Chapitre 74 – Traitement discriminatoire
Une question ? Cet étrange émetteur-récepteur radio a quelque chose d’intéressant…
Danitz se racla la gorge :
– « Vous pouvez la poser, mais il n’est pas certain que je répondrai. »
Héhé, vous pensez que je suis le genre d’aventurier ou d’archéologue qui finit par se tuer par curiosité ? pensait le pirate, à la fois prudent et fier.
Quelques secondes plus tard, l’émetteur-récepteur radio émit un nouveau cliquetis. Une feuille blanche en sortit avec ces mots écrits en rouge :
« Avez-vous secrètement le béguin pour votre Capitaine ? »
… Non ! Ne dites pas de bêtises ! Qui ? Qui vous dit ça ?
Danitz rougit instantanément.
Désemparé par la révélation soudaine d’un secret enfoui au fond de son cœur depuis tant d’années, il était à la fois gêné et honteux, et instinctivement, entendait le nier.
Mais en même temps, il était choqué et confus : comment une personne extérieure avait-elle pu découvrir ce secret dont il n’avait jamais parlé à personne et qu’il gardait bien caché ?
Danitz eut un sourire forcé :
– « Quelle question idiote, je refuse d’y répondre ! »
L’émetteur-récepteur radio émit un nouveau cliquetis et cracha une autre feuille :
« Alors changeons de question.
« Si vraiment vous ne l’aimez-pas, comment supportez-vous ses cours arides et ennuyeux ? Ai-je tort ? »
– « Non ! C’est parce que je ne suis pas assez fort pour la battre ! » s’exclama Danitz, l’expression tordue.
Le cliquetis de l’émetteur-récepteur radio devint de plus en plus fort et des mots vinrent s’ajouter sur la feuille de papier immatérielle.
« Mensonge.
« Autre question.
« Vous aimez les femmes belles, puissantes, mystérieuses, intelligentes et capable de vous marcher dessus, n’est-ce pas ? »
Les lèvres de Danitz tremblaient. Il avait l’impression que son corps était en flammes et que de la fumée s’échappait de sa tête.
En cet instant, il était mentalement sur le point d’exploser, comme si quelqu’un l’avait déshabillé et jeté dans une rue animée.
Machinalement, il regarda autour de lui, paniqué, cherchant à éviter les regards susceptibles de se poser sur lui.
C’est alors qu’il remarqua que la porte de la chambre était ouverte. Gehrman Sparrow se tenait là, silencieux, vêtu d’une chemise blanche par-dessus un pantalon noir assez ample. Depuis combien de temps l’observait-il ?
– « Vous ? Depuis quand êtes-vous là ? » bégaya le pirate, le visage livide.
Dites-moi que vous venez juste d’ouvrir la porte ! pria-t-il intérieurement.
Klein s’approcha du récepteur radio devenu paranormal et répondit calmement :
– « Depuis le début. »
En tant que voyant, comment aurais-je pu ne pas ressentir cette étrange activité ? Même dans mon sommeil, mon intuition spirituelle fonctionne… pensa Klein en ricanant intérieurement.
Le visage de Danitz prit un teint cendré. Il fit un demi-tour et se précipita vers l’émetteur-récepteur radio qui semblait possédé par un esprit maléfique, dans le but de déchirer le papier portant les trois questions.
Mais sa main passa à travers.
Une boule de feu rouge écarlate se forma au creux de sa paume : il pensait faire exploser ce fichu émetteur-récepteur radio.
C’est alors que le regard froid de Gehrman Sparrow se posa sur lui.
… C’est vrai, c’est son…
Figé sur place, Danitz regarda Sparrow passer devant lui et s’arrêter devant l’étrange émetteur-récepteur.
Arrodes… Comment s’est-il connecté à cet émetteur-récepteur radio ? Il a dit avoir perçu une aura familière, mais étrange et sur le point de se dissiper. S’agirait-il de celle de l’espace mystérieux au-dessus du brouillard ?
Cet émetteur-récepteur radio est resté plusieurs jours au-dessus du brouillard. Même s’il ne montrait aucun signe étrange, il est entré en contact avec l’aura. Et grâce à ses propres fonctions, il a pu recevoir un temps des informations du monde des esprits, ce qu’Arrodes, qui semble en savoir beaucoup, aurait découvert…
Une minute ! quel genre de question est-ce là ?… Je suis Gehrman Sparrow, un aventurier froid et fou. Je suis un professionnel… Je ne peux pas rire à gorge déployée…
Klein réprima son sourire et prit discrètement une profonde inspiration.
Danitz lui jeta un coup d’œil en coin. Il se sentait comme un prisonnier qui, près de la potence, attend que le nœud coulant soit desserré.
Ne voyant aucun changement d’expression de la part de Gehrman Sparrow, il en fut un peu soulagé. Il se réjouissait de ce que cet homme, qui l’observait discrètement, soit un fou et non une personne normale. Il ne s’intéresserait pas à ce genre de choses.
Si ç’avait été un autre pirate, je serais trop gêné pour retourner au Rêve d’or. Ou plutôt, trop embarrassé pour m’aventurer en mer ! pensa le pirate en regardant avec une aversion mêlée de crainte l’émetteur-récepteur radio, ce démon qui se faisait appeler Arrodes.
À nouveau, le cliquetis se fit entendre et une feuille de papier sortit de l’émetteur-récepteur. Dessus figuraient deux lignes, écrites dans la langue de Loen : « Arrodes, Votre loyal et humble serviteur, est honoré de suivre vos traces. Toujours à votre service. »
… Ce n’est plus le même esprit maléfique que l’Arrodes de tout à l’heure, n’est-ce pas ?…
Le visage de Danitz tressaillit. Il avait soudain l’impression que ce qui se passait cette nuit-là était surréaliste.
Klein, qui avait beaucoup de mal à étouffer son rire, se rendit compte qu’il y avait un problème. Arrodes n’était pas là en personne. Il avait probablement utilisé le monde des esprits et la “fonction spéciale” de l’émetteur-récepteur radio pour envoyer des messages à distance, ce qui expliquait que lorsque Danitz avait refusé de répondre à la première question, il n’ait pu le punir. Il n’avait eu d’autre choix que de lui poser une autre question.
C’est intéressant. Il me suffirait donc de laisser assez longtemps l’émetteur-récepteur au-dessus du brouillard pour le transformer en un objet spécial capable de recevoir de fantômes des informations sur le monde des esprits ? Malheureusement, selon la loi de conservation des caractéristiques Transcendantes, même avec l’aura du brouillard gris, ses capacités extraordinaires se dissiperont peu à peu pour finalement revenir à la normale…
Si j’en crois mes connaissances en matière d’occultisme, il existe un autre moyen de conserver les caractéristiques extraordinaires d’un objet ordinaire sans avoir à recourir aux caractéristiques Transcendantes : y graver le titre honorifique ou le véritable nom d’un ange, voire d’une divinité, dans une langue capable d’éveiller les pouvoirs de la nature… Cela équivaudrait à emprunter le mysticisme et le pouvoir de la cible. Cela dit, il faut qu'”Ils” soient d’accord… Je ne peux pas le faire seul. Quoiqu’il en soit, le papier que j’ai utilisé comme code d’accès à ma banque en Hermès ancien n’a pas subi de changements spécifiques…
Pour ce qui est des vraies divinités, je ne connais que le vrai nom d’une seule : Cheek, la Démone Primordiale… Si je parviens à découvrir son titre honorifique et qu’accompagné de son vrai nom, je l’inscris en Hermès ancien sur l’émetteur-récepteur radio, que se passera-t-il ? Va-t-il libérer des virus ? Apparaîtra-t-il plus esthétiquement plaisant au sens industriel du terme, hypnotisant les fétichistes ?
Le plus probable est que si je fais cela, les pouvoirs de la démone se manifesteront et aspireront tout… C’est une direction surnaturelle extrêmement précise…
D’étranges pensées traversaient l’esprit de Klein lorsqu’Arrodes le salua.
Parfait. Ce miroir magique peut répondre aux questions…
Le cœur battant la chamade, le jeune homme tourna la tête vers Danitz :
– « Sortez et montez la garde à la porte. »
– « … D’accord ! »
Sans hésiter, le pirate se précipita vers la porte.
Il craignait que le démon nommé Arrodes ne lui pose de nouvelles questions !
La porte refermée, Klein se tourna vers l’émetteur-récepteur connecté au miroir magique et dit à voix basse :
– « J’ai quelques questions. »
Il y eut un cliquetis, puis une feuille blanche sortit de l’appareil.
« C’est un honneur pour moi. Puis-je vous appeler Maître ? La haute entité au-dessus du monde des esprits ? »
Vous êtes trop obséquieux et trop effronté… Pourquoi ai-je le sentiment tenace qu’il y a un problème ?…
Après quelques secondes de réflexion, Klein répondit :
– « Appelez-moi comme vous le souhaitez. »
« Bien, Maître ! » répondit Arrodes en prenant soin d’y ajouter un point d’exclamation. « Quelle est votre question ? »
– « Où puis-je trouver des sirènes ? », s’enquit Klein d’une façon directe.
Il y eut de nouveaux cliquetis, puis l’émetteur-récepteur répondit :
« Prenez la route maritime qui mène à l’est de l’Archipel de Gargas et suivez-la durant une semaine. Vous aurez alors des chances de voir des sirènes. Cependant, toutes croient en la Déesse de la Nuit Éternelle. »
C’est un peu étonnant… Conforme aux attentes, mais aussi surprenant… se dit le jeune homme qui ne s’attendait pas à ce que ses hypothèses deviennent soudain réalité de cette façon.
Arrodes continuait à “taper” :
« Si cela vous ennuie, vous pouvez continuer vers l’est, mais c’est très dangereux. Cet endroit n’est plus un véritable océan, mais les ruines d’une guerre entre les dieux. Cela dit, vous n’en avez que faire. »
Qui a dit ça ?… J’imaginais qu’avec le Sceptre du Dieu de la Mer, j’aurais la possibilité de pénétrer dans les mers les plus dangereuses. Et voilà que vous me dites qu’il s’agit d’une mer issue d’un champ de bataille des dieux… Il y a effectivement eu une guerre des dieux dans les temps anciens… Serait-ce à cette époque que le Créateur a récupéré les pouvoirs des anciens dieux ?
Klein ne fit aucun commentaire et regarda Arrodes faire parler l’émetteur-récepteur.
« De plus, il y a des sirènes qui ont grandi au siège de l’Église de la Nuit Éternelle, à la Cathédrale de la Sérénité et à celle du Sommeil sur l’île de Dinos. »
En plus de la Cathédrale de la Sérénité, il y aurait aussi des sirènes sur l’île de Dinos ? La première est trop dangereuse. Ils possèdent des Artefacts Scellés de rang 0 et des puissances du niveau des anges. La seconde solution est envisageable. Se transformer en Faucon de Nuit ou en évêque, et se faufiler pour écouter le chant et consommer la potion… Non, si l’Église élève des sirènes, c’est pour cibler les Transcendants Sans-Visage. Comment pourrait-on ne pas être sur ses gardes à ce sujet ?… Je dois trouver un autre moyen…
Klein allait poser la seconde question lorsqu’il vit une nouvelle feuille sortir de l’émetteur-récepteur radio.
« Grand Maître, je dois respecter certaines règles. Vous allez devoir, en retour, répondre à une de mes questions. »
Répondre à votre question ? Klein haussa légèrement les sourcils et attendit qu’Arrodes pose sa question. Il répondrait à ce serviteur en fonction de la situation.
On entendit des cliquetis, puis Arrodes formula la phrase suivante : « Qu’avez-vous prévu de prendre au petit déjeuner aujourd’hui ? »
Bonne question… pensa Klein qui répondit calmement :
– « Tout dépendra de ce que l’hôtel propose. »
« Réponse parfaite ! »
Arrodes était à deux doigts d’applaudir à tout rompre.
Sans attendre que Klein prenne la parole, il poursuivit : « L’aura au-dessus du monde des esprits est sur le point de disparaître. J’attends la prochaine occasion de vous servir, grand Maître. »
Après avoir craché son immatérielle feuille de papier, l’émetteur-récepteur radio se tut et perdit son air lugubre.
Combien de jours faudra-t-il laisser l’appareil au-dessus du brouillard avant que je puisse recontacter Arrodes ? La prochaine fois, je lui demanderai le moyen d’éliminer la corruption mentale d’une caractéristique Transcendante… Cette méthode doit être employée avec prudence. Si Arrodes peut utiliser la connexion spéciale une fois l’émetteur-récepteur radio contaminé par l’aura, d’autres plus forts et plus terrifiants que lui le pourraient aussi… Si je continue ainsi, peut-être un jour recevrai-je un télégramme du Vrai Créateur ou de la Démone Primordiale…
L’esprit de Klein s’emballa tandis qu’il évaluait les risques cachés.