Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 74 – Combat à mort
Au moment où leurs regards se croisaient, Lanevus esquiva brusquement et roula en avant.
Une carte de tarot représentant un ange et une trompette, telle une dague, vint se planter dans le mur à la hauteur même où, quelques instants auparavant, se trouvait le cou de l’homme.
Roulades, sauts sur le côté, bonds en avant, Lanevus, avec une agilité exceptionnelle, évita les trois cartes qui se succédaient et qui vinrent frapper les murs, les dalles et le béton avec un bruit métallique.
Du coin de l’œil, il vit que l’homme au masque de clown le suivait de près, presque aussi rapide que lui. A la main, il tenait un paquet de cartes qu’il lançait avec une extrême dextérité.
Voyant approcher une carte représentant un soleil avec un visage, Lanevus prit appui de sa main gauche sur le mur, bondit dans les airs et changea radicalement de trajectoire.
Au même moment, il entendit un sifflement et ressentit une douleur aiguë à la cheville !
Il a lancé deux cartes, dont l’une en léger décalage dans la direction où je fuyai… Serait-il en mesure d’anticiper mes mouvements ?
Surmontant la douleur, Lanevus fit une roulade sur le sol.
Une autre carte de tarot vint se ficher à l’endroit où il se trouvait une seconde plus tôt et le bruit de l’impact résonna dans le tunnel.
Alors seulement, Lanevus s’aperçut qu’une carte était profondément fichée dans sa cheville droite. Sur celle-ci étaient dessinés des étoiles et deux vases d’eau sacrée de couleur rouge.
L’homme n’eut même pas le luxe de réfléchir ou de soigner ses blessures. L’une après l’autre, les cartes, devenues des poignards volants visiblement tranchants, l’atteignirent en divers endroits.
Très vite, les blessures de sa jambe droite et de sa poitrine, les effets résiduels du trou béant qu’il avait dans le torse ainsi que la lutte menée précédemment – qui était de niveau demi-dieu – eurent pour effet de ralentir considérablement ce Maraudeur de Séquence 9 devenu léthargique. Or les Maraudeurs étaient réputés pour leur rapidité et leur agilité.
Il envoya voler l’une des cartes, mais une profonde lacération lui déchira le poignet, de celles qui saignaient abondamment.
Les Faucons de Nuit et les militaires vont bientôt arriver. Je ne peux pas attendre plus longtemps ! Se dit Lanevus qui, en cet instant, avait l’esprit très clair.
Soudain, il s’arrêta net et cessa d’esquiver. Une carte représentant le diable venait de le frapper droit au cou.
Presque instantanément, les cartes qui dépassaient de son corps furent projetées en l’air. Les hideuses blessures de son cou, de sa poitrine, de son poignet et de sa cheville se tortillèrent et d’écœurants amas de chair se mirent à repousser.
Sur sa peau apparurent une multitude de petites saillies. De teinte métallique, elles semblaient former une armure.
Une carte de tarot qui fusait dans sa direction fut déviée par ces fines pointes.
Les yeux injectés de sang, Lanevus fixa le Clown qui avait rangé ses cartes.
– « D’une manière ou d’une autre, on gagne toujours quelque chose à être torturé par une divinité. »
Il n’avait pas fini de parler que déjà, il enjambait les eaux usées et se jetait sur son adversaire.
Comme s’il s’y attendait, Klein fit un pas sur le côté, sortit sa main gauche de sa poche, serra le poing et frappa Lanevus à la tempe.
L’autre leva le coude et de son avant-bras, vint parer avec précision le coup de son ennemi.
L’onde de choc déferla telle un torrent et sous l’impact, Klein fut légèrement déstabilisé.
Des crépitements résonnèrent à ses oreilles tandis que les coups de poings, plus puissants et plus rapides les uns que les autres, se reflétaient dans ses yeux.
Cette rafale de coups lui ayant fait oublier son équilibre, il tituba, tomba sur le côté puis, prenant appui de son coude gauche, roula dans une autre direction.
Rapides et violents, les coups de poing et de pied de Lanevus qui se succédaient manquèrent à plusieurs reprises de l’atteindre mais grâce à son équilibre exceptionnel et à ses mouvements qui défiaient le bon sens, il parvint à esquiver. Parfois sur le mur, à d’autres moments au sol, on aurait dit qu’il faisait un numéro d’acrobate.
Il semblait très calme, ne montrait pas la moindre impatience. On aurait dit qu’il avait décidé de faire durer la bataille le plus longtemps possible, jusqu’à l’arrivée des Faucons de Nuit et des militaires.
Au moindre signe de tentative d’évasion de la part de Lanevus, il était bien déterminé à le harceler et à ne pas lui en laisser l’occasion.
Alors qu’un coup de poing de Lanevus l’obligeait à prendre appui sur le mur pour se propulser en arrière, son adversaire, sans hésiter, fit volte-face et s’enfuit vers un autre tunnel.
Klein avait à peine touché le sol qu’il s’élança tel un boulet de canon et fonça droit sur le dos du fuyard.
C’est alors qu’une image apparut dans son esprit.
On dirait que Lanevus n’a pas d’os. Je devrais le forcer à tourner le buste et lui asséner un coup de poing, lui souffla son intuition de Clown.
Confiant et sans hésitation, le jeune homme prit l’initiative de réduire sa puissance.
Il se jeta tout de même en avant mais avec beaucoup moins de force que prévu.
Avec un bruit désagréable, Lanevus tourna brusquement le buste sans que ses jambes n’aient bougé, à savoir qu’il regardait vers l’arrière tandis que ses orteils pointaient vers l’avant.
Dans cette position terrifiante, l’homme donna en direction de la tête de Klein un coup de poing d’une force telle que l’air produisit un bruit d’explosion.
Mais il ne frappa que le vide. Il était encore à vingt ou trente centimètres du visage de Klein.
Tandis que le vent provoqué par le coup soufflait dans ses cheveux, le jeune homme, au lieu de riposter, prononça en Hermès ancien :
– « Cramoisi ! »
Un charme ? Lanevus plissa le front et fit aussitôt un bond sur le côté tenter d’esquiver l’attaque imminente.
Mais Klein, qui n’avait pas encore lancé le charme, serra le poing et, imitant Lanevus, fit lui-aussi un saut sur le côté suivi d’une roulade, ce qui eut pour effet d’accroitre légèrement la distance qui les séparait.
É tait-ce une feinte ? Alors que cette pensée lui traversait l’esprit, les coins de la bouche du Clown se reflétèrent nettement dans ses yeux. Sans que l’on sache comment, une flamme rouge se mit à briller dans le poing serré de Klein.
C’est… Le regard de Lanevus se figea aussitôt.
Un léger crépitement lui parvint et une sensation de calme et de tranquillité enveloppa les deux adversaires.
Qu’essaye-t-il de faire ? Il cherche à nous… affecter tous les deux… pour laisser le temps… aux Faucons de nuit et… aux militaires de…d’arriver… Lanevus sentit ses paupières s’alourdir. L’épuisement contre lequel il luttait depuis un moment se faisait sentir, incontrôlable.
Il fit l’impossible pour ne pas s’endormir, espérant pouvoir compter sur la particularité de son corps pour surmonter le moment où les effets sédatifs du charme seraient les plus intenses.
Quant à Klein, il n’opposa pas la moindre résistance et sombra aussitôt dans un profond sommeil.
Cependant, à chaque fois qu’il ne s’endormait pas naturellement, il se réveillait instinctivement !
C’est une spécificité qu’il avait dans la lutte contre la médiumnité et l’intrusion dans les rêves, et ce qui lui avait permis, à Tingen, d’échapper à Madame Sharon !
Durant le combat et voyant que son jet de cartes était inefficace, il avait aussitôt pris en main son Charme du Sommeil, attendant l’occasion de l’utiliser.
En une fraction de seconde, il se libéra de l’état d’esprit anormal dans lequel il était en rêve. La silhouette chancelante de Lanevus se reflétait clairement dans ses yeux.
Le jeune homme était très calme tout à coup, comme s’il n’avait devant lui qu’une simple cible.
Il prit une profonde inspiration, tourna la taille, tira son épaule en arrière et décrocha de toutes ses forces un coup de poing impitoyable qui vint frapper Lanevus à la gorge, brisant ses os dans un jet de sang.
L’homme recula de deux pas et s’adossa au mur.
Si la douleur intense lui avait enfin permis de se libérer des effets du charme, les fines saillies couleur fer avaient disparu de son corps.
De sa main gauche, Klein fouilla alors dans sa poche et en sortit deux cartes qui vinrent se ficher dans l’un des yeux de son adversaire, faisant jaillir un liquide écarlate.
Chose étonnante, Lanevus endura la douleur sans laisser échapper le moindre cri et se jeta en avant dans une tentative de finir sur un baroud d’honneur !
Au lieu d’en profiter pour attaquer, Klein se tourna sur le côté et recula d’un pas. Puis, au moment où son adversaire tombait en avant, il fit deux pas, se retrouva derrière lui, le saisit fermement par le cou.
Se retournant brusquement, il le lui tordit.
Le jeune homme recula ensuite de deux pas et regarda son ennemi.
La carte enfoncée dans l’œil, Lanevus lui lança un faible regard tandis qu’il s’affaissait sur le sol. Particulièrement confus, il demanda d’un ton saccadé :
– « Pourquoi… voulez… vous… ma mort ? ».
Portant toujours son masque de clown, Klein fixa son ennemi juré :
– « Pour rien », répondit-il avec indifférence.
– « Pour … »
Les yeux grands ouverts, Lanevus s’effondra sur le sol des égouts, incapable d’accepter son sort. Enfin, il cessa de respirer.
Klein, qui semblait extrêmement calme, s’avança brusquement et de toutes ses forces, lui décrocha un coup de pied dans la tête.
Son cou, déjà gravement mutilé et ne pouvant supporter la pression, se brisa totalement et sa tête, telle une balle de caoutchouc, alla voler contre le mur où elle laissa une trace rouge et blanche !
Devant ce spectacle, Klein s’accroupit et eut un fou rire étouffé.
Hahaha, hahaha ! Hahahahahaha.
Le masque de clown – ce visage blanc aux commissures relevées et au nez rouge vif – avait l’air si heureux.
Haha, haha… Hahaha…
Klein riait tellement qu’il en perdait le souffle. Son rire était plus éprouvant que des larmes.
Quelques secondes plus tard, il finit par se calmer. Se redressant, il fit un clin d’œil en direction de l’endroit le plus sombre des égouts, sourit et murmura :
Voyez Capitaine…Une fois de plus, nous avons sauvé Loen…
Alors que des gouttes mouillaient silencieusement son col, il eut le sentiment qu’il avait totalement assimilé sa potion de Clown.