Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 88 – Le réveil
Miaou !
Le cri du chat noir résonna dans la clairière. L’homme en robe noire, les jeunes gens, les jeunes filles – d’environ quinze ou seize ans -, tous avaient les yeux rivés sur le cadavre.
Une rafale de vent froid se mit à souffler et le chat noir atterrit sur le sol, fixant l’homme qui venait de le lancer en remuant sa queue.
A nouveau, son poil se hérissa. Prenant appui sur ses membres postérieurs, il fit un bond et s’enfuit.
Malheureusement, personne n’y prêta attention, tous étant concentrés sur le cadavre.
Les secondes devinrent des minutes et rien de ce que l’on espérait ne se produisit.
L’un des adolescents s’approcha, s’accroupit et palpa de ses doigts la peau du mort.
– « Encore un échec ? » Puis s’adressant à l’homme en noir et à ses compagnons : « Aucune réaction. »
Au même moment, une rafale de vent provenant du dessous balaya son visage et en un clin d’œil, le cadavre se redressa !
Surpris, le jeune homme se réjouit aussitôt :
« Nous avons réussi ! Nous avons réussi… »
Il n’avait pas fini de parler que le mort le prit par l’épaule et l’attira vers lui. Puis, ouvrant la bouche, il le mordit et fit gicler son sang.
– « Ah ! Au secours ! » Cria le jeune homme horrifié, tentant en vain de se libérer.
Le mort-vivant leva la tête, révélant deux rangées de dents blanches dégoulinantes de sang entre lesquelles on pouvait voir des lambeaux de chair.
L’homme à la robe noire en resta un moment stupéfait puis il prit un sifflet couleur cuivre, le mit dans sa bouche, souffla et dit en Hermès :
– « Au nom de la Mort, je te commande ! »
Au son de sa voix, le cadavre demeura un moment figé sur place.
Le jeune, dont le cou et les épaules étaient mutilés, fit de même. On aurait dit qu’il avait perdu son âme. Le bas de son corps était sale et humide.
– « C’est donc possible… », marmonna l’homme en noir, agréablement surpris. Puis, pointant du doigt le cadavre, il dit en Hermès : « lève-toi ! »
Le mort-vivant se leva brusquement, rejeta les épaules en arrière et s’enfuit à toute vitesse vers les profondeurs de la forêt.
« Reviens ! » Cria l’homme, surpris, mais le mort ne semblait pas vouloir obtempérer.
A nouveau, il siffla et cria d’un ton solennel : « Au nom de la Mort, je t’ordonne de revenir ! »
A ces mots, le cadavre disparut dans les bois.
L’homme en resta stupéfait, figé sur place.
Je t’ai ordonné de revenir… murmura-t-il pour lui-même, hébété.
Dans les bois, tenant d’une main le sifflet d’Azik et la boîte d’allumettes, Klein enflammait allumette sur allumette puis les éteignait d’un mouvement du poignet et les jetait au sol.
Ce faisant, il reculait en traçant un arc de cercle.
C’est alors qu’un cadavre au visage pâle et à l’odeur nauséabonde se précipita sur lui. Ses yeux sans vie fixaient l’antique et délicat sifflet de cuivre.
Tout en reculant, Klein gonfla les joues et simula le bruit d’un coup de feu.
Le mort se mit à tituber et une blessure profonde apparut sur sa poitrine.
A nouveau, Klein gonfla ses joues et tira une balle d’air.
La tête du mort-vivant se brisa et un liquide en décomposition s’en échappa.
Mais cette blessure, loin de lui être fatale, ne fit que le ralentir temporairement.
Voyant qu’il avançait toujours, Klein fit un pas en arrière et fit claquer ses doigts.
Une flamme brillante s’éleva du sol et enveloppa le cadavre dont les vêtements s’enflammèrent.
Mais celui-ci, traversant le feu, avançait toujours tel un taureau fou.
Klein continuait à claquer des doigts, faisant surgir du sol une succession de flammes rouges.
Si le mort n’éprouvait aucune douleur à passer au travers, peu à peu, il se mit à brûler à mesure que les flammes se faisaient plus intenses, donnant l’étrange sensation d’une bougie en train de fondre.
Alors que, transformé en torche, il arrivait à hauteur de Klein toutes griffes dehors, une flamme s’éleva et les engloutit tous les deux.
Le cadavre tenta de le saisir à l’épaule mais ne put produire que étincelles.
La silhouette de Klein se dissipa dans une lumière rouge et réapparut dans le point de feu le plus éloigné.
Le mort-vivant, qui manifestement avait épuisé toutes ses forces, cessa de se débattre et fondit sous les flammes d’un vert sombre, ne laissant derrière lui que cendres et cire.
Il était bien plus puissant que tous les zombies et les spectres auxquels j’ai été confronté jusqu’ici. Enfin, pas aussi fort que le descendant de M. Azik… Si je n’avais pas été là, ils seraient tous morts aujourd’hui.
Klein secoua la tête et traversa les bois en direction de la clairière.
L’homme à la robe noire s’était aperçu qu’il se passait quelque chose dans la forêt. Sans hésiter, il fit demi-tour et se mit à courir tandis qu’en un éclair, les jeunes gens se dispersaient. Cependant, lorsqu’ils réalisèrent qu’ils étaient seuls dans le secteur, ils s’arrêtèrent et, craintifs, retournèrent à l’endroit où, quelques minutes plus tôt, ils étaient réunis.
Après avoir assisté au réveil d’un cadavre et vu celui-ci mordre l’un des leurs, ils n’osaient pas s’enfuir, seuls, dans la nuit sombre et profonde.
Ils en auraient eu des frissons à la nuque.
Ils se regardèrent, personne n’ayant le courage de venir en aide à leur compagnon blessé de crainte qu’à tout moment, il ne se transforme en zombie.
Dans ce court silence durant lequel leurs cœurs battaient comme des tambours, ils virent sortir de la forêt un clown aux vêtements tape-à-l’œil et au visage peint de rouge, blanc et jaune.
C’était une illusion créée par Klein en personne.
Celui-ci examina les environs mais au lieu de poursuivre l’homme en robe noire, il demanda d’une voix rauque :
– « Qui est celui qui présidait la cérémonie tout à l’heure ? »
Qui ? Manifestement, les adolescents n’avaient pas encore repris leurs esprits car il leur fallut quelques secondes pour pousser devant eux un garçon tremblant qui répondit :
– « Il… c’est notre professeur de Feysac ancien, Kapusky Reid… Il prétendait avoir une profonde connaissance de la mort et voulait nous guider dans la recherche des mystères de l’immortalité. »
Ainsi c’est un enseignant… Les mystères de l’immortalité ? Décidément, il n’est pas nécessaire de payer des impôts pour se vanter… À en juger par ses performances tout à l’heure, ce type n’est certainement pas un Médium Spirite. Au mieux, c’est un Fossoyeur. Il se pourrait même qu’il ne soit que Collecteur de Cadavres de Séquence 9… Il n’est peut-être même pas de la voie de la Mort. Il n’aura rejoint l’ Épiscopat Numineux qu’en raison de son adoration…
Lorsqu’il eut obtenu l’adresse de Kapusky, Klein, après réflexion, dit aux jeunes gens :
– « Rentrez chez vous à présent. Ne vous mêlez plus de ça et n’en parlez à personne sans quoi vous mourrez tous. Vous mourrez tous ! » Insista-t-il.
Effrayés par ce qui venait de se passer, garçons et filles hochèrent vivement la tête. Ils se préparaient à partir lorsqu’une jeune fille aux cheveux lisses pointa du doigt son compagnon qui gémissait de douleur sur le sol :
– « Est-ce que… est-ce qu’il va s’en sortir ? » Demanda-t-elle.
– « Il ne mourra pas dans l’immédiat mais vous devez l’emmener voir un médecin. Dites qu’il a été mordu par une hyène, un animal qui mange souvent de la charogne. »
Sur ces paroles, Klein repartit vers les bois.
Les jeunes gens se regardèrent et l’un d’entre eux lâcha :
– « Ex…excusez-moi, puis-je vous demander qui vous êtes ? »
Le clown eut un sourire :
– « Je ne suis qu’un gardien des enfers », répondit-il avant de disparaître dans un brouillard.
Tout cela n’était bien sûr qu’illusion.
– « Un gardien des enfers ? » Murmurèrent les jeunes gens, plongés dans leurs pensées respectives.
Mais lorsqu’une nouvelle rafale de vent froid à vous transpercer les os les fit frissonner, se soutenant mutuellement, ils quittèrent les lieux sans même se retourner.
…
Un membre de l’Épiscopat Numineux ? Quelle déception… S’il n’abandonnait pas son identité actuelle, je lui rendrais visite au milieu de la nuit pour voir s’il sait quelque chose. Oui, je dois lui donner une leçon afin qu’il ne se permette plus de causer des ennuis à ses élèves. S’imagine-t-il que les Danses des Esprits et les rituels de résurrection sont des jeux de gamins ? Se dit Klein, habitué à penser comme un Faucon de Nuit.
Très vite, il retourna au manoir de Rogo Colloman et attendit patiemment que la ronde passe.
A la première occasion, il escalada la clôture, suivit rapidement les ombres jusqu’à la maison et grimpa discrètement sur le balcon.
La figurine sensée le remplacer fumait encore.
Klein claqua des doigts et elle reprit l’apparence d’un fin morceau de papier qui flotta jusqu’à sa paume. Celui-ci n’était plus utilisable car couvert de marques couleur rouille, mais comme le jeune homme ne voulait pas le jeter n’importe où, il le remit dans sa poche.
Cela fait, il retourna dans la chambre d’Adol.
– « Qu’est-ce qui vous a pris si longtemps ? » Demanda Stuart d’une voix tremblante.
Il était allé à la porte pour voir ce qui se passait et avait aperçu Sherlock Moriarty fumant cigarette sur cigarette. Mais comme il était de service, il n’avait pas osé quitter la chambre.
Klein eut un sourire :
– « Reposez-vous et détendez-vous. Vous pouvez y aller vous-aussi, ça ne me dérange pas. »
– « Je… »
Stuart était sur le point d’accepter lorsqu’une pensée lui traversa l’esprit : il serait seul sur le balcon, dans la nuit noire, avec un faible éclairage et dans un environnement propice aux histoires de fantômes.
– « C’est bon, je n’en ai pas besoin », répondit-il avec un sourire forcé.
Pour toute réponse, Klein sourit, se rassit dans son rocking chair et se balança doucement.
Jusqu’au lever du jour, il ne se passa rien.
A son réveil, Adol s’assit dans son lit, perdu dans ses pensées.
Sans un mot, Klein laissa son poste à Kaslana et à son assistante et se dirigea lentement vers la chambre d’amis pour rattraper son sommeil.
Il s’endormait lorsqu’il entendit Rogo Colloman, agréablement surpris, s’exclamer :
– « Oh, mon garçon, tu te sens mieux à présent ? Par le Seigneur des Tempêtes, je vais faire don de 300 livres à l’Église ! Tu…tu es en train de me dire qu’ils ne te tueront pas ? Ce n’était donc qu’un malentendu ? »
300 livres ? Quelle extravagance… Pensa Klein qui se retourna, s’enroula dans la couette douce et chaude et se rendormit.
À midi, lorsqu’il descendit prendre son repas, Kaslana prit place en face de lui et demanda, les sourcils légèrement froncés :
– « Que s’est-il passé hier soir ? »
– « Rien », répondit Klein, puis, avec un sourire : « A moins que le fait qu’Adol se soit réveillé pour aller aux toilettes soit important ? »
Stuart, qui était assis près de lui, ralentit ses gestes et acquiesça.
La femme les dévisagea puis, détournant le regard, répondit à voix basse :
– « Non. »
Klein esquissa un sourire tout en découpant habilement son steak.