Après quelques manipulations sur le Sceptre du Dieu de la Mer, Klein put se faire une première idée de ses pouvoirs.
Il pouvait créer des tsunamis, des ouragans, des pluies torrentielles et des éclairs. Il permettait à une personne de voler dans le ciel et de parcourir les fonds marins sans aucune restriction.
Quasiment indestructible, il pouvait servir à fracasser la tête d’un ennemi. À défaut d’autres puissants facteurs, il permettait à celui qui le possédait de ne jamais se perdre. Il procurait un niveau d’équilibre inimaginable, poussait de nombreuses créatures marines à obéir à ses ordres, répondait aux prières des croyants et permettait à son détenteur d’obtenir le même type de force qu’un monstre marin. Cela revenait à faire de celui qui le possédait le maître de toute une zone maritime.
Pour Klein, il était déjà du niveau d’une divinité. Même sur Terre, il aurait été capable de résister à une formation de porte-avions !
Bien qu’il fût de Séquence 6 et doté de nombreux pouvoirs Transcendants pragmatiques – ce qui faisait de lui une véritable puissance, une figure légendaire, aux yeux des gens ordinaires – le jeune homme était encore faible par essence, plus proche de l’homme que d’un Dieu. Si la situation s’y prêtait, un revolver suffirait à l’éliminer. Cela dit, sa résurrection et le fait qu’il soit sorti d’un cercueil étaient une tout autre affaire.
Quant aux pouvoirs du Sceptre du Dieu de la Mer, ils surpassaient tous le niveau humain. Dans le folklore et dans le cœur du commun des mortels, il possédait les pouvoirs des divinités et des démons.
Pas étonnant que les Transcendants, à partir de la Séquence 4, soient qualifiés de demi-dieux. Ils sont vraiment plus proches de Dieu que de l’Homme… soupira Klein, en proie à l’émotion avant de commenter, raillant de lui-même :
Si j’utilisais le Sceptre dans des conditions normales, je serais déjà un diacre de haut rang des Faucons de Nuits, devenant ainsi l’une des vingt personnes les plus puissantes de l’Église… Si Ince Zangwill n’avait pas 0-08 et était en mer, je pourrais sans délai me venger de lui. J’aurais même une petite chance de réussir.
Mais puis-je l’utiliser normalement ?
Non…
Klein, en effet, s’était aperçu que les effets négatifs du Sceptre du Dieu de la Mer étaient stupéfiants. Au sein de l’Église de la Nuit Éternelle, il pouvait facilement obtenir l’évaluation d’un Artefact Scellé de Grade 1 et d’innombrables chercheurs mourraient pour trouver les meilleures méthodes de scellement et d’utilisation.
Le Sceptre du Dieu de la Mer présentait, au total, trois effets négatifs.
Tout d’abord, il rendait son porteur irritable, enclin à la colère et à l’emportement.
Ensuite, il gelait périodiquement toutes les pensées des créatures biologiques dans un certain rayon d’action avant de les vider de leur sang, y compris son possesseur. Klein, qui n’était pas un chercheur professionnel, n’était pas en mesure d’établir avec précision l’étendue du champ d’action et la période exacte. Il pouvait seulement estimer que la portée se situait entre 600 mètres et 1 kilomètre et que la durée était de 20 à 35 minutes.
Enfin, le dispositif recueillait et diffusait les prières des fidèles, qu’elles soient sonores ou visuelles. Cela aurait tôt fait de provoquer la ruine et la perte de contrôle de son détenteur, pour peu qu’il ne soit pas demi-dieu et manque d’esprit.
Le premier effet négatif est encore supportable. Si je ne l’utilisais que sur une courte période, la colère et l’irritation seraient acceptables. En d’autres termes, avec un Artefact Scellé aussi puissant, je pourrais mettre fin aux choses de manière précipitée…
Pour ce qui est du troisième, il y a bien un moyen de l’éviter. La réponse du Dieu de la Mer à ses croyants doit être limitée par la distance. Autrement dit, au-delà de l’Archipel de Rorsted et des régions maritimes voisines, il ne doit pas y avoir de “signal”, donc on ne peut pas être influencé. Et… s’il est constamment maintenu au-dessus du brouillard gris, je pense qu’il peut franchir la limite de distance. Les voix et les images liées aux prières seraient alors projetées sous forme de points de lumière. Cela ne m’affecterait en rien. Je pourrais alors choisir de répondre ou non, à qui et comment…
Et en répondant, je pourrai utiliser les pouvoirs du Sceptre…
Le plus gros problème reste le second. Pour moi, tout va bien car en tant qu’Empereur Noir, je suis considéré comme un spectre ; je n’ai pas de sang, donc je n’ai pas à craindre d’en être vidé. En revanche, les créatures qui se trouvent dans les environs auront des ennuis. Après tout, il ne fait pas la différence entre amis et ennemis. Par ailleurs, la fréquence est assez imprévisible… Il m’est impossible, lorsque je suis face à un danger, de discuter avec l’ennemi pour convenir de changer de moment est d’endroit.
Klein réfléchit attentivement à certains scénarios quant à l’utilisation du Sceptre du Dieu de la Mer, mais tout dépendait de l’environnement et nécessitait un jugement précis, aussi n’était-ce guère réalisable.
Pfff… son destin serait-il de rester au-dessus du brouillard gris ? Quand des gens comme Amon tenteront de s’approcher, je leur donnerai un coup de bâton…je veux dire un coup de foudre.
Voyons, il y aune autre utilisation possible. Lorsque des gens comme Mlle Justice et M. Le Pendu solliciteront mon aide, je ne serai plus limité aux anges de papier. Je peux désormais faire pleuvoir et produire du vent… Bien sûr, cela peut être fait comme avec les pouvoirs purificateurs de la Broche du Soleil, en utilisant l’ange de papier comme support…
En y réfléchissant bien, avec l’aide du Sceptre du Dieu de la Mer, je peux tout à fait faire figure d’un véritable demi-dieu au-dessus du brouillard…
L’humeur de Klein s’améliora peu à peu, car il venait de découvrir que le Sceptre n’était pas totalement inutilisable dans l’immédiat. Il lui ouvrait de nombreuses options et possibilités.
Il reporta son attention sur le sceptre d’os blanc incrusté de gemmes bleues et réfléchit à une autre question, à savoir s’il devait ou non répondre aux prières des disciples du Dieu de la Mer.
Kalvetua est mort. Il n’est pas nécessaire de donner à ces gens une autre cible pour leur foi…
Mais même si les prêtres et les membres de haut rang de la Résistance s’aperçoivent que quelque chose ne va pas et ne reçoivent plus de réponses, ils n’accepteront pas le pire avant un bon moment. Les gens gardent souvent espoir, et ont pour habitude de se réconforter et de s’hypnotiser. C’est particulièrement le cas lorsqu’ils se trouvent dans une situation périlleuse et qu’il n’y a aucun espoir. C’est comme pour la Cité d’Argent : après deux mille ans, ils vénèrent toujours le Créateur, persuadés qu’ils ont été abandonnés et qu’ils recevront un jour une réponse…
En d’autres termes, les fervents croyants du Dieu de la Mer, n’étant pas convaincus de la mort de Kalvetua, ne cesseront pas leurs sacrifices vivants simplement parce qu’ils n’ont pas reçu de réponse. Au contraire, ils deviendront pires dans l’espoir de regagner les faveurs de leur dieu… Sans des années de propagande et de revers, il leur sera difficile de réaliser la vérité.
Privée du soutien d’une divinité indigène comme Kalvetua, toute la Résistance tombera certainement dans le camp de Feysac ou d’Intis. Ils seront alors probablement poussés à faire des choses inhumaines, comme attaquer des lieux où les civils se rassemblent ou faire en sorte que les enfants qui conservent encore leur innocence servent de boucliers de chair…
Je dois leur donner des conseils, leur dire quelle est la bonne façon de pratiquer leur foi. Je dois les aider, mais sans m’imposer de fardeau… Je ne suis pas responsable de leur sort…
Klein tapotait doucement sur le bord de la longue table tachetée lorsque soudain, il eut un petit rire :
N’étais-je pas censé jouer un personnage ? Le Dieu de la Mer est une cible tout indiquée.
Je me demande si j’obtiendrai un retour d’information avec l’interférence du brouillard gris.
Héhé, je ne le saurai pas si je ne tente pas.
Sa décision prise, Klein se sentit étrangement revigoré.
Il réfléchit un instant, créa d’abord la scène requise puis, le Sceptre du Dieu de la Mer à la main, il répandit son énergie spirituelle et toucha l’un des points lumineux.
…
Dans une grotte cachée dans la forêt de l’île de la Montagne Bleue…
Kalat, Le rebelle chauve, tomba de son fauteuil roulant, et les yeux remplis de désespoir et de confusion, rampa vers la statuette de Kalvetua qui venait de se briser devant lui.
Il avait un vague pressentiment, mais il ne voulait pas y croire car toute sa persévérance, tous ses sacrifices et toute ses souffrances n’auraient alors plus aucun sens.
Non… cria-t-il intérieurement tout en marmonnant le titre honorifique du Dieu de la Mer dans l’espoir d’obtenir une réponse de la divinité.
Les coudes au sol, ses doigts s’enfonçant dans la terre, il s’approcha centimètre par centimètre de la statue brisée. Il souleva la tête du serpent de mer taillé dans la pierre et constata que ses yeux s’étaient enfoncés vers l’intérieur, laissant place à d’étranges trous noirs. Ses crocs tombaient l’un après l’autre.
Kalat sembla se figer : on aurait dit que toute lumière dans ses yeux disparaissait.
Soudain, il aperçut une silhouette floue. Un tsunami bleu sombre déferlait dans le ciel et des éclairs argentés s’élançaient tels des branches d’arbre.
Sous le choc, Kalat baissa instinctivement la tête, envahi d’une joie inimaginable.
Les pieds du personnage étaient entourés de vagues et des ouragans tourbillonnaient autour de lui. La figure était majestueuse, sainte, haute et toute-puissante.
C’est alors qu’il entendit une voix calme, majestueuse :
« Je suis de retour. »
Alors que la voix résonnait dans l’air, Kalat, pour une raison inexplicable, se mit à pleurer.
…
Dix minutes plus tard, Klein quitta le fond des ruines marines à demi fusionnées avec le monde des esprits.
L’eau de mer qui emplissait l’endroit s’agita soudain et reflua. En l’espace de vingt à trente secondes, l’intérieur des ruines elfiques était si sec qu’on se serait cru sur la terre ferme.
Un ouragan frais se mit à souffler, apportant avec lui un air respirable.
L’un après l’autre, des personnages descendirent de l’ouragan avec, à leur tête, un homme d’âge moyen, grand et costaud. Il semblait âgé d’une quarantaine d’années, avec un visage aux lignes fermes et profondes. Ses muscles bien dessinés étaient recouverts d’une ample robe de prêtre de la Tempête.
Ce n’était autre que le Roi des Mers Jahn Kottman, cardinal de l’Église des Tempêtes, archevêque de la Mer de Rorsted et diacre de haut rang des Punisseurs Mandatés.
Il avait des yeux d’un bleu profond et ses cheveux, de la même couleur, étaient deux fois plus épais que ceux d’une personne normale. On aurait dit de petits vers ou des tentacules.
Derrière Kottman se tenaient un certain nombre de Punisseurs Mandatés et de militaires. Ils scrutaient l’environnement avec impatience et prudence, sans toutefois baisser leur garde sous prétexte qu’un demi-dieu les précédait.
Soudain, ils entendirent un grognement et furent aussitôt emportés par un ouragan jusqu’à la porte des ruines.
Là, ils virent un énorme serpent de mer réduit à une boue de chair et de sang, et dont les os étaient à nu. Mais rien d’autre.
– « Qui est-ce ? » gronda Jahn Kottman, réprimant sa colère.
Alors qu’il prononçait ces mots, une vague déferla d’en haut.
La vague se propagea dans la salle à demi effondrée, s’apaisa et devint semblable à un lac lorsqu’il n’y a pas de vent.
À sa surface se reflétait la scène précédente : Une silhouette indiscernable brandissant un court bâton blanc incrusté de gemmes bleues, provoquant des remous dans la mer et des tremblements dans les ruines.
Jahn Kottman prit une profonde inspiration et tourna le dos à la foule :
– « Trouvez-le. »
…
Klein, qui avait sélectionné une dizaine de croyants, tous relativement importants, leur répondit essentiellement pour leur communiquer une nouvelle alliance.
– « Je suis de retour. Quand le passé sera pardonné, je vous rachèterai.
« Premier Commandement : Tu ne m’offriras pas de sacrifices humains vivants. »