Mag fut pris par surprise. « Papy aux allumettes ? » Il regarda les yeux débordants de compassion d’Amy et se souvint de l’histoire qu’il lui avait racontée : la petite fille aux allumettes. Apparemment, elle avait pris Krassu pour un vieil homme sans ressources.
Pourtant, il n’avait pas l’air pauvre. À en juger par son comportement, il était soit un maître solitaire, soit une grosse pointure de l’Empire. Il n’avait même pas réagi aux décorations du restaurant ; car elles n’étaient en rien extraordinaires à ses yeux. Ces détails en disaient long sur leur nouveau client.
La petite fille hocha la tête. « Oui. Regarde-le, il me fait de la peine ! Il attend depuis si longtemps, et personne ne lui a acheté une seule allumette. Pourquoi ne pas lui en acheter une ? » Ensuite, elle se tourna vers le vieil homme et lui affirma : « Papy, ne t’inquiète pas. Tu risques de mourir de faim même si nous t’en achetons, mais tu seras en bien meilleure position que la petite fille qui n’en avait même pas vendu une seule. Donc, tu vas mourir en paix. »
Celui-ci était assez confus. Elle semble faire erreur . Il secoua la tête en souriant. « Petite fille, en fait, je ne suis pas… »
« Tu dois avoir froid, et très faim. Tu as envie d’une oie rôtie ? » l’interrompit-elle. « Mais Vilain Petit Canard n’est qu’un bébé, tu ne peux pas le manger tout de suite. » Vigilante, elle recula en tenant le chaton dans ses bras.
« Miaou ! » Un peu inquiet, l’animal regarda sa maîtresse, les yeux écarquillés.
« … » Il ne sut que dire. Cette gamine me voit comme un pauvre vieil homme qui veut manger de l’oie rôtie sans que je n’aie pu dire quoi que ce soit . Et qu’est – ce que cela a à voir avec cette petite créature ressemblant à un chat ?
Mag avait envie de rire devant la prudence méfiante d’Amy. Il vit le visage confus de Krassu et s’avança rapidement. « Désolé. Je lui ai raconté une histoire pour s’endormir et elle y a cru. Qu’aimeriez-vous manger ? Le menu est sur la table, vous pouvez y jeter un coup d’œil. Par contre, nous n’avons plus de La Zhi Roujiamo. »
« Merci. » Le vieil homme cessa de se triturer les méninges et s’assit en face de l’enfant. Il appuya son bâton contre la fenêtre, lui sourit gentiment, et prit le menu sur la table.
Il était venu là pour voir si Amy avait du talent pour apprendre la magie et demander l’avis de son tuteur, mais il ne souhaitait pas s’avancer davantage en abordant le sujet.
Bien sûr, subir un refus était le cadet de ses soucis. Ceux qui voulaient devenir ses apprentis faisaient la queue depuis le palais jusqu’à la porte d’entrée de la capitale.
Il pouvait avoir à faire face à une certaine pression s’il prenait un demi-elfe en tant que disciple, mais il ne se souciait plus de ce genre de choses après avoir passé les 120 ans. Tout ce qu’il voulait à ce moment-là, c’était un bon élève à qui il pourrait transmettre ses compétences.
Krassu moquait de savoir si son disciple était un humain, un elfe ou même un demi-elfe. Il se fichait de l’opinion des autres. Les gens savaient qu’il valait mieux ne pas le provoquer sur ce genre de question.
Ce restaurant était le plus agréable où il avait mis les pieds les jours précédents dans la Cité du Chaos. Bien sûr, il n’était rien comparé au palais de l’Empire.
Il était bondé jusque-là. Un restaurant dans un coin peu fréquenté attirait tant de clients… Il devait proposer de nombreux plats différents. Il ouvrit le menu et fut surpris de n’y trouver que deux lignes. Le La Zhi Roujiamo étant épuisé, seul le riz frit Yangzhou était disponible.
« Patron, qu’est-ce que ce riz frit Yangzhou ? » demanda Krassu en levant les yeux vers son interlocuteur. Il avait vécu plus de 120 ans et n’en avait jamais entendu parler. Le prix d’une seule assiette pouvait faire tenir une famille classique de trois personnes pendant dix jours !
« C’est du riz frit arc-en-ciel super délicieux ! » déclara la petite Amy avant que Mag ne pût s’exprimer. Puis elle eut l’air soudain inquiète. « Je sais que tu as faim, mais nous n’acceptons pas les allumettes. Argent comptant seulement. Si tu n’as pas d’argent pour payer, je vais te faire cramer. »
« En fait, j’ai de l’argent » affirma-t-il en prenant une expression d’apaisement. Il tendit une vieille main maigre de sa robe ample et la posa sur la table, paume vers le haut. Il tenait deux pièces de dragon.
« Tu ne vends pas d’allumettes ? » Amy regarda l’argent dans sa main, perplexe.
« Je ne vends pas d’allumettes, mais si tu veux, je peux t’en faire. » Puis il claqua des doigts, et un bout de bois aussi épais qu’un doigt et longs comme deux apparut dans sa main.
Devant une telle prouesse, Mag fut vraiment surpris. C’est une magie de niveau supérieur. Pour f aire quelque chose à partir de rien , c ‘est un vrai maître.
La boule de feu d’Amy ne peut que détruire, mais la magie de cet homme est simple et habile. Il l ’ a associée à quelque chose de “vivant” et il est doué , pensa-t-il. Il devait être très puissant.
« Wow ! Tu peux utiliser la magie ? » Les yeux d’Amy devinrent d’énormes projecteurs fixés sur le bâton dans la main de Krassu.
Ce dernier hocha la tête en souriant. « Bien sûr. Je suis un magicien. Ce petit truc n’est rien du tout. Un peu de magie peut battre les dragons géants et les trolls. Tu veux savoir comment faire ? »
Mag avait pensé qu’il était sur le point de passer commande. Il ne s’attendait pas à ce qu’il abordât le sujet de l’apprentissage. Il devint soudainement un peu méfiant.
Il savait qu’Amy voulait progresser dans ce domaine, mais à ce moment-là, ils ne pouvaient se permettre de révéler qui ils étaient.
Il avait quitté la capitale pour cette ville du Chaos pour échapper au regard de certains individus.
Ces gens l’avaient laissé en vie cette nuit-là dans la seule intention de rire de sa vie misérable. Il avait feint son suicide, changé son apparence, et s’était installé là. Quatre ans avaient passé depuis.
La plupart d’entre eux d oiv ent penser que nous sommes morts, pensa Mag. Mais nous risquons nos vies. On n’est jamais trop prudent. Amy a dû hériter son talent pour la magie de sa mère. Si ce talent n’est spécifique à la royauté, alors j’ai d’autant plus de raisons de lui trouver un professeur digne de confiance.
Amy secoua immédiatement la tête sans réfléchir. « Non. » Elle pointa ensuite Mag, et ajouta fièrement : « Mon père est lui-aussi un puissant lanceur de sorts. Il a créé ce beau restaurant, et il peut faire toutes sortes de plats délicieux. Tu peux faire ça toi ? »
Krassu se figea une bonne minute. Il ne savait pas cuisiner.
Il leva les yeux pour le regarder et ne perçut aucune vague magique émanant de lui. Il constata également que le bâtiment était fait de matériaux normaux.
C es matériaux de construction sont bien meilleurs que ceux d es autres restaurants, mais la magie n’est pas impliquée. On dirait que cet homme a menti à sa fille pour se construire une image de père fantastique.
« Patron, je voudrais une assiette de riz frit Yangzhou, s’il vous plaît » dit-il en jetant à Mag un sourire. Puisque la petite fille ne m’écoutera pas, je vais devoir trouver un moyen de passer par son père.