Les Chroniques d'un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
A+ a-
Chapitre 01 – Lao Yang sort de prison
Chapitre 46 – Conclusion Menu Chapitre 02 – La cloche hexagonale

Cette phrase ne représentait que quelques petits mots, mais elle attira toute mon attention.

« J’ai le poisson… »

Quel poisson ? Etait-ce le poisson en cuivre dont les sourcils sont en forme de serpent ?

D’après les motifs que j’avais vus sur la sculpture en pierre dans cette ancienne tombe sous-marine, ces étranges poissons, au nombre de trois, s’assemblaient bout à bout. J’en disposai de deux. Quel était le sens de cette phrase énigmatique ? Insinuait-elle que le dernier poisson était entre les mains de cette personne ?

Puisque cette dernière avait posté ce message, possédait cette photo et savait pour le poisson, faisait-elle partie des disparus 20 ans auparavant ?

Je regardai attentivement la page Web et je remarquai qu’elle avait été publiée voilà deux ans. C’était une bonne chose que le site Web n’ait pas fermé et que cette information fut encore accessible. À part cette phrase, il n’y avait aucune signature ou coordonnées de contact sur la page.

Je trouvai cela un peu étrange. A quoi cela rimait de ne pas laisser ses coordonnées ? Plutôt utile quand on cherche quelqu’un, non ?

Je tentai plusieurs recherches sur Google, dans l’espoir de trouver plus de correspondances, malheureusement, cette page Web était la seule traitant de cette affaire.

Même si je fus un peu démoralisé, c’était déjà une grande découverte qui montrait qu’au moins, quelqu’un, deux ans auparavant, s’était soucié des choses survenues vingt ans plus tôt. Mais qui était-ce ?

Très vite, cette satanée tempête passa enfin. Le lendemain, un cargo naval de classe Qiongsha arriva à Wenchang depuis le port de Qinglan. Voyant que nous ne pouvions plus attendre ici, nous fîmes nos bagages et nous nous préparâmes à rentrer.

Avant de partir, nous rejoignîmes l’hôpital militaire pour récupérer A Ning, mais elle était absente. Le médecin nous répondit qu’un groupe d’étrangers était venu la chercher au milieu de la tempête plusieurs jours auparavant. L’hôpital ne nous avait pas prévenus car ils pensaient que nous faisions partie de ce groupe. De plus, les vents violents ayant fait tomber les lignes téléphoniques, celles-ci n’avaient pas encore été réparées.

Je savais au fond de mon cœur que c’était l’équipe de A Ning qui était venue la chercher. La tempête avait isolé l’île au cours des derniers jours et nous n’aurions pas pu les arrêter même si nous l’avions voulu.

Le gros la maudissait et trouvait qu’elle s’en était tirée à bon compte. Pour ma part, je fus soulagé. Après tout, je ne savais pas quoi faire d’elle. Ce n’était pas comme si nous pouvions la tuer ou la torturer pour obtenir des aveux, alors cette situation était absolument parfaite. Ainsi, nous pourrions tous les deux aller chacun de notre côté. De toute façon, elle n’avait pas mis notre vie en danger.

La véritable raison pour laquelle sa compagnie était entrée dans la tombe sous-marine n’était pas aussi simple que celle de sauver des gens par exemple, alors quelle était-elle ? Que s’était-il passé entre eux et mon oncle ? Où était-il désormais ? Nous ignorions quand ces secrets cachés allaient émerger des eaux bleues et paisibles de Xisha.

En bref, nous prîmes le cargo naval pour retourner sur le continent. Deux jours plus tard, à l’aéroport de Haikou, je fis mes adieux à Poker-face et à gros lard, et je pris l’avion pour Hangzhou. Ce fut incroyable de constater à quel point les choses se passaient bien dans la vie réelle. Je retrouvai mon chez moi en à peine quatre heures.

Je fus tellement épuisé par ces activités prolongées à haute intensité que je me glissai dans mon lit, me couvris la tête et m’endormis aussitôt, ne me réveillant qu’une fois par jour, affamé, pour prendre quelque chose dans le réfrigérateur, avant de me recoucher. Certains de mes amis pensaient que j’étais mort et vinrent me voir, ce qui me fit sortir de ma léthargie après deux semaines de repos.

J’avais tellement dormi que tout mon corps était engourdi. Je commençai par appeler Wang Meng afin de prendre  des nouvelles du magasin. A part le fait qu’il n’y ait pas eu beaucoup de chiffre d’affaire, tout était normal. Etant absent, comment aurait-il pu y en avoir ? J’appelai ensuite plusieurs oncles, tantes et aînés de la famille qui avaient eu affaire à oncle San et je leur demandai s’ils savaient où il se trouvait. Aucun d’entre eux n’avait d’informations à ce sujet.  Je terminai par joindre le magasin d’oncle San où l’un de ses assistants me répondit.

― Est-ce que le Maître Wu San est déjà rentré ? Demandai-je.

L’homme hésita un moment :

― Maître San n’est jamais revenu, mais il y avait un drôle de type qui disait être ton frère et insistait pour qu’on lui dise où tu étais. Je ne sais pas d’où il venait, cependant il avait l’air louche et de mauvais augure, alors j’ai dit que je transmettrai le message. Il a laissé un numéro de téléphone avant de partir. Tu le veux ?

Je restai stupéfait, trouvant cela plutôt étrange. Je connaissais beaucoup de monde un peu partout, mais seules quelques personnes auraient pu aller voir oncle San pour me chercher. Je réfléchis un moment, puis je demandai :

― Quel âge avait cette personne ?

― Je n’en suis pas certain. Il avait probablement quelques années de plus que toi, les cheveux en brosse, des yeux en triangle (1) et un pont nasal élevé. Il portait également des lunettes et avait une boucle d’oreille. Il n’avait l’air ni chinois ni étranger. Je dirais qu’il était plutôt normal.

― Normal ? Mais qui était cette personne ? Je réfléchis un peu plus et mon cœur fit un bond :

― L’homme avait-il du mal à parler ? Demandai-je.

― Oui, oui, oui… ce type a bégayé une douzaine de fois avant de pouvoir finir une phrase.

J’étais fou de joie, ayant reconnu de qui il s’agissait. Je me précipitai alors sur le téléphone pour composer le numéro. Il sonna quelques fois avant que l’appel n’aboutisse et que quelqu’un à la voix familière ne réponde en balbutiant :

― Qui est-ce ?.

― Va te faire foutre, tu ne reconnais même pas ma voix maintenant ? Dis-je en gloussant.

Il resta silencieux quelques instants avant de manifester son excitation :

― Ça fait trois ans que je n’ai pas entendu ta voix ! Bien sûr que je ne la reconnais pas ! Tu t’es entendu ? Ta voix a vraiment changé.

J’eus un pincement au cœur et envie de pleurer, mais je le grondai tout de même :

― Tu as en plus le culot de parler de moi ? Je n’ai pas eu de nouvelles de toi depuis des années ! Je pensais que tu étais mort !

La personne à l’autre bout du fil était Lao Yang. J’avais oublié son vrai nom depuis longtemps. Lui et moi avions grandi et tout fait ensemble, comme deux petits pois dans une gousse. Il fut même un temps où nous ne formions presque qu’un. Sa famille était assez pauvre et il ne pouvait pas trouver de travail après son diplôme universitaire, alors il était venu travailler dans mon atelier. Même s’il avait un défaut d’élocution, il était particulièrement doué pour attirer les touristes dans la boutique. Nous partagions les mêmes mauvaises habitudes, gérions la boutique sans discernement et menions une vie libre et sans contrainte.

Voilà trois ans, ce type ignora la raison et finit par aller piller des tombes dans les montagnes de Qinling avec un cousin de Jiangxi. En conséquence, il fut arrêté et son cousin condamné à la prison à vie. Habile avec les mots, il se présenta comme un jeune homme prometteur trompé par de mauvaises fréquentations, ce qui lui valut une petite peine de trois ans. Au début, je voulais aller le voir, mais il était trop fier et refusa de me recevoir. Je déménageai finalement plus tard et perdis le contact avec lui. Je fus donc surpris qu’il avait été libéré.

Quant à la raison pour laquelle il s’était lancé dans le pillage de tombes, elle était surtout liée à moi. Depuis l’enfance, je me vantai toujours devant lui de la grandeur de mon grand-père et lui montrai ses trésors. C’était donc tout naturellement que germa dans sa tête l’idée de piller des tombes. Il avait toujours été très audacieux, même quand j’étais enfant. Lorsque je trouvais des idées pour causer des problèmes, c’est lui qui les mettait en pratique, mais honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’il le fasse avec une idée aussi saugrenue.

Nous avions beaucoup de choses à nous dire après trois ans, et une fois la discussion entamée, nous ne pouvions plus nous taire. Je sentais des crampes à ma mâchoire et mon téléphone portable était chaud, néanmoins nous avions beaucoup de choses à nous dire :

― Merde, mec, tu es libre ce soir ? Je t’emmène dîner. Faisons un bon repas et parlons autour de bons verres.

Lao Yang fut excité par ma suggestion :

― Ça a l’air bien. Je n’ai pas mangé de gros morceaux de viande depuis trois ans. Mangeons quelque chose de bon !

Et c’est ainsi que les choses furent décidées. J’étais si euphorique que je n’arrivais pas à dormir, alors je pris une douche, rangeai la maison, puis je me rendis au restaurant dont nous avions convenu. En l’attendant, je commandai tous les grands plats de viande du menu. Il arriva finalement juste avant la tombée de la nuit. Quand je le vis, je fus étonné du poids qu’il avait pris malgré son séjour en prison.

Même si nous étions de vieux amis, enfin réunis après si longtemps, nous bûmes d’abord une demi-bouteille de liqueur Wuliangye (2) sans dire un mot. En repensant à notre vie précédente et en regardant la situation présente, je soupirai. Après l’ivresse et la satiété, je réalisai que nous n’avions rien à nous dire.

Puis, mon esprit fut tellement embrouillé après avoir bu, que je commençai à parler du crime qu’il avait commis. Entre deux hoquets, je lui demandai :

― Dis-moi la vérité, qu’est-ce que tu as bien pu voler à l’époque pour que ton cousin du Jiangxi écope de la prison à vie ?

Je regrettai mes mots à peine sortis de ma bouche. Pourquoi est-ce que je parle de ça ? Me demandai-je. C’est une façon de déterrer ses tristes souvenirs. Je ne suis pas doué pour gérer ce genre de situation.

Mais à ma grande surprise, il exprima de la satisfaction après avoir entendu ma question. Il se gratta la dent, puis sourit :

― Ce que nous avons sorti, hé hé, était très étrange. Ce n’est pas que je ne veux pas te le dire, c’est juste que même si je le faisais, tu ne saurais pas ce que c’est.

Quand je vis qu’il me snobait, je devins immédiatement furieux :

― Ne dis pas n’importe quoi, je ne suis plus le même gamin qu’il y a trois ans. Qu’il s’agisse des dynasties Tang, Song, Yuan, Ming ou Qing, je saurai ce que c’est tant que tu peux décrire sa forme.

Lao Yang regarda mon sérieux et sourit :

― Pourquoi es-tu si en colère ? Tu es ridicule avec tes dynasties ! Puis il trempa ses baguettes dans le vin et dessina une forme étrange sur la table :

― As-tu déjà vu quelque chose comme ça ?

J’étais tellement ivre que je ne pouvais pas voir clairement même après l’avoir fixé pendant un moment, mais ça ressemblait à un arbre ou à une sorte de pilier :

― Espèce de salaud, tu as passé les trois dernières années en prison et tes talents de dessinateur ne se sont pas améliorés du tout. C’est quoi ce truc, un club en bois ?

― Il faut juste que T-tu-tu t’y fasses ! De toute façon, tu n’es pas doué pour reconnaître les objets de valeur. Ce dessin peu soigné est donc parfait pour toi !

Je regardai le dessin attentivement, seulement je ne pouvais toujours pas dire ce que c’était :

― Qui pourrait dire ce que tu as dessiné ? Si je devais appeler ces lignes un motif, je dirais qu’elles ressemblent à des branches d’arbre. Ton dessin est si mauvais que je suis incapable de dire ce qu’il est censé être !

Plein de mystère, Lao Yang dit d’un air suffisant, à voix basse :

― O…O…Tu as compris ! Ce sont des branches d’arbre en bronze aussi épaisses que ton poignet !

Je lâchai un « Oh » de stupéfaction. Ce type devait être fatigué de vivre s’il avait volé des objets en bronze. Il avait vraiment mérité sa peine de trois ans de prison :

― Combien pèse cette chose ? Lui demandai-je. Pourquoi as-tu choisi un gros objet au lieu d’un petit ? Etais-tu si impatient d’aller en prison ?

Il me tapa sur l’épaule, décortiqua une crevette frite avec des oignons verts, la jeta dans sa bouche et dit :

― Tu ne sais pas ce qui s’est passé à cette époque. Cet endroit est différent de tout ce que tu peux imaginer. C’est une longue histoire.

J’avais fait quelques recherches sur les objets en bronze, alors après avoir réfléchi à la chose qu’il avait dessinée, je trouvai qu’elle ressemblait un peu à ces arbres sacrés en bronze qui avaient été excavés à Sanxingdui il n’y avait pas si longtemps.

Sanxingdui était un site archéologique contenant des reliques de l’ancien peuple Shu. À proprement parler, ces reliques n’entraient pas dans le cadre de notre commerce d’antiquités, car elles étaient trop anciennes, trop précieuses et leur valeur ne pouvait être calculée. Si Lao Yang avait vraiment trouvé de telles choses à l’endroit où il s’était rendu, pouvait-on dire qu’il avait eu de la chance ?

Ces objets en bronze piquèrent finalement mon intérêt, aussi je lui demandai ce qui s’était passé à ce moment-là. Il avait aussi trop bu et me raconta tous les détails sans même prendre la peine de cacher quoi que ce soit.

Ils avaient marché dans les montagnes de Qinling pendant plus de dix jours sans trouver autre chose qu’une forêt sans fin. À ce stade, ils étaient presque à court de nourriture et de munitions.

Ni Lao Yang ni son cousin n’avaient de connaissances de base en matière de pillage de tombes, mais ils étaient pleins d’enthousiasme. Découragé, son cousin avait voulu faire demi-tour, néanmoins Lao Yang insista pour continuer, et c’est ce qu’ils firent.

Un jour particulier, ils traversèrent péniblement une vallée cachée dans les montagnes. Ils ne pouvaient dire combien de telles vallées ils avaient vues les jours qui précédaient, mais cette fois-ci, Lao Yang la trouva un peu différente des autres.

L’environnement géographique y était très étrange. L’altitude était très basse, la température très élevée, et il y avait une vaste forêt de vieux banians au centre de la vallée. On ne pouvait pas dénombrer exactement ces arbres, mais ils étaient tous si énormes que dix personnes se tenant par la main ne suffiraient pas à ceinturer leurs troncs. La canopée des arbres couvrait le ciel et bloquait le soleil, tandis que les racines recouvraient le sol, le laissant presque impraticable.

Lorsque le cousin de Lao Yang vit cette scène, il sentit que quelque chose n’allait pas. Une forêt de banians capable de pousser à une telle échelle ne pouvait s’être formée naturellement.

Il y avait un vieux dicton parmi les pilleurs de tombes : « Un arbre ne pousserait pas sur une terre salée et une forêt ne pousserait pas sur des montagnes dénudées ; il fallait du sable ou de la boue. » En d’autres termes, les endroits où l’herbe et les arbres poussaient anormalement pouvaient avoir un sol ou un environnement à problème. Il pourrait même y avoir quelque chose comme une ancienne tombe enterrée en dessous.

Les racines des banians étaient comme des serpents entrelacés les uns avec les autres, et les bois étaient beaucoup plus denses que les forêts ordinaires. Lao Yang craignait qu’il soit difficile d’y pénétrer, mais repartir les mains vides après toutes les épreuves traversées n’était pas concevable, aussi il persévéra. Son cousin était également perplexe, mais il fit bloc et le suivit.

Ils continuèrent à avancer alors que le soleil commençait à se coucher. Et tandis qu’ils s’approchaient progressivement de la fin de la vaste forêt, avec une luminosité qui diminuait fortemet, ils purent entendre les hiboux communiquer entre eux. Ensuite, ils allumèrent leurs lampes torches en avançant lentement pour ne pas se perdre.

Tout à coup, son cousin trébucha sur quelque chose et faillit tomber. Lao Yang s’empressa de l’attraper, se retourna et vit que quelque chose dépassait du sol et était enroulé dans les racines du banian à leurs pieds.

Ils coupèrent les racines avec une machette jusqu’à ce que l’objet soit exposé, puis ils l’éclairèrent. Il s’agissait d’une figurine en pierre recouverte de mousse et habillée de ce qui semblait être des vêtements de la dynastie pré-Han. La figurine avait des motifs totémiques sculptés très raffinés.

L’apparition de cette figurine de pierre permit à Lao Yang et à son cousin de réaliser immédiatement que quelque chose existait vraiment dans cette forêt. Il s’avéra que ce vieux dicton était vrai…

Ils regardèrent la zone autour de la figurine et découvrirent rapidement qu’il y avait beaucoup de grandes dalles de pierre enterrées sous les couches de feuilles mortes et de boue. Elles semblaient être les ruines d’une ancienne route cachée sous la forêt de banians. La figurine située sur un côté de la route paraissait en être la gardienne.

D’après la disposition des lieux, il était possible que cette route mène à une tombe impériale. Quand nous passâmes par ce petit village à des dizaines de kilomètres de là, un vieil homme nous apprit qu’il y avait plusieurs nobles de la dynastie des Jin occidentaux enterrés dans les montagnes proches, pensa Lao Yang. Aurions-nous finalement trouvé l’une de ces tombes après avoir travaillé si dur pendant tant de jours ?

Si c’était vrai, alors la souffrance qu’ils avaient endurée ces derniers jours en valait vraiment la peine.

Son cousin et lui discutèrent et décidèrent de suivre au préalable la route ancienne. S’il y avait une tombe antique à proximité, il devrait certainement y avoir des traces de celle-ci.

Ils marchèrent le long de la route pendant plusieurs heures et entrèrent au centre de la forêt interminable. Sur le chemin, ils trouvèrent de nombreux restes de figurines de pierre couvertes de mousse de chaque côté. Certaines étaient tombées en travers de la route et une en particulier était encastrée dans un arbre qui avait poussé autour d’elle. Il y avait de plus en plus de signes prouvant qu’il s’agissait d’une route menant à une tombe.

Lao Yang et son cousin jubilaient et ils accélérèrent le pas, mais étrangement, plus ils avançaient sur cette ancienne route, plus les racines aériennes environnantes devenaient denses. Finalement, ils durent les couper afin de créer un chemin à peine praticable. On aurait dit que les arbres ne voulaient pas que les étrangers empruntent cette route.

Ils continuèrent jusqu’à minuit passé. Même s’ils furent complètement épuisés, ils purent enfin apercevoir le clair de lune briller à travers les fissures des arbres devant eux. En voyant cela, Lao Yang pensa qu’ils avaient peut-être atteint la fin du chemin. Ils escaladèrent un gros tas de pierres, coupèrent la dernière racine, et sortirent de la forêt de banians.

Dans la lueur du clair de lune, ils virent soudain un énorme cratère en forme de pyramide inversée apparaître dans la roche juste devant eux. Il était aussi grand qu’un terrain de football et avait la forme d’un seau géant en plein milieu de la forêt. Les pentes des quatre côtés comportaient des escaliers, avec une centaine de marches menant au fond du cratère.

Lao Yang resta la bouche ouverte à la vue de ce spectacle. Il n’aurait jamais imaginé que la fin de la route de pierre mènerait à la magnifique relique d’un bâtiment ancien. Il sentit son cœur battre plus vite et ses jambes s’affaiblir, et il voulait s’agenouiller et se prosterner devant ce cratère.

Pourtant ce n’était manifestement pas une tombe ancienne, alors quel genre d’endroit était-ce ? Et de quelle dynastie provenait-il ?

Malgré sa stupéfaction, le cousin de Lao Yang garda les pieds sur terre et dit :

― Cet endroit doit avoir un rapport avec les rites sacrificiels. Ça ressemble à un autel. Descendons voir s’il y a des objets funéraires dans la fosse sacrificielle.

La lune d’un blanc laiteux était déjà haute dans le ciel, mais sa lumière était très faible, alors ils allumèrent leurs lampes torches pour éviter de trébucher sur les racines qui serpentaient, puis ils descendirent avec appréhension les marches en pierre jusqu’au fond du cratère.

Toute la zone entourant le cratère était couverte par les racines des banians. S’ils n’avaient pas suivi l’ancienne route, ils n’auraient pas été capables de le trouver même en marchant juste à côté. De plus, les dalles de pierre du cratère étaient fissurées au point de ressembler aux pièces d’un puzzle, laissant passer un grand nombre de racines s’étendant dans les interstices. Les ruines entières avaient été détruites au point d’être méconnaissables.

Le fond du cratère était également recouvert d’une épaisse couche d’herbes hautes d’une demi taille humaine, et seuls quelques endroits montraient des traces de l’ardoise bleu-vert en dessous.

Ils utilisèrent leurs machettes pour couper les hautes herbes et avancèrent rapidement, arrivant bientôt au centre de l’autel où il y avait un puits en terre entouré de pierres. Ce dernier faisait dix mètres de profondeur. Ils braquèrent leurs lampes sur son fond et constatèrent qu’il était lui aussi rempli d’herbe. Après coup, ils utilisèrent des cordes pour descendre, mais ne trouvant rien, ils sortirent leurs pelles Luoyang et commencèrent à creuser.

Ils martelèrent la première pelle jusqu’à une profondeur de quinze mètres, mais ne virent toujours pas de fond. Lao Yang sortit la pelle, fit tomber un amas de boue et découvrit que des cendres de carbone étaient mélangées à la boue. Beaucoup de choses avaient été brûlées en ce lieu. Ils trouvèrent également quelques morceaux de poterie et de jade parmi les cendres.

Celles-ci figuraient en fait des restes d’offrandes brûlées pour les morts, laissant la poterie et le jade partiellement détruits. Le puits avait servi d’incinérateur plus d’une fois.

Lao Yang ne parvint pas à retenir son excitation à ce moment-là. Historiquement, un grand nombre d’objets raffinés en bronze et en jade étaient souvent brûlés lors des sacrifices, donc s’ils pouvaient déterrer un ou deux de ces objets, ils pourraient faire fortune.

Ils prirent leurs pelles et creusèrent. Après avoir œuvré inlassablement à tour de rôle pendant un certain temps, ils réussirent à creuser le fond du puits d’environ sept mètres. Ils mirent à jour tellement de fragments de jade et de tessons de poterie qu’ils furent incapables de les dénombrer. Il y avait des fragments et des disques de jade, des pots et des théières en terre cuite, à peu près tout ce que vous pouviez imaginer. En un rien de temps, ces objets furent empilés sur un côté.

Lao Yang et son cousin furent déçus de l’état pitoyable de ces pièces, ce qui signifiait qu’elles avaient peu de valeur sur le marché. Mais la chose la plus décevante pour eux fut l’absence d’objets en bronze.

Malgré cela, ils n’abandonnèrent pas et continuèrent à creuser. Très vite ils atteignirent une profondeur d’environ dix mètres, cependant aucune trouvaille extraordinaire. Creuser une fosse verticale de plus de dix mètres était déjà un maximum, aussi ils n’eurent pas d’autre choix que de s’arrêter. Après tout, en poursuivant, ils risquaient de faire s’effondrer le tunnel.

Le cousin de Lao Yang était un homme prudent. Il déduisit que puisqu’ils n’avaient rien trouvé après avoir creusé pendant si longtemps, alors cet autel n’utilisait probablement pas d’objets en bronze pour offrir des sacrifices. Ils pourraient tout aussi bien choisir quelque chose parmi le tas de pièces brisées qu’ils avaient déjà déterrées, et repartir. Ils n’eurent pas de chance cette fois-ci.

Néanmoins, Lao Yang n’était pas prêt à abandonner. Peu importe ce que disait son cousin, il lui fallait continuer à creuser et il demanda à ce dernier de monter pendant qu’il poursuivait sa tâche seul pendant environ deux heures. Ce n’est qu’après avoir atteint une profondeur de plus de quatorze mètres que sa pelle heurta un morceau de métal en faisant un grand bruit.

Ils se regardèrent tous les deux, puis se penchèrent pour observer de plus près. Au centre du puits, un objet vert foncé dépassait du sol.

Bien sûr, il y avait des objets en bronze. Le cœur de Lao Yang fit un bond et ses mains tremblèrent. Son cousin poussa un cri de joie, laissa tomber sa pelle et sauta dans le puits. Les deux hommes déterrèrent immédiatement l’objet avec leurs mains.

Une chose étrange apparut bientôt devant eux. Un bâton de bronze qu’ils identifièrent, après avoir ôté la cendre de sa surface, comme étant une délicate branche d’arbre moulée.

Les deux hommes furent ravis. Ils n’avaient jamais rien vu de tel auparavant et savaient que cela devait valoir beaucoup d’argent. Ils essayèrent de le déterrer, seulement ils ne réussirent pas à trouver le fond, même après avoir creusé quelques mètres à mains nues. Quand ils réalisèrent qu’ils ne pouvaient pas la sortir, ils prirent leurs pelles et recommencèrent à creuser. Ils le firent sur sept mètres supplémentaires, mais ils n’atteignirent pas le fond de cette branche de bronze.

Lao Yang trouvait cela étrange. Fort de son expérience de vendeur d’antiquités, il savait qu’il y avait très peu d’objets en bronze de plus de trois mètres de haut, et d’après son estimation prudente, cette chose devait faire au moins vingt mètres de haut, ce qui était très inhabituel. Combien d’autres objets en bronze étaient enterrés sous la boue dans cette zone ?

Leur tunnel de pilleurs de tombes était presque arrivé à vingt mètres de profondeur et menaçait de s’effondrer s’ils creusaient davantage, mais l’idée de repartir les mains vides était vraiment désagréable. Les deux hommes restèrent là, confus, ne sachant pas quoi faire.

Finalement, son cousin trouva un autre moyen. Il s’éloigna d’environ un mètre de la branche, positionna la tête de la pelle de Luoyang de façon à ce qu’elle forme un angle oblique avec la branche, et débuta son martèlement dans le sol, ajoutant des tubes d’acier filetés au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignit une profondeur d’environ dix mètres, le bruit du marteau contre les tuyaux d’acier s’émoussa et il constata qu’il ne pouvait pas aller plus loin.

Lorsque Lao Yang me raconta cela, son expression changea. Il alluma une cigarette et prit une profonde inspiration :

― En d’autres termes, la partie de la branche de bronze sous la boue faisait environ dix mètres de long, ce qui signifie que sa longueur totale était d’au moins trente mètres. Même si nous avions réussi à déterrer un objet aussi gros, nous n’aurions pas pu le ramener.

Je fus stupéfait d’entendre cela et je trouvai qu’il exagérait un peu. Le plus grand objet en bronze, de Chine, était le Simuwu ding, découvert dans le site funéraire royal de Houjiazhuang, dans le village de Wuguan, à Anyang, province du Henan. (3) Il ne faisait qu’un peu plus d’un mètre de haut, mais à l’époque, il fallait deux ou trois cents personnes travaillant ensemble pour le couler. Mais pour couler un arbre en bronze de plus de trente mètres de haut, il aurait fallu des dizaines de milliers de personnes.

J’eus du mal à le réfuter après avoir écouté tout ce qu’il avait dit :

― Que s’est-il passé après cela ? Avez-vous continué à creuser ? Demandai-je.

― Non, dit Lao Yang, Je voulais continuer à creuser, mais mon cousin m’a dit qu’il pourrait s’agir d’une chose sacrée ou qu’elle pourrait vraiment pousser hors du sol, et qu’il ne fallait pas la déterrer. Alors, j’ai pensé que ce serait trop dangereux de continuer à creuser, et j’ai abandonné, mais vous ne trouvez pas ça étrange ? Je parie que cette branche faisait partie d’une grande pièce de bronze, et la partie en dessous est peut-être encore plus grande. Si on la déterrait vraiment, je parie que ça choquerait le monde entier.”

― Alors si tu n’as pas sorti l’arbre de bronze, comment vous êtes-vous fait prendre ?

― Cela semble un peu étrange quand je le dis, mais nous ne voulions pas abandonner à ce moment-là, alors nous avons creusé quelques autres trous à d’autres endroits et nous avons finalement trouvé des ustensiles de cuisine complets. Après avoir quitté les montagnes de Qinling, nous voulions trouver un lieu pour vendre les marchandises, mais mon cousin était agité depuis qu’il avait vu cette chose. Une fois que nous sommes rentrés en ville, il a commencé à parler à tout le monde de la branche d’arbre en bronze. Qinling n’aime pas les pilleurs de tombes, et cela depuis très longtemps, et toute nouvelle à ce sujet met les gens sur les nerfs. Lorsque nous sommes allés à la boutique d’antiquités pour vendre les objets, quelques personnes ont entendu mon cousin débiter ces absurdités, ont compris qui nous étions et nous ont dénoncés ! Mais heureusement, le policier qui m’a attrapé était de la même ville natale que moi. Voyant que j’étais encore jeune, ils acceptèrent le fait que j’étais impressionnable, donc ils ne me condamnèrent qu’à trois ans de prison pour avoir été trompé. Mon cousin n’aurait écopé que de quatre ou cinq ans, mais pour une raison quelconque, il est devenu fou et leur a raconté tous les vols de tombes qu’il avait commis auparavant. Il a été condamné à vie et a eu de la chance de ne pas être condamné à mort.

― Mec, tu n’as vraiment pas de chance, lui dis-je, Tu as travaillé si dur mais tu n’as rien pu vendre pour faire du profit. Combien de fois te l’ai-je dit ? Ne vends pas de biens volés sur place. Tu vas à l’encontre de la population locale en t’engageant dans ce genre de commerce. Dans le monde d’aujourd’hui, on appelle ça un châtiment.

Lao Yang sourit :

― J’ai réalisé quelques profits en fait. Regarde, as-tu déjà vu quelque chose comme ça ? En parlant, il montra sa boucle d’oreille.

NDT :

(1) Les yeux triangulaires sont appelés ainsi parce que la paupière tombante a une inclinaison qui coupe la véritable forme de l’œil. La paupière elle-même peut créer un triangle aigu ou un triangle léger. On dit d’une personne ayant des yeux triangulaires qu’elle a une apparence générale plus sévère, car la forme de l’œil affecte l’ensemble du visage.

(2) Le Wuliangye (liqueur des cinq céréales) est une liqueur de baijiu chinoise fabriquée à partir de millet, de maïs, de riz glutineux, de riz à long grain et de blé.

(3) Le ding de Simuwu est un ding rectangulaire en bronze (ancien chaudron de cuisson à deux anses et trois ou quatre pieds, souvent utilisé comme récipient sacrificiel) de l’ancienne dynastie Shang. Il s’agit de la pièce de bronze la plus lourde qui ait été conservée dans le monde antique. Elle a été découverte en 1939.



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Chapitre 46 – Conclusion Menu Chapitre 02 – La cloche hexagonale