mieux, pensai-je, nous sommes tous les deux désemparés, pour une fois. 

Tashi regarda alors en direction de notre camp et chuchota quelque chose à sa grand-mère, qui hocha la tête et nous dit dans un mandarin au fort accent :

― J’ai un message à vous transmettre à tous les deux. 

Nous restâmes silencieux et elle poursuivit :

― La personne qui m’a demandé de vous transmettre ce message est Chen Wen-Jin, que vous connaissez tous les deux. Lorsqu’elle m’a chargé de vous envoyer les bandes vidéo, elle avait déjà anticipé votre présence ici. Si vous parvenez à atteindre Tamu-Tuo selon ses instructions notées dans son carnet, elle vous attendra là-bas. Cependant, il y a urgence. Si vous n’arrivez pas dans les dix jours, elle ira seule. Donc, messieurs, veuillez vous dépêcher. 

Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? me dis-je. Dix jours de plus ? Wen-Jin nous attend à Tamu-Tuo ? Je regardai Qilin et je fus horrifié de voir qu’il avait l’air aussi confus que moi. Cependant, en une seconde, il est redevenu aussi inexpressif que d’habitude : 

― Quand vous a-t-elle dit cela ? demanda-t-il. 

― Je n’ai pas besoin de vous dire quoi que ce soit d’autre, dit-elle froidement, Il y a beaucoup de gens ici et certains d’entre eux pourraient écouter aux portes.

Qilin fronça légèrement les sourcils :

― Comment va-t-elle ? 

Avec un sourire indéchiffrable, Dingzhu-Zhuoma répondit :

― Vous le saurez si vous arrivez à temps. 

Et elle fit un signe de la main à sa belle-fille pour qu’elle l’aide à entrer dans sa tente. Néanmoins, elle se retourna et dit :

― Ah oui, il y a encore une chose. Elle m’a dit de vous dire qu’Il est avec vous maintenant. Vous devez être prudents. 

Elle rentra dans sa tente, nous laissant, Qilin et moi, contempler son dos qui s’éloignait. 

― Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Que sais-tu de ce que cette vieille sorcière vient de nous dire ? 

Qilin ne me répondit pas. Il ferma les yeux et commença à se lever. Je bondis devant lui, agacé:

― Tu ne partiras pas tant que tu ne m’auras pas parlé, bon sang. 

Il se rassit près du feu et, me regardant dans les yeux, demanda :

― Qu’est-ce que tu veux ?

― Tu sais très bien quelles sont mes questions, tu les éludes depuis toujours. Donne-moi les réponses. 

Il tourna la tête pour regarder le feu et répondit :

― Je ne peux pas te répondre.

― Pourris en enfer ! Pourquoi ne peux-tu pas répondre ? Tu t’es moqué de moi à plusieurs reprises et tu ne veux même pas me dire pourquoi. Pour qui me prends-tu ? 

― C’est mon affaire, pourquoi devrais-je te dire quoi que ce soit ? Il but une gorgée de son thé et demanda, Wu, pourquoi devais-tu nous suivre ? Tu ne devrais pas t’en mêler. Les membres de ce groupe ne sont pas des gens que tu devrais connaître. Rentre chez toi. 

C’était le plus long discours que j’avais jamais entendu de la part de cet homme. Son visage était toujours inexpressif malgré son élan de volubilité :

― Je n’ai pas vraiment envie d’être ici et ma demande est simple : dis-moi de quoi il s’agit et je te laisserai en paix. C’est uniquement parce que personne ne veut que je sache quoi que ce soit que je patauge dans cette eau boueuse. 

Qilin me demandé :

― As-tu déjà réfléchi à la raison pour laquelle les gens ont essayé de t’empêcher de connaître la vérité ? 

Il resta silencieux, puis continua :

― Je sais pourquoi, et je comprends la raison. J’ai beaucoup plus de questions que toi, mais contrairement à toi, je ne peux pas crier sur quelqu’un pour qu’il me donne les réponses dont j’ai besoin.

Soudain, je me souvins qu’il avait perdu la mémoire dans le tombeau sous-marin, et je me sentis gêné de le harceler pour obtenir des informations. 

― Je suis une personne sans passé ni avenir. Tout ce que j’ai fait a été de trouver le lien entre moi et le reste du monde, d’où je viens, pourquoi je suis ici, Il me regarda avec une pointe de colère et demanda, Peux-tu t’imaginer être comme moi, sans que personne ne se soucie de moi si je cesse d’exister ? Je partirais sans laisser de traces, comme si je n’avais jamais vécu. Parfois, je me regarde dans le miroir et je me demande si je suis vraiment un être vivant, ou si je ne suis que l’ombre de quelqu’un d’autre.

― Ce n’est pas si exagéré que ça. Si tu disparaissais, je me soucierais assez de savoir où tu es allé et ce que tu es devenu.

Il secoua la tête et se leva :

― Peut-être que le jour où je trouverai les réponses que je cherche, je te les raconterai. Mais ce n’est pas en m’attrapant que tu trouveras les réponses à tes questions. Pour moi aussi, tout est un mystère en ce moment. Je pense que tu as assez de mystères pour être inquiet. Tu n’as pas besoin des miens, Puis il commença à s’éloigner.

― Peux-tu au moins me dire une chose ? Je le poursuivis, il s’arrêta et se retourna :

― Pourquoi as-tu franchi les portes de bronze ? demandai-je.

Il réfléchit une minute avant de répondre : 

― Je suivais les traces de Wang Canghai.

― Qu’as-tu vu là-dedans ? Quel genre d’endroit se cache derrière les portes géantes ?

Il balaya le sable de ses vêtements en répondant :

― J’ai vu l’Ultime, l’Ultime de toutes choses.

Il sourit devant mon visage perplexe et dit :

― Une dernière chose. Souviens-toi que je suis de ton côté. Puis il s’éloigna, me laissant seul sur le sable avec un mal de tête fulgurant.