– « Parce que je dois accomplir seul une mission pour devenir membre officiel ? » Répéta Klein, stupéfait. « Mais nous n’aurons peut-être pas de mission cette semaine, et ce ne sera peut-être pas nécessairement simple. »
Dois-je comprendre qu’il me faudra un à deux mois pour devenir officiellement un Faucon de Nuit et bénéficier d’une augmentation de salaire… ?
Le vieux Neil huma son café et le regarda :
– « Ce n’est qu’un rituel chez les Faucons de Nuit. Étant en première ligne pour ce qui est du danger que représentent les Transcendants, nous ne voulons pas que nos coéquipiers agissent comme des enfants dont il faudrait sans cesse s’occuper. Cela n’affectera pas votre salaire en tant que membre officiel, ni les privilèges dont vous aurez besoin pour remplir votre devoir ».
C’est donc un simple rituel destiné à être reconnu des autres Faucons de Nuit… Mais, M. Neil, pourquoi avoir souligné que cela n’affecterait pas mon salaire ? Me serais-je révélé à ce point ?
Klein porta la main à son visage et eut un sourire gêné :
– « S’agit-il nécessairement d’une mission de type Transcendant ? »
– « En principe oui, mais votre performance d’hier était vraiment exceptionnelle. Vous avez fait preuve d’ingéniosité et tué un Transcendant qui était au moins de Séquence 8. Je suis convaincu que Frye, Royale et les autres vous reconnaissent déjà comme un des leurs. Par conséquent, il se pourrait bien que Dunn vous assigne une mission ordinaire », répondit le vieil homme. Soudain, il poussa un soupir : « Votre salaire sera multiplié. Jamais plus je ne verrai cela de mon vivant. »
Klein eut un petit rire avant d’aborder la question de sa voie Séquentielle :
– « M. Neil, pensez-vous que la Séquence 8 correspondant au Voyant est bien le Clown ? »
En fait, s’il se remémorait les données répertoriées dans les documents confidentiels, cela semblait cohérent.
Un professionnel doué pour le combat d’adresse…
– « Je ne peux pas vous donner de garanties, mais c’est très probable. D’abord parce que cela correspond à ce qui est dit sur les documents : leur force réside dans leur agilité et dans leur style de combat reposant sur la ruse. Ensuite, d’autres voies Séquentielles présentent des situations similaires. Savez-vous quelle est la Séquence 8 correspondant à l’Observateur de l’Ombre ? » Demanda le vieux Neil en souriant.
– « Non, cela ne figure pas dans la documentation fournie par l’Église », répondit franchement Klein.
Neil eut un petit rire :
– « Je suis un ami proche de deux vieux gars de la Conscience Collective des Machines. Un jour, ils en ont parlé pour plaisanter. La potion correspondant à la Séquence 8 de l’Observateur de l’Ombre est celle de l’Érudit en Combat Rapproché ! Vous entendez ? Un Érudit en Combat Rapproché ? Par la Déesse, je n’aime pas du tout le combat au corps à corps. Cela ne correspond pas à l’image d’un Observateur de l’Ombre ! »
– « Je peux comprendre… Les Observateurs de l’Ombre traquent les mystères cachés derrière les choses. Le combat en fait partie », répondit Klein après réflexion.
Le vieux Neil termina son café :
– « Bon, ne perdons pas de temps. Reprenons nos études sur l’occultisme. Vous avez encore beaucoup à saisir en matière de magie rituelle. Il vous faut aussi apprendre à créer des amulettes et des charmes. »
– « Entendu », répondit Klein en s’asseyant pour planifier mentalement son emploi du temps pour la journée.
Le matin, j’étudierai le mysticisme et lirai toutes sortes de documents historiques, puis je présenterai ma demande d’indemnisation. Après le déjeuner, j’irai m’entraîner au club de tir. Ensuite, je me rendrai à la bibliothèque Deville, dans le Quartier de l’Indus d’Or, pour voir si je peux emprunter la monographie et les journaux concernant le Pic Principal de Hornacis. Cela fait, s’il me reste du temps, je passerai au Club de Divination. Je ne peux pas me relâcher dans mon “jeu d’acteur”.
Lorsque ma demande d’indemnisation aura été approuvée et que j’aurai reçu l’argent, je pourrai acheter un nouveau costume sur le chemin du retour.
Et… Je demanderai le matériel demain matin et tenterai de fabriquer une amulette de protection à Melissa et Benson pour éloigner d’eux tout danger.
…
Dans une salle à manger ornée d’un lustre et élégamment décorée…
Quelques amis félicitaient Joyce Meyer pour avoir échappé au danger et avoir pu rentrer à Tingen.
– « Nous avons tous lu les nouvelles. Rien qu’en lisant ces articles, j’étais effrayé », dit mélancoliquement un homme avec une courte barbe au menton. « J’ai peine à croire que vous ayez survécu à pareille épreuve, Joyce. À votre santé ! cette tragédie est terminée à présent et la lumière du soleil nous éclaire. Gloire à la Vapeur ! »
Joyce et Anna, sa fiancée, levèrent leurs coupes pour trinquer avec leurs amis, puis avalèrent le peu de champagne qui leur restait.
– « Anna était si inquiète à ce moment-là que je suis à peu près certain qu’elle pleurait tous les soirs. À chaque fois que je l’invitais à prendre le thé l’après-midi, elle était toujours distraite. Heureusement que vous voilà de retour, sans quoi je pense qu’elle en serait morte », dit à Joyce une jeune femme au joli petit nez et aux cheveux bruns enroulés en chignon en jetant un coup d’œil à Anna.
– « Si une telle chose lui était arrivée, j’aurais été dans le même état, peut-être pire encore », répondit ce dernier en regardant tendrement sa fiancée assise à côté de lui.
Anna, qui n’avait pas l’habitude d’exprimer ses émotions devant les autres, regarda vers l’autre bout de la table et dit :
– « Bogda, pourquoi gardez-vous ainsi la tête baissée ? Je sens bien que vous êtes d’une humeur massacrante. »
– « Bogda est malade », répondit la jeune femme au petit nez. « Les médicaments qu’il lui donne ne servent qu’à atténuer la douleur mais ne peuvent pas le guérir. Il va devoir être opéré. »
– « Seigneur, quand l’avez-vous appris ? » Demandèrent en chœur Anna et Joyce, surpris et inquiets.
Bogda, un jeune homme aux cheveux courts, avait le teint cireux et le visage pâle. Dans ses yeux rouges, habituellement brillants, on ne percevait plus qu’une faible lueur.
– « La semaine dernière. Mais comme Joyce n’était pas encore rentré, j’ai demandé à Irène de ne rien vous dire », expliqua Bogda avec un sourire triste.
– « Avez-vous décidé de la date de l’opération ? », s’enquit Joyce avec empressement.
Bogda changea plusieurs fois d’expression avant de répondre :
– « Non, je n’ai pas encore décidé. Comme vous le savez, ces chirurgiens ne sont que des bouchers. Les patients, à leurs yeux, ne sont que des morceaux de viande sur un billot qu’ils massacrent à leur guise ! J’ai lu de nombreux témoignages : ils utilisent même une hache pour amputer ! Seigneur, je pourrais très bien mourir sur la table d’opération ! »
– « Mais si vous tardez trop, l’opération ne pourra peut-être pas vous sauver », intervint le barbu pour tenter de le convaincre.
Soudain, Anna prit la parole :
– « Bogda, pourquoi ne pas consulter un voyant ? Si la séance révèle que tout se passera bien, faites-vous opérer au plus vite. Si le pronostic est mauvais, cherchez d’autres moyens avec l’aide du voyant. J’en connais un, un vrai, très mystérieux, qui pourrait certainement vous aider. »
– « Vraiment ? » Demanda Bogda qui, visiblement, en doutait. Et il n’était pas le seul.
– « Oui », répondit sans hésiter Anna. « J’ai sollicité ses services : il a tout deviné au sujet de Joyce et m’a dit « rentrez chez-vous, votre fiancé vous y attend ». Sur le moment, j’étais comme vous, remplie de doutes mais en rentrant chez moi, j’ai vu Joyce ! Il était vraiment de retour ! »
– « Je peux en témoigner », renchérit son fiancé.
Il se garda bien de mentionner qu’il avait sollicité l’aide de Klein pour interpréter ses rêves. La police l’ayant informé que Tris n’avait pas encore été attrapé, il se devait de garder le secret s’il ne voulait pas être l’objet d’une vengeance.
– « Seigneur, c’est absolument incroyable ! »
– « La divination est-elle magique à ce point ? »
…
Au milieu des exclamations, Bogda réfléchit un moment avant de dire :
– « Peut-être devrais-je faire appel à ses services en effet. Anna, Joyce, pourriez-vous me donner le nom et l’adresse de ce voyant ? »
La jeune femme poussa un soupir de soulagement :
– « Vous avez pris une sage décision. Vous le trouverez au Club de Divination, rue Howes. Son nom est Klein Moretti. »
…
Pendant ce temps, à la Bibliothèque Deville…
Klein utilisa le billet de recommandation que lui avait joint son mentor pour obtenir une carte d’emprunt.
Il tourna, retourna la petite carte et demanda à des bibliothécaires :
– « Avez-vous ” Recherche sur les ruines antiques du pic principal de Hornacis “ , publié par la maison d’édition Loen ? »
– « Veuillez patienter un instant », répondit aussitôt l’un d’entre eux. « Je vais vérifier. »
Il se détourna pour fouiller dans les tiroirs. Il ouvrit celui correspondant à la lettre H et en sortit une simple carte aux inscriptions bien ordonnées.
Après une inspection minutieuse, il secoua la tête :
– « Désolé, Monsieur. Nous n’avons pas ce livre dans notre collection ».
– « Comme c’est regrettable », répondit Klein, visiblement déçu.
Apparemment, je vais devoir écrire à la maison d’édition Loen ou me rendre à l’Université Khoy… Pensa-t-il en constatant à regret que les bibliothèques de ce monde étaient gérées d’une manière totalement dépassée.
Vous auriez besoin d’un ordinateur. Malheureusement, je ne peux pas en fabriquer un…
– « Dans ce cas, auriez-vous les exemplaires des revues ” Nouvelle Archéologie “ et “ Brèves d’Archéologie “ ?
– « Oui », répondit le bibliothécaire. « Un monsieur vient juste de les rendre. »
Il parcourut la carte correspondante et indiqua à Klein l’emplacement de l’étagère concernée.
Le jeune homme s’y rendit aussitôt, parcourut les numéros du journal et trouva ceux que son mentor avait mentionnés.
Il alla s’asseoir près de la fenêtre et, sous le soleil radieux de l’après-midi, se mit à lire tranquillement.
« …Les ruines antiques ne se trouvent qu’uniquement sur le pic principal de la chaîne de montagnes Hornacis. Elles sont également disséminées dans les forêts, vallées et pentes douces qui l’entourent… »
« …Ces ruines sont constituées de dômes imposants et de gigantesques colonnes de pierre. En toute honnêteté, elles sont magnifiques… »
« …je serais curieux de savoir comment les gens qui vivaient là extrayaient et travaillaient ces roches. En supposant bien sûr qu’ils le faisaient sur place et n’avaient donc pas besoin de les remonter en haut de la montagne… »
« …Étrangement, j’ai constaté que plus on approche du sommet, plus les ruines sont imposantes. Mais chose curieuse, il n’y en a pas au sommet. Selon notre hypothèse, il devait s’y trouver des palais qui n’ont visiblement pas été construits par l’homme, des sortes de temples divins où l’on faisait des sacrifices… »
Des palais qui n’ont visiblement pas été construits par l’homme… Des sortes de temples divins où l’on faisait des sacrifices… Serait-ce ce que j’ai vu en rêve ?
Alors que Klein ruminait, il entendit soudain des pas se rapprocher.
Il leva les yeux et aperçut un visage familier, un visage qui revenait souvent dans les journaux.
L’homme avait un visage carré, des sourcils épais, un nez ferme, des cheveux d’or sombre coupés courts, des yeux bleu azur et des lèvres serrées. C’était Sir Deville, philanthrope, entrepreneur, et propriétaire de cette bibliothèque, accompagné du majordome que Klein avait déjà rencontré.
Alors qu’ils passaient à plus de dix mètres de lui, le jeune homme, par curiosité, tapota légèrement sa glabelle.