Chapitre 173 – Analyse du rêve
Klein fut alarmé. Instinctivement, il pivota de côté sans présenter son dos à Leomaster, qui tremblait d’effroi dans la réserve.
Il ne pouvait être certain que le prisonnier vêtu d’une courte robe de lin ne fût pas problématique !
À cet instant, l’éclat rouge dans le regard du chevalier en armure noire, au visage identique à celui de Leomaster, s’intensifia brusquement. Il brandit la lugubre épée large qu’il tenait.
Bam !
Faisant un pas en avant, il abattit son arme à une vitesse que Klein ne put saisir à l’œil nu.
Dans le même temps, Klein, qui se tenait à son côté, leva instinctivement le Sceptre du Dieu de la Mer, faisant luire d’un seul coup les gemmes bleues serties à son extrémité.
Fouuu !
Un ouragan tangible surgit du néant et tourbillonna autour de Klein, le protégeant au cœur de la tempête.
Fouuu ! Les flux noirs de lumière fendirent l’espace ; couche après couche, les vents furieux se dissipèrent, se dispersant dans toutes les directions et faisant trembler toute la salle.
Bouuum !
Sous l’impact de l’épée noire, l’ouragan explosa dans un fracas retentissant et se mua en une vague déferlante qui envahit toute la zone, soulevant dans les airs l’ensemble des détritus.
Le choc violent ébranla manifestement le rêve ; Klein sentit son esprit vaciller et ne put s’empêcher de rouler deux fois.
Ploc !
Il chuta de son lit sur le plancher ; la douleur de la chute lui fit ouvrir les yeux.
Ce Saint des Ténèbres est vraiment puissant… Ou devrais-je plutôt dire que je n’ai jamais utilisé le Sceptre du Dieu de la Mer dans le monde réel, de sorte que je suis incapable d’en reproduire toute la puissance dans le rêve… Attendez ! Il fait encore nuit ! Klein remarqua soudain un problème.
À cet instant, la lumière du midi ne se déversait pas par les fenêtres !
Son réveil était dû au combat intense dans le rêve, non à un phénomène naturel !
Cela signifiait également qu’il devait se rendormir aussitôt ; autrement, il risquait de disparaître dans la nuit noire, pour ne plus jamais être retrouvé !
Cette idée lui traversant l’esprit, Klein appuya sa main droite contre le sol, se releva d’un bond, fonça vers son lit et s’y allongea.
Puis il imagina les sphères lumineuses empilées et s’engouffra promptement dans son rêve.
Au cours de cette transition, Klein balaya la fenêtre du regard et aperçut vaguement la nuit noire au dehors : calme, sereine, dépourvue de toute sinistre impression.
Dans le même temps, il eut l’impression qu’une brume enveloppait la surface de la mer, assez loin. Au cœur de cette brume se dressait une cathédrale d’une architecture fort ancienne : entièrement noire, dépourvue de clocher, et surmontée de corbeaux d’un noir d’encre qui tournoyaient comme pour consacrer ou déplorer quelque chose.
Autour de cette cathédrale se pressent quantité de bâtiments : des maisons ordinaires à deux étages, de simples cabanes de bois, des boulangeries aux enseignes pendantes, et des moulins grisâtres mus par des roues à eau… Des passants sillonnent rues principales et venelles, silhouettes furtives dont il est impossible de connaître la véritable situation.
Un mirage ? La source du danger nocturne ? Tous les disparus auraient-ils perdu la raison et gagné cet endroit ? Klein se réveilla de ses rêveries parce qu’il avait inconsciemment réfléchi aux questions accumulées.
Aussitôt, il se força à se concentrer. Il rappela le Sceptre du Dieu de la Mer depuis la « zone unique du monde des esprits » !
Il se souvint qu’il livrait un combat féroce au Saint des Ténèbres juste avant de quitter le rêve !
Une lumière dorée, légèrement assombrie, inonda les yeux de Klein, et tout s’éclaira aussitôt.
Ce qu’il vit ne fut plus le grand chevalier revêtu d’une armure noire intégrale, ni Leomaster dans sa courte robe de lin ; il se trouvait désormais devant une fenêtre allant du sol au plafond, faisant face au soleil couchant.
La vitre, parfaitement propre, dégageait sous l’illumination solaire une pureté indescriptible.
Près de la fenêtre se trouvaient des tables à la teinte de bois naturel et de hautes chaises noires au dossier droit. Plus loin s’alignaient des rangées d’étagères garnies de livres de toutes sortes.
Une bibliothèque ? Un dépôt de livres ? Chaque fois que j’entre dans ce monde onirique, suis-je placé au hasard dans une zone quelconque ? Klein observa prudemment les alentours et confirma qu’il était provisoirement en sécurité, sans trace du prétendu Saint des Ténèbres ni d’aucune créature maléfique étrange.
Tenant le Sceptre du Dieu de la Mer, il s’approcha d’abord de la fenêtre du sol au plafond et contempla le paysage extérieur.
La première chose qu’il aperçut fut les édifices opulents qui recouvraient le sommet de la montagne opposée : d’immenses palais, des flèches majestueuses et des remparts imposants, tous figés dans la lueur du couchant. Le spectacle était saisissant.
Bien que ce ne fût pas la première fois qu’il l’observait, Klein retint néanmoins son souffle et contempla en silence ce panorama prodigieux durant quelques secondes.
Il détourna ensuite le regard vers la falaise. Il distingua les hautes murailles du cloître noir et les arbres desséchés près des rochers ; toutefois, ceux-ci obstruaient la vue, et il lui fut impossible de confirmer si Cattleya se trouvait toujours à son emplacement initial.
En effet, dans un certain rayon, il est impossible de quitter cette région… Serais-je au cœur même du cloître noir ? Klein retira son regard, pensif, puis se dirigea vers les étagères.
Il n’avait pour l’heure pas le loisir de se pencher sur ce qui s’était passé entre le Saint des Ténèbres et Leomaster dans son rêve précédent ; il devait d’abord évaluer sa situation actuelle.
Lorsqu’il parvint aux étagères, Klein constata que les ouvrages qui y étaient rangés portaient chacun un titre lisible ; ils n’étaient ni flous ni indistincts comme dans les rêves ordinaires.
La Spiritualité de la Vie, le Livre des Charmes, La Fleur intérieure du Cœur, Le Vrai Cosmos et l’Univers intérieur… Tous des traités de mysticisme… Klein tendit prudemment la main et retira le Livre des Charmes.
Il le feuilleta rapidement et constata qu’il en connaissait la majeure partie, mais qu’un petit segment lui était complètement étranger.
Il est confirmé que ceci ne provient pas de mon rêve… Celui de Madame l’Ermite ? Les connaissances qui la poursuivent et lui ont été infusées se sont-elles matérialisées dans ce cloître noir ? Klein n’eut nulle envie d’explorer plus loin. Tenant le Livre des Charmes, il revint près de la grande fenêtre, trouva un endroit où s’asseoir et se mit à lire avec sérieux sous la lumière du couchant.
On peut donc étudier même en rêve ! Tout en se moquant intérieurement, il sortit plume et papier pour écrire et dessiner.
Alors qu’il était absorbé par sa tâche, la lumière s’épanouit soudain ; une blancheur aveuglante recouvrit sa vision.
Klein ouvrit naturellement les yeux et sentit la chaleur du soleil qui entrait.
Je n’ai lu que quelques pages et comptais les parcourir en vitesse avant d’utiliser la divination onirique pour m’en souvenir… Klein se redressa, frustré. Il avait l’impression d’avoir perdu une belle occasion d’étudier, car rien ne garantissait qu’il serait de nouveau placé au hasard dans la bibliothèque du cloître noir.
Il ajusta ses cheveux, coiffa son chapeau et gagna le pont. Tout en observant les alentours, il se remémora le rêve.
Cette prison se trouve probablement elle aussi à l’intérieur du cloître noir. Oui, peut-être sous terre. Autrement dit, le Saint des Ténèbres et Leomaster sont dans une ruine toute proche.
Ce n’est guère étonnant que Will Auceptin m’ait déconseillé de tenter d’explorer le rêve. Ces lieux regorgent véritablement de dangers !
Pourquoi le Saint des Ténèbres et Leomaster seraient-ils identiques ? Ce rêve était quelque peu étrange. De plus, ce miroir de plain-pied était fort magique et sinistre ; il a même réussi à cloner un Gehrman Sparrow…
En se remémorant cela, Klein entreprit de trouver, dans ses expériences passées, des exemples propres à confirmer son raisonnement par comparaison.
On appelle cela se fier à l’expérience.
Bientôt, une idée lui vint. Il avait jadis emprunté la Bougie de Terreur Mentale à Backlund et aidé le père Utravsky à éliminer l’« ancien lui ». Un personnage dissocié de son moi originel !
Se pourrait-il que Leomaster soit le Saint des Ténèbres de l’Ordre de l’Aurore ?
Pour certaines raisons, aurait-il scindé sa personnalité, séparant son côté bon de son côté maléfique ? Cette prison scellée et obscure serait-elle le reflet de son rêve intérieur ?
Oui, ce miroir de plain-pied ! Leomaster avait dit que s’il venait à être détruit, il disparaîtrait aussi. Lorsque j’ai regardé dans le miroir, le Gehrman Sparrow qui s’y trouvait a bel et bien acquis un corps matériel ; il était malfaisant !
Il n’est pas surprenant que je me sois senti tel un sage après avoir éliminé le Gehrman Sparrow du miroir : j’avais extirpé de mon esprit mes pensées mauvaises et sinistres…
Oui, ce miroir de plain-pied doit exister sous la forme d’un miroir dans le monde réel… Ces eaux abritent manifestement les restes de Transcendant d’un Visionnaire. Il engendre quantité de monstres irréels et réels capables de tuer… Et cela appartient à la Voie du Spectateur ; dès lors, la capacité de séparer le bien du mal et de provoquer des personnalités dissociées est parfaitement logique…
Hé hé, le Saint des Ténèbres Leomaster est un membre de haut rang de l’Ordre de l’Aurore. Il devait être, au départ, fort malfaisant, mais cette ruine ou cet objet a éveillé son envers, le bien caché au plus profond de son cœur. Cela a provoqué une scission de personnalité ; ainsi est-il prisonnier quelque part non loin d’ici. Klein eut le sentiment de saisir approximativement la vérité de l’affaire et éprouva un léger regret.
Malheureusement, je suis incapable de pénétrer une seconde fois au même endroit. Autrement, avec le Sceptre du Dieu de la Mer et le bon côté de Leomaster, il y aurait de fortes chances d’abattre son côté maléfique, le Saint des Ténèbres. Et les dégâts infligés dans le monde des rêves se répercuteraient dans le monde réel…
Dans ce cas, naîtrait un bon saint connaissant l’Ordre de l’Aurore ; il serait plus aisé d’abattre cette organisation cultiste… Klein soupira silencieusement, se tourna à demi et observa Anderson Hood qui sortait de la cabine.
« Où êtes-vous allé dans le rêve ? Je ne vous ai point trouvé », demanda le Chasseur le plus Puissant comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde.
Klein fronça imperceptiblement les sourcils et demanda : « Pourquoi devrais-je être vu par vous ? »
Anderson resta interloqué.
« Ne devriez-vous pas revenir à l’endroit où vous avez quitté le rêve en y retournant ? »
… D’autres éléments influencent donc mon apparition aléatoire à divers endroits dans un rayon donné ? Cela concernerait-il mon unicité ? Klein comprit que le problème était plus complexe qu’il ne l’avait imaginé.
Il déclara avec réflexion : « Je suis allé ailleurs après être entré dans le rêve. »
« Étrange… » Anderson fronça les sourcils, comme profondément perplexe.
Sans laisser le temps à Klein de répondre, il réfléchit puis reprit : « Il y a un autre fait étrange. »
« Quoi donc ? » demanda Klein avec obligeance.
Anderson inspecta les environs.
« La dernière fois que je faisais semblant de fabriquer un canoë dans le hall, j’ai entendu le bruit d’une porte qui s’ouvrait et des pas venant de l’intérieur. Mais lorsque j’ai levé les yeux, je n’ai rien vu.
Je pensais d’abord qu’il s’agissait de quelqu’un du navire, mais ensuite cela ne m’a plus paru le cas. »
