Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 14 – Un bassin profond
Chapitre 13 – La cascade des Sources Jaunes Menu Chapitre 15 – Repos

J’ouvris à grand peine les yeux et vis que j’étais allongé sur une surface plane et froide, plongé dans l’obscurité. Je touchai mon poignet et m’aperçus que la lampe de poche qui y était attachée avait disparu.

On entendait le bruit d’eau qui coulait quelque part non loin de là.  Où suis-je ? Me demandai-je.

Je pris une profonde inspiration et des souvenirs fragmentés se mirent à défiler dans mon esprit : la cascade, la colonne d’eau chaude, le cadavre sur la chaîne… Puis tout ce qui s’était produit me revint et brusquement, j’eus un moment de lucidité.

De toute évidence, après avoir laissé le courant m’emporter, j’étais tombé dans une sorte de bassin situé tout en bas de la falaise et dont l’eau glacée contrastait fortement avec celle, bouillante, d’en haut. Au moment de ma chute, j’avais remarqué que tous les bruits alentour disparaissaient, mais ensuite, je ne me souvenais plus de rien. Je me dis que c’était parce que j’avais heurté quelque chose en tombant et que j’avais perdu connaissance. Après tout, percuter l’eau sous un mauvais angle après une chute de plusieurs dizaines de mètres revenait à heurter une dalle de béton.

J’examinai mon corps et vis que j’étais encore trempé. Le courant m’avait-il entraîné jusqu’à cet endroit ? Ou bien étais-je simplement mort et en train d’errer dans le monde souterrain ?

J’essayai de me redresser, mais à peine avais-je relevé la tête que celle-ci vint heurter quelque chose de dur et je vis des étoiles. Je tendis rapidement la main et touchai ce qui semblait être une sorte de surface ferme et plate. Je fus surpris de constater à quel point le plafond était bas. Le courant m’avait-il entraîné dans une crevasse rocheuse ou sous une roche basse ?

Mais après avoir tâté une petite surface de la taille d’un pied, je réalisai que ce n’était pas du tout le cas. Je n’étais entouré que de planches de bois brut. Je tapai dessus et m’aperçus que cela sonnait creux. Dans un espace aussi restreint, je ne pouvais que rester allongé et me retourner, lever la tête ou m’étirer m’étant impossible.

Je pressai ma main sur les planches pour me faire une idée de leur épaisseur et constatai qu’elles bougeaient. Je poussai plus fort. Il y eut un petit bang, puis une lumière apparut dans l’obscurité. Je levai les genoux, repoussai doucement les planches et m’assis, un peu abasourdi par le spectacle qui s’offrait à mes yeux.

Je me trouvai dans une chambre de pierre en marbre blanc avec, aux quatre coins, des torches qui éclairaient brillamment les environs. Je regardai le plafond au-dessus de ma tête et aperçus deux pythons entrelacés. Je jetai un coup d’œil vers le bas et réalisai que j’étais en fait assis dans un cercueil, dont le couvercle se trouvait à proximité de l’endroit où je l’avais repoussé à l’instant.

Putain ! Où suis-je ? Qui m’a mis dans ce cercueil ?

Je sortis du cercueil et regardai autour de moi, de plus en plus confus. La chambre avec ses deux pythons au plafond me semblait très familière. À la réflexion, elle ressemblait presque à celle du tombeau sous-marin.

C’était impossible… non ?

En me promenant, j’observai des choses encore plus étranges. À un moment donné, mes vêtements s’étaient transformés en une combinaison en caoutchouc semblable aux combinaisons de plongée portées dans les années 1980. Cela me surprit encore plus : d’où venaient ces vêtements d’un autre âge ?

Je pris l’une des torches suspendues dans le coin et sortis de la chambre funéraire. En voyant le couloir à l’extérieur, je ne pus m’empêcher de laisser échapper une exclamation silencieuse. Mon Dieu, le couloir droit en marbre blanc et les trois portes de jade tout au bout étaient en tous points similaires à ceux de la tombe sous-marine !

Que s’est-il passé ? Comment suis-je arrivé ici ? Mes cheveux se hérissèrent et mes pensées devinrent chaotiques. S’agissait-il d’une chambre funéraire très similaire à celle de la tombe sous-marine, ou bien n’avais-je jamais réussi à sortir de celle-ci ? Bon sang, que se passait-il ?

Je me frottai le visage, levai la torche et observai attentivement ce qui m’entourait en essayant de trouver des failles. Si vraiment il s’agissait d’une chambre funéraire similaire, il devait y avoir des différences.

Au-dessus du couloir se trouvait une plateforme de bois qui ressemblait beaucoup à un échafaudage. Recouverte de planches, elle formait une passerelle basique et rudimentaire permettant de passer le couloir sans déclencher aucun des pièges situés en dessous. Ne sachant pas qui l’avait construite, je grimpai avec précaution et me rendis de l’autre côté du passage. Si la porte de jade du milieu était éclairée par des torches, les deux portes latérales, elles, étaient dans l’ombre.

Brusquement, je me souvins de Lao Yang et de la façon dont il s’était laissé emporter par le courant au bord de la cascade. J’étais tombé au fond du bassin et étais resté inconscient très longtemps avant de me retrouver dans cet endroit étrange. Que lui était-il donc arrivé ?

Tout en réfléchissant, je me dirigeai vers la porte d’où provenait la lumière. Celle-ci, qui s’échappait de l’interstice situé tout en bas, était assez vive et lorsque je l’atteignis, j’entendis un bruit venant de l’autre côté.

Je collai mon oreille contre la porte et entendis quelqu’un tousser.

― Que devons-nous faire ? demanda une voix. Faut-il oui ou non ouvrir le cercueil ?

― Sanxing a dit de ne rien toucher de ce qui se trouvait ici pour le moment. Écoutons-le, répondit une autre voix, très hésitante.

Entendre parler ces deux personnes me stupéfia. Si la première était Poker-face, je ne reconnaissais pas la seconde. Et ils avaient aussi mentionné Oncle San. Quoi, mon oncle était ici ?

Mais je fus encore plus surpris lorsque j’entendis une troisième personne dire :

― Wu Sanxing dort encore. Quelle importance si nous l’ouvrons et jetons un coup d’œil ? Je suis du côté du jeune Zhang.

Je ne voyais pas bien de quoi ils parlaient, mais la troisième personne était sans aucun doute une femme.

De quoi s’agissait-il ? Poker-Face semblait vouloir ouvrir un cercueil et un autre hésitait à cause de l’avertissement d’Oncle San. Puis une femme s’avançait pour soutenir Poker-Face. Tout cela m’égarait quelque peu. Ce dernier avait-il déjà retrouvé mon oncle ?

Tout en réfléchissant, je me penchai vers la fente de la porte pour voir qui parlait, mais malheureusement, mon champ de vision était limité. Je ne pouvais voir que le dos d’une femme. Elle portait une combinaison de plongée de la même couleur que la mienne, avait une silhouette très menue et ses cheveux étaient noués en une épaisse tresse.

J’entendis alors une quatrième voix :

― Et Qi Yu ? Ce type a vraiment le don de mettre la pagaille. Je ne sais pas où il est parti. Allons-nous le laisser ici ?

Je me figeai. Il me semblait avoir lu le nom de Qi Yu parmi ceux figurant dans les notes d’Oncle San, aussi n’était-il pas surprenant qu’il me soit familier… Mais…une minute…

Je me sentis soudain mal à l’aise. Qi Yu n’était pas un nom que l’on pouvait retenir pour l’avoir lu une fois dans un carnet. Au contraire, j’avais l’impression de l’avoir entendu souvent. Je n’arrivais pas à me débarrasser de cet étrange sentiment.

La femme qui me bloquait la vue s’écarta alors pour faire de la place et je vis Poker-face debout près d’un cercueil noir. Il tenait à la main un pied de biche et semblait hésiter sur quelque chose. Puis une autre femme entra dans mon champ de vision et en apercevant son visage, je fus si surpris que la torche faillit me glisser des mains.

Cette personne n’était-elle pas Chen Wen-Jin ? Bon sang, que se passait-il ? Même si je ne l’avais jamais rencontrée en personne, Oncle San avait beaucoup de photos d’elle. J’avais si souvent vu ces vieux clichés durant le Nouvel An chinois que j’aurais été capable de la reconnaître d’un simple coup d’œil. Aucun doute à ce sujet, je ne me trompais pas.

Mes doutes s’accumulaient au point que j’avais envie de pousser la porte et d’entrer. Ce fut à ce moment-là qu’une autre voix masculine inconnue intervint :

― Cette tombe sous-marine est trop vaste. Il ne sera pas facile de le retrouver. Je pense que nous ferions mieux d’oublier ça. Nous n’avons qu’à graver une marque le long du couloir afin qu’il sache où nous rejoindre. Tu pourrais le faire, Jeune Zhang.

Poker-face acquiesça de la tête. Il levait son pied de biche pour commencer à graver quand tout à coup, un fort bruit d’eau se fit entendre dans la pièce de gauche. Il était si fort qu’il me fit sursauter.

Tout le monde se retourna et l’homme demanda :

― Quel était ce bruit ? On dirait que ça vient d’à côté !

― Viens ! Allons jeter un œil !

Poker-face rabaissa son pied-de-biche et courut vers la porte. Réalisant que j’étais sur le point d’être découvert, j’allai aussitôt me cacher dans la pièce de droite. J’avais à peine éteint la torche du pied que je vis le groupe sortir en courant et s’engouffrer par la porte de jade de l’autre côté. Puis, j’entendis une femme crier :

― Regardez, il y a un bassin ici !

Je me tenais là, caché derrière la porte, extrêmement dérouté. Ce à quoi je venais d’assister correspondait exactement à ce que Zhang Qiling avait décrit lorsqu’il m’avait raconté ce qui s’était passé vingt ans auparavant après qu’oncle San se fût endormi dans la tombe sous-marine. Pourquoi avais-je l’impression de le vivre personnellement ? Tout cela était-il une illusion ou étais-je simplement devenu fou ?

Alors que l’obscurité, à nouveau, m’entourait, je pris une profonde inspiration et m’apprêtais à rallumer ma torche lorsqu’une personne tenant un bâton de feu apparut dans mon champ de vision. Elle descendit de la plateforme suspendue, se cacha discrètement derrière la porte de jade sur la gauche, puis regarda à l’intérieur. En y regardant de plus près, je m’aperçus qu’il s’agissait d’une version plus jeune de mon Oncle San. Il semblait très contrarié et fronçait fortement les sourcils.

Au bout d’un moment, les voix de Zhang Qiling et des autres s’estompèrent progressivement, signe évident qu’ils étaient probablement en train de descendre l’escalier en spirale qui menait au fond du bassin. Oncle San éteignit le bâton de feu et se glissa par la porte de jade. Si je me sentais légèrement alarmé et ne savais même pas si je rêvais ou hallucinais, il fallait que je les rattrape quoi qu’il arrive. Mais alors que je me dirigeais vers la porte de gauche pour tenter de m’y faufiler et jeter un coup d’œil, je surpris un mouvement du coin de l’œil et vis ressortir Oncle San. Il me saisit à la gorge et chuchota :

― Alors c’était toi qui me suivais !

Puis brusquement, il resserra sa main.

Conscient que j’étais dans une situation désespérée, je voulu crier : Oncle San ! C’est moi, ton neveu ! Mais je ne pouvais pas émettre le moindre son. Finalement, je n’eus d’autre choix que d’essayer de desserrer sa prise en tirant sur ses doigts.

Alors que je me triturais l’esprit, j’entendis une voix dire :

― Wu, mon vieux, réveille-toi. Tu fais un cauchemar ?

Je frissonnai et constatai que ma vision s’était soudainement obscurcie. Tout ce qui m’entourait avait disparu. En ouvrant les yeux, j’aperçus Lao Yang qui me secouait.

Ce n’était donc qu’un rêve. Je lui fis un sourire en coin et touchai mon cou avant de m’asseoir et de me retourner. Je me trouvais sur une plage rocheuse près d’un bassin et un petit feu brûlait à proximité. Le rugissement de la chute d’eau était toujours aussi fort, mais de là où je me trouvais, je ne pouvais la localiser. Lao Yang, qui me soutenait, me demanda si j’allais bien.

Avec un signe de la main, je lui répondis que oui, mais je ne pouvais me débarrasser de l’étrange sentiment qui m’habitait. Je pinçai l’arête de mon nez, me demandant pourquoi j’avais fait un rêve aussi étrange. Était-il vrai que si l’on pensait à quelque chose toute la journée, on en rêvait la nuit ?

Lao Yang me tendit une gourde pleine d’eau. J’en pris une gorgée, regardai autour de moi et demandai d’une voix rauque :

― Quel est cet endroit ? Que m’est-il arrivé ?

― Nous sommes au bord du bassin, sous la cascade, répondit Lao Yang, La chute d’eau est juste là. Quand tu es tombé à l’instant, tu t’es évanoui après l’impact. J’ai fait tout mon possible pour te sortir de là afin que tu ne sois pas emporté par le courant et entraîné sous les eaux turbulentes de la cascade. Tu devrais vraiment me remercier, parce que je n’ai plus une once de force.

Je poussai un juron et tentai de me lever. A première vue, je n’avais pas de blessures graves, toutefois, il m’était encore un peu difficile de faire quelques pas. La plage rocheuse sur laquelle nous étions n’était pas très grande et avait la forme d’un croissant de lune. Le bassin d’eau noire de l’autre côté était immense et d’innombrables stalactites aussi épaisses qu’une jambe qui pendaient jusque dans l’eau formaient des piliers de pierre de différentes formes. Il y avait plusieurs grottes karstiques géantes autour du bassin, certaines aussi grandes qu’un éléphant, d’autres aussi petites qu’un rat, situées tantôt au-dessus, tantôt sous la surface. Avec la rivière souterraine qui entrait et sortait, nous étions en présence d’un lac karstique souterrain typique.

À ma connaissance, ce type de géologie se formait généralement au cours de la période de glaciation quaternaire (1) et il avait fallu des milliers d’années d’expansion et de pénétration progressive pour atteindre l’ampleur que nous connaissions. L’histoire de ces grottes était bien plus ancienne que celle des êtres humains, mais je ne m’attendais pas à trouver un endroit comme celui-ci dans le mont Tianmen.

Il y avait, sur la plage près de nous, beaucoup de branches et de débris échoués que Lao Yang avait utilisés pour allumer le feu et il en avait ramené d’autres qu’il avait mis à sécher près des flammes. L’eau du bassin était glaciale et je serais mort de froid si je n’avais pas pu me réchauffer.

Me rappelant soudain l’oncle Tai et les autres, je demandai à Lao Yang :

― Qu’est-il arrivé à ces gars-là ?

― J’ai bien peur que ces bâtards n’aient pas eu autant de chance que nous. Je ne les ai plus revus depuis que nous avons franchi le bord de la cascade. J’ignore si, tout comme nous, ils   ont sauté, mais s’ils l’ont fait, ils se sont échoués quelque part ou se sont noyés. Après une courte pause, il ajouta : Cela dit, nous ne sommes guère en meilleure posture. Non seulement nous avons perdu tout notre équipement, mais nous ne savons pas où aller. Comme tu peux le voir, il y a un tas d’embranchements et de bifurcations dans ces tunnels. Ce genre de grottes est réputé pour être aussi complexe qu’un labyrinthe, il sera donc difficile de trouver notre chemin.

Je pris le temps de toutes les compter et m’aperçus qu’il y avait environ sept ou huit grottes accessibles au-dessus de la surface de l’eau, néanmoins, il y en avait davantage cachées dans l’obscurité.

― Tout à l’heure, j’ai entendu le gros du Guangdong dire que pour traverser cette zone de grottes karstiques, il fallait trouver la chaîne de fer que les anciens utilisaient comme ligne de guidage, lui dis-je. Cette chaîne est immergée sous l’eau, avec une extrémité menant à un passage secret et l’autre coincée quelque part dans ce bassin. Si nous parvenons à la trouver, nous pourrons la suivre jusque dans les profondeurs de cette tombe antique.

Lao Yang plissa un instant le front :

― En parlant de chaînes de fer, je viens de me rappeler quelque chose. Tu sais, j’étais encore conscient lorsque nous sommes passés par-dessus le bord de la cascade. J’ai plongé à au moins six ou sept mètres dans le bassin et j’ai vu un tas de ces putains de figurines de pierre provenant du passage précédent qui reposaient là, tout au fond. Cela s’est passé en un clin d’œil, mais je pense avoir également vu une chaîne qui gisait au fond du bassin. Cela dit, elle n’était pas dirigée vers l’une de ces grottes. Elle menait directement dans les eaux turbulentes, sous la chute d’eau.

J’en fus stupéfait. Comment était-ce possible ? Si c’était vrai, fallait-il en déduire que l’entrée de la tombe se trouvait derrière cette cascade, cachée dans les rapides ?

Alors que j’écoutais le grondement de l’eau à proximité, je nous revis chuter et eus un éclair d’inspiration :

― C’est plus logique, dis-je à Lao Yang, Si je comprends bien, cette tombe pourrait ne pas avoir été construite dans le monde des vivants, mais avoir été cachée dans le monde des morts…

En d’autres termes, le monde souterrain !

Lao Yang, qui ne comprenait pas de quoi je parlais, fut tout de même affecté par mon air sombre :

― Qu’est-ce que tu racontes comme absurdités ? Comment cela serait-il possible ?

― Tu te souviens de la légende que le vieux Liu nous a racontée au village ? Celle où les maîtres Feng Shui de la dynastie Qing parlaient de la cascade des Sources Jaunes et des soldats fantômes dans les montagnes ?

― Bien sûr que je m’en souviens. Il était question d’une cascade située dans la montagne Tianmen et qui reliait le monde des vivants au monde des morts. Mais ne disais-tu pas que tout cela n’était que superstition ?

― Eh bien apparemment, ce n’était pas vraiment de la superstition, mais simplement une mauvaise interprétation des paroles de nos ancêtres. Si tu te souviens de la cascade dans laquelle nous venons de tomber, l’eau était d’une étrange couleur jaune. C’est à cause de la source chaude sous-marine qui s’écoule et se mélange à l’eau de la rivière souterraine. Si ma supposition est exacte, les anciens, ayant vu cette eau jaune, ont pensé qu’elle était liée au monde des morts et ont décidé de l’appeler la Cascade des Sources jaunes.

Lao Yang réfléchit un instant :

― Ça semble plausible, mais ça n’explique pas tout. Seules les personnes qui se sont aventurées aussi profondément dans la montagne et qui ont vu la cascade de leurs yeux le savent. Mais la disposition des lieux est si compliquée que des gens ordinaires n’auraient pas été capables d’aller aussi loin. Merde ! Ne me dis pas… que ces maîtres Feng Shui de la dynastie Qing dont parle la légende étaient des pilleurs de tombes comme nous ?

― Enfin ! Ravi de voir qu’il te reste une once de raisonnement logique !

― C’est logique. Penses-tu que la plupart des légendes sur les soldats fantômes sont aussi répandues sous la dynastie Qing ? Ces maîtres Feng Shui pourraient-ils les avoir délibérément répandues ?

― C’est très possible, mais inutile de nous soucier d’essayer de le découvrir pour le moment. Si tu te souviens bien, il y avait une autre phrase dans cette légende : « La cascade des Sources Jaunes est la passerelle entre le monde des vivants et celui des morts ». Si, comme tu le dis, la chaîne de fer mène vraiment directement à la cascade, alors il doit y avoir, derrière celle-ci, un passage menant à la tombe. Vu comme ça, cela ne veut-il pas dire que la tombe se trouve dans le monde des morts ?

Lao Yang devint blême :

― Pas du tout. N’essaie pas de me faire peur. Si cet endroit est vraiment le monde des morts, ne risquons-nous pas de mourir si nous y entrons ?

― Merde, je ne peux pas croire que tu accordes du crédit à cette légende. Tu penses honnêtement que puisque ces maîtres Feng Shui étaient nos collègues, il faut prendre ce qu’ils disent pour argent comptant ? Il y a deux possibilités à mon avis : la première est qu’il s’agissait peut-être, à l’époque, d’un code signifiant que cette cascade était le passage entre la tombe et le monde réel ; la seconde est qu’ils ont vu quelque chose dans la grotte derrière la cascade qui leur a fait croire qu’ils étaient arrivés dans le monde des morts.

Je fis une pause avant de poursuivre : Nous devrions peut-être nous préparer mentalement à affronter la seconde hypothèse.  Je crains qu’il n’y ait là-bas des choses horribles…

Lao Yang resta un long moment silencieux :

― Pourquoi ne pas simplement rentrer…

Je secouai la tête. Après tout le chemin parcouru, il aurait été dommage de ne pas aller jeter un coup d’œil. De plus, cette chute d’eau était si immense et majestueuse qu’il était impossible d’y grimper et si nous tentions de passer par l’une des grottes karstiques environnantes, nous avions de fortes chances d’y laisser la vie.  La meilleure solution, dans l’immédiat, était d’aller jusqu’à la tombe et de trouver un moyen de sortir.

Ne pouvant me convaincre du contraire, Lao Yang n’eut d’autre choix que d’accepter. Pendant que nous prenions le temps de nous reposer et de rassembler nos forces, nous commençâmes à vérifier notre équipement pour voir ce qu’il nous restait.

Côté armement, nous avions toujours le fusil et le pistolet Tokarev que Lao Yang avait pris à Pockmark. Nous ne manquions donc pas de puissance de feu. Concernant le reste… J’ouvris le sac à dos que j’avais pris sur le cadavre au fond du lac et y trouvai des conserves – dont je ne savais pas si elles étaient périmées ou non – du baijiu (2), une gourde, une paire de gants et un grand nombre de pinceaux et de peintures à l’huile.

Lao Yang, qui trouvait tout cela sans intérêt, voulut tout jeter, mais je lui dis que le baijiu pouvait nous aider à nous réchauffer, que nous pourrions utiliser la peinture pour faire des marques en chemin et que les gants nous seraient très utiles. Comme nous n’avions rien d’autre, mieux valait tout garder.

Après avoir tout passé et repassé en revue, je me rendis compte que notre plus gros problème était que nous n’avions pas d’équipement d’éclairage. La batterie de Lao Yang était morte et je ne savais pas où était passée ma lampe. De plus, nous ne pouvions tout de même pas nager avec une torche.

Lao Yang prit le pistolet, puis regarda l’obscurité autour de nous :

― Il n’y a qu’une seule solution : empilons tout ce bois, faisons un grand feu et profitons de sa lumière pour traverser à la nage. De cette façon, même si nous ne parvenons pas à la chute d’eau, nous pourrons toujours revenir vers le feu. Qu’est-ce que t’en dis ?

Après avoir réfléchi, je dus admettre que c’était la seule option possible.

― D’accord, tentons notre chance.

Nous ôtâmes nos vêtements, les rangeâmes dans le sac à dos, puis fabriquâmes de petites torches avec les gants et des bâtons. Après les avoir placés dans le compartiment étanche du sac, nous fîmes un feu pour nous réchauffer, après quoi nous sautâmes à l’eau et nous mîmes à nager en direction du grondement de la cascade.

L’eau était si froide qu’après une courte distance, j’avais déjà l’impression que toute la chaleur de mon corps avait été aspirée. Heureusement que j’avais pris un peu de poids. Je ne mourrais pas immédiatement d’hypothermie.

Nous nagions depuis environ cinq minutes et le rugissement de la chute d’eau se faisait de plus en plus fort. Lao Yang et moi nous arrêtâmes, fîmes du sur-place et écoutâmes les mouvements autour de nous afin de déterminer la direction à prendre.

Soudain, quelque chose creva la surface de l’eau à proximité. Nous nous retournâmes aussitôt, mais le feu était trop loin pour que nous puissions voir ce dont il s’agissait.

Lao Yang sortit le pistolet Tokarev, secoua l’eau du canon, le pointa bien haut et regarda autour de lui d’un air méfiant :

― Vieux Wu, il ne devrait pas y avoir de saumon ici, n’est-ce pas ?

Des frissons me parcouraient l’échine en pensant à l’immensité des eaux autour de nous. Cela dit, s’il y avait vraiment un poisson tueur, nous serions morts depuis longtemps. Au moment où je m’apprêtais à le lui faire remarquer, j’entendis clairement le bruit de quelque chose qui se déplaçait dans l’eau non loin de nous. Un peu mal à l’aise, je répondis

― Aucune idée, mais accélérons. Les poissons ont peur du bruit, donc plus nous serons proches de la cascade, plus nous serons en sécurité.

Nous activâmes nos bras et nous remîmes à nager en direction de la chute d’eau. À ce stade, la lumière du feu derrière nous n’était déjà plus qu’un petit point de lumière. Nous n’eûmes pas d’autre choix que d’avancer dans l’obscurité. De temps à autre, l’un de nous appelait l’autre pour être certains que nous n’étions pas séparés.

Au bout d’un moment et à mesure que nous nous rapprochions, le courant devint plus agité. Nous redoublâmes d’efforts, mais nous étions de plus en plus lents et il nous était plus difficile d’avancer.  Serrant les dents, je tentai à plusieurs reprises de me projeter en avant, mais en vain.

Mes forces s’épuisaient peu à peu et je commençais à craindre d’être repoussé par le courant lorsque j’entendis Lao Yang me crier qu’il était absolument impossible de continuer ainsi. L’eau qui tombait de la cascade générait de nombreux tourbillons plus ou moins importants et si nous voulions l’atteindre, il nous fallait rester au fond du bassin, descendre peu à peu sous le courant turbulent.

Joignant le geste à la parole, il plongea et disparut rapidement. Je le suivis, luttant de toutes mes forces contre le courant pour parcourir à peine quelques mètres. Arrivé au fond du bassin, j’aperçu soudain une faible lumière blanche.

Je reconnus tout de suite ma lampe de poche étanche ! Ce truc à mille yuans est vraiment solide, me dis-je, ravi et ne parvenant pas à croire qu’elle fût encore allumée. Rassemblant mes forces, je me mis à nager dans sa direction.

Il n’y avait aucune créature au fond, mais à la lueur de ma lampe, j’aperçus un tas de figurines de pierre soigneusement disposées. Certaines des têtes humaines, dont on ne voyait plus que les os, étaient tombées tandis que d’autres restaient fermement attachées au cou des statues. Il semblait y avoir, au centre du bassin, une plate-forme de pierre au-dessus de laquelle flottait un corps enveloppé d’un tissu blanc.

Plus préoccupé de récupérer ma lampe, je me contentai d’y jeter quelques coups d’œil rapides puis, me glissant entre les statues, je m’accrochai à la plus proche pour me stabiliser avant de me rapprocher de ma lampe de poche.

Juste au moment où j’allais l’atteindre, je sentis un jet d’eau jaillir derrière moi. Comprenant que quelque chose n’allait pas, je me mis sur le qui-vive pour éviter ce qui pourrait me tomber dessus. Une ombre blanche passa devant moi et me heurta la main, ce qui me fit perdre mon emprise sur la statue de pierre et aussitôt, je me mis à remonter.

Merde ! Me dis-je silencieusement alors que j’étais emporté au centre des eaux turbulentes au-dessus de moi. Le courant qui me précédait changea de direction, me projeta brusquement sur le côté et me retourna dans l’eau, si bien que, désorienté, je ne pouvais plus contrôler mon corps.

Je ne saurais dire combien de fois je tournai sur moi-même dans ce chaos, mais à plusieurs reprises, je vis cette mystérieuse ombre blanche passer devant moi.

Ma conscience commençait à se brouiller et je ne pouvais m’empêcher de penser que j’allais certainement mourir lorsque soudain, mon dos heurta quelque chose de dur. La douleur fut si vive que je repris immédiatement mes esprits. Je me retournai, attrapai l’objet en question et vis qu’il s’agissait de la chaîne dont Lao Yang avait parlé plus tôt.

Oubliant ma lampe de poche, je fis appel à toutes mes forces pour me traîner le long de la chaîne. Il ne me fallut que quelques instants pour atteindre l’autre extrémité, au pied de la cascade. Toutefois, j’étais à court d’air. Je ne sentais plus qu’une force écrasante venue d’en haut qui m’enfonçait la tête et me poussait au fond du bassin. Je n’avais même pas fait deux mètres que je ne pouvais plus bouger.

Heureusement, Lao Yang arriva par derrière, m’attrapa par la main et se mit à me tirer. Nous suivîmes la chaine tout en bousculant à coup de pied les statues de pierres et atteignîmes enfin la zone située derrière la cascade. Sentant disparaître la pression au-dessus de ma tête, je refis immédiatement surface et aspirai une grande bouffée d’air. Tout, autour de moi, tournait de façon vertigineuse.

L’obscurité régnait et seule était perceptible la lourde respiration de Lao Yang. Il toussa plusieurs fois.

― Ça va ? demanda-t-il. On dirait bien qu’on a réussi à passer de l’autre côté.

Je toussai à mon tour :

― Dépêchons-nous d’allumer une torche. Il y a un truc qui cloche avec ce bassin. J’ai peur qu’il y ait quelque chose d’impur dans l’eau. (3)

Toussant toujours, Lao Yang alluma son briquet et essaya d’observer les alentours, mais il y avait tant d’embruns provenant de la chute d’eau que la flamme s’éteignit.

Alors que nous avancions à l’aveuglette, j’entendis à nouveau le bruit de quelque chose qui se déplaçait dans l’eau, seulement cette fois, c’était très proche, à environ deux ou trois mètres de nous.

Je devins nerveux à la pensée de l’ombre blanche qui m’avait frappé dans l’eau quelques minutes plus tôt :

― Fais attention ! Dis-je à Lao Yang, on dirait qu’il y a quelque chose à proximité…

Mais les mots n’avaient pas plutôt quitté ma bouche que je sentis une main froide et glissante toucher mon épaule.

Je poussai aussitôt un cri d’effroi tandis que les pensées se bousculaient dans ma tête. Mais qu’est-ce que c’est ? Une de ces figurines de pierre se serait-elle animée ? Instinctivement, je plongeai, repoussai d’un coup de pied la créature derrière moi puis bondis hors de l’eau en criant à Lao Yang :

― Il y a un putain de fantôme sous l’eau ! Vite, tire dessus !

À ma grande surprise, Lao Yang avait déjà rallumé le briquet et s’était précipitamment retourné vers moi. J’aurais presque préféré qu’il ne le fasse pas, car ce que nous vîmes faillit nous faire mourir de peur et nous fit dresser les cheveux sur la tête. Une tête humaine, blanche comme la mort, flottait dans l’eau derrière moi et nous regardait tous deux d’un air particulièrement sinistre.

Effrayés, nous reculâmes. Lao Yang tenta de sortir son arme, mais il était tellement paniqué qu’il n’y parvint pas.

Les yeux de cette chose se révulsèrent, sa bouche s’ouvrit grand comme si elle voulait dire quelque chose, puis elle bondit vers moi. Hurlant de peur, j’essayai de l’esquiver, mais je n’avais nulle part où aller. C’est alors que la tête se pressa contre moi.

Je criai comme un hystérique et tentai de la repousser, mais elle s’accrochait à moi et ne me lâchait pas. Soudain, au milieu de tout ce chaos, j’entendis clairement la tête me dire à l’oreille :

― Sauvez… moi…

J’en restai un moment stupéfait et m’immobilisai, totalement confus à présent. Comment un fantôme des eaux pouvait-il appeler à l’aide ? Vite, j’attrapai la tête et repoussai ses cheveux. Après l’avoir bien regardée, je faillis cracher du sang.

Oh, mon Dieu ! Ce n’est pas un fantôme des eaux, c’est le Maître Liang de ce groupe !

L’homme, proche de l’évanouissement, était si épuisé physiquement que ses yeux roulaient en arrière. Pas étonnant que son visage fût si pâle. Je le retournai aussitôt, l’attrapai pour qu’il ne sombre pas, puis j’appelai Lao Yang à l’aide.

Celui-ci le regarda attentivement et le reconnut aussitôt :

― Bon sang, qu’est-ce que ce type fait ici ? Comment est-il arrivé jusqu’ici ?

― Probablement était-il seul et avait-il peur d’agir, alors il est resté à proximité pour nous surveiller. Quand il nous a vus entrer dans l’eau, il a certainement pensé que nous avions trouvé un moyen de sortir de là et nous a suivis. Mais il ne s’attendait pas à ce que nous nous rendions dans un endroit aussi dangereux.

Ce bruit de quelque chose se déplaçant dans l’eau que j’avais entendu en cours de route, c’était probablement lui qui nous suivait.

Maître Liang portait toujours son sac à dos, mais celui-ci était tellement gorgé d’eau qu’il avait dû l’entraîner au fond du bassin. Lao Yang l’en débarrassa et s’adressant à moi :

― Qu’allons-nous faire de lui maintenant ? C’est l’un d’entre eux, donc si nous l’emmenons avec nous, cela ne va-t-il pas poser problème par la suite ?

Je sentais venir un mal de tête, mais problèmes ou pas, je savais que nous devions l’emmener avec nous. Nous ne pouvions tout de même pas le laisser sombrer ici.

― Il n’y a rien que nous puissions faire dans l’immédiat, lui répondis-je. Trouvons d’abord un endroit pour sortir de l’eau. Nous nous occuperons de lui plus tard.

Nous ajustâmes nos positions et nageâmes sur quelques mètres. C’est alors que nous vîmes, sous l’eau, un groupe de larges et longues marches de pierre dont une douzaine s’élevaient au-dessus de la surface. Nous nous approchâmes lentement, puis grimpâmes et pûmes enfin sortir de l’eau.

J’étais si épuisé que je m’effondrai sur les marches, à bout de souffle. Lao Yang, quant à lui, était très excité. Il sortit du sac l’une de nos torches artisanales, y versa du baijiu et l’alluma.

Notre environnement étant soudain beaucoup plus lumineux, je me retournai pour inspecter les alentours. En fait, cette soi-disant « entrée du monde des morts » n’était qu’une grotte cachée derrière une cascade. Elle n’était ni grande ni petite et semblait s’être formée naturellement, néanmoins elle présentait des traces là où des gens avaient tenté de la niveler.

Au-dessus des marches se trouvait une plateforme en pierre d’un vert bleuté entourée de quatre piliers gravés de motifs représentant des oiseaux et des animaux. Un étrange et grand récipient de bronze trônait au centre de la plateforme. Il ressemblait à une grande gourde plus haute que ma tête et était couvert de taches de rouille. Dessus, on pouvait voir des motifs représentant des serpents à double corps et des rituels sacrificiels.

C’est un autel, me dis-je. Le peuple She accordant plus d’importance à l’offrande de sacrifices qu’aux enterrements, la présence de ce genre de chose signifiait que nous étions effectivement très proches de la tombe ancienne.

Nous marchâmes jusqu’à la plateforme, posâmes nos sacs et Maître Liang sur le sol, puis allâmes inspecter l’autre côté de la dalle. Nous vîmes alors un escalier de pierre large comme dix personnes et comportant des centaines de marches qui descendaient vers les profondeurs de la grotte. La lumière de notre torche n’atteignant pas le fond, nous n’avions aucune idée de ce qu’il en était en bas.

― Si c’est l’entrée du monde des morts, alors c’est la porte de l’enfer, dis-je à Lao Yang. Les dix-huit niveaux de l’enfer (4) nous attendent probablement en bas. Tu as peur ?

Lao Yang désigna Maître Liang qui était allongé sur le côté :

― Je n’ai peur de rien. En fait, je suis impatient de descendre. Et ce type ?

L’entrée du tombeau était si proche que nous avions vraiment envie d’y descendre et de jeter un coup d’œil, seulement, il y avait Maître Liang qui traînait comme un poids mort. Nous ne pouvions pas le laisser seul, aussi devions-nous le réveiller avant de faire quoi que ce soit.

Nous le déshabillâmes et lui donnâmes deux gorgées de baijiu. Son visage reprit rapidement des couleurs et Lao Yang lui ouvrit les yeux :

― Hé, tu peux parler ? demanda-t-il.

Maître Liang reprit peu à peu conscience. Sachant que son sort était entre nos mains, il se contenta de hocher fébrilement la tête et de tousser.

― N’ai pas peur, poursuivit Lao Yang, nous sommes différents des gens avec qui tu traînais. Nous ne te ferons rien, mais nous devons quand même assurer notre propre sécurité. Si tu te comportes bien, nous sommes prêts à t’accueillir, sinon, je te descends. Tu as compris ?

À nouveau, Maître Liang acquiesça. Il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais apparemment, les mots ne voulaient pas sortir.

Lao Yang lui versa dans la bouche quelques gorgées de baijiu, ce qui le fit tousser violemment. Puis, tirant sa ceinture, il attacha les mains de l’homme – qui avait déjà un certain âge – et me dit :

― Je suis toujours inquiet. Ces gens sont tous des voyous. Attachons-le d’abord.

Voyant que Maître Liang, qui n’avait pas la force de résister, laissait faire Lao Yang, je me dis que nous n’aurions pas de problèmes avec lui. Nous le remîmes debout, le poussâmes devant nous, puis nous nous dirigeâmes tous les trois vers l’autre côté de la plateforme pour descendre les marches.

De manière générale, ce Royaume du Serpent ne semblait pas très doué pour mettre en place des mécanismes et des astuces, mais nous étions tout de même prudents et il nous fallut beaucoup de temps pour descendre ces centaines de marches. Finalement, une surface plane apparut devant nous et nous arrivâmes en bas. Un grossier pont de pierre se dévoilait à nous et au-delà, une falaise.

Ce type de relief résultait probablement du fait que la digue où se trouvait la rivière souterraine avait une structure en terrasses descendantes. La roche montagneuse avait bougé à certains endroits, entraînant la formation d’une série de failles.

La base de la falaise était si sombre qu’il était impossible de voir à quelle hauteur elle se trouvait ni ce qu’il y avait plus bas.

L’inquiétude nous prit. Nous n’avions sur nous qu’une petite torche. Comment étions-nous censés utiliser cette petite lumière pour voir ce qu’il y avait en bas ? Lao Yang me demanda s’il devait jeter la torche dans le vide, mais je lui répondis que ce n’était pas la peine. Quand bien même nous l’aurions lancée et aurions pu apercevoir ce qui se trouvait en dessous, comment aurions-nous pu descendre ?

― Messieurs, il y a.… un pistolet de détresse dans mon sac…, dit Maître Liang d’une voix hésitante.

Lao Yang s’empressa de fouiller et découvrit le pistolet en question. Il regarda Liang et dit avec surprise :

― Hé, tu n’es pas un mauvais bougre en fait. C’est bien de se montrer coopératif.

Je vérifiai le pistolet pour m’assurer que rien ne clochait, puis ôtai la sécurité et tirai une fusée de détresse du haut de la falaise.

La fusée fila dans les airs avec un grand bruit et éclaira une zone suffisamment large pour nous permettre de voir toute la grotte.

Nous regardâmes en bas et en restâmes figés.

Je ne compris pas tout de suite ce que je voyais, puis, pris au dépourvu, j’en restai bouche bée.

Maître Liang, qui se tenait devant nous et était déjà faible, s’effondra sur le sol et manqua de dégringoler de la falaise. Lao Yang pâlit et recula d’un pas.

À environ quatre mètres sous la falaise se trouvait une grande grotte naturelle densément remplie de toutes sortes d’objets qui ressemblaient à du bois sec. Mais en regardant attentivement, nous nous aperçûmes qu’il s’agissait d’ossements. Ils étaient disposés en rangées proches les unes des autres et à certains endroits, empilés en couches. Il devait bien y en avoir des dizaines de milliers.

― Que… quel est cet endroit ? m’écriai-je. Mon Dieu, ce ne serait pas un charnier ?

Rien d’étonnant à ce que ces maîtres Feng Shui aient affirmé avoir vu le monde des morts. Ce spectacle était si choquant que n’importe qui, en le voyant, se serait cru en enfer !

Mais pour une raison inconnue, je ne pouvais me défaire du sentiment que ce que je voyais là m’était un peu familier. N’avais-je pas déjà vu ça quelque part ? Je fronçai les sourcils et tentai de me rappeler. C’est alors qu’un souvenir surgit dans ma tête. C’est bien ça ! me dis-je. La grotte aux cadavres près du Temple des Semences à Shandong n’était-elle pas très similaire à cet endroit ?

Mes pensées devinrent chaotiques et j’eus l’impression que quelque chose était coincé dans ma gorge, m’empêchant de parler. À tous les coups, il devait y avoir un lien entre cet endroit et la grotte aux cadavres près du Temple ! Allait-on également voir un cercueil de cristal et un cadavre de femme vêtue de blanc avec des cheveux longs jusqu’au sol ?

Je jetai un rapide coup d’oeil autour de moi mais la fusée, qui avait atteint la fin de son arc, disparut. Au moment où la lumière s’éteignait, il me sembla apercevoir un endroit étrange au milieu de tous ces cadavres.

Notes explicatives : 

(1) La glaciation quaternaire, également connue sous le nom de glaciation pléistocène, est une série alternée de périodes glaciaires et interglaciaires au cours de la période quaternaire qui a débuté il y a 2,58 millions d’années et se poursuit actuellement. Une période glaciaire est un intervalle de temps (milliers d’années) au sein d’une ère glaciaire qui est marqué par des températures plus froides et l’avancée des glaciers. Les périodes interglaciaires sont des périodes de climat plus chaud entre les périodes glaciaires.

(2) Le baijiu, également connu sous le nom de shaojiu, est une liqueur incolore chinoise dont le taux d’alcool se situe généralement entre 35 et 60 % du volume. Il est généralement distillé à partir de sorgho.

(3) Il veut dire quelque chose comme un fantôme ou un monstre.

(4) Contrairement aux 9 cercles de l’enfer de Dante, certains mythes chinois affirment qu’il existe 18 niveaux d’enfer. Certains disent que les criminels qui n’ont pas été punis de leur vivant sont punis dans les enfers après la mort. Les pécheurs ressentent la douleur et l’agonie comme des humains vivants lorsqu’ils sont soumis aux tortures. Ils ne peuvent pas “mourir” de la torture car, une fois l’épreuve terminée, leur corps retrouve son état d’origine pour que la torture se répète encore et encore.



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