Chapitre 1020 — Sorcière de la Nuit

Premier Enfer de Baator, Avernus.

Un cauchemar s’avançait sur une terre aride, parsemée de rochers brisés. Ses sabots enflammés laissaient de profondes empreintes à chaque pas.

Boum ! Une météorite s’écrasa au sol, creusant un vaste cratère. Mais le cheval infernal l’esquiva avec agilité.

Sur son dos se tenait un humain. Rien que le fait de pouvoir monter une telle créature démoniaque révélait qu’il ne s’agissait pas d’un homme ordinaire. Cette simple constatation avait déjà épargné à Leylin de nombreux ennuis.

Les routes de cette région grouillaient d’âmes errantes, certaines encore sous forme humaine, d’autres déjà grotesquement déformées. Même des suppliants y circulaient. Cela confirma à Leylin qu’il approchait de sa destination.

Dans le Plan Matériel Primordial, les humains loyaux et mauvais qui priaient les diables avaient de grandes chances, après leur mort, d’entrer à Baator. Leurs âmes se transformaient alors en suppliants, voire en diables mineurs. Certains diables raffinaient ou déformaient ces âmes en sculptures macabres, leur donnant des formes étranges qu’ils jugeaient “esthétiques”.

La première fois, Leylin avait été intrigué par ces visions. Mais, à force d’en croiser, il les ignora complètement.

Il fit arrêter le cauchemar devant une âme pâle, au visage difforme, au nez et aux yeux tordus. Malgré une expression de souffrance, elle fixait Leylin avec une déférence instinctive — celle que l’on réserve à un puissant démon.

« Comment t’appelles-tu ? Te souviens-tu de ton passé ? » demanda Leylin. L’âme portait encore de riches vêtements, signe qu’elle avait mené une vie confortable dans le monde matériel.

« Lucas… ou… peu importe… » répondit la créature d’une voix tremblante. « Je dois atteindre la Citadelle de Bronze dans trois jours sanglants, sinon mon maître ne me pardonnera pas… J’étais un petit marchand du nord, dans ma vie d’avant. Je priais avec ferveur la Déesse de la Richesse… »

Leylin haussa un sourcil. Les marchands priaient souvent Waukeen. Les fidèles qui ne commettaient pas de crimes graves étaient généralement rachetés et envoyés dans son royaume divin. Si Lucas était ici, c’était qu’il mentait ou qu’il n’avait été qu’un faux fidèle.

Cet échange confirma à Leylin que ces âmes apprenaient vite les vices des démons : feindre et tromper.

« La Citadelle de Bronze ? C’est aussi là que je vais. » Leylin se souvenait, grâce à Belzébuth, que cette forteresse massive formait le cœur d’Avernus. Sa construction grossière servait à la rendre résistante, toujours prête pour la guerre. Assiégée régulièrement, elle ne cessait d’être agrandie et réparée.

« Très bien, seigneur… Avez-vous besoin d’une carte ou d’un guide ? Je suis sûr qu’un grand comme vous récompenserait un humble serviteur… » dit Lucas, les yeux pétillants d’avidité.

« Ou… peut-être… un petit échange ? » ajouta-t-il en frottant son pouce et son index d’un air misérable.

« Comme je le pensais, tu es parfaitement taillé pour l’Enfer… » Leylin laissa échapper un souffle sombre. Un pilier de lumière pourpre jaillit autour de lui. L’air se figea. Les météorites elles-mêmes s’arrêtèrent en plein vol.

L’ Aura du Diable — un pouvoir de Belzébuth, que Leylin avait assimilé et réveillé — venait de se déployer.

[ Aura du Diable : Domaine passif réservé aux diables puissants. Inspire naturellement la peur. Les diables mineurs à proximité subissent confusion et soumission. Attention : attire l’hostilité des autres diables puissants.]

Lucas s’effondra au sol. « Maître… le maître de Lucas ! » gémit-il, terrorisé.

Soudain, une silhouette éthérée apparut au-dessus de lui : une femme au chapeau pointu, à la voix rauque comme un hibou.

« Jiejie… Ancien et puissant démon, mon esclave t’a-t-il offensé ? » demanda-t-elle.

Leylin la reconnut : une sorcière de la nuit . Ces créatures marchandaient dans les Abysses et à Baator, collectionnant avidement les âmes.

« En effet, » répondit-il calmement. « Il a voulu marchander avec moi… sans comprendre les règles les plus basiques. »

« Jiejie… Puis-je compenser ? Je peux te le céder contre une âme ordinaire… » proposa-t-elle.

Leylin eut un sourire froid. « Tu me prends pour un idiot ? Il est évident que tu l’as détourné de son ancien maître par quelque ruse. »

La sorcière ne se défendit même pas, consciente que Leylin avait raison.

Elle allait se retirer, mais il la retint. « Attends. Cette âme m’est indifférente. Par contre, j’ai besoin d’informations récentes sur Avernus… et de cartes détaillées. Je paierai bien. »

Le sourire de la sorcière devint carnassier. « Jiejie… J’aime les clients généreux… »

Elle lui transmit des données précises, y ajoutant des détails sur Dis. Mais Leylin, avec les souvenirs de Belzébuth, savait distinguer vérité et mensonge.

Elle posa alors ses conditions : « Trois âmes ordinaires en échange. »

Leylin fit apparaître trois âmes endormies. Les yeux de la sorcière brillèrent d’avidité, mais elle tenta quand même d’en exiger cinq.

Il répliqua d’un ton glacé : « Ces âmes sont pures et puissantes. Les dieux qu’elles servaient sont morts, elles valent bien plus que la moyenne. Ta cupidité n’a pas de limite… »

Finalement, elle céda. L’échange fut conclu, mais Leylin refusa tout contrat écrit.

« Jiejie… Nous nous reverrons, généreux invité… » dit-elle avant de disparaître, emportant Lucas.