Chapitre 19 – Une grande jarre en porcelaine
La cire de cadavre, qui provenait de l’épaississement et du durcissement de la graisse et des minéraux présents dans le corps, était une substance qui, en général, se formait lorsqu’un cadavre restait immergé dans l’eau durant une longue période ou enterré dans un sol humide avec une teneur en eau suffisante.
Je suivis les traces de pas jusqu’au coin de la pièce, là où elles passaient derrière une grande jarre en porcelaine bleue et blanche de Yunlong. Je sentis alors mon cœur faire un petit bond.
D’après les gens, s’il était facile de négocier avec le Roi Yama, il n’en allait pas de même avec les petits démons. Était-il possible que nous ayons affaire à un zombie mineur ? Je me tournai vers Gros-lard :
― Regarde, ces empreintes sont les seules à aller dans une direction puis à s’arrêter. Peut-être…
Je ne pus terminer ma phrase car ce dernier me fit signe de me taire. Je tournai la tête et vis la grande jarre se mettre à trembler toute seule.
― Cette chose est cachée derrière, dit le gros.
Zhang le Chauve avait déjà ôté la moitié de son équipement mais n’avait pas encore atteint sa ceinture. Quand il entendit ce dont nous parlions, il la laissa, prit sa bouteille d’oxygène et s’approcha :
― Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Gros-lard.
Le gros lui lança un regard irrité :
― Un Zombie.
Zhang se figea :
― Zongzi ? Comme le snack du festival de Jiaxing ? (1)
Le gros secoua la tête et l’ignora.
― Tu es sûr ? demandai-je. Je n’ai jamais vu un si petit zombie.
― Pas vraiment, répondit le gros, mais zombie ou pas, nous nous devons d’aller jeter un coup d’œil si nous voulons éviter un désastre. De plus, je ne me sentirai pas à l’aise pour piller cette tombe si je ne sais pas ce qu’il y a là.
Tout en parlant, il prit le fusil à harpon et me fit signe de bouger. Je lui fis comprendre d’un signe de la tête que je n’y irai pas.
Le gros soupira et appela Zhang. Comme c’était la première fois que celui-ci entrait dans une tombe, il était particulièrement excité. Il s’avança aussitôt, imita les gestes du gros et prit une position opposée pour qu’ensemble, ils puissent faire un mouvement de tenaille en s’approchant de la grande jarre.
J’avais peur, certes, mais ne pouvant pas trop le montrer devant une femme, je fis front et suivis Zhang en observant très attentivement.
Nous marchâmes très lentement, craignant que quelque chose ne nous saute au visage. Le gros balaya d’abord avec sa lampe torche, mais la jarre était trop grande pour qu’on puisse voir quoi que ce soit derrière. Il la toucha alors de son fusil avec un air qui me rappelait tant celui que je prenais lorsque, enfant, j’essayais d’attraper des belettes que je ne pus m’empêcher de trouver cela amusant. Il renouvela l’opération cinq ou six fois, attentif au moindre signe de mouvement, mais apparemment, il n’y avait rien derrière. Se sentant un peu plus courageux, il s’approcha et regarda.
― Merde, il n’y a rien d’autre ici qu’une boîte de bois vide. Je me suis stressé pour rien, dit-il en claquant la langue.
Nous nous rapprochâmes et vîmes qu’il s’agissait d’un cercueil pour enfant de la taille d’un étui à violon, sur lequel étaient gravés deux phénix. Bien que son couvercle ait été ouvert et poussé sur le côté, son fond blanc était relativement bien préservé. Mais le corps ne s’y trouvait pas. Pas étonnant que Gros-lard ait pris ce cercueil pour une boîte ordinaire.
― Ce n’est pas une boîte, lui dis-je, c’est un cercueil.
Il ne me crut pas tout d’abord, puis il parut comprendre.
― D’après vous, ce serait le cercueil du petit zombie ? demanda-t-il.
J’acquiesçai de la tête et y regardai de plus près. Il y avait plusieurs trous à l’intérieur, desquels on pouvait voir des traces noires menant au sol, comme si une sorte de liquide s’en était écoulé. J’avais lu, me semblait-il, quelque chose de similaire dans les notes de mon grand-père.
Le gros examina soigneusement l’intérieur et les alentours du cercueil avec sa lampe et soupira :
― D’après les spécifications de ce cercueil, il devrait y avoir de nombreux trésors sur cet enfant, mais malheureusement, j’ignore où est parti le cadavre. J’aurais pu en retirer quelques perles.
J’approuvai d’un signe de tête. Lorsqu’il s’agissait d’enfants morts ou enterrés avec les défunts, il y avait toujours, dans leur cercueil, de nombreux objets et ornements. En particulier des perles d’une valeur inestimable que l’on insérait dans leur ventre pour empêcher les corps de se décomposer.
Nous regardâmes autour de nous, retournâmes toute la pièce, mais aucune trace du corps. Tout laissait à penser que ces pilleurs de tombes l’avaient emporté.
Le gros, qui était réticent à renoncer, voulut retourner le cercueil, mais pensant que ce n’était pas une bonne idée, je le retins aussitôt :
― Ce cercueil est différent des autres. Il n’a certainement pas été conçu juste pour recevoir le corps d’un défunt. Mieux vaut ne pas y toucher.
― Le corps est parti et vous avez peur de lui faire offense ? Que craignez-vous ? Que le cercueil me saute dessus et me morde ?
― Nous ne sommes pas ici pour voler des objets funéraires mais pour atteindre au plus vite la chambre principale. Cessez donc de perdre du temps, dit A Ning. Il faut agir !
Comprenant qu’il avait tort, Gros-lard céda. Nous retournâmes trier notre équipement de plongée et alors qu’il mettait son sac à dos, il me regarda brusquement. Ses lèvres semblaient vouloir dire quelque chose qu’il était trop embarrassé de dire.
― Si tu as quelque chose à dire, dis-le, bordel. Qu’est-ce qui ne va pas ? demandai-je
― Penses-tu que le petit zombie ait pu grimper dans la grande jarre ?
Je regardai la porcelaine et sentis mon cœur battre la chamade. C’était tout à fait possible.
― Je viens d’entendre un bruit qui semblait venir de l’intérieur. Je me suis dit que j’avais peut-être mal entendu. Après tout, le zombie n’est pas une souris. Comment pourrait-il se glisser seul dans la jarre ? Je ne fais qu’exprimer mes pensées. Cela ne veut pas dire que ce que j’ai dit est vrai, dit le gros en rougissant un peu.
Sachant qu’il pensait encore aux trésors, je m’apprêtais à le réprimander lorsque soudain, la grande jarre tomba au sol avec un bruit sec. Je me figeai : Comment cela était-il possible ? Et s’il avait raison ?
Nous restâmes tous quatre muets et, nerveux, regardant la jarre, la vîmes tourner plusieurs fois sur place avant de rouler vers nous dans un fort grondement.
NDT :
(1) zongzi est le mot de code pour désigner les zombies pour les pilleurs de tombes, même si cela signifie aussi “boulettes de riz” en chinois. D’où l’allusion au snack ‘Jiaxing Wufangzhai Zongzi’, qui est une marque traditionnelle de boulettes de riz glutineux farcies basée à Jiaxing, dans la province du Zhejiang. Wufangzhai a été fondée en 1921.