Je criai et, par réflexe, retirai ma main. Toucher une chose inconnue dans le noir était la sensation la plus terrifiante qui fût. Mais au premier contact, je compris que son propriétaire devait être mort car sa peau frigorifiée et boursouflée ne présentait aucun signe de vitalité.
Me souvenant que j’avais encore quelques bâtons de feu sur moi, je m’empressai d’en allumer un. À la lumière de la flamme, je vis alors un cadavre étendu là. Il avait, au niveau du ventre, une large blessure autour de laquelle grouillaient des mangeurs de cadavres de la taille de ma paume et de couleur vert-bleuâtre. De temps à autre, de plus petits insectes sortaient de la bouche et des orbites vides du mort.
J’en avais mal au ventre. Cet homme, visiblement mort depuis environ une semaine, était probablement une victime de la précédente équipe de pilleurs de tombes. Avait-il trouvé ce piège, tout comme moi ? A cette pensée, je me mis aussitôt à la recherche de batterie à la lumière de ma petite flamme sur le point de s’éteindre. L’ayant enfin retrouvée, je la replaçai dans la lampe qui se ralluma immédiatement. Je poussai un soupir de soulagement. Le type qui me l’avait vendue disait qu’elle pouvait résister à une chute de plus de trois mètres. En ce sens, il ne mentait pas !
Ma lampe fonctionnant à nouveau, je pus jeter un coup d’œil aux alentours. L’endroit était vide et construit de manière très rudimentaire. C’était une cave carrée entourée de murs de pierre irréguliers et percés de nombreux trous semblables à des conduits d’aération mais comme ils étaient sombres, je ne pouvais voir où ils menaient. Par moment, une brise fraîche me parvenait par ces orifices.
Je me retournai et examinai le corps. C’était celui d’un homme d’une quarantaine d’années. Une blessure apparemment mortelle avait déchiré son abdomen et il portait des vêtements de camouflage. Je remarquai aussi que ses poches étaient pleines. Je sortis de l’une d’elle un portefeuille contenant de l’argent et le talon d’un billet de train. Je continuai à fouiller et trouvai, sur la boucle de sa ceinture, un timbre en relief portant les chiffres suivants : 02200059. À part cela, rien d’autre qui puisse révéler son identité.
Je glissai donc son portefeuille dans ma poche avec l’intention de mieux l’examiner lorsque je serais sorti de là.
Le style architectural du lieu était très similaire à celui des antiques tombes de la Dynastie des Zhou Occidentaux et cette pièce en particulier ressemblait un peu à une issue de secours improvisée. Comme il était peu probable que quelqu’un ait construit une tombe sur celle de quelqu’un d’autre, peut-être s’agissait-il de l’issue de secours que les artisans bâtisseurs de la tombe avaient créée pour eux-mêmes !
Dans les temps anciens, tout spécialement pendant la période des Royaumes Belligérants, prendre part à un projet de construction de la tombe d’un noble équivalait à la mort. Vous finissiez soit empoisonné, soit enterré vivant avec les cadavres. Mais la sagesse des travailleurs ne pouvait être ignorée. La plupart des artisans se fabriquaient un passage secret pour pouvoir s’échapper. Je balayai la zone avec ma lampe et vis effectivement une porte très étroite placée assez haut sur un côté du mur. En dessous se trouvait une échelle en bois, mais elle était complètement pourrie. J’évaluais la hauteur et compris qu’il m’était impossible de sauter aussi haut. Mais alors que je la fixais, je vis soudain un visage sortir du passage.
― Grande-gueule ! C’est moi ! Criai-je, fou de joie.
Grande-gueule sursauta en me voyant mais parut plus effrayé qu’heureux car il faillit tomber du passage.
Alors que je m’étonnais de son comportement étrange, il sortit son arme et la pointa droit sur moi. Je le regardai et sus qu’il ne plaisantait pas.
Ne me dites pas… que Grande-gueule me prend pour un zombie ? ! Vais-je mourir victime d’une telle injustice ?
― C’est moi, Grande-gueule ! Qu’est-ce que tu fais, bordel ?
Grande-gueule fit comme s’il ne m’entendait pas et pressa la détente. Il y eut une forte détonation – le coup de feu résonnait étrangement fort dans la pièce – puis la balle passa près de mon oreille et toucha quelque chose derrière moi. Une substance bouillonnante à l’odeur de poisson m’éclaboussa l’arrière du crâne. Je me retournai aussitôt et vis plusieurs gros mangeurs de cadavres bleu-vert accrochés au mur, dont beaucoup se penchaient vers moi de manière menaçante. Quelques-uns avaient même grimpé au plafond et n’étaient plus qu’à une dizaine de centimètres de ma tête.
J’étais sur le point de reculer de quelques pas afin d’augmenter ma distance de sécurité lorsque deux des insectes sur le mur se lancèrent vers moi comme projetés par des tremplins. Ils étaient devant mon visage lorsque soudain, deux balles fusèrent au-dessus de ma tête.
Les créatures explosèrent littéralement dans les airs et je me retrouvai le visage maculé de leurs fluides corporels.
― Je n’ai plus de balles ! Pourquoi tu restes là comme un idiot ? Par ici, vite ! Cours ! me cria Grande-gueule.
Son soutien me réconforta aussitôt et je courus vers lui. Il tira un autre coup de feu au moment même où j’atteignais le bas du mur, puis me tendit la main pour que je l’attrape, ce que je pus faire après avoir sauté. Heureusement, le mur de roche était très rugueux, ce qui me permit de prendre prise avec mes pieds. Grande-gueule me hissa d’un coup jusqu’en haut mais avant même que j’aie pu me stabiliser, il cala son arme entre mes jambes et tira une nouvelle fois. La douille éjectée toucha mon entrejambe. Je hurlai et faillis m’évanouir sous l’effet de la douleur.
― T’es con ! L’invectivai-je. Tu veux me castrer ?
― Merde, s’il faut choisir entre ta bite et ta vie, y’a pas photo !
À cet instant, je réalisai brusquement que la lampe de mineur n’était plus dans ma main. Je me retournai et vis qu’elle était tombée en contrebas. La source de lumière avait attiré des mangeurs de cadavres de toutes tailles, peignant la zone tout autour d’une légère couleur verte. Je n’avais aucune idée d’où ils pouvaient bien venir.
― Combien de balles te reste-t-il ? lui demandai-je.
Il fouilla ses poches et en sortit sa dernière balle, un sourire amer sur le visage.
― La balle de la gloire. (1)
Les mots étaient à peine sortis de sa bouche qu’un mangeur de cadavres bondit dans le passage de pierre et émit un cliquetis dans notre direction.
Grande-gueule qui, en définitive, était un vrai soldat, n’avait aucun problème à s’adapter à tout changement soudain. Il ajusta sa prise sur l’arme de façon à tenir le canon, puis utilisa la crosse en bois comme un marteau pour aplatir la bestiole qu’il fit tomber d’un coup de pied. Malheureusement, ce ne fut qu’une solution à court terme. D’autres insectes grimpaient et même si nous leur donnions des coups de pied pour les faire dégringoler, quelques-uns réussirent à monter sur nous et à nous déchirer la chair avec leurs griffes barbelées.
― Courons, dis-je à Grande-gueule. Nous ne pourrons jamais en arrêter autant.
― Où sommes-nous censés aller ?
Je désignai le passage derrière nous :
― Il doit y avoir une sortie au bout de ce tunnel. Regarde, il servait sans doute aux anciens constructeurs de tombes pour s’échapper. Si nous longeons ce passage, nous nous retrouverons certainement dehors.
― Conneries ! J’te jure, vous les intellos, vous croyez toujours mordicus ce qui est dit dans les livres. Laisse-moi te dire quelque chose. J’ai parcouru tout ce tunnel et c’est un vrai labyrinthe. C’est un miracle si je suis arrivé ici. Si on y retourne, qui sait combien de temps nous allons tourner en rond ! râla Grande-gueule.
Perplexe, je me demandai si je ne m’étais pas trompé. Mais dans la situation présente, je n’avais pas le temps d’y réfléchir. Voyant que de plus en plus d’insectes se rapprochaient, je lui criai :
― C’est toujours mieux que de rester ici à servir de nourriture aux insectes !
Au même moment, on entendit un grondement et quelqu’un d’autre dégringola de la trappe au-dessus. L’homme écrasa quelques insectes en tombant et fit fuir les autres pour un temps.
― Bon sang, j’ai mal au cul, fit-il en se relevant. Quel genre de porte est-ce pour s’ouvrir comme ça vers le bas ?
Il sortit une lampe de poche et éclaira l’endroit : Merde ! C’est quoi ce bordel ? D’où viennent tous ces insectes ?
Grande-gueule et moi l’observâmes et réalisâmes qu’il s’agissait du mojin qui nous avait effrayés dans la chambre funéraire principale. Aux ennemis, en effet, la route est étroite. (2)
Les mangeurs de cadavres recommençaient à grouiller mais ce type était assez coriace. Il se servit de sa lampe de poche comme d’un marteau et fit tomber les insectes un par un. Mais c’était peine perdue. En quelques secondes, son dos en fut couvert et il se mit à hurler comme un cochon qu’on égorge en tentant de les décrocher.
Grande-gueule sortit de sa poche de chemise tous les bâtons de feu qui lui restaient, les alluma et sauta avant même que je puisse l’arrêter.
Il roula sur le sol et se releva juste à côté de l’homme. Les mangeurs de cadavres, qui avaient peur du feu, s’éloignèrent en bondissant. Cependant, les bâtons de feu n’étaient pas inépuisables. De plus, les mouvements que venait de faire Grande-gueule en avaient diminué les flammes.
― Tu en as d’autres ? Me cria-t-il.
Je tâtai ma poche de chemise et comme il m’en restait encore quelques-uns, décidai de passer à l’action. Merde, me dis-je, allons-y pour la casse !
Je sautai à mon tour mais ne fus pas aussi habile que Grande-gueule et tombai face contre terre. Les bâtons de feu m’échappèrent et atterrirent dans un tas d’insectes.
― Bon sang, gronda Grande-gueule, tu es en train de me tuer, là !
Je me relevai sans traîner et courus vers eux. Les mangeurs de cadavres, qui craignaient de prendre feu, n’osèrent pas se jeter sur nous dans l’immédiat. Mais les flammes diminuant, ils se rapprochaient de plus en plus. Je ravalai ma salive en pensant : je crois bien qu’on est foutus.
Notes explicatives :
- L’ultime balle permettant de mourir dignement.
- Dicton signifiant que les rivaux finissent toujours par se croiser. Quelque chose comme : Aux ennemis, le monde est petit.