Chapitre 20 – Le couloir de pierre
Toute mon attention étant concentrée sur le cercueil, je n’avais guère prêté attention à la jarre de porcelaine. Je reculai aussitôt de quelques pas tandis qu’elle vacillait, roulait plusieurs fois, changeait de direction, puis roulait vers la porte de pierre menant au passage extérieur. Là, elle heurta avec grand fracas l’encadrement et s’arrêta brusquement.
Nous nous regardâmes, médusés. Gros-lard avait-il eu raison de croire qu’il pouvait y avoir un zombie à l’intérieur ?
Nous restâmes un moment figés, n’osant pas nous approcher imprudemment.
― Cette jarre est vraiment bizarre, les gars, chuchota le gros. Pourquoi n’essaierions-nous pas de tirer quelques lances dessus ?
Je n’étais, bien sûr, pas d’accord.
― Tu n’oserais pas ! Trouve d’abord ce que c’est !
Plusieurs raisons motivaient ma réaction. Tout d’abord, j’avais noté au passage que cette grande jarre datait des dynasties Yuan et Ming, ce qui laissait à penser qu’il s’agissait certainement d’un trésor. Il n’y avait plus beaucoup de jarres de cette taille dans le monde, aussi n’aurait-il pas été judicieux de briser celle-ci. Ensuite, j’ignorais ce qui se cachait à l’intérieur. Si, comme l’avait dit Gros-lard, il s’agissait d’un zombie, nous n’aurions d’autre choix que de le combattre. J’avais dépensé tant d’énergie à nager sous l’eau que j’étais certain de ne plus être en mesure de fuir.
Mais pour l’heure, nous nous trouvions dans une antique tombe sous-marine, à plus de dix mètres sous la surface. Je ne savais combien de temps nous aurions de l’air. Si cette impasse perdurait, tout cela serait inutile. Tout mon corps était en nage sous l’effet de l’anxiété et la décision d’attaquer ou de battre en retraite était si difficile que je ne parvenais pas à faire un choix.
― Nous n’avons aucune certitude qu’il y ait vraiment un zombie à l’intérieur. Cet endroit étant raccordé à la mer, il est possible qu’il s’agisse de crabes ou de homards. Inutile de nous faire peur. Allons juste jeter un coup d’œil, dis le gros, voyant que j’hésitais.
A Ning secoua la tête :
― Notre objectif principal est d’accéder à la chambre funéraire principale. Ne perdons pas de temps en chemin. Je pense qu’il est préférable de l’éviter et de voir s’il y a d’autres moyens de sortir d’ici.
Devant cette alternative, je m’empressai d’examiner plus attentivement la chambre auriculaire, mais hélas, un seul regard suffisait pour se rendre à l’évidence : il n’y avait pas d’autre porte ni même de trou dans lequel nous aurions pu nous faufiler.
― Il nous reste deux solutions : déplacer cette céramique ou faire demi-tour, intervint Gros-lard qui n’en pouvait plus. Mais je tiens à vous dire qu’au point où nous en sommes, ne comptez pas sur moi, Gros Wang, pour me laisser effrayer par une jarre !
Je jetai un coup d’œil à A Ning : elle aussi semblait très déterminée. Zhang, toujours aussi hésitant, ne disait pas un mot. Tous trois me regardèrent simultanément, comme pour solliciter mon avis.
Je n’avais toujours pas pris de décision. En effet, se précipiter là-bas n’était pas une bonne idée, mais Gros-lard avait marqué un point. Si cette tombe recelait de choses effrayantes, nous finirions par réaliser qu’il ne s’agissait que de nos propres craintes. Je regardai A Ning dans les yeux et sentis mon cœur s’adoucir.
― Ok, leur dis-je, un pas à la fois. Si ce truc reste tranquille, nous ne lui ferons rien. Mais si ce n’est pas le cas, alors c’est quatre contre un. Avec nos quatre fusils à harpon, nous n’avons rien à craindre !
Le gros me tapota l’épaule d’un air approbateur. Je sortis mon fusil, ôtai la sécurité et le pointai vers la jarre pendant qu’il prenait la tête. Puis, tous les quatre, nous avançâmes avec prudence vers la porte.
Je n’étais pas particulièrement effrayé, juste un peu nerveux. Il était regrettable que ma combinaison de plongée ne puisse pas absorber la sueur, car elle commençait à être extrêmement inconfortable.
Nous étions presque assez près pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur de la jarre lorsqu’il y eut un bruit soudain, après quoi elle se mit à tournoyer rapidement sur elle-même. Le sang me monta à la tête et je faillis appuyer sur la gâchette.
Gros-lard recula de deux pas avec agilité et nous fit signe de ne pas bouger. La jarre se remit alors à rouler, mais cette fois en arc de cercle avant de se frayer un chemin dans le sombre couloir. Nous l’entendîmes rouler ainsi un long moment, puis il y eut un “clang”, comme si elle avait à nouveau heurté quelque chose, et plus rien.
Nous décidâmes aussitôt d’aller voir. Comme il faisait nuit noire dans le tunnel, j’allumai ma lampe torche et remarquai que les murs étaient faits de blocs de marbre blanc. Le passage, en lui-même, était très simple et ne présentait rien de notable, si ce n’était deux tranchées de part et d’autre du sol de pierre et dans lesquelles étaient disposées des lanternes espacées d’un mètre l’une de l’autre. Dans l’Antiquité, ces tranchées étaient remplies d’huile que l’on pouvait enflammer afin d’éclairer la tombe. À l’autre bout du couloir se trouvait une porte de jade, flanquée, de chaque côté, d’une autre légèrement plus petite. Le fait qu’elles soient ouvertes laissait supposer que quelqu’un était passé avant nous. La jarre s’était arrêtée sur le seuil de la petite porte de gauche et ne bougeait pas.
Cette fois, je fus bien obligé de penser que quelque chose d’étrange se passait. D’après le comportement de cette jarre, on aurait presque dit qu’elle faisait tout son possible pour nous montrer le chemin sans nous dire ouvertement Suivez-moi . Ce devait être un acte conscient, ce qui signifiait que la chose à l’intérieur n’était peut-être pas un zombie mais un fantôme.
J’observai Zhang le Chauve sans pouvoir dire s’il était nerveux ou effrayé. Je décidai alors de faire part aux autres de ma théorie pour avoir leur avis. Gros Lard, l’ayant écoutée, dut admettre que c’était logique. Il poussa un gros soupir :
― Ton idée semble raisonnable. J’étais précisément en train de me dire, moi aussi, que cette chose roulait trop facilement, presque comme une boule de bowling.
En mon for intérieur, j’eus un sourire amer. Le gros, qui avait remarqué que j’étais un peu confus quant à la situation, me dit :
― Au point où nous sommes, n’hésitons pas. Nous allons la suivre jusqu’au bout et voir où elle veut en venir. De toute façon, quoi que nous décidions, le résultat sera le même.
Tout le monde acquiesça. Le gros me tapa alors sur l’épaule : Les passages de pierre nue comme celui-ci cachent généralement des pièges. Frère Wu, pourrais-tu jeter un coup d’œil et nous dire si tu aperçois quelque chose ?
Sachant que c’était là ma responsabilité, j’approuvai de la tête et dirigeai ma lampe vers le sol. Celui-ci était constitué de petits carreaux de pierre, ce qui m’amenait à penser qu’il dissimulait un piège à arbalète. S’il y avait des pièges ici, peut-être avaient-ils déjà été détruits ou déclenchés depuis le passage d’Oncle San. Mais dans le cas contraire, cela risquait de poser problème. Les ayant avertis du danger, j’ajustai mon sac à dos et avançai le premier.
Pour éviter les pièges, mieux valait raser les murs, mais comme il faisait trop sombre pour que je puisse voir ce que contenaient les deux tranchées de chaque côté du couloir, nous n’avions d’autre choix que de les longer.
Je recommandai aux autres de concentrer toute leur attention sur la sensation sous leurs pieds, mais pour tout dire, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il fallait chercher. Le placement des pieds, le poids à mettre et la vitesse de déplacement étaient des facteurs importants que l’on ne pouvait vraiment maîtriser qu’avec de l’expérience, ce dont je ne disposais pas. Plus j’avançais, plus je sentais monter la panique.
Je n’avais pas fait dix pas dans ces conditions éprouvantes que déjà, j’étais couvert de sueurs froides. Les autres, qui me suivaient et qui voyaient bien à quel point j’étais nerveux, commencèrent eux aussi à s’inquiéter.
― On dirait que ce travail d’inspection n’est pas facile, dit Gros-lard. Si tu es trop fatigué, mon jeune ami, on pourrait faire une pause…
Je n’avais pas le temps d’argumenter avec lui.
― Pas un mot, lui dis-je. Si je me laisse distraire, nous allons tous mourir.
Je n’avais pas plutôt prononcé ces mots que je sentis une vibration. Je me retournai et vis A Ning qui me regardait, paniquée. Une dalle venait de s’enfoncer sous son pied.
Dépité, je soupirai : Nous sommes fichus, Comment pouvons-nous être aussi malchanceux ? Nous allons nous faire cribler de flèches au point que nous aurons l’air de hérissons. J’entendis un sifflement au moment même où un carreau d’arbalète passait devant l’oreille de A Ning et avant même que nous n’ayons eu le temps de réagir, un second vola droit vers sa poitrine.
Les flèches fusaient à la vitesse de l’éclair. Mais brusquement, je vis changer le visage de la jeune femme. En une fraction de seconde, elle se retourna et saisit le projectile en plein vol. Cela se passa si vite que je n’eus pas même le temps de percevoir son ombre.
Je fus surpris par son habileté, mais la situation ne me laissa pas le temps d’y réfléchir. Je sentis une série de vibrations sous mes pieds.
― Baissez-vous ! criai-je. Il y a d’autres arbalètes !
Plus d’une dizaine de lumières blanches fusèrent dans les airs. Alors que je baissai précipitamment la tête pour en esquiver une, je vis, à quelque distance de là, un truc couvert de cheveux blancs ramper hors de la jarre et disparaître par la porte de pierre sur la gauche. J’étais sur le point d’avertir les autres lorsque soudain, je ressentis une douleur aiguë à la poitrine. Je baissai les yeux… Merde ! Deux carreaux d’arbalètes s’étaient fichés dans mon torse sur une profondeur de deux ou trois centimètres et je ne les avais pas vus venir !