Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 10 – L’ombre
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Au début, je pensais qu’il essayait délibérément de nous faire peur, mais à voir son expression et connaissant sa personnalité, ce n’était visiblement pas son genre. Poker-face continuait à émettre des gloussements, mais je ne voyais pas ses lèvres bouger. Nous le regardâmes tous les quatre et eûmes un frisson de frayeur. Ne me dites pas… que Poker-face est un zombie sous couverture ! Pensai-je.

Devant l’expression terrifiante de Poker-face, Oncle San s’empressa de hisser Grande-gueule hors du chaudron. Brusquement, le taciturne se tut et la tombe devint mortellement silencieuse. J’ignore depuis combien de temps cela durait, mais je commençais légèrement à m’impatienter. J’allais lui demander ce qui se passait lorsque soudain, le couvercle du cercueil se souleva et se mit à trembler violemment. Puis un son étrange et terrifiant, très similaire à celui dont parlait mon grand-père dans ses notes, s’éleva du sarcophage. On aurait vraiment dit un coassement de grenouilles.

Poids-lourd en fut si effrayé qu’il tomba assis sur ses fesses. Pour ma part, j’avais les jambes molles et manquai de tomber moi aussi. Quant à Oncle San, il avait vu tant de choses dans sa vie que même si ses jambes tremblaient légèrement, il ne le montra pas.

Quand Poker-face entendit ce bruit, il eut une affreuse expression, tomba à genoux devant le sarcophage et se prosterna. Nous nous empressâmes de l’imiter. Relevant la tête, il se mit à faire des sons étranges, comme s’il psalmodiait une incantation. Oncle San, qui en avait des sueurs froides, chuchota :

― Est-il en train de lui parler ?

Enfin, le sarcophage se stabilisa et cessa de trembler. Poker-face se prosterna à nouveau, puis se releva.

― Nous devons partir d’ici avant l’aube, dit-il.

Mon oncle s’épongea le front :

― Petit frère, étais-tu en train de négocier avec ce vieux zombie ?

Poker-face eut un geste qui voulait dire “ne pose pas de questions”.

― Ne touchez plus rien de ce qui est ici. L’occupant de ce cercueil est très puissant. Si jamais nous le libérons, Dieu lui-même ne pourra pas nous faire sortir d’ici.

Grande-gueule, qui ne semblait toujours pas comprendre la gravité de la situation, demanda en souriant :

― Quelle langue parlais-tu à l’instant ?

Poker-face fit celui qui n’avait rien entendu et, désignant le passage derrière le cercueil, nous dit :

― Allez-y discrètement. Et ne touchez pas au cercueil !

Oncle San prit un moment pour se ressaisir. Pour être honnête, nous nous sentions beaucoup plus courageux avec un homme comme lui à nos côtés, aussi nous prîmes nos affaires, allumâmes nos lampes de mineurs et descendîmes dans le tunnel derrière le cercueil. En passant devant celui-ci, Poids-lourd se colla dos à la paroi afin de rester le plus loin possible du sarcophage. C’était plutôt comique, mais je n’étais pas d’humeur à rire de lui en cet instant.

Des deux côtés de ce passage en pente descendante, nous vîmes des inscriptions gravées sur la paroi et quelques sculptures de pierre. J’y jetai un coup d’œil mais ne compris rien. Cela dit, je connaissais quelques mots car je faisais souvent des recherches sur ce genre de chose pour mon commerce d’antiquité ou quand je faisais des gravures.

Mais quand bien même je reconnaîtrais tous ces caractères, il m’aurait été très difficile d’en comprendre le sens, car il n’y avait aucune ponctuation. Les anciens s’exprimaient de façon très succincte et habile. Prenez, par exemple, le mot “exact”. Je me souviens d’un monarque de l’État de Qi qui, ayant posé une question à son conseiller militaire, s’était entendu répondre avec un sourire : “Exact.” Le monarque revint alors sur ses pas et réfléchit longuement à la question. Cela signifiait-il qu’il était pour ou contre ? Le souverain se surmena tant qu’il en tomba malade. Sur le point de mourir, il demanda à son conseiller ce qu’il avait voulu dire ce jour-là. Ce dernier eut un petit rire et répondit : “Exact.” Le roi mourut aussitôt.

L’Oncle San avançait très prudemment, prenant tout son temps pour poser un pied devant l’autre. Nos lampes n’étant pas assez puissantes pour pénétrer profondément l’obscurité, tout ce qui était devant et derrière nous était plongé dans le noir. Je ressentais le même malaise que lorsque nous étions dans la grotte. Nous marchions depuis près d’une demi-heure lorsque la pente du tunnel s’inversa. Nous comprîmes que nous étions à peu près à mi-chemin. C’est alors que nous tombâmes sur un tunnel creusé par des pilleurs. Oncle San, qui craignait par-dessus tout d’être devancé, s’empressa d’aller voir ce qu’il en était.

Ce tunnel devait être récent car le sol semblait relativement frais.

― Le vieil homme disait que des gens étaient arrivés dans la vallée il y a deux semaines. Se pourrait-il que ce soient eux qui l’aient creusé ? demandai-je à Oncle San.

― Je ne saurais le dire mais ce tunnel a été creusé à la hâte. Il ne semble pas avoir été créé pour entrer mais plutôt pour sortir ! J’ai bien peur que nous ayons été devancés sur ce coup.

― Ne te décourage pas, Maître San, intervint Grande-gueule. Si vraiment c’étaient des pilleurs qualifiés, ils seraient repartis de la même manière qu’ils sont entrés. Quelque chose a dû mal tourner. A mon avis, le trésor est encore là.

Oncle San acquiesça et nous poursuivîmes notre chemin. Si d’autres avaient bravé le danger pour nous, nous n’avions plus à nous montrer aussi prudents.

Nous accélérâmes le pas et au bout d’un quart d’heure, débouchâmes dans un large couloir, deux fois plus large que celui que nous suivions jusque-là et dont les décorations étaient plus magnifiques encore. De toute évidence, nous nous trouvions au cœur du tombeau. A l’extrémité du couloir, on pouvait voir une immense porte de jade translucide, grande ouverte. Quelqu’un avait dû l’ouvrir de l’intérieur. De chaque côté de la porte se dressaient deux sculptures représentant des spectres affamés. L’un d’eux tenait à la main une griffe de fantôme et l’autre tenait un sceau impérial. Tous deux étaient noirs de la tête aux pieds.

Oncle San examina la porte de jade et constata que le mécanisme au-dessus avait été détruit. Nous entrâmes dans une vaste et sombre salle que nos lampes peinaient à éclairer. Nous pûmes cependant en distinguer les contours.

Ce devait être le tombeau principal.

Grande-gueule balaya les lieux de sa lampe de mineur et s’écria :

― Pourquoi tant de cercueils ? !

En l’absence d’une puissante source de lumière, il était vraiment difficile de se faire une idée précise de ce que contenait cette tombe. Je parcourus la salle du regard et constatai, en effet, la présence de nombreux sarcophages au centre de cette chambre funéraire. A priori, ceux-ci étaient disposés dans un certain ordre, mais pas dans cette disposition formelle et soignée que l’on peut voir habituellement. Le vaste plafond, décoré de fresques, était cerclé de solides dalles de pierres couvertes d’une dense écriture. Je posai ma lampe sur le sol et Grande-gueule plaça la sienne juste en face. Nous pûmes ainsi nous faire une idée approximative de la disposition des lieux et vîmes qu’il y avait deux chambres annexes disposées de chaque côté de la salle.

Oncle San et moi avançâmes jusqu’au sarcophage le plus proche et allumâmes un bâton de feu. Totalement différent de celui que nous avions vu en descendant dans la tombe, celui-ci avait un couvercle couvert d’inscriptions et à ma grande surprise, je m’aperçus que je pouvais en comprendre une partie.

Le texte était une sorte de biographie du défunt qui, selon toute vraisemblance, était un vassal de l’État de Lu. Celui-ci étant né avec un sceau fantôme, il pouvait solliciter l’aide de soldats fantômes issus du monde des enfers et de ce fait, était invincible au combat. Le Duc de l’État de Lu lui avait donc conféré le titre de “Roi Shang de Lu” (1).

Un jour, il demanda à voir le Duc et lui fit savoir qu’il y avait une rébellion dans le monde des enfers. Pour y avoir emprunté des soldats durant de nombreuses années, il était tenu d’y retourner pour rembourser sa dette (ce n’était bien sûr pas textuellement le récit d’origine). Il espérait donc que le Duc le lui permettrait. La permission accordée, le Roi Shang, reconnaissant, se prosterna jusqu’à terre après quoi il mourut en position assise.

Persuadé qu’il reviendrait un jour, le Duc de l’État de Lu lui fit construire ce palais souterrain et assura la sécurité de son corps dans l’espoir qu’une fois de retour, le roi reprendrait son service à ses côtés… etc…etc… Particulièrement long, le texte décrivait en détail les batailles auxquelles le Roi Shang avait participé. Presque partout il était mentionné que lorsqu’il révélait son sceau, une multitude de soldats fantômes surgissaient du sol et emportaient les âmes des ennemis qu’ils tuaient.

Grande-gueule, qui écoutait mes explications, soupira :

― Incroyable. C’est une bonne chose qu’il soit mort jeune, sans quoi c’est Lu qui aurait unifié les six États. (2)

― Pas nécessairement, répondis-je en souriant. Les anciens étaient très forts pour ce qui est de la vantardise. Si ce Roi Shang de Lu a pu emprunter des soldats aux enfers, n’importe qui de l’État de Qi pouvait aussi solliciter l’assistance de soldats célestes. Si je me souviens bien, il était même question d’un général capable de voler. Vous avez certainement lu le “Classique des Montagnes et des Mers” ! (3)

― Quoi qu’il en soit, on sait enfin à qui appartient la tombe qu’on va dévaliser. Mais avec tous ces cercueils, comment savoir lequel est le sien ? demanda Grande-gueule.

J’examinai les inscriptions sur quelques-uns des autres cercueils, mais elles étaient, pour la plupart, similaires. Nous comptâmes les sarcophages : il y en avait sept, ce qui correspondait au nombre d’étoiles composant la Grande Ourse. Aucun indice, sur ces sept sépultures, ne permettait de savoir qui était le défunt. Je me penchais sur les inscriptions que je ne comprenais pas lorsque soudain, Poids-lourd s’écria :

― Regardez, ce cercueil a été ouvert !

Je m’approchai pour jeter un coup d’œil. Le couvercle n’était pas complètement scellé et les marques en divers endroits laissaient entendre que quelqu’un l’avait forcé avec un pied de biche. Oncle San en sortit un de son sac, ouvrit progressivement la dalle puis prit une lampe pour éclairer l’intérieur du sarcophage. Grande-gueule émit un son étrange et nous regarda, confus :

― Que fait cet étranger dans ce cercueil ?

Nous nous rassemblâmes autour de la sépulture : non seulement c’était bien un étranger, mais l’état du cadavre laissait à penser que l’homme était mort depuis moins d’une semaine. Grande-gueule s’apprêtait à prendre quelque chose lorsque Poker-ace le tira brusquement par l’épaule. Il n’avait pas dû y aller de main morte car Grande-gueule grimaça de douleur.

― Ne bouge pas ! Le propriétaire du cercueil est juste en dessous de lui !

Nous regardâmes de plus près et constatâmes qu’en effet, il y avait bien un corps sous celui de l’étranger. Mais comme nous ne pouvions pas voir à quoi il ressemblait, Oncle San sortit de son sac un sabot d’âne noir :

― Ce doit être un heixiong, dit-il. Celui qui frappe le premier prend le dessus.

Poids-lourd me tira par la chemise et me prit à part.

Comme d’ordinaire il était plutôt franc et direct, je trouvai ce comportement un peu étrange. Quand je lui ai demandé ce qui n’allait pas, il me montra sur le mur nos ombres projetées par les lampes et chuchota :

― Regarde ! C’est ton ombre, non ?

― Quoi, tu as peur des ombres maintenant ? demandai-je, agacé.

Il avait l’air blême et suite à ma réponse, ses lèvres se mirent à trembler. Pas possible, pensai-je. Tu as donc peur à ce point ?

Il me fit signe de ne plus dire un mot puis pointa une nouvelle fois le doigt en direction de nos ombres.

― Ici, c’est la mienne, là celle de Grande-gueule, celle-ci est celle de Maître Sans et voici celle de Petit Frère. Tu les vois bien toutes ? Avec la tienne, ça fait cinq, non ?

Je hochai la tête, réalisant soudain quelque chose. Au bord des larmes, Poids-lourd déglutit et tendit le doigt vers une ombre isolée qui n’avait rien à voir avec nous :

― Alors à qui est celle-ci ?

Notes explicatives :

(1) Le Roi Shang n’est qu’un titre de prestige, il ne s’agit pas d’un roi. Shang peut signifier mort sur le champ de guerre, ou mort jeune.

(2) Il est question ici des sept états qui se livrèrent bataille durant la période des Royaumes Belligérants, à savoir : Yan, Zhao, Han, Wei, Qi, Chu et enfin Qin qui, en définitive, l’emporta.

(3) Le Shanhaijing, ou Classique des Montagnes et des Mers, écrit entre 500 et 200 avant JC, est une compilation de données géographiques, de légendes datant de la Chine antique, de magie etc… Pour plus d’informations, c’est par .



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