Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 11 – La Tête humaine
Chapitre 10 – Le saumon de Sibérie Menu Chapitre 12 – Coup pour coup

Depuis que nous étions entrés dans les montagnes, nous n’avions mangé que des rations sèches. Nous avions bien eu quelques plats de viande que le guide nous avait donnés, mais ceux-ci nous avaient été volés par les singes après quelques bouchées seulement. Évidemment, j’avais toujours envie de vraie nourriture et même si j’avais dit à Lao Yang que je ne toucherais pas à ce poisson, au fond de moi, j’étais un peu intéressé. En fait, je m’étais mis à repenser à ce moment où, en mer, nous avions dégusté une soupe de têtes de poisson.

Mais ce satané couteau brisa mes rêves. La vue de cette tête ensanglantée couverte d’acide gastrique vint se superposer à ce souvenir de soupe et pris de nausée, je faillis vomir.

Lao Yang, qui avait vu beaucoup de morts dans sa vie, était, d’habitude, assez audacieux, mais à la vue de ce spectacle, il pâlit et resta un long moment figé.

Luttant contre ma nausée, je retournai la tête avec mon couteau et vis que la peau de ce visage était légèrement fondue. La tête, en revanche, était intacte. Cela ne devait pas faire longtemps que l’animal l’avait avalée. Elle présentait une légère déformation au niveau de la mâchoire inférieure, sans doute liée au fait que le poisson l’avait un peu mâchée. Le visage était dans un tel état qu’il était impossible de l’identifier.

Le fait qu’elle ne soit pas restée longtemps dans l’estomac du saumon laissait à penser que la personne n’était morte que depuis peu.

Je me couvris le nez d’une main et de l’autre, piquai les autres objets sortis de l’estomac du poisson dans l’espoir de retrouver le reste du corps. Il ne me fallut pas longtemps avant de tomber sur une main et quelques morceaux de chair, tous déjà partiellement digérés. Malheureusement, rien ne nous permettait de tenter d’identifier cette personne.

En continuant à fouiller, je découvris l’autre moitié de nos sacs à dos. Comme les articles qu’ils contenaient étaient mélangés aux résidus de nourriture présents dans l’estomac du poisson, je mis de côté les choses dont nous ne pouvions vraiment pas nous passer et jetai les autres. Même si toutes nos rations sèches étaient hermétiquement emballées dans du plastique, je ne pouvais me convaincre de les manger.

Soudain, j’aperçus parmi la masse pulpeuse quelque chose de noir. Avant même que j’aie eu le temps de l’en retirer, Lao Yang s’écria :

― Putain, c’est un shotti !

Ne sachant pas ce qu’était un « shotti » (1), je me dis qu’il s’agissait de l’un de ces termes absurdes qu’il avait appris en prison. Lorsqu’enfin je parvins à l’extraire, je vis qu’il s’agissait d’une arme artisanale. Elle ressemblait à un fusil de chasse modifié, de petit calibre, à double canon scié et avec une crosse de pistolet. Si ses deux canons permettaient de tirer deux coups, les cartouches vides ne s’éjectaient pas automatiquement. Il fallait les retirer manuellement. Une arme comme celle-ci pouvait être utilisée contre de petites bêtes sans grande puissance d’attaque, mais face à une grosse, si les deux premiers tirs échouaient, vous auriez le cou arraché avant même d’avoir fini de recharger. Si cette arme était puissante à courte portée, d’un point de vue pratique, elle ne pouvait être comparée à un vrai pistolet.

Je la sortis, l’essuyai sur le sol et ouvris la chambre. À l’intérieur se trouvaient deux cartouches de fusil de chasse et sous le canon, une boîte en fer qui en contenait huit autres. Quatre bleues et quatre rouges, mais je ne savais pas à quoi correspondaient ces couleurs.

Cette personne était peut-être venue dans les montagnes pour braconner et était malencontreusement tombée sur ce trou. Elle aurait voulu s’y aventurer pour jeter un coup d’œil et aurait été dévorée par le poisson. Peut-être l’animal avait-il avalé l’arme en arrachant des morceaux de chair. Ah, cet homme n’avait vraiment pas eu de chance ! Qui aurait pu penser qu’il puisse y avoir, dans un endroit pareil, un énorme poisson carnivore ?

Il fallait tout de même voir le bon côté des choses. Une arme à feu pouvait toujours nous sauver la vie en cas d’urgence. Mais malheureusement, il n’y avait que quelques balles. Après que Lao Yang ait sorti notre équipement, nous fouillâmes encore un peu le ventre du poisson, sans rien trouver d’autre. En examinant son corps, je vis, en plus des blessures que nous lui avions infligées, quelques minuscules perforations causées par des balles. Le poisson avait été blessé avant de nous attaquer, mais les balles de fer étaient trop petites pour être mortelles.

Lao Yang jeta un nouveau regard surpris sur l’animal :

― Vieux Wu, comment crois-tu qu’un poisson aussi meurtrier soit arrivé jusqu’ici ? Crois-tu que quelqu’un l’y a élevé ?

― Non, je pense qu’il y a d’autres cours d’eau sous la surface. Ils sont probablement reliés à une rivière souterraine voisine, elle-même reliée à la rivière Jialing. Ce poisson a dû nager jusqu’ici.

― Impossible, dit Lao Yang, les équipements de plongée n’existaient pas il y a des milliers d’années. Comment aurait-on pu creuser ces passages sous-marins ?

Voyant qu’il semblait intéressé, je lui expliquai :

― Ils n’ont pas été creusés. Je suppose qu’ils ont été causés par une sorte d’accident.

Lorsque nous étudiions l’architecture, nous devions suivre un cours de sciences naturelles portant sur les structures géologiques. L’un des cours mentionnait que lorsque les montagnes rocheuses se formaient à l’ère archéozoïque, des zones creuses, appelées digues, se créaient souvent dans la roche. Si une digue était reliée d’une manière ou d’une autre à un ruisseau de montagne, il était possible qu’un réseau d’eau se forme à l’intérieur. Si, lors de l’extraction des pierres, on affectait l’un de ces endroits, un accident majeur aurait pu se produire. Un petit ruisseau aurait pu emporter quelques tunnels miniers, mais un grand aurait inondé toute l’exploitation.

S’agissant d’une grotte de carrière, il n’était pas nécessaire de creuser des tunnels de drainage, si bien que l’endroit avait fini par être inondé. C’était probablement l’explication la plus plausible.

Mais si c’était vrai, nous pourrions également en déduire que cette grotte de carrière était beaucoup plus vaste que ce que nous avions vu jusqu’à présent. Cependant, comme elle était submergée par une grande quantité d’eau, il était impossible d’en déterminer la taille. Cela dit, pour avoir utilisé tant de pierres, il était évident que la tombe antique que nous recherchions n’était pas petite.

Nous poussâmes dans l’eau la carcasse de poisson et la tête humaine, mais la mauvaise odeur persistait. Nous prîmes une courte pause, puis vérifiâmes si nos vêtements étaient bientôt secs. Comme c’était le cas, nous nous habillâmes, fourrâmes dans nos poches tout ce dont nous avions besoin et partîmes sans tarder.

Lao Yang alluma sa lampe torche et me précéda sur le chemin de pierre que nous avions repéré.

Le passage était sombre lui aussi, mais à la lumière de nos lampes, nous vîmes, couchées sur le chemin, des statues de pierre représentant des humains et des animaux. On pouvait également voir, de part et d’autre des parois, des fissures et de temps à autre, des sculptures en relief partiellement achevées taillées dans la pierre.

Ces objets étaient si grands que je ne pus m’empêcher de me demander comment on avait pu transporter ces pierres jusqu’au tombeau.

D’après les informations que m’avait données Grand-père Qi, le Royaume du Serpent ne disposait que d’un territoire restreint dont une grande partie était couverte de montagnes. Les gens vivaient principalement de la chasse et leur productivité était relativement peu développée, de sorte qu’il leur aurait été impossible de transporter des pierres sur une longue distance. Ils avaient dû construire la tombe assez près de chez eux.

Le trou par lequel nous venions de pénétrer avait été créé au moyen d’explosifs par des pilleurs de tombes. La véritable sortie de la grotte devait donc se trouver de l’autre côté. Devait-on en déduire que ce passage menait jusqu’à l’entrée du palais souterrain ?

Cela dit, bon nombre de gens préparaient délibérément les matériaux très loin de la tombe afin d’en dissimuler l’emplacement.  Si tel était le cas ici, cela échappait entièrement à notre contrôle.

Nous marchâmes durant une demi-heure. Devant et derrière nous, c’était la nuit noire. La lampe de Lao Yang se mit à vaciller, la pile commençant à faiblir. Me sentant fatigué, je lui demandai de faire une halte, le temps pour lui de changer la pile et pour moi, de fumer une cigarette pour me requinquer.

Nous nous assîmes sur le sol et posâmes nos lampes torche dont les faisceaux éclairaient ces figures de pierre :

― Ces statues sont si réalistes qu’elles sont un peu effrayantes, dit Lao Yang. De quelle dynastie penses-tu qu’elles datent ? Je n’en ai pas la moindre idée.

J’étais aussi désemparé que lui. Les sculptures chinoises en céramique et en pierre avaient une longue histoire, grandement influencée, au fil des ans, par les antiques cultures indienne et tibétaine. Mais pour autant que je m’en souvienne, la technique de sculpture qui s’attachait à représenter le réalisme du sujet n’avait été vue qu’une seule fois : l’armée de terre cuite du tombeau de Qin Shi Huang. Cela dit, les statues de pierre que nous avions découvertes n’avaient rien à voir avec celles de cette armée. Elles étaient d’un genre complètement différent.

Toutes étaient gravées d’un signe distinctif représentant un serpent à deux corps. Cela laissait supposer qu’elles relevaient de la culture de l’antique peuple She. Peu nous importait à présent de savoir si cette carrière faisait partie du tombeau que nous recherchions, car une chose était sûre : nous étions entrés dans le royaume de l’antique serpent.

Pendant que je fumais, Lao Yang ne cessait de me poser des questions. Las de lui répondre, je le priai de ne plus rien me demander.  Après tout, je n’étais pas un archéologue. Les gens comme nous se contentaient de dérober les objets présents dans les tombes et laissaient l’étude aux vieux professeurs.

La pile remplacée, nous reprîmes notre marche. Mais nous n’avions pas fait dix pas que le faisceau de notre lampe se réfléchit sur un mur de pierre dressé devant nous. Ce devait être la fin du tunnel. Nous nous précipitâmes et vîmes que le passage donnait sur une petite salle comportant de nombreuses statues étêtées et brisées. Des lampes de pierre avaient été placées tout le long des murs et au milieu de la pièce trônait un grand sarcophage au couvercle orné d’un serpent à double corps.

Finement sculptés, ses deux corps s’enroulaient autour des deux côtés du sarcophage, mais manifestement, les queues n’étaient pas terminées. On n’en voyait que vaguement les contours.

Lorsque nos faisceaux tombèrent sur le cercueil, nous vîmes qu’il était fait d’une pierre d’un blanc translucide semblable à de la graisse figée. Le couvercle semblait ouvert et laissait voir un interstice de l’épaisseur d’un bras. Le cercueil reposait sur un lit funéraire, sans rien autour.

Il était probablement destiné à quelqu’un supposé être enterré avec le propriétaire de la tombe, à moins qu’il n’ait été laissé là lors de funérailles. Il était également possible qu’il s’agisse d’un cercueil supplémentaire sculpté puis abandonné là.

Je me demandai pourquoi un si long tunnel de pierre pour arriver là. Ce n’était sûrement pas un cul-de-sac. Cet endroit servait manifestement de dépôt où les produits défectueux étaient empilés et n’avait pas de sortie. Mais si tel était le cas, cela voulait dire que les deux extrémités de ce passage étaient fermées. Était-il possible que le chemin par lequel on transportait les pierres soit situé sous le niveau du cours d’eau que nous avions traversé plus tôt ? À moins qu’il n’y ait, dans cette salle, un passage secret ?

Si la sortie est sous l’eau, ça va être un problème, pensai-je.

Après avoir tout examiné sans remarquer quoi que ce fût d’étrange, nous nous dirigeâmes vers le sarcophage. Comme c’était la première fois que Lao Yang voyait un cercueil, il était très curieux. Il en fit deux fois le tour.

― Tu crois qu’il y a un zombie là-dedans ?

Je n’eus pas à réfléchir pour répondre à cette question.

― Non, je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un ait été placé dans un cercueil à moitié sculpté. Il doit être vide.

Il pointa sa lampe dans l’espace ouvert et se pencha pour regarder de plus près :

― Mais… on dirait qu’il y a quelque chose dedans. Si tu ne me crois pas, viens jeter un coup d’œil.

Je m’approchai et de loin, regardai l’ouverture. Il y avait bien une ombre noire allongée à l’intérieur du cercueil, mais j’aurais été incapable de dire ce que c’était.

Lao Yang souffla la poussière qui recouvrait le couvercle, frappa dessus puis tenta de mettre sa lampe torche dans l’interstice pour mieux voir, seulement, elle ne passait pas. Après de nombreuses tentatives, il s’interrompit

― Veux-tu l’ouvrir et voir ce qu’il y a dedans ?

Je ne savais pas vraiment. À chaque fois que j’avais ouvert des cercueils, il y avait toujours des vétérans avec moi. Mais cette fois, j’étais seul. Ne me sentant pas très confiant, je secouai la tête :

― Quelque chose ne va pas. J’ai un mauvais pressentiment. Ne l’ouvrons pas trop vite.

Je n’avais pas fini de parler que Lao Yang, brusquement, recula. Il trébucha et tomba assis sur son derrière tandis que sa lampe lui échappait et roulait au loin.

Surpris par sa réaction, je voulus lui demander ce qu’il faisait lorsque soudain, je ressentis une sensation de froid sur ma main. Je baissai les yeux et vis une main livide et sèche qui, sortie de l’ouverture du cercueil, se refermait fermement sur mon poignet.

Note explicative :

  1. Shotti est un terme de rue (ou de gang) pour désigner les fusils à pompe en remplacement du terme original 拍子撩 (“paizi liao”).



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