Chapitre 28 – Le Fossé
Je repris conscience en toussant. Ma bouche et ma gorge étaient remplies de bile, et du sang coulait de mon nez. Il me fallut quelques minutes pour réaliser où j’étais et pourquoi je m’y trouvais. Il faisait trop sombre pour que je puisse voir quoi que ce soit, mais je pouvais sentir des pierres et du sable sous mon corps. Étais-je tombé dans un fossé que le pont en jade avait autrefois traversé ? S’il s’agissait de cela, j’avais de la chance qu’il soit sec et que les rochers soient plats et non pas tranchants.
Mon masque à gaz s’était brisé en quatre morceaux pendant inutilement de mon visage. Sans sa protection, je sentais la brûlure vive et acide du soufre, seulement, après quelques respirations, je remarquai à peine son odeur. Peut-être que Grande-Gueule avait tort au sujet de l’air toxique dans cet endroit.
En levant les yeux, j’apercevais les faisceaux des lampes-torches au-dessus de moi, peut-être à une hauteur de treize mètres. Je cru entendre de légers bruits, mais mes oreilles continuaient à bourdonner et je ne pouvais pas distinguer clairement si mes compagnons m’appelaient.
J’essayai de toutes mes forces de crier pour me faire entendre, toutefois lorsque j’ouvris la bouche, mon corps fut traverser par une douleur atroce depuis ma poitrine, je ne pouvais donc, tout au plus, qu’émettre de faibles gémissements. Ensuite, je pris un morceau de mon masque que j’utilisai pour frapper les rochers, espérant que cela signalerait à mes camarades que j’étais encore en vie. Le bruit résonna depuis le fond du fossé, avec de la chance, il remonterait jusqu’à la surface.
Soudain, quelque chose me frappa le bras, c’était une fusée de détresse lâchée d’en haut. En fixant mon attention, je remarquai le Gros penché sur le bord du pont. Je pris la fusée et je l’agitai, puis je levai les deux bras en réponse. Il jeta une corde qui pendit devant moi, et le Gros commença à descendre, son fusil à l’épaule.
Il me rejoignit en une minute et s’accroupit à côté de moi :
― Putain. Ça va ?
Ma voix faiblarde esquissa une réponse :
― Pourquoi tu n’essaies pas de faire ce que je viens de faire pour le découvrir par toi-même ?
― Si tu peux plaisanter, tu vas survivre, me dit-il, Hé, Grande-Gueule et Shunzi, descendez et apportez le matériel avec vous. Nous avons un homme blessé à soigner ici.
Ils glissèrent vers le bas, me soulevèrent et me posèrent sur un rocher plat. Puis Grande-Gueule sortit la trousse médicale et examina mes blessures :
― Pas d’os brisés, dit-il en bandant les coupures les plus importantes, Bon sang, je t’avais dit de ne pas sauter. Heureusement que ton heure n’est pas encore arrivée, autrement comment expliquerais-je ça à ton oncle ?
― De quoi tu parles ? Je m’étais déjà lancé quand tu m’as dit de m’arrêter. Devais-je faire marche arrière ?
Une douleur horrible éclata ensuite dans ma poitrine et je me tordis en silence.
― Ne bouge pas ! s’écria Grande-Gueule. Il me saisit et me tint immobile alors que j’essayais de me libérer en gémissant de douleur.
Gros-lard me tendit une bouteille d’eau :
― Tu as de la chance, tu sais. Tu aurais pu être paralysé après la chute, voire même être tué.
Je bus une gorgée d’eau et rinçai le sang de ma bouche :
― Qu’est-ce qui m’a frappé là-haut ?
― Le plus étrange oiseau que j’aie jamais vu, grand comme un homme avec une tête énorme. Ça ressemblait beaucoup à ce monstre chouette qui avait attrapé le Gros. J’ai tiré dessus, mais je l’ai manqué, dit Grande-Gueule.
― Ne trouvez-vous pas étrange que ces choses ne viennent pas nous chercher ici ? demanda Shunzi, Il n’y a rien en haut que je puisse voir maintenant. Est-ce possible qu’il y ait quelque chose de dangereux ici et qui n’ose pas descendre ?
― Pourquoi ne vais-je pas jeter un coup d’œil ? proposa le Gros, Si je tombe sur un problème potentiel, on remontera immédiatement. Vous autres restez ici. Jeune Wu, repose-toi, bon sang.
― Je vais jeter un œil de l’autre côté, dit Grande-Gueule, et les deux partirent dans des directions opposées.
Très vite, le Gros siffla :
― J’ai trouvé quelque chose.
Nous regardâmes dans sa direction, juste au-delà du faisceau de sa lampe, et nous pûmes voir une grande ombre noire, comme si de nombreuses personnes étaient rassemblées dans l’obscurité.
― Qu’est-ce que c’est ? cria Grande-Gueule en levant son fusil.
― Venez voir par vous-mêmes. Vous saurez, répondit Gros-lard.
― Vous pouvez marcher ? demanda Shunzi, vous voulez aller voir ce qu’il a découvert ?
J’acquiesçai tandis que Grande-Gueule et Shunzi m’aidaient à boitiller sur les rochers vers l’endroit où se tenait le Gros. Les ombres devenaient plus claires à mesure que nous nous approchions, puis nous vîmes, dans le fond du fossé, une tranchée d’un mètre de profondeur sur vingt mètres de large, remplie de statues d’hommes et de chevaux, grandeur nature et corrodées, serrées les unes contre les autres, certaines encore debout, d’autres en tas. Beaucoup de statues d’hommes tenaient dans leurs mains des éléments de bronze, comme s’il s’agissait d’une offrande.
― Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Shunzi.
― On dirait des statues sacrificielles, pour accueillir l’empereur et sa suite, mais pourquoi sont-elles ici ? N’auraient-elles pas dû être mises dans le palais souterrain ou la fosse sacrificielle ? J’étais tellement perdu que je bégayais, On ne peut pas mettre des objets sacrificiels à découvert comme ça, c’est interdit. Wang Canghai a construit cet endroit, il n’aurait jamais fait une chose pareille.
Le Gros tenait son fusil en position de tir alors qu’il descendait dans le fossé, illuminant une statue sans tête avec sa lampe :
― On dirait que ce sont des vêtements de la dynastie Yuan, des vêtements de minorités tribales. Il tendit la main pour toucher le tissu.
― Ne joue pas avec ça, prévins-je, cet endroit est sinistre. Il pourrait y avoir un piège quelque part.
― De quoi as-tu peur ? Ce n’est pas comme si ces choses allaient revenir à la vie, Mais mes mots eurent un certain effet. Il retira sa main. Puis en tapotant la statue avec la crosse de son fusil, il observa :
― C’est une pierre de taille, tout au long du processus.
Grande-Gueule descendit pour le rejoindre et je me sentis mal à l’aise :
― Faites attention, vous deux.
Gros-lard agita sa main avec mépris et essaya de soulever l’une des statues :
― Vous supposez que ces choses valent quelque chose ?
J’hochai la tête :
― Cher. Il y a des acheteurs pour même des fragments de ce genre de statues, sans parler de celles qui sont intactes. Une tête en terre cuite vaut à elle seule deux millions de dollars américains. Les têtes de chevaux sont encore plus précieuses, mais je ne peux pas vous dire combien.
― Merde, on ne pourra jamais les emporter. C’est dommage, se plaignit le Gros.
― La vraie question est pourquoi sont-elles ici ? Il doit y avoir une raison, dis-je, lorsque cet endroit fut construit, il y avait de l’eau dans ce fossé. Ces statues étaient submergées et personne ne pouvait les voir ni savoir qu’elles étaient là. Dans quel but avaient-elles été placées à cet endroit ? Étaient-elles en si mauvais état pour qu’elles soient jetées dans le fossé comme de vulgaires déchets ? Elles sont trop soigneusement disposées pour que cela soit le cas. »
― Regardez ! Avez-vous remarqué que les statues sont toutes tournées dans la même direction et sculptées pour donner l’impression qu’elles marchent ? Je n’ai jamais vu de statues sacrificielles comme celles-ci auparavant, s’exclama Gros-lard..
Je balayai le faisceau de ma lampe pour voir de quoi il parlait :
― Ces statues ressemblent toutes à des soldats, marchant ensemble. Et les chevaux aussi, ils se déplacent tous dans la même direction. Regardez les vêtements des hommes, ce sont des troupes de l’empereur.
Nous regardâmes dans la direction où ces statues marchaient. Elles formaient une longue file qui s’étendait loin dans l’obscurité. Qui pourrait dire quelle était leur destination ?