Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 87 – La Danse des Esprits
Que s’est-il passé exactement ? Murmura doucement Adol, réalisant qu’il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait fait ces derniers jours.
Il regarda autour de lui, l’air encore endormi, effrayé, paniqué et confus.
– « Qui êtes-vous ? Où suis-je ? »
Klein observa l’adolescent qui, visiblement, ne comprenait rien à ce qui se passait et eut un petit rire.
– « Vous êtes chez vous, dans les toilettes. Vous ne reconnaissez pas l’endroit ? Je suis un détective privé chargé de vous protéger. »
Chez moi… Un détective pour me protéger… Que s’est-il passé exactement ? Se demandait Adol en regardant autour de lui, étonné.
Soudain, il se figea. Son visage, déjà pâle, reflétait une peur non dissimulée.
– « Peut… peut-être y-a-t-il vraiment des fantômes en ce monde ! Les fantômes existent vraiment ! »
Bien que sa voix tremblât, Klein pouvait y percevoir à la fois de la peur et de l’excitation, émotions parfaitement confirmées par la couleur de ses émotions.
De l’excitation ? Ce garçon aurait-il fini par provoquer un spectre par simple recherche d’un sentiment d’excitation ? Il est vrai que les jeunes sont audacieux et n’ont pas peur de la mort…
C’était une hypothèse à priori, cependant il prit un air confus :
– « Des fantômes ? »
Depuis qu’il était passé Magicien, sa Vision Spirituelle s’était légèrement améliorée, mais pas de beaucoup. Il lui était toujours impossible de voir la surface de la projection astrale au plus profond du Corps Ethérique et de ce fait, il ne pouvait savoir si la personne était ou non un(e) Transcendant(e).
Le visage pâle d’Adol rougit soudain :
– « Oui, des fantômes ! »
Il agita les bras et ajouta : « Il existe un monde au-delà de nos sens ! Je suis sérieux ! La mort n’est pas la fin de tout ! »
Ces paroles… C’est bien un adolescent… Pourtant, je crois avoir vu des mots similaires quelque part… Se dit Klein.
Il eut un sourire :
– « On dit aussi – et c’est ce que je crois personnellement – que face au temps qui est encore plus ancien que l’ancienneté, la mort elle-même disparaîtra. »
Sans attendre la réaction d’Adol, il prit sa montre à gousset et l’ouvrit : « Comment avez-vous fait pour vous retrouver dans cet état ? On aurait cru que vous étiez en pleine dépression nerveuse. »
– « J’ai… » L’adolescent tourna la tête et réfléchit quelques secondes : « J’ai rejoint une société, mais pas une société ordinaire ! Tous nous sommes persuadés que la mort n’est pas la fin. Nous pouvons même la ressentir au moyen de l’occultisme et comprendre que tout est réversible. Oui, nous sommes convaincus que les morts peuvent ressusciter! »
Klein, qui n’était sorti de sa tombe que depuis plus d’un mois, eut un petit rire sec :
– « Vous et ces gens essayiez donc de ressusciter les morts ? »
La mort n’est pas la fin… Un monde au-delà des sens… Tout est réversible… Perception occulte… Ne sont-ce pas là les enseignements de l’Épiscopat Numineux? Tout cela a été créé pour faire revivre la Mort… Pensait-il, soudain éclairé.
– « Oui ! » Acquiesça Adol, les yeux brillants mais totalement incapable de cacher sa peur.
– « Où avez-vous trouvé vos cadavres ? » Insista le détective.
– « Soit nous les déterrions secrètement lorsque les tombes étaient récentes, soit nous les achetions à l’hôpital… »
C’est en effet un crime passible de prison… Pas étonnant que Rogo Colloman ne veuille pas que la police s’en mêle… Vous avez pris bien des risques pour vivre des sensations fortes… Pensa Klein qui, toujours avec son génial sourire, s’enquit :
– « Et vous avez réussi ? »
– « Pas encore… Lors de la dernière réunion, ils me regardaient comme si j’étais un cadavre, comme s’ils se demandaient comment procéder avec l’occultisme… Puis nous avons dansé la Danse des Esprits et communiqué avec l’au-delà par le bais de nos sens. Ensuite, je ne me souviens plus de rien… », répondit Adol tout tremblant.
La Danse des Esprits ? A coup sûr, c’est l’Épiscopat Numineux… Ce gars serait-il devenu un cobaye pour ses acolytes ?
Klein fronça les sourcils :
– « Vous dites que votre mémoire, depuis ce moment, est déconnectée ? »
D’après les archives internes des Faucons de Nuit, les “Danses des Esprits” découlaient des antiques danses sacrificielles très populaires sur le Continent Sud. C’était le rituel préféré de la Mort.
Cela consistait à harmoniser son esprit au moyen des battements, du rythme et des mouvements de manière à interagir avec l’environnement naturel et entrer en interaction avec la cible de la prière. Par la suite, combinée à une disposition simple de l’autel et au titre honorifique de l’entité correspondante, elle permettait d’accéder à un rituel magique plus complexe.
– « Oui », répondit doucement Adol. Puis, relevant brusquement la tête : « Quel jour sommes-nous ? Quelle heure est-il ? »
– « Vendredi, 1 h 12 du matin », répondit Klein de mémoire.
Adol prit une profonde inspiration:
– « J’ai manqué la dernière réunion…Tous les vendredis, à trois heures du matin, ils procèdent à un rituel de résurrection aux abords du cimetière Grimm. »
Ce cimetière tenait son nom de ce qu’il n’était pas loin de la rue Grimm Garden.
– « Vous voulez toujours vous y rendre ? Auriez-vous oublié ce qui vous est arrivé ? C’est vrai, vous ne vous en souvenez pas vraiment, mais vous devriez poser la question à votre père, à votre mère ainsi qu’aux domestiques », répondit Klein tout en pensant :
Je ne serai peut-être pas en mesure de vous aider davantage…
Cet incident, en effet, lui avait permis de découvrir une autre faiblesse du Magicien, à savoir son incapacité à gérer les spectres et autres créatures des ombres. A peine pouvait-il compter sur son contrôle du feu. Mais une fois que ces créatures avaient pris possession d’un corps humain, l’exorcisme et la purification devenaient un problème, à moins de vouloir tuer la personne en même temps que le fantôme.
Ceci dit, Klein, sous cet aspect, n’était pas totalement démuni. Il pouvait toujours recourir à la magie rituelle, l’ennui étant qu’il aurait tôt fait de s’exposer et que ce n’était pas adapté au combat réel.
Après réflexion, il avait finalement choisi d’utiliser le sifflet d’Azik pour attirer le spectre avant de procéder à sa purification par le feu.
Mais les dommages étant peu importants, s’il se retrouvait face à un spectre un tant soit peu plus puissant, il n’était pas dit qu’il puisse l’éradiquer.
Je manque encore d’objets ou de charmes capables de gérer des morts-vivants. Si seulement j’avais l’Artefact Scellé 3-0782, l’Emblème Sacré du Soleil Muté… Se dit Klein, momentanément distrait.
Brusquement, les souvenirs d’Adol lui revinrent et à nouveau, le garçon pâlit :
– « Non, je ne veux pas y aller ! Je ne veux plus jamais y retourner! »
– « C’est très bien », répondit Klein pour l’encourager.
L’adolescent regarda le détective qui ne semblait pas le moins du monde effrayé et demanda instinctivement :
– « N’avez-vous pas peur après tout ce que je viens de vous raconter ? »
Klein se redressa lentement et répondit d’un air détendu :
– « Un détective préfère ne pas croire ce à quoi il n’existe pas de preuves concrètes. »
Il ouvrit la porte et sortit, se demandant s’il devait prendre contact avec l’Épiscopat Numineux. Le mystère entourant la vie de M. Azik pouvait être concerné après tout.
Hébété, Adol regarda le détective privé s’éloigner et il lui fallut un certain temps pour réaliser qu’il était seul dans les toilettes. De plus, le clair de lune était si sombre qu’il créait des ombres allongées, comme si quelque chose d’invisible le surveillait, l’observait.
Il frissonna et s’écria aussitôt :
– « Attendez-moi ! »
Joignant le geste à la parole, il quitta précipitamment les toilettes et emboîta le pas de Klein.
S’il éprouve de la peur et de l’appréhension, c’est qu’il est encore récupérable… Pensa ce dernier en enfonçant les mains dans ses poches.
Lorsqu’il retourna dans sa chambre, Stuart ne s’aperçut pas que le garçon allait déjà mieux. Il avait encore le visage sombre suite à l’histoire de fantômes qu’il s’était imaginée, aussi n’osait-il pas se promener imprudemment.
Lorsqu’Adol se fut rendormi, Klein prit une pièce d’un penny et la fit tourner entre ses doigts.
A environ 2h50 du matin, il la lança, la rattrapa fermement et se leva :
– « Je vais sur le balcon fumer une cigarette », chuchota-t-il à l’adresse de Stuart.
– « Faites vite », répondit son coéquipier d’un ton insistant, les nerfs quelque peu tendus.
Notre détective enfila sa longue robe de chambre, quitta la pièce et se dirigea vers le balcon situé au bout du couloir. Là, il se cacha dans l’ombre et sortit de sa poche une figurine de papier grossièrement découpée.
D’un geste vif du poignet, il fit claquer le papier qui s’agrandit aussitôt pour prendre l’apparence d’un être humain qui lui ressemblait trait pour trait. On aurait dit une statue de cire finement sculptée.
C’était l’une des applications de la capacité Figurines de Substitution en Papier.
Klein alors se concentra, serra son poing droit et frappa légèrement sur son corps.
Sans un bruit, la figurine parut s’animer. Elle avait à la bouche une cigarette au bout rougeoyant de laquelle émanait une odeur de tabac.
Cette figurine va pouvoir me remplacer et donner l’illusion pendant une demi-heure… Je suis vraiment un magicien !
Klein enfila ses gants, se hissa sur la balustrade et glissa furtivement le long du balcon, évitant les patrouilles de sécurité.
…
Aux abords du cimetière Grimm, dans une forêt à l’écart du monde…
Debout dans la canopée, Klein observait l’espace plane et relativement découvert à quelque distance de là.
Les branches brunes et feuilles persistantes autour de lui étaient toutes souillées de poussière grise.
Des jeunes gens et jeunes filles vêtus de longues robes noires dansaient et s’agitaient autour d’un cadavre, et d’après ce que Klein pouvait voir, ils étaient huit.
Très rythmée, leur danse semblait imprégnée d’une saveur mystérieuse.
Les jeunes filles agitaient leurs longs cheveux et les garçons s’agenouillaient en tendant la main. Cette scène était en lien subtil avec leur environnement. C’était le rythme de la nature.
Au bout de trois à quatre minutes, tout ce qui se trouvait dans un rayon de dix mètres autour d’eux se trouva affecté par une atmosphère sauvage et confuse, progressivement sinistre avec une once de divinité.
C’est vraiment une “Danse des Esprits”… Un rituel magique auquel même les gens normaux peuvent participer… Se dit le jeune homme en posant le regard sur un homme en robe noire qui, debout près du cadavre, psalmodiait une incantation.
C’était lui qui, quelques minutes plus tôt, enseignait la danse aux jeunes gens et jeunes filles.
Ce doit être un membre de l’Épiscopat Numineux, très probablement un Transcendant… Se dit Klein qui avait l’intention d’assister au rituel de résurrection.
La danse était à son paroxysme lorsque soudain, l’homme en noir releva la tête et retira sa perruque, révélant les étranges tatouages qui ornaient son crâne chauve.
Levant les bras, il s’écria :
« La Mort !
« L’Honorable Mort !
« Est sur le point de revenir ! »
Les sept ou huit jeunes qui dansaient de part et d’autre s’arrêtèrent, visiblement dans un état second, exprimant à la fois l’anticipation, l’excitation et la peur.
L’homme alors se pencha, ouvrit la cage de fer posée à ses pieds et en sortit quelque chose de sombre.
En regardant attentivement, Klein vit qu’il s’agissait d’un chat noir aux yeux bleus.
Ça marche aussi ? Manifestement abasourdi durant un moment, notre détective se souvint soudain des légendes folkloriques au sujet de cet animal. Si, par exemple, un chat noir – qui symbolisait l’émissaire maléfique de l’enfer – sautait sur un cadavre, celui-ci se réveillerait.
C’était la première fois qu’il voyait quelqu’un recourir à cette méthode au cours d’un rituel.
L’homme s’avança en maintenant le chat pour l’empêcher de se débattre et le lança sur le cadavre.
Tous les poils de l’animal se hérissèrent. Il miaula, siffla et sauta par-dessus le corps.
Klein eut alors l’impression de comprendre le langage des chats et se dit que le miaulement de celui-ci ne pouvait signifier qu’une chose : Pu**in de me*de !