Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 75 – Une scène chargée de symbolisme
Dans les sombres égouts, Klein s’essuya le cou et reporta son attention sur la tête fêlée, le corps décapité de Lanevus, puis sur les deux cartes de tarot plantées dans son œil., lui brisant les os et
Son poing atterrit impitoyablement sur la gorge de Lanevus
Au départ, il avait l’intention de récupérer tous les projectiles qu’il avait lancés et de faire disparaître tous les indices. Cependant, un problème bien réel et extrêmement grave se posait.
Il n’avait pas la capacité de voir dans le noir complet.
S’il avait pu parcourir les égouts et s’engager dans ce combat intense avec Lanevus, c’était grâce à sa Vision Spirituelle grâce à laquelle il pouvait voir les couleurs de l’aura de son adversaire et le rayonnement énergétique de diverses créatures. Ces « Lumières » spirituelles lui permettaient, même vaguement, de distinguer le chemin.
Malheureusement, les cartes de tarot qu’il utilisait désormais n’étaient pas les mêmes que celles des Faucons de Nuit. Tout à fait ordinaires, sans caractéristiques particulières, elles ne comportaient ni énergie spirituelle, ni gravures argentées.
Dans un tel environnement, Klein pouvait utiliser la couleur de son aura et le rayonnement de son énergie spirituelle pour, dans un minuscule rayon autour de lui, distinguer les choses. Cependant, il ne pouvait pas voir les cartes coincées dans les murs et le sol, ni celles éparpillées partout. Or lorsqu’il se battait avec Lanevus, ils ne s’étaient pas limités à un endroit particulier.
Certes, il était convaincu qu’avec un peu de temps, il ne lui serait pas difficile de toutes les retrouver mais le principal problème était que les Faucons de Nuit et les militaires présents à bord du dirigeable allaient arriver d’un moment à l’autre !
Je ne peux pas me montrer trop négligent à ce sujet… J’ai porté des gants tout ce temps… Ce jeu de tarot, que j’ai acheté avant mon arrivée à Backlund, est standard dans tout le pays… Je ne l’utilise pas habituellement… La plupart du temps, même si je l’ai sur moi, il est avec le sifflet de M. Azik… Quels que soient les moyens utilisés, il leur serait très difficile de me localiser grâce à elles. Tout au plus pourraient-ils reconstituer une partie du combat…. Je porte un masque, et mes chaussures sont rembourrées…
Alors que toutes sortes de pensées lui passaient par l’esprit, Klein prit rapidement une décision.
Il s’accroupit devant le corps décapité et de sa main droite gantée de noir, le fouilla rapidement.
Il n’avait pas l’intention de procéder à un rituel de médiumnité. Tout d’abord, la sensation qu’un dieu maléfique était sur le point de s’incarner avait fait sur lui une si profonde impression qu’il n’osait pas entrer en contact aveuglément avec l’esprit de Lanevus, à moins qu’il ne l’emmène au-dessus du brouillard. Ensuite, les Faucons de Nuit et les militaires pouvant arriver à tout moment, il ne pensait pas avoir assez de temps pour mettre en place le rituel d’invocation, de se répondre, de se transporter dans l’espace mystérieux et de canaliser l’esprit.
Je devrais abandonner quand c’est nécessaire… Se dit-il en retirant sa main du cadavre.
Visiblement pressé de fuir, cet escroc complètement fou n’a emporté avec lui ni argent, ni matériaux, ni charmes, uniquement un insigne de la taille d’un œil qui diffusait un faible rayonnement spirituel.
N’ayant pas à craindre que cet objet puisse être utilisé pour le localiser dans la mesure où il avait l’intention de le lancer au-dessus du brouillard gris pour plus tard l’étudier tranquillement, il se releva et mit l’insigne dans sa poche.
Il jeta un coup d’œil au cadavre de Lanevus et sans attendre l’apparition de la caractéristique Transcendante, récupéra les cartes de tarot restantes. Puis, il étendit la main au-dessus du corps et brusquement, lâcha les cartes qui tombèrent comme des feuilles sur le cadavre décapité, certaines faces visibles, d’autres laissant voir leur dos orné de motifs sombres.
Cela fait, le jeune homme prit le sifflet de cuivre, le lança plusieurs fois puis, sans regarder en arrière, s’enfonça dans les égouts.
Moins de deux minutes plus tard, un groupe d’hommes faisait irruption à l’endroit qu’il venait de quitter. Certains portaient d’épais coupe-vent noirs et d’autres des uniformes militaires bien taillés.
Crestet Cesimir, le chef du groupe, tenait à la main une épée faite d’os d’un blanc immaculé. Ses gants rouges étaient maculés de poussière et son visage, déterminé, montrait des signes évidents de fatigue et d’affaiblissement.
Ils s’arrêtèrent à quelques mètres du corps, et grâce à leur vision nocturne, purent distinguer le cadavre décapité et au pied du mur, sa tête dans laquelle étaient plantées deux cartes de tarot représentant successivement l’Empereur et la Roue de la Fortune.
Le corps, quant à lui, était couvert de cartes dont le Chariot, l’Hermite, la Mort et autres dont les images comprenaient, entre autres, des calices et des sceptres.
Sur les murs et le sol, on pouvait voir d’autres arcanes comme Le Diable, Le Soleil et Le Jugement.
Tout cela évoquait un étrange rituel dont Lanevus aurait été l’offrande sacrifielle.
Crestet Cesimir fronça les sourcils et soupira silencieusement. Quant aux Transcendants qui l’accompagnaient, ils restèrent un moment hébétés à la vue de ce spectacle mystérieux et particulièrement effrayant dans l’obscurité.
…
Klein, qui était déjà loin, trouva rapidement une sortie. Une fois dans la rue, il ôta son masque de clown et, parmi les ombres projetées par les réverbères, prit d’un pas rapide la direction du Quartier Est non sans s’être occupé des tâches qui maculaient ses semelles.
Arrivé rue du Palmier Noir, il poussa un léger soupir de soulagement. De retour dans son studio de location, il procéda immédiatement au rituel d’invocation auquel il répondit lui-même.
Sous la forme de son corps spirituel, le jeune homme transporta au-dessus du brouillard les vêtements qu’il avait portés ce soir-là, les charmes, herbes et huiles essentielles qui lui restaient ainsi que l’insigne récupérée sur Lanevus. Cela fait, il brûla les indices à l’aide d’une flamme spirituelle.
Ouf… Soupira-t-il. Il avait enfin le temps de regarder à quoi ressemblait l’objet qu’il avait pris à Lanevus.
Cet insigne, qui n’était pas plus grand qu’un œil, portait, sur le devant, un symbole représentant le destin et la dissimulation et au dos, un anneau formé de minuscules mots en Hermès ancien :
Si vous êtes en possession de cet objet, vous pouvez vous joindre à nous.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Lanevus était-il membre d’une organisation secrète lui-aussi ?
Klein se frotta les tempes. Physiquement et mentalement épuisé – sans compter le fait que le moment était mal choisi – il décida d’abandonner ses recherches et d’attendre la fin de la réunion du Club du Tarot.
Quittant aussitôt cet espace mystérieux, il ôta son déguisement et se changea.
Cependant, peu pressé de retourner rue Minsk, il avait prévu de passer la nuit dans cet appartement. Une fois passé minuit, en effet, il avait de grandes chances de se faire contrôler, surtout après ce qui venait de se produire.
Il s’allongea donc et regarda par la fenêtre. La lueur de la lune envahissait l’obscurité. Peu à peu, il s’apaisa.
Sa vengeance initiale accomplie, il se sentait libéré d’une bonne partie de ses fardeaux et beaucoup moins stressé. Son état mental s’était nettement amélioré.
Actuellement, je ne suis pas en mesure d’affronter Ince Zangwill et l’Artefact Scellé 0-08. Un énorme fossé nous sépare. Je ne pourrai m’impliquer dans ce genre d’affaires qu’une fois que je serai devenu Transcendant de Haute Séquence ou demi-dieu. Tant que je ne serai pas passé Séquence 4, je ferai comme s’ils n’existaient pas…
Mon objectif à court terme est de travailler d’arrache-pied pour m’améliorer. Maintenant que j’ai complètement assimilé ma potion de Clown, une fois les ingrédients Transcendants réunis, je pourrai passer Magicien.
Viendront ensuite le Sans Visage, le Maître Marionnettiste et la Séquence 4 correspondante dont je ne connais pas le nom.
À part ça, je resterai un détective ordinaire.
Calme et paisible, Klein réfléchissait de façon décousue à ce qu’il ferait par la suite. Il n’était plus aussi grognon ni déprimé.
Esquissant un sourire, il se dit :
Capitaine, Benson, Melissa, je suis certain que vous préférez me voir ainsi…
…
À l’aube, un groupe de gens vêtus comme des médecins, coiffés de calots chirurgicaux et portant des masques blancs arriva au dortoir du Syndicat des Dockers.
L’ancien qui les précédait, visiblement très expérimenté, s’adressa aux résidents perplexes et confus :
– « Nous avons découvert qu’une maladie infectieuse sévissait dans ce bâtiment. Un dénommé Kevin en est mort.
« Nous sommes là pour vous apporter un traitement, et ce gratuitement. Il existe un remède spécifique à cette maladie et si vous le prenez dans les temps, tout se passera bien. »
– « Kevin ? » S’exclamèrent l’un après l’autre les résidents, étonnés. Ils regardèrent autour d’eux mais ne virent pas leur collègue.
Kevin était en fait le pseudonyme de Lanevus.
Constatant que l’équipe médicale humanitaire était accompagnée de policiers, les résidents, qui n’avaient plus de doutes, se mirent à faire la queue pour se voir remettre le remède. Tous étaient nerveux.
Le premier, un homme entre deux âges à la barbe touffue, craignant qu’un seul flacon ne soit pas suffisamment puissant pour venir à bout de la maladie, posa toutes sortes de questions.
Les médecins finissant par se montrer impatients, il avala enfin le contenu du flacon bleu.
On le dirigea ensuite sur le côté, lui recommandant de placer sa bouche devant un trou de taille adaptée.
Soudain nauséeux, l’homme fut pris de violents vomissements et régurgita une substance sanglante et putride.
Il était sur le point de se relever et de jeter un coup d’œil à ce qu’il venait de vomir lorsque deux vigoureuses infirmières l’emmenèrent brusquement.
Le trou en question était situé au-dessus d’un tonneau métallique noir dont le fond était particulièrement sombre.
Là reposait une flaque d’un vert jaunâtre au centre de laquelle on pouvait voir un petit morceau de viande couleur sang.
Un à un, les résidents prirent leur remède et allèrent vomir devant divers barils.
…
Quartier de l’Impératrice, dans la luxueuse villa du Comte Hall….
Audrey, qui regardait le ciel, se tourna vers le Vicomte Glaint :
– « Que faites-vous ici de si bonne heure ? »
Le jeune homme regarda autour de lui et ne vit qu’un golden retriever assis à ses pieds.
– « Je me rendais au club hippique lorsque j’ai rencontré Kance qui m’a dit quelque chose de très intéressant. De vraiment intéressant. Comme je passais par ici, j’ai eu l’idée de venir vous en parler. »
– « De quoi s’agit-il ? » Demanda Audrey avec intérêt.
Sans réfléchir, Glaint répondit :
– « Vous avez certainement entendu parler de l’Ordre Aurora. Ce sont eux qui ont assassiné l’ambassadeur d’Intis. Ils se sont fait prendre et plusieurs de leurs membres importants ont été tués ce qui a permis de déjouer un très grand stratagème. »
Je pensais que c’était en rapport avec la divinité du Vrai Créateur. Xio et Fors ont envoyé quelqu’un rapporter l’information hier en fin de journée et il se trouve qu’une opération a eu lieu la nuit dernière… Une minute ! Il me semble que l’Ordre Aurora vénère le Vrai Créateur !
Les yeux d’Audrey s’illuminèrent et elle demanda d’un ton réservé :
– « Quel stratagème ? »
– « Je l’ignore, Kance a refusé de le dire. Il m’a simplement appris que le responsable de ce complot était autrefois un escroc recherché, un escroc nommé Lanevus », répondit le Vicomte avec un geste de la main.
Je m’en doutais… Se dit Audrey avec un imperceptible signe de tête. Sans chercher à cacher sa curiosité, elle s’enquit :
– « A-t-il été pris ? »
– « Il est mort, mais ce n’est pas le fait de nos gens. » Glaint marqua une pause. « C’est ce que j’entendais par intéressant. Son corps a été retrouvé couvert de cartes de tarot. Même chose pour les environs. Vous imaginez la scène… »
Des cartes de tarot ? Un corps couvert de cartes de tarot ?
D’abord surprise, Audrey comprit soudain :
C’est l’œuvre de notre Club du Tarot !
C’est l’adorateur de M. Le Fou qui en est l’auteur !