Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 6 – La décharge à cadavres
Chapitre 5 – L’ombre dans l’eau Menu Chapitre 7 – Une centaine de têtes

 

Nous arrêtâmes le bateau. Étant arrivés à ce qui était sans doute l’endroit le plus dangereux de la grotte, nous ne pouvions pas nous y précipiter sans nous y être préparés.

― Cette grotte à cadavres est un endroit où l’on peut facilement entrer mais dont on ne peut pas sortir. Ça fait longtemps que je suis pilleur de tombes, mais c’est la première fois que je mets les pieds dans un lieu pareil. Je pense possible qu’il y ait quelque chose de vraiment étrange ici ! Dit Oncle San en regardant sa montre.

Grande-gueule l’interrompit à voix basse :

― Merde, c’est une évidence.

Mon oncle lui lança un regard furieux avant de poursuivre :

― Mais ce n’est que la version du vieux guide. Nous n’avons aucun moyen de savoir s’il est vrai que le batelier était seul à pouvoir entrer dans cette grotte. Si vraiment elle contient des cadavres, c’est qu’un danger nous attend. Quant à la forme que prendra celui-ci, nous l’ignorons également. Peut-être serons-nous confrontés à quelque chose du genre « fantôme qui frappe sur un mur » (1) et nous ne saurons pas où va le bateau. A moins que des centaines d’esprits de l’eau viennent renverser notre embarcation.

― Pas question, dit Poids-lourd.

― Bref, tout peut arriver. C’est bien la faute à pas de chance si nous avons été confrontés à autant de dangers avant même d’arriver à la tombe. Mais quoi qu’il arrive, il ne faut pas avoir peur des fantômes si on veut pouvoir piller des tombes. Si tu les crains, choisis un autre métier. Ça n’aurait pas de sens si nous ne nous trouvions pas face à des choses étranges, dit mon oncle en faisant signe à Grande-gueule de sortir le fusil à double canon de son sac à dos. Mais nous avons désormais des armes de haute technologie, bien plus avantageuses que ce qu’utilisaient nos prédécesseurs à l’époque. Si fantômes d’eau il y a, ce n’est pas leur jour de chance !

Voyant que Poids-lourd tremblait toujours de peur, je dis à Oncle San :

― Pourquoi j’ai l’impression que, plus tu cherches à nous motiver avec tes explications sur les fantômes, plus il tremble?

Oncle San chargea le fusil de chasse.

― Ce gars m’humilie vraiment, cette fois. Je n’aurais jamais cru qu’il puisse être aussi inutile. Avant de venir ici, cet enfoiré se vantait comme s’il était Niō. (2) Il passa le fusil à Poker-face : Tu as deux tirs au total, puis tu devras recharger. Ce sont des chevrotines qui n’ont aucune puissance à distance. Vise bien avant de tirer.

Je connaissais très bien les fusils à double canon. J’avais même gagné des prix au ball-trap lorsque j’étais enfant, aussi en pris-je un. Un couteau dans une main et une pelle pliante dans l’autre, Oncle San et Poids-lourd dirigeaient le bateau. Grande-gueule, Poker-face et moi tenions des fusils et nous avancions lentement vers la décharge à cadavres baignée de lumière verte.

Sous la faible luminosité des lampes de mineurs, je pus constater qu’à mesure que nous nous rapprochions du halo, la grotte s’élargissait. J’entendis Poker-face dire quelque chose en langue étrangère, puis Grande-gueule jurer comme un fou. S’offrit alors à moi un spectacle que je n’oublierais jamais.

Lorsque nous arrivâmes au niveau de la lumière verte, la grotte s’ouvrit sur une caverne naturelle et la voie navigable devint une rivière. Aux abords des deux berges, là où l’eau était peu profonde, s’empilaient des cadavres verts en décomposition dont il était impossible de dire s’il s’agissait d’humains ou d’animaux. Nous remarquâmes que les rangées de squelettes les plus proches du fond de la grotte étaient empilées très proprement, ce qui semblait indiquer que quelqu’un s’en était chargé. Les dépouilles les plus éloignées, en revanche, étaient en désordre, en particulier celles qui se trouvaient au bord de la rivière. Les cadavres reposaient dans diverses positions et bon nombre d’entre eux n’étaient pas totalement décomposés.

Tous étaient recouverts d’une sorte de pellicule grise qui les enveloppait comme le ferait un film alimentaire. De temps à autre, d’énormes mangeurs de cadavres sortaient des corps. Beaucoup plus petits que celui que nous avions paralysé, ils n’en étaient pas moins quatre ou cinq fois plus gros que d’ordinaire. Quelques petits mangeurs de macchabées, qui voulaient une part du gâteau, se faisaient gober par les plus gros sitôt grimpés sur les dépouilles.

― La plupart de ces corps ont remonté depuis l’amont de la rivière et se sont échoués ici. Faites bien attention. Regardez autour de vous si vous ne voyez pas quelque chose de suspect !

― Regardez ! S’écria Poids-lourd, qui avait l’œil vif, en désignant l’une des parois de la grotte.

Nous tournâmes la tête dans la direction indiquée et vîmes un cercueil de cristal vert dressé verticalement et qui semblait flotter dans les airs. A l’intérieur, on aurait dit le corps d’une femme vêtue de blanc. Mais il était trop loin pour que nous puissions en être certains.

― Il y en a un autre là ! Cria Grande-gueule en indiquant l’autre côté où nous aperçûmes un cercueil identique dans la même position. Mais à la différence de l’autre, il était vide.

― Où est le corps ? Dit Oncle San.

― Un zombie ? Demanda Poids-lourd. Maître San, il ne devrait pas y avoir de zombies ici.

― Soyez sur vos gardes. Si vous voyez quelque chose bouger, ne posez pas de questions et tirez, répondit mon oncle en regardant autour de lui, méfiant.

Nous contournions un bras de la rivière et passions devant un tas d’ossements quand brusquement, Poids-lourd poussa un cri d’effroi et tomba dans le bateau. Nous regardâmes de plus près et vîmes une femme vêtue d’une robe de plumes blanches. Elle nous tournait le dos et ses longs cheveux noirs lui tombaient jusqu’à la taille. D’après les ornements de sa tenue, elle devait appartenir à la Dynastie des Zhou Occidentaux.

Je ravalai ma salive et dis :

― Voici le cadavre.

― Stop…stop… Oncle San essuya la sueur qui perlait sur son front : Poids-lourd, prends le sabot d’âne noir dans le sac ! Comme c’est probablement un zombie de mille ans, prends celui de 1923. J’ai peur qu’elle n’en accepte pas de plus récent. (3)

Il réitéra son ordre deux fois mais Poids-lourd ne bougeait toujours pas. Il avait la bave aux lèvres et se tordait de façon convulsive. Si l’atmosphère n’avait pas été aussi tendue, j’en aurais ri.

― Grande-gueule, va le chercher. Que je sois mangé par un zombie si je l’emmène encore une fois avec moi ! Oncle San prit le sabot et cracha sur ses deux mains : Regarde bien les compétences de Maître San, cher neveu. Ce zombie millénaire est un spectacle rare. Si je ne réussis pas, tu n’as qu’à me tirer une balle dans la tête pour que je meure rapidement et sans douleur !

Je le retins :

― Es-tu sûr de pouvoir gérer ça ?

En fait, je n’avais pas particulièrement peur, même si c’était la première fois que j’étais confronté à ce genre de choses. Mais je ne pouvais chasser l’impression que me faisait cette femme mince, en vêtements ordinaires, à l’air un peu triste. Dans les films d’horreur, en principe, les choses n’étaient pas aussi terrifiantes lorsque la femme aux longs cheveux et aux vêtements blancs se retournait. Mais ici, l’effet psychologique était bien présent et mon cœur battait la chamade.

Poker-face posa la main sur l’épaule de mon oncle :

― Les sabots d’âne noirs sont pour les zombies et j’ai peur que cette chose n’en soit pas un. Laisse-moi faire.

Il sortit un objet long de son sac que je reconnus comme étant le fameux dos de dragon qu’il avait acheté à mon oncle quelques jours auparavant. Lorsqu’il eut ôté le tissu qui le recouvrait, je réalisai qu’il s’agissait d’une épée ancienne d’un noir intense et qui semblait en fer.

Il fit glisser la lame sur le dos de sa main puis se mit à la proue du bateau et laissa couler son sang. Les premières gouttes n’avaient pas plutôt touché l’eau qu’il y eut un grand fracas. Tous les mangeurs de cadavres sortirent des corps et s’éloignèrent frénétiquement de notre bateau comme s’ils avaient vu un fantôme. En quelques secondes, tous les insectes présents dans l’eau et dans les cadavres s’étaient enfuis.

En peu de temps, la main de Poker-face fut couverte de sang. Il la pointa vers la femme en blanc qui, à notre grande surprise, tomba à genoux.

― Partons, ne te retourne pas ! Lança-t-il à Oncle San.

Même si je mourrais d’envie de voir à quoi ressemblait cette femme, je décidai de ne pas prendre le risque. La pensée qu’en me retournant, je pourrais voir le visage d’une momie, m’en dissuada.

Oncle San et Grande-gueule ramèrent désespérément jusqu’à ce que nous apercevions enfin un passage plus étroit, similaire à celui par où nous étions entrés. Apparemment, la caverne se trouvait au centre de la montagne. La voie d’eau ne s’était créée qu’après que les deux passages avaient été creusés, devenant ainsi une structure capillaire avec d’étroites entrées et sorties de chaque côté, de sorte que si ces deux passages étaient submergés, la grotte centrale ne serait pas inondée.

Nous nous engageâmes dans le tunnel des pilleurs de tombes et dûmes une nouvelle fois baisser la tête. Mais juste avant que nous y entrions, je ne pus m’empêcher de penser à ce qu’avait dit Poker-Face. Je ne devais pas me retourner, certes, mais techniquement, je pouvais toujours regarder le reflet dans l’eau pour voir si elle nous suivait !

Je regardai et eus l’impression que tout l’air présent dans mes poumons avait été chassé. Dans le reflet de l’eau, je vis quelque chose sur mon dos.

Je faillis crier et par réflexe, me retournai. Quelque chose me frappa durement à l’arrière de la tête. Ma vision s’obscurcit et je perdis connaissance.

Notes explicatives :

“Un fantôme qui frappe sur un mur” est une expression populaire chinoise qui signifie que l’on est perdu et que l’on tourne en rond, ou encore que l’on se trouve face à un problème insoluble.

Les Niō sont deux costauds qui gardent le Bouddha et que l’on peut voir à l’entrée de nombreux temples bouddhistes d’Asie de l’Est.

Les sabots d’âne noirs sont supposés éloigner zombies et vampires, et leur ôter tout pouvoir.



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