En une journée, Lin Ming avait visité deux hôtels de ventes, la foire du commerce ainsi que cinq pavillons commerciaux de trésors tenus par des familles respectables, et pourtant il n’avait pas trouvé preneur.
Lin Ming soupira tandis qu’il rentrait vers le Pavillon de la Grande Clarté. Il ne s’attendait pas à ce que vendre quelques inscriptions puisse être aussi compliqué.
Cela ne restait toutefois qu’un petit contretemps. Les moqueries dédaigneuses et les railleries n’avaient pas d’effet sur lui. La peine et la souffrance qu’il avait expérimentées en étudiant les arts martiaux avaient depuis longtemps dépassé n’importe laquelle des douleurs psychologiques qu’il pouvait subir, et ce de plusieurs manières. Même si Zhu Yan le narguait à propos de Lan Yunyue, de ses origines familiales ou de son faible niveau, rien de tout ça ne pouvait éloigner son cœur des arts martiaux.
Il déposa les quatre papiers à symbole et commença à pratiquer la Formule de l’Authentique Chaos Primordial. Il se débrouillait toujours pour trouver le temps d’exercer la Formule de l’Authentique Chaos Primordial bien qu’il ait dédié chaque jour du mois qui venait de s’écouler à la pratique des techniques d’inscription. Désormais, à force de travail acharné, la Formule de l’Authentique Chaos Primordial avait finalement atteint la totalité du premier niveau. La cultivation martiale de Lin Ming était au sommet de la Première Étape de l’Entraînement Physique.
La force de neuf pierres et un poing capable de briser l’Arbre de Fer constituaient les attributs propres au sommet de la Première Étape, l’Entraînement Musculaire.
Une force de neuf pierres équivalait à une force de 900 jins* 1. C’était le sommet de la première Étape de l’Entraînement Physique. Mais la force de Lin Ming était, en réalité, au moins égale à un millier de jins. C’était dû à l’influence qu’avait la technique des Vertus Chaotiques des Méridiens de Combat sur son entraînement. Qui plus est sa force augmentait de jour en jour, pourtant il était toujours bloqué à la première Étape de l’Entraînement Physique.
Lin Ming commença à se concentrer sur sa compréhension des os après avoir fait circuler sa force d’âme avec la Formule de l’Authentique Chaos Primordial. La compétence de désossage de Lin Ming avait déjà atteint un très haut degré de vitesse et d’efficacité ; une bête féroce de niveau 2 n’était même plus suffisante pour satisfaire les exigences de son entraînement. Malheureusement les bêtes féroces de niveau 3 étaient très rares, Pavillon de la Grande Clarté ou non. Il avait beau désirer s’entraîner sur ces bêtes rares, il ne pouvait pas. Il avait alors pensé à autre chose et commencé à désosser avec le revers de la lame du couteau.
N’importe qui choisirait le couteau le plus aiguisé possible s’il avait à désosser, voire une hache ou n’importe quoi d’autre de tranchant. Désosser une bête féroce de niveau 2 nécessitait aussi un jour entier, la plupart du temps. Mais Lin Ming utilisait, lui, l’épais revers du couteau pour désosser. C’était ridiculement difficile, voire impossible ; cela revenait à découper de la roche solide, chaque centimètre grappillé nécessitait une quantité astronomique de force et d’efforts.
Cela contraignait Lin Ming à continuellement épuiser sa capacité physique tout en faisant progresser sa technique.
Avant, il ne lui fallait pas plus de temps pour découper une bête féroce de niveau 2 qu’il n’en fallait pour manger un bol de riz. Mais désormais deux heures n’étaient même pas suffisantes et il se retrouvait en sueur après avoir terminé.
Le résultat était toujours aussi bon, Lin Ming découpait soigneusement les blocs de viande comme il le faisait précédemment. Les membres du Pavillon de la Grande Clarté ne se contenteraient pas de conduire Lin Ming à l’hôpital le plus proche s’ils apprenaient qu’il parvenait à désosser ces bêtes féroces de niveau 2 avec seulement le revers de la lame du couteau, ils se retrouveraient eux-mêmes à l’hôpital.
Lin Ming était mort de fatigue après une nuit d’entraînement. Il avait complètement oublié l’affaire des inscriptions et s’était directement endormi.
…
Il se réveilla avant l’aube après une bonne nuit de repos et se dirigea vers son lieu secret à la Montagne Zhou pour y pratiquer ses arts martiaux. Le soleil commençait à grimper dans le ciel, frappe après frappe. À ce moment, un jeune garçon approcha depuis la clairière. C’était un grand garçon d’apparence saine, habillé en blanc.
— Frère Lin, pourquoi est-ce que tu m’as demandé où vendre des symboles d’inscription hier ? Tu en as vraiment gravé quelques-uns?
Ce garçon était précisément Lin Xiaodong. La veille, Lin Ming était venu le voir plus ou moins à la même heure et il lui avait répondu sans se poser de questions. Mais après avoir réalisé ce qu’il lui avait demandé, Lin Xiaodong s’était dit qu’il n’y avait pas moyen que Lin Ming ait pu créer des inscriptions.
Bien qu’il n’ait pas une compréhension très profonde de l’inscription, Lin Xiaodong savait quand même qu’il était impossible pour Lin Ming de créer une inscription complète. Il était peut-être parvenu à réaliser un produit de mauvaise qualité ou à moitié terminé, et s’il avait apporté quelque chose de ce genre pour le vendre à la foire du commerce, alors les marchands l’avaient probablement fait battre comme un escroc.
Lin Ming sourit et acquiesça.
— J’en ai terminé quelques-uns.
Lin Xiaodong eut un pincement au cœur.
— Tu as essayé de les vendre ?
— Mn. Mais je n’en ai pas vendu un seul.
C’était évident qu’il n’en avait pas vendu, les marchands n’étaient pas des idiots. Lin Xiaodong observa attentivement Lin Ming avec un air inquiet. Ses yeux de chien battu étaient emplis d’anxiété.
— Frère Lin, tu ne t’es pas fait battre, dis-moi ? demanda-t-il.
Lin Ming en fut abasourdi. Ce petit frère avait vraiment une imagination débordante. Il éclata de rire et tapa sur l’épaule de son ami.
— J’ai vraiment terminé les symboles d’inscription et je ne suis pas le complice d’un escroc, pourquoi voudrais-tu que je me fasse battre ?
Il sortit, tandis qu’il parlait, les quatre papiers à symbole sur lesquels il avait travaillé au cours des dernières semaines et les montra à Lin Xiaodong. Il ne voulait pas qu’il s’inquiète à son sujet.
Cependant, le visage de Lin Xiaodong se raidit d’horreur aussitôt qu’il aperçut les quatre papiers à symbole. L’apparence de ces papiers à symbole était vraiment… immonde !
Il s’était dit que les inscriptions de Lin Ming devaient être de second grade, voire qu’elles devaient être défectueuses, mais là c’était vraiment trop ! Le papier était d’un jaune épais ; il avait juste l’apparence de papier toilette utilisé un trop grand nombre de fois. Seul un pigeon pouvait acheter un truc pareil! Lin Xiaodong avait déjà vu de nombreux symboles réalisés par des maîtres de l’inscription, ils étaient toujours placés sur des feuilles propres et brillantes sur lesquelles les couleurs miroitaient.
Lin Xiaodong semblait avoir mangé une bouillie avariée. Il eut un sourire forcé. Oh mon frère, mon gentil frère ! Il n’avait pas le culot d’embarrasser son frère qui devait probablement être en train de souffrir. Il ne put s’empêcher de penser aux centaines de liangs d’or qui n’étaient plus rien que du papier toilette usagé. Lin Xiaodong était vraiment peiné. C’était vraiment du gâchis !
Lin Ming remarqua que l’expression de Lin Xiaodong avait changé, il put facilement imaginer à quoi il était en train de penser. Il rangea simplement les papiers à symbole. Il n’avait aucun moyen d’expliquer tout cela à Lin Xiaodong de manière adéquate et de sorte qu’il comprenne.
— Frère Lin, avec ton talent et ton implication, tu vas forcément atteindre l’Étape de la condensation de l’impulsion à un moment donné. Pourquoi t’ennuyer avec ça ?
Lin Xiaodong avait décidé de changer d’approche et d’essayer la carotte, le bâton n’ayant manifestement pas fonctionné.
Lin Ming sourit et resta silencieux. Lin Xiaodong n’avait pas tort. Ça n’était qu’une question de temps avant qu’il n’atteigne l’Étape de la Condensation de l’Impulsion, inscription ou non. Même l’étape du Houtian ou encore la légendaire étape du Xiantian ne seraient pas trop difficiles.
Toutefois, c’était une lutte quotidienne que de cultiver la voie des arts martiaux, et le temps n’attendait après aucun homme. S’il n’accentuait pas sa cultivation aussi vite que possible pendant qu’il était encore jeune, alors la difficulté ne ferait que croître avec l’âge.
S’il n’utilisait pas de médicaments spéciaux ou d’objets magiques et qu’il ne s’appuyait que sur sa diligence, alors ça lui prendrait un temps considérable, aussi solide que puisse être sa fondation. Lin Ming ne pouvait pas se permettre de gaspiller ce temps.
Il avait par conséquent besoin de gagner de l’argent en utilisant la technique d’inscription et en empruntant le plus de raccourcis possible.
— Xiaodong, rentre en premier, j’ai encore quelques affaires à régler, dit-il.
— Des affaires ? Frère Lin, tu ne penses pas vendre ces papiers à symbole, dis-moi ?
Lin Ming rit.
— Ne t’inquiète pas trop à ce sujet, je sais comment ça fonctionne, dit-il avec un sourire.
Lin Ming s’était déjà éloigné de plusieurs dizaines de mètres alors qu’il finissait de parler.
— Bon sang !
Lin Xiaodong perdit Lin Ming de vue et ne put que pester après son ombre. Il savait pertinemment qu’il suivrait son idée et que personne ne pouvait rien y changer. « Mon frère, oh, mon frère, je t’en prie, sois prudent ! »
Lin Ming avait beau posséder une volonté inébranlable et être plein d’ambitions, certaines choses étaient encore au-delà du contrôle des cieux…
…
Bien qu’il y ait de nombreux commerces dans la Ville du Grand Avenir, il n’y en avait qu’un petit nombre disposant des qualifications pour vendre les symboles d’inscription. Il devait y en avoir un petit peu moins de trente au total.
Lin Ming en avait déjà visité la plupart et il s’était fait éjecter sans exception de chacun d’entre eux. C’était simplement parce qu’il était encore un apprenti. Il pouvait arriver qu’un apprenti parvienne à réaliser un produit complet avec un peu de chance, mais ce n’était pas suffisant pour amener quelqu’un à prendre le risque de gaspiller une arme précieuse avec une inscription douteuse.
Il était forcément un peu déçu de cet échec mais ça ne l’affectait pas plus que ça. Il se disait en lui-même qu’il fallait faire preuve d’un petit peu plus de patience, mais il restait persuadé que ses efforts allaient porter leurs fruits.
— Tu veux nous vendre cette inscription en consignation ? Est-ce que tu t’fiches de moi, p’tit gars? Si jeune et déjà si malhonnête! C’est tout simplement invendable. Va-t’en, pars et cesse de m’importuner dans mes affaires. Tu bloques le passage.
Le marchand du Hall des Cents Trésors lui intima vivement de s’écarter. Les manières des propriétaires de petits magasins étaient toujours plus directes et moins affables que celles des salles de ventes plus professionnelles. Lin Ming ne s’en préoccupait pas plus que ça, mais alors qu’il se tournait sur le côté, il aperçut un visage familier. C’était un visage particulièrement joli, mais aussi un visage qu’il était réticent à regarder.
Deux filles portant des robes jaune topaze se tenaient non loin de lui. L’une d’entre elles avait rompu leur promesse de rendez-vous quelques mois auparavant pour suivre Zhu Yan et rejoindre la Maison Martiale des Sept Véritables, c’était Lan Yunyue.
Elle était arrivée depuis peu de temps. Les mots du marchand résonnèrent dans son esprit lorsqu’elle découvrit les quatre papiers à symbole de piètre apparence dans la main de Lin Ming. Son teint innocent s’évapora.
Lan Yunyue n’avait jamais vu de papiers à symbole auparavant. Quand bien même en aurait-elle déjà vu, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de comparer ces objets mythiques avec les papiers inélégants qu’il tenait. Elle supposa qu’il faisait de la revente de marchandises… certains produits ne coûtaient pas cher, il était possible de gagner un peu d’argent en les achetant pour tenter de les revendre sur les petits marchés afin d’empocher la différence. Ce genre de travail ne rapportait pas grand-chose, en plus d’être peu honorable.
Il faut dire que la famille de Lin Ming n’était pas fortunée et il devait malgré tout supporter la charge financière de l’apprentissage des arts martiaux en plus des dépenses courantes. Il avait probablement rencontré des soucis d’argent récemment, l’entraînant à faire tout ce qu’il pouvait pour en gagner…
Lan Yunyue soupira à cette pensée. Elle ne savait pas s’il fallait qu’elle dise quelque chose dans cette situation. Elle se dit qu’elle risquait de blesser Lin Ming quoi qu’elle dise mais elle ne pouvait pas non plus prétendre ne pas l’avoir vu.
Le marchand finit par apercevoir Lan Yunyue et un sourire affable se substitua à son horrible faciès. C’était comme s’il venait de se métamorphoser.
— Quel genre de produits est ce que cette jeune dame recherche ? Vous avez acheté une épée hier, est-elle à votre convenance ? Ah oui, êtes-vous venue avec ce jeune maître qui vous accompagnait hier ? Je ne le vois pas.
Il était évident que le marchand faisait référence à Zhu Yan en parlant de « ce jeune maître ». Lin Ming put aisément comprendre, en voyant le large sourire du marchand, que ce dernier avait probablement dépensé beaucoup d’argent la dernière fois qu’il était venu ici avec Lan Yunyue.
Celle-ci ne s’attendait pas à ce que le marchand mentionne ainsi Zhu Yan, cela ne fit que rendre la situation encore plus embarrassante et tendue. Elle voulait crier qu’elle n’avait rien fait avec Zhu Yan mais elle retint les mots sur le bout de sa langue. Son teint pâlit et elle se ressaisit. Elle n’était plus une petite fille et devait rester sereine à propos de ces choses. Elle allait tôt ou tard se marier dans la Famille Zhu, et bien qu’elle n’aimât pas Zhu Yan, elle avait cédé à son destin et emprunté la voie de la trahison afin d’atteindre ses objectifs.
Après quelques secondes supplémentaires de malaise, Lan Yunyue demanda avec une petite voix :
— Ça fait longtemps… est-ce que tu vas bien ?
— Je vais bien, répondit calmement Lin Ming. Le passé appartenait au passé, il ne souhaitait pas s’appesantir sur ce genre de choses.
«Tu vas bien ? Comment pourrais-tu être ici si ça allait bien ? Un garçon de 15 ans ayant à supporter la difficulté de l’entraînement et à s’occuper de sa propre subsistance tout en subissant les moqueries… pouvait-il vraiment aller bien ? »
Lan Yunyue savait à quel point Lin Ming était entêté, mais elle ne put s’empêcher de l’inciter vivement à se détacher de cette voie en voyant son apparence.
— Tu n’as pas envisagé de renoncer ?
— Renoncer ? Renoncer à quoi ? Ha, ha ! Es-tu en train de me dire d’abandonner les arts martiaux ?
— Je n’ai pas dit ça. C’est juste que le fait de pratiquer les arts martiaux représente un danger pour le corps. Il est possible de devenir définitivement invalide si tu n’as pas suffisamment d’argent pour acheter des compléments…
Lan Yunyue soupira et son regard se fixa sur les papiers à symbole dans la main de Lin Ming.
— Tu ne pourras pas gagner suffisamment d’argent pour t’initier aux arts martiaux en revendant quelques marchandises bon marché. Je ne pense pas que tu aies déjà souffert de quoi que ce soit pour le moment… Je sais que tu ne veux pas écouter, mais je n’ai pas envie de penser que tu finiras tes jours cloué dans un lit, incapable de faire quoi que ce soit.
Lin Ming sourit en entendant ces mots sincères,
— Merci du conseil, mais je n’abandonnerai pas. Je n’abandonnerai jamais ! dit-il.
Il leva la main et pointa du doigt la belle image des flammes brûlantes sur le papier à symbole.
— Le chemin du disciple est semblable à cette flamme. Pratiquer les arts martiaux ne peut qu’apporter de la souffrance. La route est pavée d’obstacles et les dangers sont innombrables. N’importe qui empruntant ce chemin doit s’attendre à être réduit en cendre. Mais les véritables disciples peuvent renaître de leurs cendres. Je marcherai dans les flammes sans la moindre hésitation, et ce, même si je n’étais qu’une petite et faible phalène. Je combattrai mon destin pour une chance sur un million de traverser mon propre samsara et d’être réincarné en un phénix flamboyant. Et je ne suis déjà plus une phalène… dit-il.
Lin Min prononça ces mots avec un léger sourire. Il rangea ses papiers à symbole et partit en silence, ne laissant que la silhouette de sa solitaire mais fière apparence s’évanouir dans l’horizon.
Lin Ming quitta le Hall des Cents Trésors comme une phalène disparait à la lumière. C’était son cœur des arts martiaux. C’était son Dao. Il persévérerait jusqu’à atteindre le nirvana et il n’aurait de repos que le jour où il s’élèverait à travers les cieux.
*1 Pour ceux du fond qui ont oublié, 1jin = 0,5 kilo