Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 3 – Le Temple des Semences
Chapitre 2 – Cinquante ans plus tard Menu Chapitre 4 – La Caverne à Cadavres

Je regardai la copie imprimée du livre, puis l’expression de mon Oncle San. Il n’avait pas l’air de plaisanter. Était-il possible qu’il ait atteint un tel niveau de transcendance que cela lui permette de discerner une image à travers des mots ? Mais de quelque façon que l’on considère les choses, comment imaginer que ce vieux type sans scrupules qui mangeait, buvait, jouait et se vendait au plus offrant puisse avoir une quelconque racine immortelle ?

Oncle San tremblait d’excitation. Où ces gens ont-ils bien pu trouver quelque chose d’aussi étonnant ? Comment se fait-il que je n’aie jamais rien trouvé de tel ? Cette fois, j’ai vraiment de la chance. On dirait qu’ils ne savent toujours pas ce que c’est. Nous allons donc pouvoir les doubler avant même qu’ils ne commencent à creuser.

Personnellement, je nageais en pleine confusion.

― Oncle San, je suis peut-être un peu stupide mais peux-tu vraiment voir la carte au milieu de si petits mots ?

― Qu’y connais-tu ? C’est ce qu’on appelle de la cartographie cryptée. En d’autres termes, l’emplacement géographique détaillé de cet endroit est indiqué dans ces mots. La plupart des gens ne comprendraient pas ce genre de chose mais heureusement, ton Oncle San ici présent a une certaine expérience. Je crains que, dans ce monde, nous ne soyons pas plus de dix personnes à pouvoir interpréter cela.

Mon Oncle San n’avait pas beaucoup de compétences, mais dès son plus jeune âge, il avait étudié de nombreux textes anciens et mots codés, étranges et peu orthodoxes. Pour faire simple, il étudiait tout ce qui était peu commun. Pour exemple, il comprenait et pouvait évoquer dans les moindres détails les Cinq Illustrations de Texte sur Bois de Xixia et les premiers caractères Ya de Jurchen. (1)

Néanmoins, il était du genre à aimer profiter des autres. Il fallait donc jouer les imbéciles pour qu’il vous écoute, ne serait-ce qu’un peu.

Je pris donc un air naïf et demandai :

― Oh, est-ce qu’il est dit d’aller à gauche, puis à droite, puis encore à droite lorsque tu verras un grand arbre, jusqu’à un puits où tu pourras commencer à creuser ? Quelque chose du genre ?

Oncle San soupira :

― Tu n’es qu’un cancre. Ta compréhension des choses est si mauvaise que l’histoire de notre lignée risque fort de s’arrêter à ta génération.

Je le vis soupirer comme s’il regrettait cela du fond du cœur et ne pus m’empêcher de penser que sa remarque était quelque peu amusante.

― Qu’est-ce que tu racontes ? Mon père ne m’a rien appris de tout ça.

L’air suffisant, il m’expliqua :

― Ce type de cartographie est en fait une sorte de code secret. Sa formulation étant stricte, si tu dessines ce que décrit le texte en respectant le format, tu obtiendras une carte complète. Ne sous-estime donc pas ce livre, même s’il ne comporte que quelques mots. Tu ne sais pas à quel point les informations qu’il renferme sont complexes. Une fois décryptées, elles pourraient même nous indiquer le nombre de briques utilisées à tel endroit.

Ceci suscita vivement mon intérêt. Depuis que j’étais enfant, ma famille m’interdisait de prendre part aux expéditions de pillage de tombes. Mais cette fois, j’allais devoir demander à Oncle San de m’emmener dénicher quelques trésors si je voulais survivre à la crise économique que je traversais.

― Tu peux donc savoir à qui appartient la tombe en question, ou encore si le défunt était un seigneur influent ?

L’oncle San arbora un sourire satisfait.

― Je ne comprends pas encore tout, mais cette tombe doit appartenir à un noble de l’État de Lu de la Période des Royaumes Belligérants. Le simple fait qu’elle soit mentionnée de façon cryptée dans ce livre laisse entendre qu’il s’agit d’une personne de rang assez élevé. Qui plus est, cette tombe est si bien cachée qu’elle doit valoir la peine d’être visitée.

Je regardai les yeux émerveillés d’Oncle San et trouvai cela un peu étrange. Ce vieil homme était si paresseux à l’accoutumée qu’il ne franchissait même pas la porte de sa maison. Cela voulait-il dire qu’il avait l’intention d’aller voir personnellement la tombe ? Ce serait une formidable histoire pour la postérité, aussi m’empressai-je de demander :

― Comment ? Oncle San, tu comptes vraiment fouiller cette tombe toi-même ?

Il me tapa sur l’épaule.

― Comme tu ne comprends pas, laisse-moi te dire quelque chose. Si les tombes des dynasties Tang, Song, Yuan, Ming et Qing renferment des trésors, ce sont tout au plus des objets merveilleusement ouvragés. En revanche, lorsqu’il s’agit d’anciennes tombes royales datant de la période des Royaumes Belligérants, tu ne pourras jamais deviner ce qu’elles contiennent. On peut y trouver des artefacts magiques qui sont des objets uniques au monde ! Tu crois vraiment que je voudrais manquer ça ?

― Tu en es sûr ? Peut-être qu’il n’y a rien dedans.

― Impossible, n’as-tu pas vu ce motif ? Il désigna l’étrange visage de renard : C’est le masque que portait le premier peuple de l’État de Lu lorsque ces gens furent offerts en sacrifice. Il doit y avoir quelqu’un de très spécial enterré dans cette tombe. Peut-être même plus respecté que l’empereur ne l’était à cette époque.

― C’était peut-être le père de l’empereur.

L’Oncle San me lança un regard furieux et voulut ranger les photos, mais je posai les mains dessus pour l’en empêcher.

― Ne sois donc pas si pressé de les ranger, Oncle San, dis-je avec un sourire. C’est moi qui te les ai apportées, aussi, emmène-moi avec toi pour que je puisse me forger une expérience sur le terrain.

― Hors de question ! Cria-t-il. Déterrer cette tombe n’est pas aussi facile que tu le penses. Il n’y a pas d’air conditionné là-bas mais en revanche de nombreux pièges. Tu peux mourir à tout moment. Tu es fils unique. Si quelque chose t’arrivait, ton père m’écorcherait vif.

― Alors, tant pis ! criai-je à mon tour. Fais comme si je n’étais jamais venu !

Je lui arrachai les documents des mains, tournai la tête et m’éloignai.

Je le connaissais bien. Dès qu’il trouvait quelque chose qui lui plaisait – qu’il s’agisse d’antiquités ou de femmes ̶ tous ses principes passaient par la fenêtre. Cette fois, j’étais certain de le tenir. Et en effet, j’avais à peine fait quelques pas qu’il me rattrapa et me prit les documents des mains.

― Ok, ok, ok. Tu m’as eu. Mais tu devras rester à l’extérieur du tunnel lorsque nous descendrons. Qu’en dis-tu ?

Pourrait-il vraiment me retenir si je décidais de descendre ? Me demandai-je, ravi.

― C’est d’accord ! acquiesçai-je aussitôt. J’écouterai tout ce que tu me diras et ferai tout ce que tu veux.

― Nous ne pouvons pas agir seuls. Demain, je vais donc devoir faire appel à des gars expérimentés. Je finirai de décrypter cette carte ces prochains jours mais il faut que tu m’achètes certaines choses, dit-il en dressant une liste qu’il me tendit. Pas de contrefaçons. Prévois aussi le nécessaire en équipement et vêtements qui nous permettront de nous faire passer pour des voyageurs ordinaires, sans quoi nous serions arrêtés avant même d’arriver sur place.

Je hochai une nouvelle fois la tête pour lui faire comprendre que j’avais compris et me mis en route.

Les objets que voulait Oncle San étaient un peu difficiles à trouver. Essaierait-il de me compliquer l’existence avec toutes ces choses qu’on ne trouve généralement pas en magasin ? pensai-je.

Il s’agissait, entre autres, de lampes de mineur étanches et démontables, de tuyaux en acier filetés, de têtes de pelle pouvant recueillir la terre, de canifs, de pelles pliantes, de marteaux à manche court, de bandages et de cordes en nylon. Je n’en étais qu’à la moitié de la liste que j’avais déjà dépensé près de dix mille yuans. Le cœur serré, je maudis ce vieux renard qui se montrait si avare quoiqu’il fût très riche.

***

Trois jours plus tard, je retrouvai mon oncle ainsi que deux de ses vieux copains fossoyeurs et le jeune homme qui avait acheté le « dragon » ce fameux jour. Tous les cinq, nous parcourûmes plus d’une centaine de kilomètres vers l’ouest, en direction du Temple des Semences situé à Shandong.

Comment décrire cet endroit ? Le mieux que je puisse dire est qu’il se trouvait au milieu de nulle part. Nous avions d’abord dû prendre un autocar longue-distance, puis un minibus, des motos et pour finir un char à bœufs. Arrivés à destination, nous regardâmes partout autour de nous mais ne vîmes rien, excepté un chien qui accourait vers nous. Mon Oncle San tapota l’épaule du guide qu’il avait engagé :

― Dites, mon vieux, allons-nous devoir monter à dos de chien à présent ? Je crains fort que la charge ne soit trop lourde !

― Non, répondit le vieil homme en riant. Ce chien est un messager. Pour cette dernière étape du voyage, nous devrons nous contenter d’un bateau qu’il va nous apporter.

― Ce chien sait-il nager ?

― Il nage bien, très bien même. Le vieil homme regarda l’animal : Couilles d’Âne, va te baigner ! (2)

Très intuitif, celui-ci sauta dans la rivière et se mit à nager. Puis il sortit de l’eau, secoua ses poils et s’allongea sur le sol, la langue pendante.

― Il est encore très tôt. Le batelier n’a certainement pas encore débuté sa journée de travail. Faisons une pause et fumons une cigarette.

Je jetai un coup d’œil à ma montre.

― S’il n’a pas commencé à travailler à 14 heures, quels sont ses horaires ?

― C’est le seul batelier ici, mais c’est aussi le meilleur. Il se met au travail dès qu’il se lève et parfois, il ne travaille pas du tout. C’est assez inquiétant, je l’admets, expliqua le vieil homme en souriant. Cependant, il n’y a rien que l’on puisse faire. Il a les faveurs du dieu de la rivière. Si quelqu’un d’autre entrait dans la grotte, il ne s’en sortirait certainement pas, mais lui s’en sort toujours. Si vous savez monter à dos de mule, nous pourrions passer par la montagne et devrions être là-bas demain soir. Cela dit, vous êtes tellement chargés que toutes les mules du village n’y suffiront pas !

Lorsqu’il entendit parler de la grotte, Oncle San jubila et sortit la carte décodée. Il la traitait comme s’il s’agissait d’une sorte de trésor et ne voulait pas me laisser la voir. Mais il ne l’eut pas plutôt sortie que tous, nous nous penchâmes pour regarder. Tous sauf le jeune homme qui alla s’asseoir à l’écart sans un mot.

Pour être honnête, les deux amis de mon oncle étaient faciles à vivre. De vraies personnes, quoi. Mais ce type, lui, ressemblait à une bouteille d’huile hermétiquement fermée. (3) Il n’avait pas ouvert la bouche de tout le trajet, se contentant de fixer le ciel bleu comme si celui-ci pouvait, à tout instant, lui tomber dessus. C’était d’un ennui ! J’avais bien tenté d’engager la conversation mais de guerre lasse, avais fini par l’ignorer purement et simplement. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi Oncle San l’avait emmené.

― Il y a une grotte…oui, une grotte dans la rivière, juste derrière cette montagne, dit Oncle San. Dis-moi, vieil homme, cette grotte mange-t-elle les gens ?

Le guide eut un sourire :

― C’est une histoire héritée des générations précédentes. Je ne m’en souviens pas clairement. Les villageois disaient que l’esprit d’un serpent rôdait dans le canal de la rivière et qu’aucune des personnes qui entraient dans cette grotte n’en ressortait. Puis un jour, l’arrière-grand-père du batelier sortit de la grotte en bateau, prétendant qu’il était marchand ambulant. Mais comment un marchand aurait-il pu aller çà et là en transportant un bateau ? Tout le monde pensait que c’était l’esprit du serpent qui avait pris apparence humaine, mais celui-ci se contenta de rire et expliqua qu’il avait acheté le bateau au village voisin. Pour en avoir le cœur net, les incrédules se rendirent au village. En effet, c’était vrai. Tous crurent alors que le monstre qui habitait la grotte était enfin parti, mais un groupe de jeunes gens courageux parti explorer celle-ci ne revint jamais. Depuis lors, seule la famille du batelier peut entrer et sortir de la grotte. Vous ne trouvez pas cela étrange ?

― Le chien aussi ? demandai-je, un peu curieux. N’avez-vous pas dit que c’était un messager ?

― Celui-ci a été élevé par la famille du batelier. Mais les autres chiens, tout comme les vaches, ne peuvent plus quitter cet endroit s’ils ont le malheur d’y entrer.

― Et le gouvernement n’a envoyé personne enquêter sur cette étrangeté ?

― Il faudrait d’abord qu’ils nous croient, répondit le vieil homme en faisant tomber son vieux tabac sur le sol.

Oncle San fronça les sourcils puis frappa dans ses mains :

― Couille d’Âne, viens ici.

Obéissant, le chien accourut avec empressement. Oncle San le prit, le flaira et blêmit.

― Pas possible ! Y-a-t-il vraiment une telle chose dans cette grotte ?

Je m’emparai du chien pour le sentir, mais la terrible odeur m’étouffa et me fit tousser. Son propriétaire devait être très paresseux car je n’aurais su dire depuis combien de temps il ne lui avait pas donné de bain.

― Tu voudrais ressembler à ton oncle mais tu es encore trop jeune, dit Grande-gueule, un des amis d’Oncle San.

― Maudit chien, pourquoi pue-t-il autant ?! m’écriai-je en réprimant ma nausée.

― Cet animal a grandi en mangeant de la chair de cadavre quand il était chiot, dit Oncle San. C’est une grotte à cadavres. Rien d’étonnant à ce que nous devions attendre un certain temps avant d’y entrer. Ce batelier, j’en ai bien peur, lorsqu’il était enfant…

― Je ne veux rien savoir !

J’étais si effrayé que mes cheveux se dressèrent sur ma tête et Poker-Face lui-même blêmit en entendant les propos d’Oncle San.

― Mais qu’entends-tu par grotte à cadavres ? Demanda doucement Poids-lourd, un ami d’Oncle San. Un grand gaillard, timide, presque aussi grand que le bœuf qui tirait la charrette. Quelque chose est censé se produire quand nous y entrerons ?

― Je l’ignore. Il y a quelques années, j’ai trouvé une grotte comme celle-ci à Taiyuan, Shanxi. C’était un endroit où les Japonais déposaient les corps de ceux qu’ils massacraient. Partout où l’on trouve une grotte à cadavres, il doit y avoir eu un massacre, c’est certain. À l’époque, c’était amusant d’y faire des expériences. J’avais mis des chiens et des canards sur un radeau en bambou, installé une caméra dessus, puis poussé le radeau dans la grotte qui s’étendait sur un peu plus d’un kilomètre. J’avais prévu une corde assez longue, mais lorsque j’essayai de la tirer, le radeau ne bougea pas. Il faisait si noir à l’intérieur de la grotte que je ne savais pas où il avait dérivé. Je retentai un peu plus tard, mais j’avais à peine tiré une ou deux fois que le radeau, brusquement, se retourna. Et puis… Oncle San étendit les mains : Pour finir, tout ce que j’ai vu, c’est la moitié d’un visage. Je ne saurais dire s’il s’agissait d’un chien ou d’autre chose car celui-ci était trop proche de l’écran de la caméra.

« Dans les temps anciens, si on voulait traverser ce genre de grotte, il fallait sentir le mort. Une personne qui s’y aventurait seule n’en ressortait pas vivante ! Toutefois, j’ai entendu parler d’un endroit, à Shanxi, où les gens nourrissent les enfants dès leur plus jeune âge avec de la chair de cadavre de façon à ce que l’odeur s’imprègne dans leur corps. Les fantômes eux-mêmes ne pouvaient les différencier d’un mort. Ton batelier serait-il de Shanxi, vieil homme ?

― Je ne sais pas, c’était du temps de son arrière-grand-père. Bien avant mon époque. Le guide leva les yeux au ciel et appela le chien : Couille d’Âne, va chercher ton bateau !

L’animal gémit, sauta dans l’eau et nagea jusque derrière la montagne.

Je vis alors Oncle San jeter à Grande-gueule un regard qui en disait long. Celui-ci sortit discrètement un sac de la pile de bagages et le mit sur son dos. Le jeune homme silencieux se leva et fit de même. Grande-gueule passa derrière moi et me chuchota dans le dialecte de Hangzhou :

― Il y a quelque chose de bizarre avec ce vieil homme. Fais attention.

Notes explicatives :

(1) Xixia= dynastie des Xia occidentaux 1038-1227 du peuple Tangut occupant le Ningxia moderne et certaines parties du Gansu et du Shaanxi. Ils ont été renversés par les Mongols. Les Jurchens étaient un groupe ethnique toungouse, prédécesseur du groupe ethnique mandchou fondateur de la dynastie Jin et de la dynastie Qing suivantes.

(2) Couille d’Âne, du Chinois « Lu Dan Dan »

(3) “Menyouping” (闷油瓶) = “bouteille d’huile rance”. Mais compte tenu de la lourdeur du littéral en français, nous retiendrons le terme utilisé dans la version anglaise : Poker-Face.



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