Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 41 – L’arbre de corail
Chapitre 40 – Le trou dans le mur Menu Chapitre 42 – Le dilemme

Suite aux propos de Poker-face, je réalisai que le visage de A Ning était sans vie et que ses yeux bougeaient très lentement. Elle n’avait plus rien à voir avec la personne pleine d’énergie que j’avais connue. Maintenue au sol par Poker-Face, elle ne se débattait pas, ne parlait pas et ne nous regardait même pas, comme si elle n’était pas concernée par ce qui se passait.

Le gros la regarda d’un air étrange :

― C’est un peu troublant. Elle n’a même pas réagi quand je l’ai insultée à l’instant. En temps normal, elle m’aurait donné un coup de pied.

À la vue de ses mains tuméfiées, je m’enquis :

― Tu ne l’aurais pas frappée trop fort tout à l’heure ? Regarde, elle ne peut même plus parler. Je parie que tu l’as à moitié assommée.

Le gros monta aussitôt dans les tours :

― Enfoiré, ne dis pas n’importe quoi ! Est-ce que je traiterais une dame comme ça ? j’ai seulement attrapé ses jambes, et très doucement, sans lui faire une seule marque ! Si tu ne me crois pas, demande à Petit Frère.

― Ne vous inquiétez pas, elle va bien, mais son esprit est confus. Elle est peut-être juste en état de choc, intervint Poker-face.

Il agita la main devant le visage de la jeune femme et claqua des doigts, mais elle n’eut pas la moindre réaction.

Le gros se gratta la tête et réfléchit un moment :

― Cette salope a peut-être vu quelque chose qui lui a flanqué une peur bleue ?

― Cette femme est impitoyable et très compétente, répliquai-je. Vous avez vu la manière dont elle m’a traité. Comment une personne comme elle pourrait-elle défaillir de peur ? Ne te laisse pas berner. Elle fait probablement semblant.

Gros-lard devint alors méfiant :

― Tu as raison. Les femmes sont cruelles et rusées. Restons prudents. Ne devrions-nous pas lui donner quelques gifles et voir comment elle réagit ? Cette femme est très têtue, peut-être que quelques gifles la feront renoncer à son rôle d’héroïne innocente et…

Je ne savais pas où il voulait en venir, mais je décidai de l’interrompre :

― Arrête, tu as regardé trop de films révolutionnaires. Essayerais-tu de te faire passer pour un espion du Kuomintang (1) ou quelque chose du genre ? Regarde-la. Tu crois vraiment pouvoir la frapper dans cet état ?

Il leva sa grosse main et tenta à deux reprises de gifler le petit visage de A Ning, non  mais il n’y parvint pas. Découragé, il me dit :

― Malheureusement, gros maître n’a encore jamais frappé une femme. Que crois-tu qu’on devrait faire ?

Je n’avais pas passé assez de temps avec elle pour savoir si elle simulait ou non :

― Impossible à dire pour l’instant. Je pense que dans un premier temps, nous devrions l’attacher et la sortir d’ici. Le moment venu, nous appellerons la police et les laisserons gérer cette affaire.

― Tu es stupide ou tu le fais exprès ? s’exclama-t-il, furieux, Tu as oublié que nous sommes tous trois ici pour piller une tombe ?  Tu sais ce que ça veut dire, piller une tombe ? La remettre à la police… Tu es devenu idiot en te cognant la tête ou quoi ?

J’en restai d’abord très confus, mais en entendant cette remarque, j’eus brusquement envie de me frapper. Merde. Mon esprit, apparemment, ne s’était pas adapté au fait que j’étais devenu un pilleur. Je me voyais encore comme le petit patron d’une boutique d’antiquités :

― Je n’ai pillé qu’à deux reprises. N’attendez pas de moi l’impossible ! Au fond, je suis toujours un citoyen respectueux des lois qui a l’habitude d’aller trouver la police quand quelque chose de grave se produit. J’ai lâché ça sans réfléchir, alors fais comme si je n’avais rien dit. Nous trouverons une solution le moment venu.

― Oublie ça, fit le gros avec un geste de la main. Je doute que tu puisses avoir de bonnes idées. Voyons ce que Petit Frère a à dire. Si nous attendons après toi, il sera trop tard.

Je conservai mon calme et regardai Poker-face. Il braquait sa lampe torche sur les yeux de A Ning :

― Arrêtez de vous disputer. Ses pupilles sont dilatées et ses réactions lentes, ce qui laisse à penser que son état est beaucoup plus grave qu’une simple « frayeur intense ». Ce n’est pas quelque chose que l’on peut simuler.

Il paraissait très sûr de lui, je n’avais aucune raison de douter.

― Saurais-tu ce qui a provoqué ça ?

Il secoua la tête :

― C’est tout ce que je peux dire d’après ce dont je me souviens de mon propre examen médical. Si tu veux en savoir plus, nous ne pouvons rien faire d’autre que de l’envoyer à l’hôpital.

Je me souvins de la femme pleine d’entrain et de vie qu’elle était auparavant, et soupirai :

― Eh bien, puisque nous n’avons pas le temps de trouver ce qui ne va pas chez elle, je suggère que nous cessions de réfléchir et que nous la sortions de là.

Ni l’un ni l’autre n’y voyant d’objection, le gros dit à Poker-face :

― Faisons ça. Cet endroit est trop effrayant pour que nous nous y attardions, mais avant, nous pourrions au moins jeter un coup d’œil. S’il n’y a rien d’intéressant, nous partirons aussitôt.

J’avais déjà oublié où nous étions, mais en entendant cela, tout me revint brusquement et un frisson me parcourut l’échine. J’avais envie de filer sans tarder, mais je savais qu’il était inutile de le suggérer dans la mesure où ils avaient tous deux leurs raisons d’être ici. Finalement, je n’eus d’autre choix que de me résigner et d’acquiescer.

Gros-lard braqua sa lampe torche vers les profondeurs du passage. Je suivis la lumière et vis que celui-ci n’était pas très long. Il s’arrêtait au bout d’une douzaine de pas. Cela dit, la lampe n’était pas assez puissante pour éclairer aussi loin et nous n’en distinguions qu’un vague contour.

N’ayant pas une aussi bonne vue que mon imposant compagnon, je ne voyais pas grand-chose et espérais que lui non plus ne verrait rien. Je voulais qu’il renonce pour que nous puissions sortir de là au plus vite. Je ne pouvais pas rester une minute de plus dans cet endroit.

Patapouf regarda attentivement et fronça les sourcils. On aurait dit qu’il avait vu quelque chose. Je suivis son regard mais ne vis rien.

― Les gars, les gars, vous voyez ça ? chuchota-t-il. Là, tout au fond. Ne serait-ce pas un arbre?

J’eus un ricanement :

― Un arbre ? Dans cette tombe antique ? La lumière du soleil ne filtre pas ici et il n’y a personne pour l’arroser. S’il y avait un arbre, il serait mort depuis longtemps.

Le gros resta un long moment à contempler sa découverte, s’obstinant à le désigner du doigt pour que nous y prêtions plus d’attention. Je n’eus d’autre choix que d’obtempérer, mais je ne voyais vraiment rien de précis. En forçant sur mes yeux, je ne pus que vaguement distinguer quelque chose qui ressemblait à des branches. Cette forme m’était très familière, mais impossible de me rappeler où je l’avais vue :

― Je ne vois pas grand-chose, mais ce n’est certainement pas un arbre.

Gros-lard, à nouveau, jeta un coup d’œil :

― Ça m’a tout l’air d’un arbre, mais ça brille. Je perçois une lumière dorée. Si tu ne me crois pas, allons voir de plus près.

Cela me rendit furieux. Il était évident qu’il avait une idée derrière la tête :

― Ne t’imagine pas que je ne sais pas ce que tu manigances ! Quand bien même il y aurait là-dedans un arbre en or, crois-tu que tu pourrais l’emporter ?

Le gros comprit alors que j’avais vu clair dans son plan, cependant, il insista :

― Nous ne le saurons pas tant que nous n’aurons pas vu ce que c’est. Il y a peut-être de petites pièces ou autre sur le côté. Nous aurions sans doute mieux fait de ne pas entrer ici, mais maintenant que nous sommes là et puisque nous avons trouvé quelque chose, il faut aller voir ! De plus, nous avons fait tout ce chemin sans que rien ne se passe. De quoi pourrions-nous avoir peur ?

Si j’étais contrarié, je ne pouvais rien y faire. En effet, je connaissais très bien la logique du gros à ce stade : une fois qu’il aurait fait le tour et tout examiné, il faudrait tout emporter. Ce type était vraiment le diable incarné. Quiconque le rencontrait était voué à la malchance.

Je cherchais une occasion de me moquer de lui lorsque je vis Poker-face nous faire signe de nous taire :

― Suivez-moi, chuchota-t-il, ne vous laissez pas distancer.

Puis, sans se retourner, il s’enfonça dans l’obscurité.

Fou de joie, Gros-lard mit A Ning sur son dos et lui emboîta le pas. Je trouvai cela étrange, mais Poker-face marchait si vite que je n’eus pas le temps d’y réfléchir. Je les suivis en boitant.

Comme, apparemment, nous étions au milieu du passage, l’allure de Poker-face nous permit d’atteindre rapidement le soi-disant arbre situé à l’extrémité. Nous nous trouvions alors tout au fond de ce trou de brique. Petit Frère leva la main et éclaira « l’arbre » avec sa lampe, révélant ainsi sa véritable forme.

Il s’agissait d’un énorme morceau de corail blanc, aussi haut qu’un homme, avec douze « branches » qui partaient de son tronc. Sa forme s’apparentait vraiment à celle d’un arbre. Il avait été habilement sculpté, quoique fait d’un corail ordinaire qui n’était ni rare, ni particulièrement précieux.

Celui-ci était planté dans un immense bassin de porcelaine. D’innombrables cailloux entouraient son tronc et une multitude de petites cloches dorées étaient accrochées à ses branches. La lumière brillante qu’avait vue le gros devait être le reflet du faisceau de nos lampes sur ces cloches. Mais ces dernières n’étaient certainement pas en or car on pouvait voir, dans leurs fissures, une couche de patine (2). Je me dis qu’elles étaient probablement faites de laiton sur lequel on avait appliqué de la dorure, ce qui leur avait permis de conserver leur éclat.

Quoique très déçu de n’avoir pas trouvé d’arbre d’or, Gros-lard ne renonça pas pour autant. Il balaya l’endroit de sa lampe.

― Jeune Wu, tu crois que ce corail a de la valeur ?

J’avais déjà fait quelques recherches sur ce genre de choses, mais comme, un peu plus tôt, il s’était mal comporté, je décidai de le taquiner un peu :

― Désolé de jouer les rabat-joie, mais au vu de la qualité, le meilleur prix que tu puisses en tirer est huit yuans le kilo.

Sceptique, il posa la question à Poker-face qui lui fit comprendre par un signe de tête que j’avais raison.

― Putain, je pensais que j’allais enfin devenir riche et tout ce que je récolte, c’est du vent, dit-il, abattu.

J’eus un petit rire :

― Ne te décourage pas, Gros-lard. Ecoute, le corail n’a peut-être aucune valeur mais ce n’est pas le cas des cloches qui y sont accrochées.

― Je vois parfaitement ton sourire en coin. Ne dis pas n’importe quoi. J’ai déjà récupéré beaucoup de cloches fissurées de ce genre dans des tombes, mais elles ne valent pas plus de mille. Dans quel monde penses-tu qu’elles aient de la valeur ?

― Avec ton sens des affaires, il est évident que tu ne peux pas le voir, lui répondis-je. Pour être franc, je ne suis pas en mesure d’en estimer précisément la valeur, mais ça vaut certainement plus que son poids en or. Regarde les motifs sur ces cloches. Elles sont plus anciennes que la dynastie Ming et étaient même considérées comme des antiquités à l’époque. Tu vois ce que je veux dire ?

Abasourdi, Gros-lard ne savait pas s’il devait me croire ou non, mais cela m’était égal. Je restai silencieux, ravi de le voir en proie à un conflit intérieur. En fait, je n’étais pas sûr de l’origine de ces cloches, ce genre d’objets n’étant généralement pas très populaires dans le commerce des antiquités. La porcelaine et la poterie, en revanche, étaient les plus vendues. Les objets métalliques, susceptibles de rouiller, nécessitaient des conditions de stockage particulières et sur le plan technologique, les grands musées étaient les seuls à pouvoir se le permettre. Quelle que fût la fortune de sa famille, jamais personne n’aurait gaspillé son argent pour ça. De plus, les cloches étaient des objets métalliques relativement complexes, composés de nombreuses petites pièces. Il était très coûteux de les conserver dans de bonnes conditions et intégralement.

Le gros réfléchit un moment et ne me croyant toujours pas, il décida de casser une des branches de l’ « arbre » pour l’examiner. Mais avant qu’il n’ait pu le faire, Poker-face l’attrapa :

― Ne bouge pas.

Gros-lard, qui avait déjà un pied sur le bassin plein de cailloux, fut aussitôt tiré en arrière. Surpris, il demanda ce qu’il se passait, mais Poker-face fit celui qui n’avait pas entendu et se tourna vers moi :

― Te rappelles-tu avoir déjà vu ce genre de cloche quelque part ?

Notes explicatives :

(1) Le Kuomintang (alias le Parti nationaliste de Chine ou le Parti nationaliste chinois) est un parti politique majeur de la République de Chine tout au long de ses périodes historiques, tant en Chine continentale qu’à Taïwan. Après la révolution Xinhai de 1911 qui a renversé la dynastie Qin, le Parti national chinois a mené une lutte armée contre le Parti communiste chinois. Il a massacré des gens et utilisé la police secrète et les criminels pour s’occuper de ses rivaux politiques. Le Kuomintang s’est retiré à Taiwan en décembre 1949, fuyant l’Armée populaire de libération communiste.

(2) Film vert ou brun à la surface du bronze ou de métaux similaires, produit par l’oxydation sur une longue période.



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