Chapitre 71 – Phénomène de ralentissement
À plusieurs reprises, Klein plia et étendit son bras tout en regardant Dunn pousser d’un coup d’épaule la porte de la salle du Gardien.
La prudence et la vigilance élevées du capitaine, ainsi que ces ridicules “mesures de protection” le stressaient autant que lorsqu’enfant, pour tester son courage, il traversait des cimetières effrayants la nuit.
Un artefact scellé de grade 2. Dangereux. À utiliser avec prudence et modération… Même les Faucons de Nuit officiels ne savent que peu de choses à son sujet et ignorent à quel point il est dangereux, pensait Klein, si tendu que son esprit ne pouvait s’empêcher de bouillir.
Soudain, il sentit son cerveau engourdi, comme si l’on avait éteint un interrupteur.
Tout, dans son champ de vision, se mit à ralentir, y compris le mouvement de flexion de son bras
Il vit le capitaine Dunn s’arrêter net, s’approcher de lui, tendre lentement la main et lui pousser l’épaule.
Soudain et simultanément, le processus de pensée et la vue de Klein revinrent à la normale. On aurait dit que tout ce qui venait de se passer n’était qu’une illusion.
– « Qu’est-il arrivé ? » Murmura-t-il, en proie à la peur et à la confusion.
Dunn secoua la tête :
– « Observez attentivement », dit-il d’une voix grave, après quoi il se détourna et entra dans la pièce, talonné par Klein.
Quatre personnes se trouvaient là, les une assises, les autres debout.
Klein reconnut Léonard, le Poète de Minuit. Quant aux trois autres, il ne les avait jamais rencontrés auparavant. Cependant, ils avaient une chose en commun : tous pratiquaient avec le plus grand sérieux “l’exercice” de flexion du bras.
– « Voici Klein Moretti qui, de façon miraculeuse, est en lien avec le carnet de la famille Antigonus », présenta brièvement Dunn.
Puis, désignant les trois étrangers, il ajouta : « Ces messieurs dames sont des collègues du diocèse de Backlund venus escorter jusqu’ici l’artefact scellé 2-049. Voici Madame Loretta, Fossoyeur de Séquence 8 et maître tireur d’élite. »
À ce moment, la femme aux cheveux noirs, qui semblait avoir la trentaine, fit un signe de tête amical à Klein.
Plutôt jolie, elle ne portait pas de chapeau et sa tenue semblait plutôt masculine : une chemise blanche, un pantalon noir moulant et des bottes de cuir de la même teinte. Elle avait un léger sourire aux lèvres.
Après les salutations d’usage, Dunn présenta à Klein un homme assis derrière le bureau, vêtu lui aussi d’un coupe-vent gris.
– « Ayur Harson, il est comme moi. »
Il n’avait pas terminé sa phrase que soudain, le mouvement du bras de M. Harson s’affaiblit. On aurait dit un engrenage qui aurait perdu son lubrifiant ou un joint en train de rouiller.
Que se passe-t-il ? Stupéfait, Klein vit alors Loretta pousser Ayur Harson. Les mouvements du gentleman revinrent alors à la normale.
Est-ce ainsi que j’étais tout à l’heure ?
D’abord décontenancé, le jeune homme réalisa soudain.
C’était lié aux dangers que renfermait l’Artefact Scellé 2-049!
Que se passerait-il si l’on n’était pas réveillé à temps ?
Deviendrait-on un zombie ?
En proie au questionnement, Klein salua le charmant Ayur Harson, un homme d’âge moyen.
– « Voici Borgia », dit Dunn en désignant le dernier Faucon de Nuit.
Borgia était un homme froid avec une balafre sur le côté du visage. Ses yeux bruns étaient aussi perçants que ceux d’un aigle et observaient toutes les personnes présentes dans la pièce.
– « En route ! Plus vite nous aurons terminé, plus vite nous pourrons sceller 2-049 », dit le bel Ayur Harson en se levant. On pouvait apercevoir quelques rides autour de ses yeux.
Mais où est donc ce 2-049 ? Se demandait Klein qui avait soigneusement inspecté les lieux sans trouver une seule trace de l’Artefact Scellé. Bien entendu, il ne pouvait voir les zones obscurcies par la table sans activer sa vision spirituelle.
– « Entendu. » Dunn se tourna vers Léonard Mitchell : « Vous serez notre chauffeur. Mieux vaut ne pas mêler Cesare à des affaires comme celle-ci. »
Cesare, le commis chargé de l’approvisionnement et de la collecte des fournitures pour le compte des Faucons de Nuit de Tingen, faisait également office de chauffeur à temps partiel C’était lui qui avait conduit Klein chez Welch pour rencontrer Daly.
– « Aucun problème », répondit Léonard, oubliant son ton léger pour retrouver son sérieux.
Au même moment, Klein vit Ayur Harson se pencher pour prendre un coffre en métal noir jusque-là dissimulé par la table.
La boîte, ornée d’étoiles resplendissantes et d’une pleine lune cramoisie, semblait scellée par une vague barrière qui l’enveloppait.
L’artefact serait là-dedans ? Je me demande à quoi ressemble le 2-049… Pensa Klein intrigué.
Soudain, on entendit de violents coups frappés en provenance du coffre dont la surface parut se bomber à plusieurs reprises.
On aurait dit que quelque chose d’horrible s’était réveillé dans la boîte et frappait sauvagement. Le bruit résonnait dans le cœur de toutes les personnes présentes.
C’est vivant ?
Alors que cette pensée traversait l’esprit de Klein, il vit les mouvements de bras du Capitaine Dunn ralentir, comme si ses articulations étaient engluées.
Borgia, le Faucon de Nuit de Backlund, lui poussa l’épaule et aussitôt, Dunn se remit.
Être affecté par le 2-049, c’est comme faire la danse du robot… Si nous étions tous sous son influence, n’aurions-nous pas l’air d’un groupe de danseurs maladroits ? Mais heureusement, il semblerait que le 2-049 ne puisse affecter qu’une personne à la fois… Se dit Klein pour détendre ses nerfs, sans toutefois interrompre le mouvement de son bras.
A l’exemple de Dunn, il abandonna sa canne et suivit les cinq Faucons de Nuit dans le tunnel puis dans les escaliers qui menaient aux bureaux de la compagnie de sécurité.
Léonard ayant pris les devants et averti tout le monde, Rozanne et les autres montèrent au troisième étage. Ces incidents concernaient rarement les civils mais ne leur étaient pas totalement étrangers. Kenley, un autre Faucon de Nuit, remplaçait temporairement Dunn au poste de surveillance de la Porte Chanis.
En arrivant à la voiture, Klein poussa un soupir de soulagement. Il jeta un regard suspicieux par la fenêtre et demanda :
– « Le 2-049 ne risque-t-il pas d’affecter les passants ordinaires ? »
Du souterrain à la voiture, l’Artefact Scellé 2-049 avait déjà provoqué six incidents de ralentissement dont deux le concernant. Le capitaine Dunn et Léonard Mitchell avaient dû le réveiller. La fréquence de ces effets était plutôt alarmante!
– « Ne vous inquiétez pas, le 2-049 cible d’abord les créatures humanoïdes se trouvant à moins de cinq mètres de lui. Plus vous en êtes proche, plus vous courez le risque d’être choisi. Tant qu’il y aura trois personnes autour de lui, les gens qui se trouveront sur le passage de la voiture ne seront pas affectés », expliqué Loretta, la belle dame aux cheveux noirs, d’un ton flegmatique.
Quel étrange artefact … Pensa Klein tout en poursuivant ses mouvements du bras.
Durant tout le chemin qui les séparait de la maison de Ray Bieber, Dunn et les autres Faucons de Nuit demeurèrent silencieux, très attentifs l’un à l’autre. Seule Loretta semblait indifférente. Parfois, elle observait les rues douteuses de Tingen et à d’autres moments, elle vantait le réseau d’évacuation souterrain de Backlund.
Peu de temps après, ils arrivèrent en vue du bâtiment familier. Tout en continuant à se surveiller mutuellement, les six Faucons de Nuit montèrent au troisième étage.
À l’entrée, une pancarte portant le sceau du département de police de Tingen indiquait que l’entrée était interdite au personnel non autorisé.
Tout en poursuivant ses étirements, Dunn prit une clé, l’inséra dans la serrure récemment changée puis s’écarta pour permettre à Ayur Harson qui portait le coffre noir d’entrer le premier.
Dans la boîte, l’Artefact Scellé se remit à frapper, plus violemment encore que la première fois, ce qui eut pour effet de déstabiliser le bras d’Harson. Klein se demanda même si la boîte n’allait pas s’ouvrir avant l’heure.
Très vite, il s’aperçut que les mouvements du Capitaine Dunn ralentissaient. Il était sur le point de le réveiller lorsqu’un bourdonnement résonna dans son cerveau. Engourdi, il regarda les images devant ses yeux défiler comme au ralenti.
Ne disaient-ils pas… que cela n’affectait qu’une… personne à la fois… Pensa le jeune homme dont les pensées ralentissaient elles aussi.
C’est alors que Loretta et Borgia, qui s’y attendaient, les réveillèrent tous deux d’une poussée.
Ayant recouvré sa pensée et sa vision, Klein regarda autour de lui et, en proie à une peur persistante, laissa échapper :
– « N’aviez-vous pas dit que le 2-049 ne pouvait affecter qu’une seule personne à la fois ? »
Heureusement que je n’ai pas interrompu mes étirements! Pensait-il.
– « Lorsque l’Artefact Scellé 2-049 entre en mode fou furieux, il peut affecter jusqu’à deux personnes à la fois. Nous sommes certains à présent que Ray Bieber est bien un descendant de la famille Antigonus », répondit Ayur Harson d’un ton mécanique.
Loretta laissa échapper un petit rire et se tourna vers Klein :
– « 2-049 devient très agité au contact d’un descendant de la famille Antigonus, même s’il ne reste que son odeur, ses capacités augmentent considérablement. Je pense que vous comprenez son ressenti. »
Eh bien non… Pensa Klein qui s’enquit :
– « Serait-ce une créature vivante ? »
Loretta sourit mais ne répondit pas directement.
– « Vous le saurez dans un moment. Si Ray Bieber n’a pas fui Tingen, 2-049 nous mènera à lui. »
Klein laissa donc ses questions en suspens et arpenta la pièce avec les Faucons de Nuit.
Sous les coups sourds et violents provenant du coffre, ils verrouillèrent la porte, descendirent les escaliers et retournèrent à la voiture.
Ayur Harson regarda plusieurs fois par la fenêtre pour s’assurer qu’il n’y avait pas de piétons dans un rayon de cinq mètres, puis il plaça la boîte noire sur le sol et tourna l’interrupteur mécanique pour le libérer de ses restrictions spirituelles.
Les coups frappés cessèrent aussitôt et le silence tomba sur le véhicule. On n’entendait pas même la respiration des Faucons de Nuit.
Klein retint son souffle tandis que le coffre noir s’ouvrait lentement, avec un son grinçant qui lui fit mal aux oreilles.
La boîte bascula et un mince bras brun en sortit, pas plus long que le doigt d’un enfant.
Puis un second bras émergea et, devant Klein et ses comparses, apparut peu à peu une créature de la taille d’une main humaine.
On voyait nettement les articulations de ses coudes, de ses doigts et de ses genoux. Couvert d’un tissu brun huileux, il avait le visage peint aux couleurs d’un clown : rouge et jaune.
C’était une étrange marionnette de bois!
2-049 leva la tête et posa sur Klein ses yeux d’un noir profond tandis que sa bouche, jusque-là figée, esquissait un sourire de clown.