Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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J’étais si absorbé par son histoire que j’avais l’impression de me trouver moi aussi dans cette tombe antique, entouré des bras doux et du chaud parfum de Chen Wen-Jin. Mais lorsqu’Oncle San toussa tout à coup, je revins à la réalité, un oreiller serré dans mes bras. Embarrassé par les fantasmes que je pouvais avoir sur la petite amie de mon oncle, je rougis et m’empressai de lui demander :

― Pourquoi t’arrêtes-tu ? Que s’est-il passé à la fin ?

― Il n’y a rien de plus à dire, l’histoire s’arrête ici. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé dans cette tombe pendant que je dormais. Ses lèvres se mirent à trembler : je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, mais à mon réveil, j’étais seul dans la chambre auriculaire. Tous les autres étaient partis. Ma première pensée fut qu’ils avaient pu se rendre dans la chambre funéraire principale et cela me rendit furieux. Chen Wen-Jin m’avait toujours écouté jusque-là, mais cette fois, elle s’était jointe aux autres et causait des problèmes. Je me levai aussitôt avec l’intention de me lancer à leur poursuite.

Il attrapa la cigarette qui pendait entre ses lèvres et la posa, l’expression un peu grimaçante et reprit : Mais une fois debout, j’ai constaté que la porte dans le mur avait disparu ! En regardant de tous côtés, je me suis aperçu que je n’étais plus dans la chambre auriculaire dans laquelle je m’étais endormi. Cet endroit était étrange et derrière moi se trouvait un cercueil en nanmu doré. (1)

Je me mis à rire.

― Connaissant ton courage, Oncle San, je parie que tu t’es débarrassé sans une once d’hésitation du couvercle du cercueil et que tu as pris tout ce qu’il y avait à l’intérieur.

― Conneries ! Laisse-moi te dire que j’étais absolument terrifié à ce moment-là. J’en avais vu des cercueils, mais de celui-là, de l’eau sortait par vagues et continuellement. On aurait presque dit qu’un putain de truc prenait un bain à l’intérieur ! Je me suis alors souvenu de ce que Li Sidi avait dit : il s’agissait de la tombe d’un fantôme des mers. Tu sais que je ne crains pas les zombies, mais c’était la première fois que j’avais affaire à ce genre de créature. J’avais si peur que j’ai bien failli pisser dans mon pantalon. Comme, de plus, j’étais inquiet pour Chen Wen-Jin, j’ai crié plusieurs fois, mais personne n’a répondu. C’est alors que brusquement, le couvercle du cercueil s’est ouvert.

Oncle San avait dit cela avec une étrange expression sur le visage.

Je n’ai même pas pris le temps de réfléchir, reprit-il. Voyant que j’avais encore à la main mon casque de plongée, je l’ai mis et j’ai sauté dans le bassin au centre de la pièce pour prendre la fuite.

Ses dernières paroles m’ayant interpellé, je l’interrompis :

― C’est impossible. Si ce n’était plus la même pièce, comment expliquer que le bassin soit toujours là ?

Mon oncle devint vert et se mit à balbutier.

― C’est… bien sûr que le bassin était toujours là, ne m’interromps pas, putain ! Je n’ai pas encore fini. Il prit un moment pour se ressaisir et poursuivit : Je me fichais bien de savoir si le tsunami était passé ou non. Après avoir trouvé le tunnel des pilleurs de tombes, j’ai nagé vers la surface et vu le grand soleil brillant suspendu dans le ciel. Je ne savais pas quelle heure il était mais lorsque j’ai sorti la tête de l’eau, j’ai vu au loin plusieurs gros bateaux dont on aurait dit qu’ils venaient à notre secours. J’ai nagé vers le plus proche et demandé l’heure. Nous étions déjà le jour suivant et il était midi. Comment était-il possible qu’une journée entière se soit écoulée alors que je ne comptais faire qu’une courte sieste dans la tombe ?

Je fixai mon oncle. Cette dernière partie semblait bien trop irréelle pour être vraie. Il avait certainement dû finir par tomber sur quelque chose qui expliquât ce phénomène étrange, mais pour une raison que j’ignorais, il refusait de me le dire. Qu’est-ce que ce vieux type avait bien pu faire dans cette tombe ? Merde, je ne pouvais tout de même pas le forcer à me répondre. Pourtant, à la façon dont il tournait autour des détails, j’avais très envie d’en savoir plus.

― Et les autres ? Ne sont-ils pas sortis eux aussi ? demandai-je, inquiet pour Chen Wen-Jin.

Oncle San se frappa la cuisse en signe de frustration.

― Pour une raison que j’ignore, une fois monté sur le bateau, j’ai à peine prononcé quelques mots avant de m’évanouir. On m’a alors envoyé dans un hôpital de Hainan où je suis resté dans le coma pendant toute une semaine. Lorsque j’ai voulu retourner chercher les autres, je n’ai pas pu retrouver le batelier qui nous avait emmenés là-bas. En mer, si tu n’as pas les coordonnées exactes d’un endroit, tu ne le trouveras jamais car quelle que soit la direction que tu prends, la mer est partout la même. Il marqua une pause avant de poursuivre : Je suis allé me renseigner à l’Administration Maritime et à l’institut de recherche, et là, j’ai appris que tout le groupe était porté disparu, y compris Chen Wen-Jin qui était avec eux. Cela fait presque vingt ans maintenant et toujours aucune nouvelle. Je ne sais vraiment pas ce qui s’est passé dans cette tombe. Comment ces gens ont-ils pu disparaître sans laisser de trace ?

Les yeux humides, il frappa un grand coup sur la table :  Putain, comme je regrette ! Pourquoi a-t-il fallu que je fasse le malin ? Si je n’avais pas essayé de piller ce tombeau sous-marin, ces gens auraient peut-être déjà des petits-enfants ! Et Chen Wen-Jin… je l’ai vraiment laissée tomber.

De la morve et des larmes coulaient sur le visage d’Oncle San. Je ne l’avais encore jamais vu comme ça et ne savais pas quoi faire. Il ramassa le poisson de cuivre et dit :

― J’ai longtemps réfléchi, me demandant pourquoi j’étais le seul à m’en être sorti. La seule chose qui me différenciait des autres était cette chose que j’avais sur moi.

Je regardai le poisson et me dis : Si le roi Shang de Lu a lui-aussi pillé un tombeau sous-marin et emporté un poisson de cuivre comme celui-ci, est-il possible que son palais ait quelque chose à voir avec le tombeau de l’épave ensevelie sous la mer ? Mais en y réfléchissant, je réalisai que ce n’était pas tout à fait ça. Les deux tombes ayant été construites à des époques très différentes – l’une durant la période des Royaumes Belligérants et l’autre au début de la Dynastie Ming (2) – il était donc impossible qu’elles soient liées. Je n’avais aucun indice pour expliquer le pourquoi du comment de tout ça.

Son histoire terminée, mon oncle s’allongea un moment, l’esprit un peu confus. Je pensais qu’il essayait peut-être de se calmer après avoir revécu ce souvenir douloureux, mais à ma grande surprise, il se rassit, tourna la tête vers moi et me dit :

― Mon neveu, je viens de me rappeler quelque chose.

À la pâleur de son visage, je ne pus m’empêcher de penser que c’était encore un souvenir terrible, mais il se gratta la tête et reprit : dans le groupe qui est descendu avec moi dans la tombe, il y avait un homme qui ressemblait beaucoup à ce Petit Frère silencieux !

À ces mots, je sentis mon cuir chevelu s’engourdir.

― Tu dois faire erreur, ce n’était encore qu’un petit bébé à l’époque !

Les plis du front d’Oncle San s’accentuèrent à mesure qu’il faisait appel à ses souvenirs.

― Ça fait si longtemps que je ne suis pas sûr à cent pour cent, mais j’ai encore une photo du groupe de ce temps-là. Elle a été prise avant que nous partions en mer. Je vais appeler chez moi et demander à quelqu’un de me la scanner et de me l’envoyer.

Comme il valait mieux faire vite plutôt que de rester assis là, à discuter, mon oncle passa l’appel et donna ses instructions. Cinq minutes plus tard, nous reçûmes un courriel. Oncle San ne l’avait pas plutôt ouvert que j’en eus froid dans le dos. Sur la photo en noir et blanc, on pouvait voir un groupe de dix personnes séparées en deux rangées. Ceux de devant étaient accroupis et les autres debout. Je reconnus le jeune oncle San accroupi au milieu de la première rangée, et derrière lui se tenait Poker-face !

J’en eus des sueurs froides et tous mes poils se hérissèrent. Croyant que mes yeux me jouaient des tours, je regardai à nouveau la photo mais c’était bien lui. Son regard et l’expression de son visage étaient exactement les mêmes que lorsque je l’avais vu quelque temps plus tôt.

Mes mains se mirent à trembler légèrement. Oncle San me regarda, très perplexe lui-aussi. Il semblait vouloir me dire quelque chose, mais ses mots restèrent un long moment bloqués dans sa gorge.

― Co.… comment… comment se fait-il qu’il n’ait pas du tout vieilli en vingt ans ? Puis, comme s’il venait de réaliser quelque chose, il s’écria : je vois ! Je vois !

Je le regardai comme s’il était devenu fou, ne sachant pas quoi faire sur le moment. Puis je le vis ramasser ses bagages et se diriger vers la porte. J’essayai de le retenir, mais il repoussa ma main et me dit :

― Reste ici et veille sur Grande-gueule, je me rends de ce pas à Xisha ! Puis il sortit en courant sans se retourner.

Notes explicatives :

(1) Le Nanmu est un cèdre chinois ou un séquoia géant chinois, bois précieux spécifique à la Chine et à l’Asie du Sud. La qualité la plus noble de ce bois présente une teinte dorée et brillante, c’est pourquoi on l’appelle le nanmu doré.

(2) La période des États Belligérants s’est déroulée de 475 à 221 avant Jésus-Christ. Le début de la dynastie Ming remonte à la seconde moitié du 14e siècle, soit aux alentours des années 1350.



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