Tome 1 : Le Palais du Roi de Lu aux Sept Étoiles / Chapitre 17 – Le Trou
Cette petite main correspondait parfaitement à la description qu’en avait faite Grande-gueule. Elle avait cinq doigts de même longueur, un poignet extrêmement fin et était extrêmement terrifiante.
Le gros continuait à me faire signe de ne pas bouger mais en fait, je n’avais pas peur. En effet, lorsque l’on fait face à tant de situations aussi dramatiques les unes que les autres, on a tendance à garder son calme au lieu de paniquer. En cet instant, j’avais plutôt l’impression d’être victime d’une farce. Cela m’énerva au point que j’eus envie d’attraper la main et de la mordre à pleines dents. Mais ma raison me soufflait de rester là et de ne pas broncher.
Le gros prit l’arme de Grande-gueule pour frapper la main et tenter de l’enlever de mon épaule mais sitôt que le révolver s’en approcha, la main, telle un serpent, s’enroula autour et la tira en arrière. La bonbonne, qui refusait de lâcher prise, se mit alors à tirer de son côté. Il remuait ses grosses fesses et luttait pour rester debout.
Je me précipitai pour l’aider. Il était déjà très fort et malgré mon assistance, nous nous retrouvâmes dans une impasse. Nous voyant peiner, Grande-gueule balança son couteau au gros gars. Ce dernier lâcha un juron et frappa la main de toutes ses forces, lui arrachant un lambeau de chair. Celle-ci lâcha sa proie et disparut dans l’obscurité. Ses déplacements me faisaient penser à ceux d’un serpent. Sa retraite précipitée ayant supprimé toute résistance à l’autre bout de l’arme, le gros et moi tombâmes à la renverse, les pattes en l’air.
Gros-lard avait beau être rond comme un cochon, il se releva et courut après la main qui s’était faufilée dans une crevasse très profonde. Il tenta de s’y glisser mais l’entrée était trop petite pour lui, même si l’intérieur semblait assez spacieux. Frustré, il agita les mains et de colère, se mit à frapper la pierre. À notre grande surprise, ce mur qui semblait si solide se brisa comme un rien.
― Regardez ! cria-t-il, il y a un grand passage dans ce trou.
Nous nous rassemblâmes pendant que Gros-lard inspectait la crevasse à l’aide de sa lampe torche. Il y avait bien un tunnel à l’intérieur, mais il faisait très sombre et nous ne pouvions voir où il menait. Qui aurait pu penser que le mur dissimulait dans l’ombre un si petit passage ?
Grande-gueule toucha l’entrée du passage :
― On dirait qu’il a été creusé à la main. Est-ce par là que passent les mangeurs de cadavres ?
― Tu veux dire qu’ils sont à l’intérieur ?
Le gros, qui s’apprêtait à plonger dans le trou, se ravisa aussitôt.
― Ne t’inquiète pas, dit doucement Grande-gueule. Quand Petit Frère a soigné ma blessure tout à l’heure, j’ai étalé un peu de son sang sur ma main. Regardez. Avec un peu de salive, vous pouvez en étaler sur vos visages. Ça va marcher à coup sûr !
― Tu es vraiment immoral. Il t’a sauvé la vie ! dis-je en plaisantant.
Grande-gueule eut un sourire gêné :
― J’ignore pourquoi mais en voyant son sang couler sur le sol, j’ai tout de suite pensé qu’il ne fallait pas le gaspiller.
Le gros ne comprenait pas trop ce dont nous parlions.
― Quoi ? Le sang de ce jeune homme est donc si puissant ?
Grande-gueule et moi hochâmes la tête et lui racontâmes ce qui s’était passé dans la grotte aux cadavres. Il s’intéressa aussitôt à la tache de sang sur la main de Grande-gueule et prit un air admiratif : C’est stupéfiant ! Avec ce sang, je serai plus impressionnant lors de mes prochaines fouilles. Si un fantôme ose souffler ma bougie, je le ferai s’agenouiller sur le couvercle du cercueil.
On aurait dit qu’il avait envie d’arracher la petite tache de sang sur la main de Grande-gueule.
― Je ne sais pas à quoi sert cette petite ouverture, mais comme nous ne pouvons pas sortir du labyrinthe, je pense que c’est notre seul espoir. Pourquoi ne pas y jeter un œil ? Dit ce dernier.
Je regardai la petite ouverture qui me sembla sinistre. Elle me donnait la chair de poule et je n’étais pas convaincu que ce soit une bonne idée, d’autant qu’elle ne pouvait accueillir qu’une personne à la fois. Toutefois, si nous ne faisions rien, il ne nous restait plus qu’à attendre la mort. J’acquiesçai donc d’un signe de tête. Gros-lard enleva sa ceinture, l’attacha à sa jambe et dit à Grande-gueule :
― Accroche-toi à cette ceinture. Je passe devant.
Sans ajouter un mot, il se pencha et entra le premier dans le trou. Grande-gueule saisit la ceinture et fit de même. Je ravalai la boule que j’avais dans la gorge et les regardai disparaître dans l’obscurité. Après une rapide prière, je pris mon courage à deux mains et leur emboîtai le pas.
Le gros, devant nous, rampait très lentement. Lorsqu’à certains endroits il avait du mal à passer, il retenait sa respiration, remuait les fesses et finissait par y arriver. En plus de supporter d’être ainsi traîné, Grande-gueule avait le visage tout près de ses fesses.
― Ne t’avise plus de péter, lança-t-il.
A bout de souffle, le gros n’eut pas la force de répondre. Comme, d’ordinaire, il était très bavard, je compris qu’il était épuisé.
Nous rampions, tels des vers, depuis un moment lorsque Gros-lard chuchota :
― Je vois de la lumière !
Et il accéléra.
― Doucement ! Cria Grande-gueule, dont les plaies tiraient terriblement.
Le gros n’en prit pas note et continua à accélérer, un exploit qui tenait presque du miracle compte tenu de sa taille.
Voyant la lumière s’intensifier à mesure que nous avancions, je me dis : Aurions-nous enfin de la chance ? Ce petit trou mène-t-il vraiment à la surface ?
Quelques minutes plus tard, Gros lard sortait du tunnel. Nous l’entendîmes crier :
― Merde !!! On est où bordel ?