Chapitre 74 – Ray Bieber
Les halètements bruyants et coups intenses se succédèrent par intermittence avant de se confondre. Cela rendait Klein et ses compagnons extrêmement nerveux, comme s’ils entendaient un murmure maléfique.
Profitant du moment d’inattention d’Ayur, Dunn et Loretta, le clown en costume sortit de sa poche un long bout de papier.
De sa main droite, il le secoua et le papier s’enflamma en un fouet noir et ardent qu’il fit claquer non loin de sa cheville.
Un cri fugace mais tragique retentit lorsque le clown se libéra de ses menottes invisibles et fit un saut périlleux.
Dunn, Ayur et Loretta tirèrent, mais leurs balles ne firent que toucher les caisses de bois.
Le clown pressa sur sa blessure et prit la fuite dans la direction opposée à l’entrepôt. Il était si rapide qu’il disparut en un clin d’œil, ne laissant sur son passage qu’un souffle d’air. Mais juste avant de se volatiliser, il fit un geste de sa main droite posée sur son abdomen vers son bras gauche, dévoilant un ventre en parfait état! Mais le clown n’avait fait que déplacer le mal sur son bras gauche, qui était désormais gravement endommagé comme en témoignait la balle en argent visible dans sa chair déchirée.
Dunn et ses comparses, trop impressionnés par le halètement bruyant qui les rendait nerveux et peu sûrs d’eux, ne le suivirent pas.
Soudain, la porte de l’entrepôt vola en éclats, puis un objet enveloppé de chiffons fut projeté et atterrit non loin de Klein. Il s’agissait d’un bras dont la chair sanglante avait été mâchée et dont les os blancs étaient brisés de façon irrégulière.
Suivirent alors un jet de sang, puis un œil dilaté et une oreille brutalement arrachée, puis, pour finir, la moitié d’un cœur battant et des intestins remplis d’objets d’un brun-jaunâtre.
Si Klein n’avait pas vu, chez Ray Bieber, ce cadavre géant horriblement macabre, il aurait probablement vomi sur place. Les nerfs prêts à craquer, il prit sur lui et retint son envie de tirer en direction de l’entrée sombre. Il éjecta les douilles vides de son revolver et le rechargea avec de nouvelles balles anti démons.
Dunn s’approcha et tira calmement dans l’entrepôt, mais aucune réaction en retour.
Le fort halètement s’accéléra et le trou béant laissé par la porte s’emplit de tons gris-blanc.
Il y eut alors deux autres coups de feu : les balles d’Ayur Harson et de Borgia déchirèrent le blanc, mais n’empêchèrent pas la “couleur” de se répandre vers l’extérieur. Elles ne firent aucune blessure.
Klein retint son souffle et sa tentation de tirer à l’aveuglette. Il remarqua alors que le blanc prenait peu à peu la forme d’une créature humanoïde de plus de deux mètres de haut. Ses articulations semblaient mal ajustées, comme si on les avait forcées à s’emboîter.
Des os blancs sortaient de sous sa peau blanc-grisâtre remplie de ravines, à l’instar des circonvolutions d’un cerveau humain qu’on aurait arraché de sa coquille. Ce monstre était recouvert d’un liquide blanc grisâtre, pourri et collant. La tête était relativement normale, avec des rides profondes et une peau pâle.
Lorsqu’il ouvrit la bouche, Klein aperçut une fausse dent en porcelaine prête à tomber, quelques brins de salive ensanglantés, ainsi que des fragments d’os et de chair. Il sentit son cœur s’emballer :
Ray Bieber … est-il encore humain ?
Une balle tirée par Leonard transperça le front de Ray Bieber, laissant un trou profond. Un liquide blanc-grisâtre s’en échappa, coula sur le sol où il se tortilla et se transforma en gros asticots couleur crème.
Mais le monstre ne fut pas du tout affecté. À une vitesse calculée, il se jeta sur Borgia qui était le plus proche de lui. Visiblement, sa véritable cible était le coffre noir qui contenait l’Artefact Scellé 2-049.
– « Perte de contrôle des pouvoirs Transcendants… » Cria Dunn d’une voix grave. « Loretta, cherchez vite son point faible, car on dirait une âme morte! »
– « Très bien. » Loretta se tut et porta les mains à ses yeux. Ses pupilles devinrent grises puis incolores, comme si elle était entrée dans le monde des esprits et le royaume des âmes défuntes. Elle regarda l’ennemi d’un point de vue plus élevé tout en cherchant son point faible.
Ayant compris que le tir normal était inefficace, Klein ne prit pas la peine de gaspiller davantage de balles. Levant la main pour tapoter sa glabelle, il activa sa Vision Spirituelle pour aider Loretta.
Il aperçut alors une sorte de lueur spirituelle, d’un blanc grisâtre, une aura blanche remplie de folie, mais ce fut tout.
Ayur Harson et Leonard Mitchell se mirent alors à psalmodier :
« Oh, terrible menace! Cri d’espoir écarlate,
« Une seule chose, au moins, est certaine : la vie s’envole
« C’est la seule vérité, le reste n’est que mensonge :
« La fleur qui autrefois était éclose meurt à jamais… »
…
Le pouvoir hypnotique du chant faisant son œuvre, le monstre ralentit progressivement sa course comme s’il ne pouvait pas lutter contre le charme du poème.
Soudain, il poussa un cri strident, assourdissant.
…
Klein ressentit une vive douleur au crâne qui le fit immédiatement sortir de son mode “Vision Spirituelle”. Un liquide chaud s’écoulant de son nez, il l’essuya du revers de la main et constata qu’il saignait.
Ayur et Leonard s’effondrèrent simultanément, des coulées de sang aux coins des lèvres, du nez et des yeux.
Borgia, Dunn et Loretta firent deux pas en arrière, le visage blême et l’air très affaibli.
Le monstre n’avait crié qu’une fois, mais son cri était au-delà de ce que les six Transcendants pouvaient supporter.
Il se rapprocha de Borgia en balançant son articulation tordue.
Borgia et Dunn tirèrent chacun deux balles sans toutefois causer de dommage au monstre Bieber.
Un coup projeta Borgia en arrière et son revolver à long canon tomba à terre. Il tenta à plusieurs reprises de se relever, mais en vain.
Du coin de la bouche du Monstre s’échappa alors un liquide filandreux qui s’écoula en bondissant vers le coffre noir.
À ce moment crucial, Ayur Harson tira sur le coffre pour le repousser de plusieurs mètres. La boîte se fendit et le bruit sourd, à l’intérieur, s’intensifia.
– « J’ai trouvé! Il faudrait que vous le contrôliez durant au moins trois secondes », dit Loretta à Dunn.
– « Entendu ! »
Il tapota sa glabelle et ferma les yeux. Il entra alors dans une sorte de transe et émit des ondes informes.
Le monstre s’arrêta net et la folie dans ses yeux se dissipa rapidement. Ses fines paupières transparentes commencèrent à se fermer de manière incontrôlée.
Le corps de Dunn frémit et quelque chose, sous ses vêtements, se tortilla.
Loretta se précipita et fit une roulade pour arriver sous le monstre. Elle prit appui sur le sol et, levant le poing, bombarda son entrejambe. On aurait dit une rafale de mitraillette.
Ignorant la douleur corrosive, elle renforça son appui et redoubla de force. Son poing s’enfonça plus profondément.
Loretta ressortit alors son avant-bras, entraînant un intestin taché de sang d’un jaune brunâtre et qui contenait un vieux carnet.
Le monstre poussa un cri, cracha du sang et son corps s’illumina, comme s’il fondait.
– « À terre! »
Ayur Harson eut à peine le temps de les avertir, que le monstre se mettait à enfler.
Il y eut une puissante explosion : Klein fut projeté en l’air par l’onde de choc et atterrit lourdement.
En proie à un fort vertige, il lutta pour se relever. Le monstre Bieber n’était plus qu’un répugnant amas de chair en décomposition. Dunn et Loretta, qui se trouvaient à une douzaine de mètres, étaient groggys, comme assommés.
Ayur Harson, Borgia et Leonard Mitchell, également au sol, gémissaient et tentaient de se relever.
Klein se sentait soulagé lorsque soudain, il aperçut un objet familier à deux ou trois mètres de lui. Projeté par le souffle de l’explosion, le coffre noir avait terminé sa course et sa surface fissurée était tournée vers le ciel.
Un bras brun et maigre en sortait…
L’Artefact Scellé… 2-049… M**de!
Pris de surprise, Klein fit un bond en arrière pour tenter d’échapper à l’attraction de l’artefact.
Tout à coup, sa tête se mit à bourdonner et ses pensées ralentirent…