Chapitre 27 – Les Ordres d’oncle San
Alors que les bruits de pas et le craquement des carreaux brisés devinrent plus forts au-dessus de nous, Grande-Gueule et Gros-lard rechargèrent leurs fusils. Les quatre d’entre nous se rapprochèrent.
― Qu’est-ce qui se passe là-haut, Shunzi? demandai-je, Que devrions-nous faire?
― Je ne sais pas, répondit-il à voix basse.
― Alors pourquoi as-tu fait partir les autres? demanda Grande-Gueule.
― Je devais vous séparer de cet homme âgé et de sa bande. Ce n’est pas mon idée. Ce sont des ordres de votre oncle San.
Nous fixâmes tous Shunzi :
― Qui êtes-vous ? demanda Grande-Gueule.
― Ne posez pas autant de questions, je vais vous emmener voir le Maître San maintenant. Vous pourrez lui poser les questions vous-même, dit Shunzi.
― Mon oncle est-il ici, dans cette tombe, en ce moment ? demandai-je, le cœur serré.
Soudain, une volée de bruits de craquement résonna au-dessus de nous et des tuiles du toit, comme des grêlons, commencèrent à tomber. En pointant nos lampes torches vers le haut, nous vîmes bouger d’innombrables ombres.
Shunzi murmura :
― Vos coups de feu ont résonné au-delà de la forêt d’arbres morts jusqu’aux sources chaudes. Tout ce qui y est vivant s’est précipité ici pour voir ce qu’il peut trouver.
― Alors pourquoi ne fuyons-nous pas nous aussi ? Allons-nous attendre de mourir dans cet endroit ? demanda Grande-Gueule.
― Attendez que les autres gars se soient un peu plus éloignés, répondit Shunzi, regardant vers la direction où nous avions vu pour la dernière fois le dos de Chen Pi et de ses hommes. Quelques minutes plus tard, il chuchota :
― Il est temps d’y aller, alors qu’il nous conduisait dans le hall du palais.
Plus loin sur le Chemin sacré, nous pûmes voir un deuxième hall, juste au-delà d’un long pont voûté en jade blanc parfait, d’au moins vingt et un mètres de long et dont chaque côté était orné de sculptures de deux dragons enroulés. À mesure que nous nous approchions, une forte rafale de vent nous frappa et nous nous jetâmes au sol pour nous protéger. Le Gros tira dans le vide, sur rien que nous ne puissions voir, et nous entendîmes un léger sifflement dans l’obscurité derrière nous.
Nous courûmes vers le pont, sentant quelque chose planer au-dessus de nos têtes. Le Gros continua à tirer en l’air tout en courant. Lorsque nos pieds touchèrent le jade blanc, je senti quelque chose sur mon dos, ce qui me fit tomber, et je fis deux roulades avant de reprendre mon équilibre. Le Gros visa et tira, et immédiatement je senti un poids tomber de mes épaules.
Nous nous retournâmes et aperçûmes une ombre noire se débattre pour se relever. Grande-Gueule leva son fusil et coupa la chose en deux d’un seul coup. Gros-lard vida un long chargeur dans les airs et la lumière des balles fit apparaître des ombres sombres regroupées au-dessus de nous.
― Qu’elles sont ces choses ? criai-je.
― Elles sont trop nombreuses et forment comme un essaim, je n’arrive même pas à en distinguer une seule. Où allons-nous ? cria Grande-Gueule, où est le Maître San ?
― Votre Maître San devrait vous attendre au palais souterrain, déclara Shunzi.
― Le Palais souterrain ? Gros-lard tira à nouveau et quelque chose tomba en criant, C’est parfait. Ça clarifie tout. Où est l’entrée de ce mystérieux palais ?
― Je ne sais pas.
― Tu ne sais pas, mais tu as dit que tu allais nous y amener. Cette tombe impériale est immense. Comment allons-nous trouver ce fichu palais ?
Shunzi se tourna vers moi :
― Votre oncle a dit que c’est l’endroit où se trouve la Tortue Noire et que vous sauriez instantanément de quoi il s’agit pour trouver l’entrée du palais. Réfléchissez. Avez-vous une idée de ce qu’il voulait dire ?
J’étais abasourdi. L’emplacement de la Tortue Noire était considéré comme une plaisanterie n’existant pas vraiment. C’était l’endroit qui avait le pire feng shui au monde :
― A-t-il vraiment dit ça ? demandai-je, A-t-il dit autre chose ?
― Rien d’autre. Votre oncle semblait se cacher de quelqu’un, donc il était pressé. Il avait planifié que je vous aide dans le village, que je vous amène dans les montagnes et que je vous transmette son message au bon moment.
Je me tenais là à écouter ce qu’il disait, me sentant abasourdi. Si c’était vraiment l’endroit où se trouvait la Tortue Noire, la mise en terre ici causerait la disparition des descendants du défunt. Y avait-il vraiment autant d’animosité entre Wang Canghai et l’Empereur Wannu ? Pourtant, selon Chen Pi, le feng shui en ce lieu était censé être superbe. Pourquoi alors la Tortue Noire s’y trouverait ?
Gros-lard en savait aussi quelque chose, beaucoup plus que moi, et il interrompit en disant :
― N’importe quoi. Comment cela pourrait-il être possible ? Tout le monde connaît l’expression « La Tortue Noire rejette le corps ». Le Palais Mystérieux de la tombe impériale ne peut absolument pas être situé là où se trouve la Tortue Noire.
Grande-Gueule tira une autre salve, repoussant les objets qui arrivaient vers nous :
― Ce n’est pas entièrement impossible, dit-il, le feng shui ne s’applique qu’aux humains. Ne vous souvenez-vous pas de ce que ce moine a dit ? Le corps enterré ici n’est pas humain. Peut-être que les étranges anomalies dans cette tombe sont dues à cela.
Je savais qu’il ne parlait qu’en l’air. Même si Hua avait dit que le poisson en bronze révélait que l’empereur Wannu était un monstre infernal, je ne pensais pas que cela puisse être pris au pied de la lettre. Nous ne connaîtrions l’histoire complète qu’après avoir décrypté les deux poissons que j’avais en ma possession.
― Si tu ne sais rien, alors ne fais pas semblant de savoir, dit le Gros, énervé, c’est un chien qui est enterré ici si ce n’est pas un homme ? Peu importe ce qui se trouve dans cette tombe, on ne choisirait pas un endroit avec un mauvais feng shui pour son cercueil. D’ailleurs, regardez bien la taille de cet endroit. C’est une vraie ville. Pourquoi un mausolée d’une telle grandeur serait-il construit pour un monstre ?
Grande-Gueule n’était pas aussi instruit que Gros-lard et était déconcerté. Il resta silencieux, l’air contrit.
― Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais tout cela me semble absurde, dit Shunzi, Que voulait vraiment dire Maître San ? Qui sait ? Parlez ! Nous perdons du temps ici.
― Cela n’est pas facile à expliquer, répondit le Gros, N’avez-vous jamais entendu parler du Livre des Sépultures ? Savez-vous ce que cela signifie quand il mentionne que la terre a quatre types de terrain et que le temps suit huit directions : les quatre animaux célestes plus le Dragon Vert à gauche, le Tigre Blanc à droite, le Phoenix Rouge devant et la Tortue Noire à l’arrière ? L’emplacement de la Tortue Noire se trouve à l’arrière. Le rejet du corps signifie qu’il n’y a pas de corps ici. Si l’on met cela ensemble, on obtient qu’il n’y a pas de cadavre à l’arrière. Est-ce assez clair ? Le corps est à l’avant !
― L’échelle du devant est un peu large, n’est-ce pas? demanda Shunzi, De quelle devant parlons-nous ? Nous ne pourrons pas trouver l’entrée avec seulement cette information.
― Le Gros baratine, lui assurai-je, Personne n’interpréterait le Livre des Sépultures de cette façon. Etant donné l’oncle San n’a pas révélé directement la position de l’entrée de la Salle Mystérieuse, c’est parce qu’une simple description ne suffirait pas à transmettre l’emplacement. Nous ne pouvons pas interpréter ce qu’il a dit de manière littérale. Faire des suppositions comme celles-ci, le Gros, ne sert à rien.
― Quelles idées as-tu alors? demanda le Gros, clairement contrarié.
― Je n’en ai aucune pour le moment, je dois y réfléchir d’abord. Mon oncle est un maître des codes et des chiffres anciens, c’est dans cette direction que nous devons chercher. Et comme il pensait que je pouvais le comprendre, cela ne peut pas être trop compliqué. Cependant, je n’ai pas le temps de m’asseoir et d’y réfléchir, n’est-ce pas ?
Pendant que nous discutions, nous nous étions approchés de la fin du pont de jade. Bientôt, nous atteindrions la place de la tombe impériale. Dans l’obscurité, nous pouvions voir vaguement deux monuments érigés côte à côte à l’extrémité du pont. Les deux mesuraient environ dix mètres de haut, l’un des deux était brisé. Sous les monuments se trouvaient deux grandes tortues en pierre noire, et non loin derrière une ombre imposante.
Je savais que les monuments étaient les bornes frontières du mausolée. Derrière eux se trouvaient les marches de Longévité qui menaient à la salle de la Résurrection, qui était également la porte vers le monde des morts.
Les bornes représentaient la limite absolue entre le monde des vivants et celui des défunts. Les gardiens de la tombe eux-mêmes étaient incapables de franchir cette frontière. Depuis des milliers d’années, personne n’avait exploré la zone située au-delà de la tombe impériale scellée. Lorsque j’ai aperçu les bornes, j’ai immédiatement pressenti que quelque chose d’inquiétant se cachait dans l’ombre imposante qui se dessinait derrière les monuments.
Gros-lard, qui était en tête, s’arrêta tout d’un coup et tendit les deux bras pour nous empêcher d’aller plus loin. Je vins à ses côtés et je remarquai que la fin du pont s’était effondrée. Entre l’endroit où nous étions et les bornes du mausolée, il y avait un abîme noir d’environ quatre mètres de large.
― Que devrions-nous faire? Je regardai Grande-Gueule.
Il plissa le front et grogna :
― A ton avis ! On saute de l’autre côté, un par un. Allons-y !
Le Gros avait déjà remis son arme à Shunzi. Il recula de quelques pas, courut vers le bord et sauta par-dessus le gouffre. Shunzi suivit et Grande-Gueule me cria :
― C’est à votre tour maintenant, je viendrai après vous.
Merde, je ne suis pas un athlète , pensai-je, mais au moins si je meurs, ce sera une mort rapide. J’avalai ma salive, reculai, commençai à courir, et ensuite j’entendis Grande-Gueule me prévenir :
― Non, arrête !
Il était trop tard, j’étais dans le vide. En me retournant sur Grande Gueule, je vis une grande ombre noire fondre sur moi, agrippant ma chemise avec ses serres. Elle me projeta contre le côté de l’abîme, puis relâcha son emprise et je tombai dans le gouffre.
Mon esprit se mit au ralenti. Le Gros se précipita, essayant de m’attraper pendant que je tombais, et je senti sa main effleurer mon cou sans pouvoir parvenir à me saisir. Grande-Gueule pointa son fusil et tira trois coups au-dessus de ma tête. Puis je les perdis tous les deux de vue alors que je tombais dans l’obscurité. En quelques secondes, mon visage heurta le sol avec force et je senti chaque os de mon corps se remplir de douleur. Mes oreilles bourdonnaient et je perdis connaissance.