Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 96 – Le choix
Le sentiment d’irréalité passé, Klein se retrouva avec, dans la main, l’étrange bougie à la mèche noire qui brûlait d’une flamme pâle.
Le sol fracassé, les bancs brisés et les bougies tranchées, il n’y avait plus trace des dégâts causés par le Paladin de l’Aube. Il aurait été difficile de croire qu’ils aient pu être endommagés.
Utravsky qui, auparavant, lui faisait face était assis au premier rang, le dos courbé et la tête enfouie dans ses mains posées sur ses tempes.
La sueur qui ruisselait sur son visage trempait le sol à ses pieds.
Lorsqu’il sentit que Klein venait d’éteindre l’étrange bougie, l’homme d’église leva la tête et croisa son regard.
Son visage ridé ruisselait de larmes, mais ses yeux légèrement embués reflétaient l’émotion, la joie et la clarté.
Si l’on disait de cet Évêque qu’il était grand et lourd, il n’avait plus à présent de lourdeur que celle de son corps. Son esprit, lui, était léger.
Klein eut l’impression de regarder un nouveau-né.
Ces larmes étaient la preuve d’une nouvelle vie.
Utravsky esquissa un sourire aimable :
– « Vous êtes bien meilleur que je ne l’aurais cru. »
– « Non, mais j’ai compris suffisamment de choses et me suis préparé en conséquence. Quant à votre moi passé, non seulement vous n’étiez pas certain de sa puissance, mais vous étiez également très affaibli. Si j’avais à vous affronter dans le monde réel, je réfléchirais à un moyen de m’échapper », répondit calmement Klein qui pensait :
Un Magicien préparé et un Magicien non préparé deux choses bien différentes…
L’Évêque ne s’attarda pas sur ce problème :
– « Merci, mon ami », dit-il, pleinement soulagé. « Comme convenu, je vais vous remettre la formule de l’Apothicaire ainsi qu’un objet occulte. »
Tout en parlant, il sortit de sa poche ce qui ressemblait à une aiguille combinée à un tube et à un récipient.
– « Vous avez le choix entre deux objets. Voici le premier. Lorsqu’il est entré en ma possession, je ne connaissais pas son nom et jamais je n’ai pensé à lui en donner un. Il vous permet de prélever un tube de sang, de votre sang, que vous pourrez vous réinjecter à un moment critique. Votre fatigue disparaîtra, vos maux et blessures seront atténués et votre force, votre rapidité, votre équilibre et tous vos attributs temporairement mais grandement améliorés. »
– « Qu’en est-il de ses limites et risques potentiels ? » demanda Klein qui avait la tête sur les épaules.
Utravsky regarda les mystérieux motifs qui ornaient l’aiguille et le tube :
– « Lorsque vous aurez prélevé un tube de sang, vous serez affaibli pour douze heures, douze heures durant lesquelles, si vous vous réinjectiez votre sang, cela n’aurait aucun effet. Ce délai, bien sûr, n’est pas très précis : il augmente ou diminue en fonction de votre condition physique. De plus, il est préférable de ne pas l’utiliser trop souvent. Pas plus d’une fois par semaine, sans quoi la transfusion, si elle vous fait gagner en puissance, vous fera perdre pour un temps votre esprit rationnel et la courte période d’affaiblissement suivant la prise de sang deviendra votre caractéristique.
« Autre problème : si vous le gardez sur vous plus d’une demi-heure, il vous rendra légèrement névrosé. »
Heureusement, que l’Évêque ne s’est pas fait de prise de sang car si son ancien moi avait pu se faire transfuser, mes chances de gagner auraient été très, très faibles… Fut la première pensée de Klein.
Il fronça les sourcils, plutôt inquiet des effets négatifs liés à cet objet occulte.
Perte temporaire de raison, période de faiblesse de douze heures ou légère névrose, ces dangers latents ne semblaient pas trop problématiques. Mais après avoir vu à l’œuvre des Saccageurs et entendu les délires d’un dieu maléfique, Klein était convaincu que l’état mental, chez un Transcendant, était très important. S’il restait au plus bas durant une longue période ou si des anomalies se produisaient fréquemment, la perte de contrôle pouvait facilement se produire et ce même si le Transcendant en question maîtrisait la méthode du jeu de rôle !
– « Et le second objet ? » S’enquit Klein après quelques secondes de silence.
Utravsky sortit de sa poche une simple clé en laiton et sourit.
– « On appelle cela un Passe-Partout. Il vous permet d’ouvrir n’importe quelle serrure dénuée de pouvoirs occultes et quelques-unes de celles renforcées par des effets Transcendants. Si vous vous trouvez dans un endroit sans porte ni serrure, il peut ouvrir un passage qui n’appartient pas à la réalité, à la condition que des pouvoirs Transcendants n’y fassent pas obstacle et que les barrières ne soient pas trop importantes.
« Son énergie spirituelle est complètement bridée. Quand elle n’est pas utilisée, les Transcendants ne voient aucune différence entre cette clé et une clé normale. »
Utravsky se redressa, obligeant Klein à lever les yeux.
Il s’approcha d’un pas rapide du mur latéral et pressa le Passe-Partout contre la brique.
L’homme se tourna doucement. On aurait dit qu’il s’enfonçait entièrement dans de l’eau dont on pouvait voir les ondulations. Traversant le mur, il se retrouva à l’extérieur et réapparut de la même façon qu’il était sorti.
– « Avez-vous fait votre choix ? » Demanda le grand ecclésiastique à Klein en baissant la tête.
– « Hmm… quels sont les dangers potentiels de ce Passe-Partout ? » S’enquit ce dernier après réflexion.
L’Évêque eut un sourire chaleureux :
– « Il arrive que la personne qui le porte s’égare. D’après ce qu’on m’a dit, c’est aléatoire. »
M’égarer ? Je suis un Voyant doté d’une intuition spirituelle… marmonna Klein qui réfléchissait.
Au bout de quelques secondes, sa décision fut prise :
– « Je prends le Passe-Partout. »
Il ne voulait pas que son état mental soit affecté, ni cumuler les risques de perdre le contrôle.
Quel dommage, ce que j’aurais préféré, c’est cette étrange bougie… Elle s’apparente au plus profond d’une âme, au plus bas niveau du monde des rêves, donc à mon terrain de prédilection… soupira-t-il intérieurement.
– « Très bien », dit Utravsky en lui tendant la clé de laiton et en reprenant l’étrange bougie enveloppée de peau humaine.
Alors que Klein examinait l’objet occulte, l’Évêque pointa du doigt le fond de l’église :
– « La formule est dans cette pièce. Je vais la chercher. Attendez-moi un instant. »
Pour toute réponse, Klein opina de la tête. Sitôt que l’homme d’église eut disparu de son champ de vision, il sortit de sa poche un penny et procéda à une séance de divination pour savoir s’il avait pu mentir au sujet du Passe-Partout.
La réponse le satisfaisant, il se dirigea vers le mur orné de bougies face à lui et pressa l’antique clé contre la pierre.
Il y injecta ensuite son énergie spirituelle et la tourna. Sa vision se brouilla, puis redevint claire.
À la place des bougies, des bancs bien rangés et des murs droits s’étendait de l’herbe flétrie et un terrain boueux jonché de quelques ordures. Sur le côté se dressait un réverbère à gaz.
Je suis vraiment dehors… se dit le jeune homme en souriant avant de retourner par le même moyen dans la nef.
Quelques dix secondes plus tard, Utravsky entrait à pas lourds, tenant à la main un parchemin roulé en peau de chèvre d’un brun jaunâtre.
– « Vous pouvez la faire expertiser », dit-il en lui tendant la formule. « S’il y a le moindre problème, vous me trouverez ici. »
Ingrédients principaux : Corne de Licorne Volante adulte, 3 grammes de venin cristallisé de Méduse Royale… lut rapidement Klein avant de répondre :
– « Je vais m’assurer de son authenticité. »
Au moyen d’une divination au-dessus du brouillard gris, par exemple… ajouta-t-il pour lui-même.
L’Évêque hocha légèrement la tête et sans rien ajouter, retourna près de l’Emblème Sacré de la Vie.
– « Merci, Source de Vie ! » Murmura-t-il. « Louée soyez-vous, Mère de Toutes Choses ! »
…
Klein glissa dans sa poche le Passe-Partout et la formule de l’Apothicaire puis, lorsqu’ Utravsky eut terminé sa prière, lui dit sur le ton de la semi-plaisanterie :
– « Se pourrait-il que ma visite ait été organisée par la Terre Mère ? »
Sinon, pourquoi la remercieriez-vous ? Pensait le faux fidèle de la Déesse de la Nuit Éternelle avec un petit rire intérieur.
– « Oui. Sans elle, jamais vous n’auriez eu vent de mon appel à l’aide. Jamais je ne serais venu à Backlund ni n’aurais acquis cette Bougie de Terreur Mentale », répondit avec un doux sourire l’homme d’église.
C’est bien la logique cohérente d’un croyant, mais…
Le jeune homme sentit soudain qu’il ne pouvait plus communiquer avec lui. La main sur le cœur, il s’inclina :
– « Merci pour votre générosité. Il est temps pour moi de partir. »
Puis il se retira aussitôt et quitta la Rue de la Rose.
Dix minutes plus tard, il regarda de loin la façade dorée de l’Église de la Moisson et ne put s’empêcher de murmurer :
Je ne pourrai donc pas rentrer sans la divination ?
Il s’entêtait à ne vouloir compter que sur ses capacités pour surmonter le problème de l’égarement.
Mais plus rapide que sa parole, sa main avait déjà cassé une branche d’arbre pour en faire une baguette de sourcier improvisée.
Celle-ci pouvait servir à retrouver des personnes, des objets et… des directions !
Klein put donc rentrer chez lui sans incident, et s’assurer de l’authenticité de la formule et des dangers potentiels du Passe-Partout.
…
Le lendemain matin était un dimanche.
Dès son réveil et une fois son petit-déjeuner terminé, Klein prit un stylo, du papier et écrivit à Isengard Stanton, le priant de solliciter l’aide de la police pour connaître le présent statut des quelques suspects dans l’affaire des meurtres en série survenus quatre ans auparavant. Ceux où les cibles étaient des prostituées célibataires avec un enfant.
Il glissa la lettre dans une enveloppe et y apposa un timbre noir d’un penny. Puis il s’habilla, prit son chapeau et sa canne, et sortit pour se rendre à la boîte aux lettres située au bout de la rue.
Il aperçut alors Mme Stelyn Sammer accompagnée de Luke, son époux, tous deux sur leur 31.
Une voiture de location était stationnée devant leur porte.
– « Bonjour. Vous vous rendez à une réception de si bonne heure ? » Demanda le jeune homme, un peu surpris.
Luke eut un petit rire :
– « Ce n’est pas vraiment une réception. Nous allons prêter main forte. »
Stelyn leva légèrement le menton et ajouta :
– « Mary a réussi à entrer au Conseil National de la Pollution Atmosphérique. Il y aura un grand bal ce soir et nous devons aider aux préparatifs. »
Le souhait de cette dame s’est réalisé ? Impressionnant… Soupira le jeune homme qui répondit avec un sourire :
– « Transmettez toutes mes félicitations à Mme Mary. »
Luke Sammer acquiesça.
– « Vous n’avez pas lu le journal ce matin, n’est-ce pas ? Tous les noms des membres du Conseil National de la Pollution Atmosphérique ont été publiés.
« Le Président est Sir Ders Shaw et le Premier Secrétaire M. Hibbert Hall. »