Chapitre 95 – Un livre datant de plus de 3.000 ans
La vice-amirale Iceberg ne changea pas d’expression lorsqu’elle entendit Gehrman Sparrow répondre qu’il allait y réfléchir.
Elle acquiesça calmement.
– « Rien ne presse. »
Elle semble penser que je suis incapable de prendre une décision concernant une transaction de cette ampleur et que je dois demander conseil à l’organisation secrète qui me soutient… Je ne serais pas capable de prendre une décision ? Non, c’est une question d’argent ! railla Klein en refermant Les voyages de Groselle .
– « Savez-vous qui en est l’auteur ? », demanda-t-il d’une voix grave. « Que sont devenus les derniers possesseurs de ce livre ? »
Edwina s’approcha, passa le bout de son doigt sur la couverture et répondit :
– « Il est impossible d’identifier les anciens propriétaires, car le naufrage du navire a entraîné la perte d’informations pertinentes pour l’histoire. De même, nous ne sommes pas en mesure de savoir qui en est l’auteur, il n’est pas mentionné dans le livre.
« J’ai eu recours à des arts occultes pour l’étudier et j’ai découvert que la peau de chèvre datait d’au moins 3 000 ans avant le Cataclysme, c’est pourquoi je l’ai estimé à au moins 8000 Livres. »
Un livre datant d’il y a trois mille ans… Il y est question d’un dragon, d’un elfe, d’un ascète humain, d’un noble de l’Empire de Salomon et d’un soldat de Loen… Tous ces concepts sont bien plus récents ! Un livre magique qui renfermerait le pouvoir de la prophétie ? À moins que quelqu’un n’ait spécifiquement utilisé une antique peau de chèvre pour le créer ? Mais cela n’a aucun sens. Serait-ce un simple canular ?
Klein, qui n’avait pourtant aucune intention de sourire, recourba délibérément les coins de sa bouche.
– « Le géant s’appelle Groselle. L’auteur pourrait-il être Roselle ? »
– « Non, le nom de Roselle provient d’un mot racine en Jotun », expliqua Edwina. « Lorsque le Feysac ancien a évolué pour devenir l’Intis, une seconde modification lui a donné une autre signification… »
Le jeune homme n’en revenait pas, il avait l’impression d’être de retour à l’école.
Il hocha doucement la tête et imperturbable, demanda :
– « S’il s’agit d’une œuvre ancienne, je serais très curieux de savoir pourquoi un dragon de givre porte le titre de Roi du Nord. À quelle Séquence et à quelle voie cela correspond-il ? »
Edwina, qui contemplait les Voyages de Groselle , leva les yeux.
– « Avant l’apparition de la première Dalle du Blasphème, il n’existait aucun concept de Séquence et de voie. De plus, bon nombre de créatures n’auraient pas respecté ces arrangements. À cette époque, le chaos et la folie étaient la base de toute chose.
« Certains dragons peuvent réunir de nombreuses caractéristiques Transcendantes liées au givre, tout comme le givre d’une Démone, le givre d’un Zombie et le givre d’un Sorcier Météorologique. Ils posséderaient ainsi une force assez conséquente et un niveau relativement élevé. Cela dit, une telle accumulation entraînerait inévitablement la mort et la perte de contrôle.
« Cela signifie que s’il ne mourait pas, il perdrait définitivement le contrôle et deviendrait un monstre. Or un dragon est un monstre en soi. »
S’il existe de nombreux produits similaires chez les dragons, les géants et les elfes, on comprend pourquoi la Seconde Époque est connue sous le nom d’Époque Sombre…
Klein réfléchit un instant puis, comme s’il se parlait à lui-même, commenta :
– « C’est un gaspillage de caractéristiques Transcendantes. »
Edwina le regarda quelques secondes.
– « L’empereur Roselle a dit un jour : Tout ce qui se sépare se réunira et tout ce qui s’assemble se séparera. »
L’Empereur a dit cela ? Je comprends la première partie de la phrase. C’est une autre façon de décrire la loi de convergence des caractéristiques Transcendante. Mais que signifie la seconde partie ?
Lorsque l’agrégation atteint un certain degré, y aurait-il une tendance à la séparation et à la dissociation ? Si l’on n’appartient pas à une voie particulière, ce mélange convergent extrêmement chaotique provoquerait-il une dissociation ? Plus c’est chaotique, plus les caractéristiques se repousseraient ?
Il est peu probable que de telles paroles soient répétées à n’importe qui. Ce n’est certainement pas quelque chose que l’on peut rendre public… La dernière fois, j’ai deviné à son nom de famille et en constatant qu’elle utilisait le Sort de Rêve de Roselle, que la vice-amirale était une descendante d’Edwards, l’un des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse… C’est parfaitement possible…
Leur famille se serait-elle, après la mort de l’Empereur, réfugiée à Lenburg et progressivement convertie au Dieu du Savoir et de la Sagesse ?
Quel bon professeur ! Elle répond à toutes les questions !
Klein n’ajouta rien et continua d’admirer la collection de la vice-amirale Iceberg.
En même temps, il avait quelques idées en tête. Il avait l’intention, lors de leur prochaine réunion, de demander à Petit Soleil par l’intermédiaire du Monde s’il connaissait le livre intitulé Les voyages de Groselle.
Afin d’éviter que Le Pendu ne perçoive un souci concernant Le Monde et n’en déduise que quelque chose clochait avec Le Fou, il communiquerait en privé et bloquerait tous les autres.
Après une brève visite, Edwina, suivie de Klein, quitta la pièce et entra dans la salle du réfectoire réservée au capitaine.
– « L’aliment le plus particulier que nous avons ici est le yaourt. On peut y ajouter de la confiture de fraises ou d’autres fruits. On peut aussi y mettre du miel… ». Edwina désigna la table chargée de nourriture qui se trouvait dehors : « Les poissons séchés ne sont pas mauvais. Ils viennent des profondeurs de la mer, des espèces qui n’ont pas encore de nom. »
Tout en parlant, elle fit signe à Klein d’aller se servir et de revenir dans la pièce, puis, se levant, elle lui donna l’exemple.
Klein prit du yaourt d’origine inconnue et y ajouta quelques cuillères de miel. Il prit ensuite son plateau et y déposa, entre autres, des saucisses de porc et du pain beurré.
Ce faisant, il vit un jeune homme vêtu d’une chemise blanche et d’un gilet noir, paré d’un nœud papillon fleuri – qui ressemblait plus à un employé de bureau qu’à un pirate – s’approcher de la vice-amirale et échanger quelques mots avec elle à voix basse.
L’homme est plutôt beau, avec des cheveux presque blonds, à l’exception de ses racines légèrement noires, et soigneusement peignés sur les côtés.
Ses yeux étaient d’un vert lac très clair et son nez pointu. Il avait les lèvres minces, ce qui le rendait digne de confiance.
– « Ne vous fiez pas à l’apparence de ce type. C’est une boîte de poisson-loup pleine de puanteur ! » lui chuchota sur un ton méprisant Danitz qui venait d’arriver au réfectoire.
Klein tourna la tête et le regarda sans rien dire. Il savait, en effet, que le pirate lui donnerait des explications sans qu’il ait besoin de les lui demander.
Mais avant que Danitz n’ait pu parler, un homme bedonnant qui se tenait près de lui intervint d’une voix brute et tranchante :
– « C’est Jodeson, le troisième lieutenant. Un casanova et un pirate à temps partiel qui prétendait pouvoir voler le cœur de notre capitaine, mais il a fini par se faire battre et finalement, il est resté pour s’instruire. Me*de ! »
– « Bref, c’est un mauvais bougre ! » souligna Danitz.
– « Oui, un mauvais bougre », renchérit un autre pirate à la peau noire.
Pourquoi ai-je le sentiment tenace que vous êtes tous pareils ? … Pensa Klein qui s’enquit :
– « Jodeson, alias « Nœud Papillon Fleuri », primé à 5200 Livres ? Un Séquence 6 ? »
Réaction classique de Gehrman Sparrow…
Danitz jeta un coup d’œil sur le côté, son mépris dissimulant un persistant sentiment de peur.
– « Il n’est pas très fort, mais il est très étrange. Lors de mes combats avec lui, je ne pouvais plus utiliser mes boules de feu et lui était capable de reproduire mes pouvoirs. »
Cela me dit quelque chose… Machinalement, Klein jeta un coup d’œil à Jodeson et après réflexion, cela lui revint à l’esprit.
Ça me rappelle beaucoup l’Artefact Scellé appelé Voleur de Vaisseau Sanguin que j’ai vu à Tingen derrière la porte Chanis !
Si le jeune homme avait oublié le numéro de l’Artefact Scellé, il se souvenait parfaitement du fait que celui-ci pouvait temporairement voler les pouvoirs Transcendants de quelqu’un pour son propre usage.
La voie correspondante ?
Détournant le regard, il aperçut Danitz et ses deux compagnons, qui étaient en train de boire et regardaient dans cette direction.
Se remémorant la façon dont le pirate avait révélé son sacrifice à Kalvetua, Klein prit un verre de bière et emporta son plateau dans la salle à manger du capitaine.
– « Vous l’aimez tous, pas vrai ? » dit-il en passant.
Pfft… Pfft… Pfft… On entendit derrière lui le bruit de plusieurs personnes recrachant en même temps leur alcool.
Du coin de l’œil, il vit Danitz reculer d’un bond, le regarder avec horreur et soulagé, tourner la tête vers ses compagnons pour les jauger.
Sans le savoir, ils avaient creusé un fossé entre eux et leurs regards devenaient complexes. On aurait dit qu’ils étaient furieux de s’être fait avoir.
Klein ne s’arrêta pas. Il retourna dans la salle à manger du capitaine et prit son petit déjeuner.
Au bout d’un moment, Edwina revint avec un plateau-repas.
Elle but une gorgée de lait puis, après une pause, lui dit :
– « Danitz m’a montré le rituel d’invocation de votre messagère. Il précise qu’il faut payer une pièce d’or. Je suis un peu perplexe. S’agit-il de pièces d’or de Loen, d’Intis, de Feysac ou d’ailleurs ? Leurs poids sont différents, de même que leur teneur en or. »
Klein réfléchit un instant et répondit :
– « Une pièce d’or de Loen ».
C’est celle qui a le plus de valeur… Et ce n’est pas moi qui payerai… ajouta-t-il en son for intérieur.
Edwina acquiesça
– « Faut-il aussi payer lorsqu’on reçoit une réponse ? »
– « Les créatures du monde des esprits ont des passe-temps différents », répondit Klein.
Sachant que la vice-amirale faisait des recherches sur ces créature, il pensait qu’elle comprendrait ce qu’il voulait dire par là.
De plus, il ne mentait pas. Il cachait simplement le fait que le propriétaire du messager pouvait aussi payer pour cela.
– « C’est vrai », répondit Edwina sur un ton très sérieux, « j’ai déjà essayé de me trouver un messager, mais tous ce que j’ai pu faire, c’était des essais-erreurs quant à l’incantation. Non seulement c’était dangereux, mais il était très difficile de satisfaire aux exigences. J’ai fini par abandonner.
« Par ailleurs, il ne suffit pas de simuler le pouvoir d’un mort-vivant pour signer un contrat. Votre incantation m’a beaucoup inspirée. »
Klein prit son petit-déjeuner en silence et s’abstint de donner plus d’explications. Il avait appris cela de M. Azik, aussi n’était-il pas en droit de l’enseigner à d’autres sans en avoir reçu la permission.
Après un délicieux petit déjeuner pris dans le calme, le Rêve d’Or s’approcha d’un port privé où il déposa Klein et Danitz.
Ce dernier regarda le navire doré et scintillant, et soupira.
– « J’ai l’impression que mes amitiés ont sombré dans l’océan ! »
Klein enfonça son chapeau sur sa tête :
– « Les perdants peuvent toujours faire alliance. »
Danitz ne savait plus s’il devait s’en réjouir ou s’en attrister.
Après avoir changé d’identité et créé de faux papiers, ils achetèrent des billets pour Bayam et montèrent à bord du navire. Klein disposait enfin d’un espace privé.
Il se rendit dans les toilettes, se transporta au-dessus du brouillard gris et se mit à parcourir les prières des croyants.
Le premier qu’il vit apparaître devant lui fut Kalat, le chauve de la Résistance.
– « Honorable Dieu, nous savons où se trouve Hélène. Elle se cache au sein de l’ambassade d’Intis.
« Cela nous a été confirmé par une blanchisseuse et un jardinier. »