— Le vôtre !? demanda Zhao Yanming, bouche bée.
— Hm, fit Lin Ming d’un hochement de tête, c’est le cadeau d’un aîné.
Une monture capable d’atteindre le Xiantian ne représentait pas grand-chose aux yeux d’un maître Xuandan comme Ancien Chi Yan.
— Offerte ? Zhao Yanming déglutit nerveusement à la mention de ce mystérieux aîné par Lin Ming. Pouvait-on réellement offrir une créature avec un tel potentiel, et pourtant domptée ?
Des trente-six pays et des seize familles d’artistes martiaux du territoire des Sept Véritables, seules la Nation Jingchan, la Famille Zhang et quelques autres entités comptaient un maître Xiantian dans leurs rangs. Quant aux autres, elles n’avaient même pas les moyens d’en développer un si l’occasion se présentait. Un maître Xiantian, c’était l’assurance d’un sommeil paisible, la garantie qu’aucun ennemi ne tenterait d’envahir votre territoire. Leur aura était telle qu’ils forçaient le respect et l’écoute dans n’importe quelle négociation diplomatique. Pour beaucoup, ils incarnaient les maîtres absolus de ce monde.
Si un pays venait à offenser l’un d’entre eux, son monarque risquait de perdre sa couronne et sa tête à n’importe quel moment.
Par conséquent, il n’était pas bien compliqué d’imaginer la valeur d’une créature capable d’atteindre le Xiantian une fois à l’âge adulte.
Et dire que Lin Ming en avait reçu une en cadeau…
Le regard hagard et la bouche béante, Zhao Yanming ne savait tout simplement plus quoi penser. Une chose était certaine, il regrettait que ce Dragon des Flots Ailé ne soit pas encore un adulte. Avec le soutien d’une bête au niveau d’un maître Xiantian, la harde sauvage n’aurait pas été un tel problème…
La nouvelle du retour de Lin Ming fut délibérément diffusée par le bureau du renseignement du Sénéchal, se répandant à travers toute la ville comme une traînée de poudre. L’effet ne se fit pas attendre, dans les heures qui suivirent, pour dix personnes qui prévoyaient de quitter la ville, neuf renonçaient à leur projet. On vit même des groupes entiers regagner l’enceinte des murailles après avoir été mis au courant.
Le quidam n’avait pas la moindre idée du rôle qu’un individu comme Lin Ming pouvait jouer dans une invasion de ce genre. Mais ils savaient qu’un véritable héros foulait désormais les pavés de la Ville du Mûrier Vert. Sa présence raviva une flamme dans le cœur et dans l’âme de ces habitants, celle de l’espoir.
Midi, manoir du Sénéchal —
Le retour de Lin Ming mit en émoi toutes les grandes figures de la ville. En temps normal, un évènement pareil aurait entraîné la tenue d’un somptueux banquet pour célébrer son retour, réunissant l’ensemble de la Ville du Mûrier Vert, ainsi que toutes les sommités des villes voisines autour de Lin Ming, le héros du Royaume du Grand Avenir !
Mais face à la menace d’un ennemi prêt à les annihiler, la panique l’emportait sur la joie, et l’ambiance n’était certainement pas à la fête.
Une petite dizaine d’individus étaient rassemblés autour d’une table au cœur du manoir du Sénéchal. Ces personnages représentaient chacun une des forces majeures de la Ville du Mûrier Vert. Le Sénéchal de la ville, son adjoint, ainsi que les chefs des familles les plus influentes.
Zhao Yanming se leva pour prendre la parole : — Jeune héros Lin, je voudrais commencer par vous remercier au nom de tous les jeunes et de tous les aînés de la Ville du Mûrier Vert. Vous n’avez pas hésité un seul instant à braver les dangers pour nous apporter votre secours. Votre courage vous honore.
— Une gratitude touchante mais inutile, rétorqua Lin Ming d’un geste de la main. Je suis citoyen de cette ville au même titre que vous tous.
— Hm… comme vous voudrez, jeune héros Lin. Ceci étant dit, nous sommes réunis pour déterminer comment nous devrions organiser la défense de la ville si une harde sauvage venait à surgir des montagnes. Laissez-moi d’abord vous présenter ces messieurs. Voici le Général Zhu Ping, dit-il en désignant un homme au milieu de la Condensation de l’Impulsion dont le regard vif et les sourcils arcboutés lui donnaient un air plein d’assurance, c’est lui qui commande la garnison de dix mille hommes de la ville.
— Zhu Ping vous salue, jeune héros Lin, déclara l’intéressé en se levant et en joignant les poings avec respect.
Malgré les apparences, ce visage souriant cachait une légère intention meurtrière.
Zhu Ping ?
Quelqu’un de la Famille Zhu ?
La Ville du Mûrier Vert comptait plusieurs éminentes familles ; les Lin, les Zhu, les Zhuang, les Xie et les Lu. Et de toutes ces familles, les Zhu avaient longtemps figuré au sommet grâce au concours de l’une d’entre eux qui s’était élevée au statut de concubine royale et avait donné naissance à un héritier au trône. Et cet héritier était nul autre que Yang Zhen, le Dixième Prince qui menaçait l’accession au pouvoir de Yang Lin.
Mais les différents conflits qui opposèrent le jeune génie de la Famille Zhu à Lin Ming eurent raison de leur position dominante, et les Zhu n’eurent pas d’autre choix que de bannir Zhu Yan.
Pourtant, cela ne mit pas fin pour autant à l’inimitié qui existait entre Lin Ming et les Zhu. Tout simplement parce que le premier supportait le Prince Héritier, tandis que les seconds se retrouvaient sur le même bateau que le Dixième Prince. L’ascension fulgurante de Lin Ming avait permis de renforcer la position de Yang Lin, et en obtenant le titre de disciple direct, il lui donnait un avantage indéniable. Désormais, le Dixième Prince se retrouvait dans une situation précaire ; entraînant la Famille Zhu avec lui dans sa chute.
Dans une telle situation, comment Zhu Ping, le commandant des forces militaires de la Ville du Mûrier Vert aurait-il pu avoir la moindre sympathie pour Lin Ming ?
Sans compter que Zhu Yan était son propre neveu. Zhu Ping l’avait vu grandir et s’était tenu à ses côtés en toutes situations. Jusqu’à ces évènements tragiques, sa voie était toute tracée vers le sommet de la Famille Zhu. Et pourtant, ce jeune plein de talent se retrouvait désormais forcé vers un futur terne et solitaire. Zhu Yan n’entretenait désormais plus le moindre contact avec sa famille, si bien qu’ils ne savaient même pas s’il était encore en vie…
Zhao Yanming continua alors de présenter les différentes personnes présentes autour de la table, auxquelles Lin Ming répondit avec un sourire humble. En réalité, il était concentré sur la trace quasi imperceptible d’intention meurtrière qui se cachait derrière le visage de Zhu Ping. Sans sa formidable force d’âme et sa perception aiguisée, il ne l’aurait sans doute même pas remarqué.
— Les présentations étant faites, j’aimerais que nous précisions la situation, reprit Zhao Yanming. Les Montagnes Verdoyantes s’étendent sur près de neuf mille kilomètres vers le sud, jusque dans les Étendues Sauvages Australes. Point à partir duquel elles rejoignent la Cordillère Australe. Je ne vous apprends sans doute rien, mais les Montagnes Verdoyantes tirent leur nom des forêts verdoyantes qui recouvrent leurs flancs et leurs sommets. Malheureusement pour nous, ces jungles regorgent de bêtes féroces de grade deux et trois. On y trouve également des bêtes féroces de grade trois dont la force rivalise avec celle d’un artiste martial à la Condensation de l’Impulsion, et même ces créatures redoutables que sont les bêtes féroces de grade quatre, à la force comparable à celle d’un artiste martiale Houtian. Si une harde sauvage venait bel et bien à se former, je crains que nous ne réussissions pas à défendre la ville avec les forces dont nous disposons. Cependant, le risque est infime de voir une harde apparaître devant nos murs. Les bêtes féroces de la Cordillère Australe sont plus proches des Étendues Sauvages Australes que de la région du Mûrier Vert, ce qui nous amène à penser qu’elles déferleront sur les tribus du sud. Je ne vois pas ce qui pourrait pousser ces bêtes féroces à parcourir six à huit mille kilomètres pour attaquer notre chère cité.
En parlant, Zhao Yanming se tourna vers Lin Ming. Le raisonnement qu’il venait d’exposer était partagé par de nombreux habitants, qui s’étaient persuadés au cours des jours précédents que ces funestes évènements ne les atteindraient pas. Si une véritable harde sauvage jaillissait des Montagnes Verdoyantes, ce ne seraient pas des milliers, ni même des dizaines de milliers, mais bien des centaines de milliers de bêtes féroces qui déferleraient sur les murs de la cité dans un furieux élan de destruction. À ce moment-là, les troupes de la garnison ne pourraient probablement même pas repousser l’avant-garde, et la ville ne tiendrait jamais jusqu’à l’arrivée des armées du royaume.
— Je ne peux prétendre l’avenir, déclara Lin Ming après un moment de réflexion, et personne ne sait si une harde sauvage apparaîtra ou non dans la Cordillère Australe. En revanche, je peux vous assurer que si cette harde venait à se former, elle n’attaquerait pas les Étendues Sauvages Australes, mais tournerait bien toute sa fureur vers nous, escaladant les montagnes et traversant les rivières pour déferler sur la Ville du Mûrier Vert.
— Et d’où vous vient cette certitude ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer une chose pareille ? Le cœur de Zhao Yanming se glaça à ces mots de Lin Ming. Il avait beau être jeune, il n’était pas du genre à parler sans réfléchir.
— Parce que tout ceci est le fruit des actions d’un seul homme. Notre ennemi cherche à annexer toute la Province du Phénix Divin, les dix-neuf sectes de grade trois et les nombreux pays qui la composent. Les Sept Profondes Vallées ne font pas exception. Maintenant que vous savez ceci, pensez-vous vraiment que le désert que sont les étendues sauvages australes puisse représenter une cible ?
Les mots de Lin Ming jetèrent un vent de panique dans la pièce.
Les actions d’un seul homme ?
Annexer la Province du Phénix Divin ?
Les Sept Profondes Vallées n’étaient qu’une cible parmi d’autres ?
Tout ceci était des plus choquants. Personne ici n’avait jamais entendu parler de la ‟Province du Phénix Divin.” Mais à en croire le sens des paroles de Lin Ming, les Sept Profondes Vallées n’étaient qu’une des dix-neuf sectes de cette province. À lui seul, le territoire des Sept Véritables s’étendait déjà sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres, alors une telle ‟province”…
Quel genre de pouvoir terrifiant pourrait pousser toutes les bêtes féroces dans un rayon de plusieurs millions de kilomètres dans une telle frénésie ?
Aux yeux de ceux assis autour de cette table, un tel pouvoir était tout bonnement inconcevable.
— Jeune héros Lin, ces mots qui sont les votre semblent tout droit tirés d’un roman fantastique… moqua Zhu Ping en tapotant contre la table avec ses doigts, un sourire provocateur sur les lèvres.
— Le Général Zhu remettrait-il ma parole en cause ? interrogea Lin Ming, le regard perçant.
— Non, non, bien évidemment que je vous crois. Avec votre statut, comment pourriez-vous parler sans réfléchir… vos paroles sont forcément vérité ! Je ne suis jamais qu’un simple serviteur de la Ville du Mûrier Vert, je ne sais pas grand-chose du monde au-delà le royaume, telle une grenouille au fond d’un puits… Comprenez qu’il me soit difficile d’envisager l’existence d’un tel pouvoir. Zhu Ping affichait un sourire humble et chargé de respect, comme si ses mots reflétaient véritablement ses pensées.
Lin Ming feignit d’être convaincu, et il ne répondit rien.
Zhu Ping reprit alors : — Puisque vous êtes si sûr de vous et que vous nous affirmez que les bêtes féroces déferleront sur nos murs si une harde sauvage se forme, comment pensez-vous que nous devrions affronter cette crise, jeune héros Lin ?
— Il faut tenir jusqu’à l’arrivée des renforts.
— Hm… si je ne dis pas de bêtises, vous possédez une monture capable de rivaliser avec un artiste martial Houtian, un Dragon des Flots Ailé n’est-ce pas ? En l’état, cette créature possède la plus grande force de combat de toute la ville. Jeune héros Lin serait-il prêt à placer ce Dragon des Flots Ailés sous le commandement de la garnison ? À cette demande, les sourcils de Zhu Ping se dressèrent comme pour défier Lin Ming.
Surpris, l’intéressé prit un air grave. Il lui demandait de lui remettre sa monture ?
Que pouvait-il bien avoir en tête ? Un Dragon des Flots Ailé n’était pas d’une grande utilité au sein d’une armée.
Sans compter que la créature n’était pas encore adulte. Mal commandée, elle risquerait d’être blessée en combattant les bêtes féroces, voire peut-être même de mourir. Lin Ming ne souhaitait pas voir une chose pareille arriver. S’il périssait sous le commandement de Zhu Ping, ce dernier ne pourrait rien faire d’autre que s’excuser, et Lin Ming n’aurait plus que ses yeux pour pleurer sa perte.
Ce raisonnement en tête, Lin Ming déclara : — Le Dragon des Flots Ailé est une créature sauvage aux instincts brutaux. Vos soldats ne pourront pas le contrôler. Je le garderai à mes côtés, là où il pourra déployer toute sa puissance.
— Je vois… quel dommage ! soupira Zhu Ping, un tressaillement dans les lèvres.
La situation représentait une occasion rêvée de se débarrasser définitivement de Lin Ming !
La Famille Zhu était pieds et poings liés au Dixième Prince, s’il tombait, ils le suivraient dans sa chute. Et tant que Lin Ming serait en vie, leur défaite était inévitable.
Deux jours plus tôt, Ouyang Boyan avait été rappelé par les Sept Profondes Vallées suite à la destruction du clan de la Lune Montante. Avant son départ, l’homme avait pris soin de placer deux subordonnés de confiance pour tendre une embuscade à Lin Ming ; l’un dans la capitale et l’autre ici, dans la Ville du Mûrier Vert.
L’assassin en question se trouvait au Houtian avancé, sa force à un demi-pas du sommet du Houtian.
Zhu Ping était convaincu que le subordonné d’Ouyang Boyan n’aurait aucun mal à éliminer Lin Ming s’il revenait seul. Mais voilà que le jeune homme possédait un Dragon des Flots Ailé. Non seulement c’était une créature extrêmement rapide, mais sa force se situait déjà au Houtian. Dans une telle situation, leur plan se trouvait compromis. D’où la tentative de Zhu Ping pour séparer Lin Ming de sa monture et ainsi laisser le champ libre à l’assassin d’Ouyang Boyan.
Malheureusement pour eux, Lin Ming ne l’entendait pas de cette oreille.
