Chapitre 73 – Premier combat
Sous le soleil éclatant de l’après-midi, Klein, dont les vêtements étaient pleins de poussière, tourna le canon de son revolver pour retirer la sécurité qu’il s’était imposée et se mit en position de tir. La lumière se reflétait sur l’arme de bronze.
Son revolver dans une main, il bougeait son autre bras, extrêmement attentif à tout ce qui pouvait se produire autour de lui.
En même temps, il était un peu inquiet pour le Capitaine Dunn et Ayur Harson. En effet, tous deux étaient des Transcendants de type Cauchemar, spécialisés dans l’art d’influencer l’ennemi dans l’ombre, aussi ne savait-il pas s’ils étaient aptes au combat direct.
Klein était plongé dans ses pensées lorsque soudain, Ayur Harson ralentit le pas et son expression devint calme et sereine.
Il se mit à réciter un poème apaisant qui semblait plonger une personne dans la nuit.
Lorsque le soleil se couche à l’ouest,
Et que les gouttes de rosée perlent sur le manteau du soir,
Presque aussi pâle que les rayons de lune,
Ou que l’étoile qui l’accompagne,
La primevère du soir, à nouveau, offre
Ses délicats pétales à la rosée
Et, telle un ermite, fuyant la lumière… ***
Le son mélodieux résonnait autour d’eux et Klein se sentait de plus en plus détendu…
Fort heureusement, il avait déjà vécu quelque chose de similaire et de plus, il ne faisait pas face à Ayur Harson, aussi se ressaisit-il rapidement, après quoi il entra en état semi-méditatif afin de combattre l’influence du poème.
Ouf… Soupira-t-il, soulagé, n’ayant désormais plus aucun doute sur les capacités de combat direct de Dunn et Ayur.
Son évolution étant récente, Klein ne connaissait pas encore grand-chose aux potions de Séquence. Il avait totalement oublié que le Cauchemar de Séquence 7 était le niveau suivant le Poète de Minuit de Séquence 8. En passant d’un stade à l’autre, les Transcendants conservaient toutes les compétences précédemment acquises tout en bénéficiant d’une légère augmentation de leurs capacités.
L’impression que Klein avait des Poètes de Minuit lui venait de Léonard Mitchell. Il savait que ce “travail” héritait des traits spécifiques à l’Insomniaque. Ces Transcendants étaient bons au combat, au tir, à l’escalade, à la perception et également très habiles à influencer les créatures vivantes à proximité par le biais de poèmes. Pour simplifier, c’étaient des poètes violents.
Au son des vers déclamés par Ayur, les grandes caisses de bois empilées autour d’eux parurent soudain onduler comme de l’eau et ils virent apparaître un individu vêtu d’un smoking noir et d’un semi-haut de forme.
Cet homme avait le visage peint en rouge, jaune et blanc, et les commissures de ses lèvres remontées très hauts dans un sourire de clown formaient un contraste ridicule avec sa tenue de soirée, de celles que les gens portent généralement pour se rendre à une réception.
Loretta, la femme aux cheveux noirs qui avait été présentée comme étant un tireur d’élite, se précipita, un pistolet dans une main et l’autre poing serré. En quelque pas, elle fut devant le clown en costume.
On aurait dit que celui-ci était affecté par le poème d’Ayur Harson, car son corps se balançait et son regard était paisible, sans aucune envie de riposter.
Dans un mouvement de boxeur, Loretta tira son poing vers l’arrière puis frappa le visage du clown.
Il y eut un craquellement et l’étrange personnage se brisa comme un miroir donc les éclats s’évaporèrent.
Puis le clown en smoking réapparut à quelques pas de là, à l’ombre des caisses de bois.
Celui que l’on croyait sous l’influence du poème n’était qu’une illusion, un jeu!
À nouveau, l’étrange personnage sourit et, avec un air comique, pressa d’une main son chapeau sur sa tête tandis que de l’autre, il mimait un pistolet pointé.
Un coup de feu retentit. Loretta se jeta au sol et fit un roulage pour esquiver l’attaque.
Mais ce n’était bien sûr qu’un faux coup de feu.
Dunn et Ayur levèrent leurs armes et tirèrent à plusieurs reprises. Le clown esquivait habilement, se décalait tantôt à droite, tantôt à gauche, ou roulait sur le sol. On aurait dit un acrobate dans un cirque.
Soudain, Loretta se précipita sur lui et bien que réputée tireur d’élite, elle fit à nouveau appel à ses poings.
Le clown, qui n’avait plus le temps d’esquiver, leva son bras gauche pour parer le coup.
Le voyant immobile, Dunn et Ayur le visèrent aussitôt et pressèrent la détente.
Mais au même moment, le bras avec lequel l’étrange personnage avait bloqué le poing de Loretta s’enflamma.
En un instant, une flamme jaune orangé enveloppa le clown et se propagea vers Loretta.
Dunn et Ayur tirèrent aussitôt sur la boule de feu.
Les flammes brûlèrent rapidement et bientôt, il n’en resta plus que des cendres noires qui flottaient dans l’air. Mais très vite, le clown en costume réapparut derrière la pile de caisses.
À nouveau, il simula un pistolet et un coup de feu retentit.
Loretta s’arrêta net dans son élan en voyant de la poussière voler et une balle apparaître.
Ce coup n’était plus une illusion!
Il était vraiment difficile de discerner le réel du faux.
L’inconnu tira à plusieurs reprises sur Dunn et Ayur. De temps à autre, il se dissimulait et réapparaissait aléatoirement.
Voyant cela, Loretta plissa les yeux et leva le revolver couleur d’or terne qu’elle tenait à la main gauche.
Le clown s’accroupit juste à temps pour éviter le coup fatal. Son semi-haut de forme vola en arrière et tomba au sol. On pouvait voir dessus une trace de brûlure laissée par la balle.
L’étrange personnage fit alors plusieurs roulades et escalada les piles de caisses. Puis, simulant à nouveau une arme, il se mit à tirer.
Ayur Hanson recula de quelques pas, baissa son arme et se remit à psalmodier :
Gâche sa belle floraison durant la nuit,
Qui, aveugle à ses tendres caresses,
Ignore sa beauté…
Le clown, qui sautait d’une caisse à l’autre, se gratta soudain les oreilles et regarda le Cauchemar avec un sourire comique.
Se serait-il bouché les oreilles ? Se demanda Klein qui observait le combat de loin. La potion de Séquence de l’Ordre secret est vraiment bizarre…
Au même moment, il vit soudain une silhouette apparaître au sommet de l’entrepôt situé tout près de lui puis se précipiter pour tenter d’entrer précisément là où était caché Ray Bieber.
Ce personnage portait un uniforme d’un blanc grisâtre semblable à celui des dockers. On aurait dit qu’il avait, lui aussi, le visage peint.
Le clown en smoking serait-il chargé de distraire le Capitaine et les autres pendant que l’autre récupère le journal ?
Instinctivement, il leva son arme pour tirer en direction du toit.
Soudain, la silhouette s’arrêta net, s’accroupit et fit une roulade.
Klein tira tout ce qu’il pouvait. Soudain, il vit le personnage s’arrêter et du sang gicler.
La silhouette le regarda, stupéfaite et, surpassant la douleur, reprit sa course.
On dirait que j’ai eu de la chance… pensa Klein en pressant à nouveau la détente. Cette fois, la balle vint frapper le toit de bois, juste à côté de la cible.
Léonard et Borgia tirèrent à leur tour sans toutefois toucher l’adversaire.
Klein était sur le point de se dire que leurs compétences en matière de tir étaient encore pires que les siennes lorsque soudain, il cessa de tirer :
Mais j’y pense! Pourquoi l’arrêter ? Puisque le pendule m’a confirmé qu’il y avait un grand danger dans cet entrepôt, ne vaudrait-il pas mieux laisser ce type prendre les devants et marcher à notre place sur le terrain miné ?
Léonard et ce M. Borgia ont sans doute eu la même idée…
Cette pensée en tête, Klein leva le canon de son revolver et se mit à tirer en l’air.
Alors que les coups de feu retentissaient, la silhouette parvint sans obstacles jusqu’à la partie centrale de l’entrepôt, bondit et dégringola avec le toit qui s’effondrait.
L’action terminée, les yeux de Loretta devinrent noirs et, de la main gauche, elle fit un étrange mouvement vers le bas.
Le clown cessa soudain de sauter : on aurait dit qu’une main invisible maintenait fermement sa cheville.
Dunn laissa retomber le bras qui tenait son revolver.
Il ouvrit la bouche et, recourant à son esprit pour faire résonner l’air autour de lui, sans même utiliser ses cordes vocales, produisit une voix étrange, faible et éthérée :
Ainsi, elle fleurit durant la nuit
Mais sitôt que le jour pointe,
Terrassée par son regard qu’elle ne peut éviter,
Elle s’évanouit, se flétrit et disparaît
Le clown parut soudain comme privé d’énergie, comme s’il avait perdu l’envie de vivre.
Ayur Harson leva son pistolet, visa et tira aussitôt.
Une fraction de seconde plus tard, on entendit une étrange et tragique plainte venir de l’entrepôt.
C’était le cri de quelqu’un qui se trouverait face à quelque chose d’inimaginable, de terrifiant.
Klein sentit sa peau se hérisser. Soudain, le silence retomba sur l’entrepôt. Un silence à faire frémir.
Affecté par le cri, Ayur avait seulement pu atteindre le clown au niveau du ventre.
Le silence fut de nouveau rompu des profondeurs de l’entrepôt. Ce qui devait être un léger halètement se fit entendre et s’amplifia jusqu’à affecter les nerfs de toutes les personnes présentes.
Dans son coffre noir, 2-049 entra dans un état d’agitation extrême et se remit à cogner violemment.
NDT : *** Ce poème, mis en musique par le compositeur britannique Benjamin Britten (1913-1976) a été écrit par John Clare, poète romantique anglais (1793-1864) et est intitulé « la primevère du soir ».
Pour les amoureux de musique classique, je vous glisse le lien ici :