Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 07 – Le Ravin Étroit
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Le lendemain après-midi, après un trek de cinq heures pour contourner la montagne de la Tête de Serpent, nous arrivâmes au premier petit village situé à sa base. Nous remerciâmes chaleureusement le secrétaire qui nous avait amenés là, après quoi, arrivés à l’entrée, nous nous séparâmes du groupe. Lao Yang étant déjà venu, il m’emmena à la recherche de la maison où il avait séjourné la fois précédente.

Construit sur une montagne escarpée, ce village, comme en témoignaient ses maisons édifiées dans le style des dynasties Ming et Qing (1), était vieux de plusieurs centaines d’années. La route qui le traversait était pavée de dalles de pierre bleue, inclinées vers le haut pour suivre la pente raide de la montagne. De ce fait, les fondations des maisons situées tout au bout du chemin étaient plus hautes de cent mètres que celles situées à l’autre extrémité. Un fossé dans lequel passait un ruisseau de montagne longeait la route et il y avait de la mousse verte partout. Tout en marchant, je regardai autour de moi et constatai que les murs de nombreuses maisons étaient faits d’un mélange de briques provenant de tombes de différentes époques. Cela semblait être une pratique courante dans les temps anciens.

Nous achetâmes de la nourriture sèche à la famille chez qui Lao Yang avait séjourné, prîmes un bain dans le ruisseau près de leur maison, puis lavâmes nos vêtements. En attendant qu’ils sèchent, nous nous assîmes, en sous-vêtements, au bord du cours d’eau et discutâmes de ce que nous allions faire.

Il était à la fois impossible et inutile de tenter de rattraper ce groupe de cinq, d’autant plus que nous avions réussi à traverser la montagne. Nous allions à présent devoir nous fier à la prétendue marque de Lao Yang pour retrouver l’endroit où il s’était rendu trois ans plus tôt.

Lorsque je lui demandai quelle marque il avait faite et pourquoi il était si sûr de pouvoir la retrouver, ce dernier m’expliqua que pour atteindre la fosse sacrificielle qu’il avait visitée la fois précédente, il fallait passer par un relief très étrange que tous les locaux appelaient le « Ravin Étroit ». Passé ce relief, la fosse n’était plus très loin. Mais celui-ci se trouvait à plus de quarante kilomètres du village, pour ainsi dire au cœur de la forêt primitive.

Comme nous avions déjà fait la douloureuse expérience de pénétrer dans les montagnes sans guide, nous consultâmes le secrétaire du village pour savoir s’il y en avait un qui accepterait de nous emmener pour un voyage plus difficile.

Celui-ci demanda à son fils, qui était tout nu, de nous emmener voir un vieux chasseur. Nous le suivîmes dans tout le village et arrivâmes enfin devant une maison à étage, au toit de tuiles.  L’enfant désigna un vieil homme à la barbe blanche qui se prélassait au soleil :

― C’est lui, le vieux Liu.

Le vieil homme était un étranger venu s’installer là dans sa jeunesse pour échapper à l’enrôlement militaire. Il était devenu un chasseur respecté. À plus de 80 ans, cet homme était toujours en bonne santé. En fait, presque toutes les expéditions scientifiques, archéologiques et les pilleurs de tombes qui s’aventuraient dans cette vieille forêt le sollicitaient pour les guider. Il en était ravi car cela lui procurait un moyen rapide de gagner de l’argent et lui donnait un bon statut. Il ne fut pas surpris lorsque nous lui expliquâmes le but de notre visite, mais il secoua la tête et répondit :

― Pas possible. Vous ne pouvez pas vous rendre au Ravin Étroit à cette époque de l’année.

J’en restai perplexe.

― Pourquoi pas ? Nous sommes en automne, le temps est frais et sec. C’est un bon moment pour chasser. Mais si ce n’est pas le bon moment pour aller dans les montagnes, quand pourrons-nous y aller ?

Il demanda à son fils de nous servir du thé et dit :

― C’est la période de l’année où les montagnes sont pleines d’énergie maléfique et où les hantises sont particulièrement sévères. J’ai plus de quatre-vingts ans et je n’ai aucune raison de vous mentir. Ce lieu que l’on nomme le Ravin Étroit est en fait un chemin de planches emprunté par les soldats fantômes. Si vous les croisez, votre âme sera emportée pour ne plus jamais revenir. Cet endroit est très maléfique.

N’étant jamais allé là-bas, je n’avais aucune idée de la géographie du lieu, cela dit je trouvais sa réponse un peu drôle. La génération plus âgée avait sa propre vision du monde et nous ne pouvions les contraindre à changer. Comme il s’obstinait à refuser en dépit de nos supplications, nous finîmes par lui demander la route à suivre.

Le vieil homme nous expliqua qu’une fois sortis du village, il allait nous falloir nous aventurer dans les imposantes montagnes et les crêtes abruptes de la région de Qinchuan. Qu’après sept jours de marche en direction de l’ouest, nous verrions une autre montagne, appelée le Mont Tianmen. Elle était flanquée de falaises impossibles à escalader, mais en son centre se trouvait une étrange fissure suffisamment large pour que deux personnes puissent passer côte à côte. On appelait généralement ce type de relief « ligne de ciel » , mais d’après Lao Yang, les locaux lui donnaient le nom de Ravin Étroit. Une légende rapporte qu’à la fin des dynasties du Nord et du Sud, certains habitants virent une armée de la dynastie des Wei du Nord utiliser le chemin de planches pour tenter de pénétrer dans la région de Qinchuan. Une très curieuse armée car aucun de ces soldats qui marchaient tout droit le long de la ravine ne parlait. Après qu’ils se furent engagés dans la faille, la montagne se mit à trembler et l’énorme brèche se referma, piégeant les troupes. On ne retrouva jamais trace de ces soldats qui ne revinrent jamais.

Sous la dynastie Qing, plusieurs maîtres en feng shui vinrent là pour choisir un lieu de sépulture destiné à un homme riche. Ils restèrent dix jours dans la montagne et lorsqu’ils revinrent, ils n’avaient presque plus rien d’humain. Tous témoignèrent qu’au cœur du Mont Tianmen, il y avait une cascade de Sources Jaunes reliée au monde souterrain. Ils s’étaient quelque peu aventurés dans les montagnes et faillirent ne pas pouvoir en ressortir.

Au début, les habitants de la montagne n’y crurent pas, mais par la suite, de nombreuses personnes affirmèrent avoir entendu un bruit de chevaux galopant dans le ravin. Les rumeurs se répandirent et devinrent de plus en plus extravagantes. Certains prétendaient même que les soldats fantômes utilisaient cette cascade pour passer du monde des morts à la terre des vivants et inversement, et que l’armée disparue des Wei du Nord était de ceux-ci.

Le vieillard nous dit que nous pouvions marcher jusqu’au Mont Tianmen, mais que les générations précédentes n’étaient pas allées plus loin, nul ne sachant ce qu’il y avait dans la forêt au-delà de cette montagne. Depuis les temps anciens, personne ne s’y était aventuré – pas plus l’armée tatare de la dynastie Qing que les troupes vaincues du Kuomintang – et nul n’en était jamais sorti. Il était trop vieux pour nous y emmener et personne d’autre dans le village n’y était allé. Toutefois, si nous étions vraiment déterminés, il pouvait nous en indiquer le chemin et en suivant ses indications, nous y serions en sept ou huit jours. Mais il ne serait pas responsable de ce qui se passerait une fois que nous y serions entrés.

Mon grand-père avait écrit dans son carnet que lorsque l’on cherchait des tombes, il fallait prêter une attention particulière aux endroits environnés d’un folklore détaillé, aussi écoutai-je attentivement l’histoire du vieil homme. Lorsqu’il eut terminé, je fus presque certain que l’endroit où nous nous rendions était effectivement proche de cette zone.

Nous le remerciâmes et nous nous apprêtions à partir lorsqu’il insista avec enthousiasme pour que nous restions dîner. Cet homme ne devait pas souvent avoir des invités. Seulement, nous devions partir et il n’eut pas d’autre choix que de céder. Par contre, il nous prépara des plats de viande marinée à emporter. Je n’étais pas très chaud car ç’allait être compliqué à gérer, mais en voyant la viande rôtie et me remémorant ce que j’avais mangé les jours précédents – cette nourriture sèche qui ne me rassasiait même pas – je les pris aussitôt.

Après une journée de repos, nous reprîmes notre route avec, cette fois, un objectif bien précis. Nous suivîmes la direction indiquée par la boussole et les dents serrées, traversâmes diverses montagnes et rivières, plongeant dans la plus mystérieuse et vaste forêt primitive au cœur de la Chine.

Nous marchâmes tout le long en silence. Ce périple était si pénible que je n’avais même pas envie de prendre de notes. Tout ce que je sais, c’est que sept jours plus tard, Lao Yang, soudain, s’écria qu’il apercevait le Mont Tianmen au-dessus de la canopée. Nous nous arrêtâmes pour nous orienter et constatâmes que nous n’étions guère différents d’une bande de sauvages.

Lao Yang regarda autour de lui et m’informa que nous étions au bon endroit. Lorsque nous aurions passé le Ravin Étroit, nous verrions un petit cratère. C’était là que se trouvait la fosse sacrificielle.

Je grimpai sur un immense et vieux sapin, pris mes jumelles et je jetai un coup d’œil à travers le seul oculaire qui était encore fonctionnel. La silhouette du mont Tianmen était haute, droite et étonnamment majestueuse. Je pouvais même apercevoir, au sommet, ce qui ressemblait à des pins fantômes. Si le paysage était très étrange, cette montagne ne ressemblait pas nécessairement à une porte du Ciel et je ne savais pas d’où lui venait le nom de Tianmen. (1) De plus, de là où je me trouvais, la ligne de ciel au centre de la montagne avait l’air d’une fine ligne noire.

Nous grimpâmes sur une crête basse et reprîmes notre chemin en direction du Mont Tianmen en prenant soin de vérifier le terrain devant nous. Lorsqu’enfin nous arrivâmes au pied de la montagne, il était presque midi. Devant nous se dressait une crête rocheuse indiquant l’entrée du Ravin Étroit.

Les Montagnes de Qinling étaient vraiment un endroit merveilleux et regorgeaient de paysages magnifiques, en particulier les zones demeurées vierges de tout développement touristique. La vue qui s’offrait à nous depuis le bas des falaises était particulièrement spectaculaire. Pour faire simple, on aurait dit qu’un énorme rocher avait été fendu d’un coup d’épée et qu’une minuscule fissure s’était formée en son centre. Au fond de cette faille se trouvait le Ravin Étroit, qui présentait une vue unique du ciel, très différente de ce que l’on peut apercevoir lorsque les montagnes sont plus basses. Là, elles étaient si hautes qu’en levant les yeux, on n’apercevait qu’un mince filet de lumière, très loin au-dessus, comme si le ciel entier s’était condensé en une ligne. Il fallait vraiment le vivre pour pouvoir s’en faire une idée.

De nombreux rochers s’amoncelaient au fond du ravin et des sources claires étaient disséminées de part et d’autre. Les pierres étaient recouvertes de mousse verte, ce qui rendait la marche très difficile, mais le ravin n’était pas aussi étroit qu’il n’y paraissait vu de loin. De plus, les parois montagneuses n’étant pas très hautes à l’entrée, il y avait beaucoup de lumière et la ligne que formait le ciel était plus large que prévue.

Dans les souvenirs de Lao Yang, il leur avait fallu un après-midi au moins pour traverser cette faille. Il y avait beaucoup de vent et le sol était humide, si bien qu’il eût été difficile d’y allumer un feu. Nous fîmes donc une halte non loin de l’entrée pour déjeuner. Nous mélangeâmes la viande que le vieil homme nous avait donnée aux conserves qu’il nous restait et en fîmes une sorte de ragoût que nous réchauffâmes avant de le manger. Si la cuisine des montagnards n’était pas terrible avec sa forte saveur, elle était déjà bien meilleure que nos rations sèches, aussi l’avions-nous mangée avec parcimonie les jours précédents. Mais comme nous n’avions plus à nous restreindre étant donné que nous étions proches de notre destination, Lao Yang et moi dévorâmes notre repas en un temps record.

Je n’étais toujours pas rassasié, mais je savais qu’il restait de la viande de faisan marinée avec des pousses de bambou frites dans notre sac de nourriture. Pensant que mieux valait tout manger, je me retournai pour prendre le sac et vis avec surprise qu’il avait disparu.

Je le cherchais partout, mais en vain. Perplexe et sur le point de demander à Lao Yang s’il savait ce qu’il était devenu, je l’entendis pousser un juron :

― Merde, pourquoi as-tu craché les restes d’os dans mon col ?

J’avais pratiquement mangé tous les os. Pourquoi les aurais-je gaspillés en les jetant sur lui ?

Nous réfléchissions à l’étrangeté de la situation lorsqu’un autre os tomba de la falaise au-dessus de nous. Je levai les yeux et vis qu’une douzaine de grands singes à poils dorés avaient escaladé la paroi. L’un d’eux, mon sac de nourriture à la main, dévorait la viande. À en juger par la façon dont il se délectait de ce faisan, il n’avait probablement jamais rien mangé d’aussi délicieux de toute sa vie. Il aimait tellement cela qu’il faillit même manger le sac, après quoi il descendit et regarda nos sacs à dos.

Cela ne me dit rien qui vaille, me dis-je. Ces singes pensent probablement que nos sacs sont remplis de nourriture. S’ils nous les arrachent, nous serons vraiment dans le pétrin. Cette pensée ne m’avait pas plutôt traversé l’esprit que le singe poussa un cri. Tous ses congénères s’avancèrent alors vers nous.

Note explicative :

(1) Tianmen (天门) peut signifier porte céleste ou porte du Ciel.



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