Chapitre 02 – Le Sommet de la Flèche
Je n’aurais jamais pensé que le récit d’oncle San remonterait jusqu’à cinquante ans en arrière. Même si je n’avais pas le journal de mon grand-père avec moi, je me souvenais très bien de son contenu. Toutefois, comme il n’avait pas écrit la fin de son étrange et terrifiante rencontre avec le zombie sanglant, nous n’avions aucune idée de ce qui s’était passé après qu’il ait perdu connaissance.
Lorsqu’oncle San commença à parler, j’eus déjà l’impression qu’il mentait. Grand-père n’avait jamais soufflé mot de ce secret bien gardé à qui que ce soit, lui et Oncle San ne s’étaient jamais très bien entendus, et j’étais sûr que mon oncle était la dernière personne à qui il aurait confié la fin mystérieuse de son aventure.
― Ne me ment pas. Il y a cinquante ans, grand-père était encore un enfant. Et il était si peu loquace sur ce qui lui était arrivé, comment pourrais-tu savoir quoi que ce soit, et encore moins la vérité ? N’invente pas une histoire pour me tromper, je ne me laisserai pas faire.
― Quand je ne dis rien, tu t’énerves. Maintenant que je te le dis, tu ne me crois pas. Qu’est-ce que je peux faire ? Si tu ne me fais pas confiance, je ne dirai plus rien. C’est ton idée, pas la mienne.
Voyant qu’il profitait de l’occasion pour se taire à nouveau, je m’empressais de m’excuser :
― Non, non. Je te crois. Je suis désolé, je me tais. Continue, s’il te plaît.
Oncle San me jeta un regard noir mais il reprit son histoire :
― Je ne me souviens plus quand j’ai vu le journal de ton grand-père pour la première fois. Ce n’est qu’après avoir commencé mon travail et entendu beaucoup d’histoires bizarres de la part des anciens. Je connaissais le dicton des pilleurs de tombes de Changsha : “Un sol dégoulinant de sang signifie un cadavre dégoulinant d’or”. En voyant le journal pour la première fois, j’ai espéré qu’il m’aiderait à trouver quelque chose de vraiment spécial, et je l’ai lu attentivement.
― Quand je suis arrivé à la fin, j’étais impatient de trouver ce tombeau que mon père avait vu quand il était enfant et qu’il n’avait jamais revu. J’étais certain qu’un trésor m’y attendait. C’était une intuition si forte que je ne pouvais pas l’ignorer.
― Mon père appelait le site de la tombe le Sommet de la Flèche de Changsha, néanmoins, cela pouvait signifier n’importe quoi. Ce n’était pas assez précis pour être utile. Je n’arrivais pas à déterminer l’emplacement de ce lieu, alors j’ai laissé tomber pendant un certain temps. Puis, l’année précédant mon départ avec Wen-Jin et les étudiants pour la mer de Chine méridionale, j’ai trouvé quelques indices.
― Je me suis rendu dans la maison d’enfance de mon père, loin dans les montagnes, dans un village situé à quatre jours de marche de tout endroit civilisé. Personne dans la région ne connaissait l’existence d’un endroit appelé le Sommet de la Flèche. Je suis rentré chez moi et j’ai relu attentivement le journal, en rapprochant ce que je lisais de ce que j’avais vu dans le village de mon père et des choses que je lui avait entendu dire quand j’étais jeune. J’ai commencé à avoir la certitude que le tombeau se trouvait dans la chaîne de montagnes Mang Shan, j’ai donc préparé mon matériel et je suis parti dans cette direction.
― J’ai marché pendant des jours dans les montagnes, le long d’un sentier qui longeait le bord d’une falaise. Enfin, j’ai vu la vallée que mon père avait décrite dans son journal. Elle était maintenant recouverte d’une voûte d’arbres verdoyante, mais à travers les feuilles émergeait un monticule d’argile rouge dénudé, dont j’étais certain qu’il devait s’agir du Sommet de la Flèche. J’ai également vu quelque chose d’étrange à côté d’un des arbres près du monticule, quelque chose qui était presque de la même couleur que son environnement forestier, mais qui semblait avoir été construit par l’homme. J’ai sorti mes jumelles et j’ai vu des tentes, en camouflage militaire. Que faisaient-ils ici, dans une vallée où il y avait peu d’habitations humaines ?
― Puis un homme est sorti de l’une des tentes. Ses cheveux brillaient d’un blanc éclatant sur sa peau rose. Il était évident qu’il n’était pas chinois.