Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 67 – La première étape
Dans un coin du Quartier Est…
Totalement ivre, face au mur, Gene descendit son pantalon et se mit à arroser copieusement la mousse.
Il avait terminé lorsque soudain, quelqu’un lui tapota l’épaule.
Gene ne put s’empêcher de frissonner. Il remonta son pantalon et tourna la tête. Un garçon de petite taille se tenait là, vêtu d’une veste de toile et coiffé d’une casquette.
Celui-ci leva la tête, révélant un visage doux et délicat, quoique sale.
– « Xio ?! Que faites-vous dans cet accoutrement ? » S’exclama-t-il, surpris.
Xio posa son index sur ses lèvres pour lui intimer le silence puis, d’une voix étouffée, lui dit :
– « Je pose les questions, vous répondez. Parlez à voix basse. »
Elle avait l’air si imposant que Gene, stupéfait, se contenta hocher la tête.
« Parmi les connaissances Williams, y’a-t-il eu des morts ces deux derniers jours ? » Chuchota la jeune femme.
Le cerveau paralysé par l’alcool, l’homme fit un effort pour se souvenir.
– « Gavin ! On a découvert Gavin ce matin, noyé dans la rivière Tussock ! » Répondit-il enfin. « Il est probablement tombé à l’eau la nuit dernière. Le pauvre bougre ne sait pas nager mais quand il est ivre, il aime se rendre au bord de la rivière pour profiter du vent. »
Le regard soudain alerte, Xio demanda sans hésiter :
– « Williams aurait-il demandé à Gavin de se mettre à la recherche de Lanevus, ce criminel recherché ? »
– « Bien sûr, comme à nous tous. Mais rien de bien compliqué. Tout ce que nous avons à faire est de montrer le portrait à tous ceux que nous connaissons et si nous apercevons quelqu’un qui lui ressemble, de garder un œil sur lui. Et Williams m’a dit que si je trouvais un indice, il m’offrirait de l’alcool et de la viande pour trois jours ! Mais le pauvre gars est mort suite à une explosion de gaz. J’ai toujours refusé que mon propriétaire installe une arrivée de gaz ! Enfin… c’était il y a des mois. A présent, tout ce que je peux m’offrir, c’est un motel bon marché », expliqua Gene.
– « De quel secteur Gavin était-il chargé ? Vous a-t-il dit quelque chose ? » Demanda Xio en le regardant droit dans les yeux.
Gene eut un hoquet :
– « Il…Il se rendait généralement dans la zone des docks près du Quai de Balam Est. Il est même venu me voir hier soir pour me dire qu’il se rendait à la Taverne de l’Alliance Ouvrière pour faire savoir aux gens qu’il était à la recherche de Lanevus et montrer le portrait à toutes les personnes présentes. »
Backlund, en effet, comptait de nombreux quais, la plupart considérés comme des docks et désignés comme “chantiers navals”.”
– « Et après ? Gavin a-t-il dit ce qu’il allait faire ? » Insista la jeune femme en, fonçant les sourcils, l’air dubitatif.
« Boire bien sûr ! Il avait prévu de boire un bon coup puis de se chercher un endroit pour dormir ! Mais le pauvre bougre a dû avoir chaud à force de boire. Il aura voulu se baigner en oubliant qu’il ne savait pas nager et qu’on était presque en hiver ! » Soupira Gene.
Ce… Gavin n’a rien découvert. Il s’est simplement rendu à la Taverne de l’Alliance Ouvrière pour y distribuer des ” tracts ” dans l’espoir de retrouver Lanevus et c’est la mort qu’il a rencontrée. Même Williams a été impliqué… La réaction du meurtrier ne peut plus être qualifiée d’extrême. C’est tout simplement un fou…
Si j’étais Lanevus, le plus facile pour moi aurait été de fuir quelque part et d’éviter d’être retrouvé. À moins qu’il ne soit mêlé à quelque chose et ne puisse pas partir de sitôt… Mais je ne suis pas la seule à le rechercher. Il y a aussi beaucoup de chasseurs de primes. S’il a pu tuer Williams, pourrait-il éliminer autant de gens ? S’il en avait la capacité, il tuerait tous ceux qui diffusent des avis de recherche à Sivellaus Yard !
Xio était aussi déconcertée par toute cette affaire qu’elle ne l’était par la mort de Williams.
Finalement, elle décida, dans un premier temps, de faire part de ce problème à Miss Audrey, après quoi elle se rendrait, déguisée, à la Taverne de l’Alliance Ouvrière à Balam Est. Elle s’abstiendrait d’enquêter, se contentant d’observer pour voir si quelqu’un lui paraissait suspect.
…
Quartier de Cherwood, au commissariat de police de Rice…
Klein se retrouvait une fois de plus recroquevillé sur un banc à dossier en compagnie de voleurs et d’ivrognes.
Quelle malchance… Si j’avais su que je tomberais sur la police et que je n’aurais pas le temps de faire un détour… Tout ça à cause de ce satané tueur en série !
Tout en maudissant cet homme, Klein réfléchissait à la manière de cacher ses charmes et la poudre d’herbes au sujet desquels il ne pouvait donner aucune explication, et d’éviter la fouille corporelle.
Il pensait les mettre dans ses gants noirs, trouver une occasion de les dissimuler quelque part au commissariat et les récupérer à son départ lorsque soudain, ses yeux s’éclairèrent à la vue de Jurgen Cooper, le jeune avocat aux cheveux soigneusement peignés en arrière. Il était habillé comme pour une réception.
Celui-ci s’approcha, accompagné d’un agent de police.
– « Vous n’avez qu’à signer le registre et vous pourrez partir », dit Jurgen avec son sérieux habituel.
– « C’est tout ? » Fit Klein, surpris.
L’avocat hocha légèrement la tête :
– « Oui, ils savent que vous êtes un détective connu ».
Quel genre de motif est-ce là ? N’osant pas poser de questions, Klein se leva et suivit Jurgen qui portait un long manteau de tweed noir. Avant de partir, il signa tranquillement le registre.
A la différence de la précédente fois où Jurgen l’avait fait sortir du poste de police, il ne pleuvait pas. Seuls d’épais nuages obscurcissaient la lune, les étoiles et des lampadaires à gaz éclairaient les rues.
– « Merci beaucoup ! Une fois de plus, je vous ai dérangé ! » Dit Klein en s’approchant d’un pas vif.
Jurgen tourna la tête vers lui et répondit, le visage froid :
– « Inutile de me remercier, je n’ai fait que mon travail. Cela vous fera deux Livres. »
Klein le dévisagea, l’air grave, et eut un sourire.
– « Très bien. »
Il sortit son portefeuille, bien gonflé depuis peu, et en tira deux billets d’une Livre.
Jurgen les prit sans autre forme de politesse et lui dit :
– « Si vous êtes disposé à conclure un partenariat officiel, à chaque fois que vous serez emmené au poste de police, je ne vous ferai payer qu’une Livre. Cela exclut les cas graves, bien entendu. Vous devez comprendre que je reverse au bureau une grande partie des honoraires que perçois. »
On dirait qu’il pense que je vais souvent être invité à prendre un café au commissariat… Pfff, ils n’offrent pas de café, pas même un verre d’eau !
Avant même qu’il n’ait eu le temps de répondre, l’avocat ajouta :
« Il arrive de temps à autre qu’un détective se retrouve au commissariat. C’est un risque professionnel. Voyons, je sais parfaitement que tous les détectives privés ont des problèmes avec le port d’armes illégal et l’intrusion dans les maisons d’autrui.
« Vous avez très bien réagi cette fois. La police n’a pu trouver suffisamment de preuves pour démontrer que vous portiez illégalement une arme et les explications que vous avez données quant à la présence de poudre sur vous ont suffi. Le nom du Club Quelaag a suffi à les convaincre. Dans le cas contraire, vous vous seriez certainement retrouvé devant le tribunal d’instance.
« Vous n’êtes pas un suspect mais un bon citoyen. Un bon citoyen qui a pris soin de remettre une arme qu’il avait ramassée. Toute fouille corporelle était donc inutile. »
D’accord… Mais j’y ai perdu un revolver et mes balles qui valaient plusieurs Livres, ceci sans compter les honoraires de l’avocat .
– « Je vois », répondit le détective avec un sourire. « Dans ce cas, Maître Jurgen, établissons un partenariat en bonne et due forme. »
Le coin de la bouche de Jurgen se crispa. Avec un sourire extrêmement professionnel, il lui tendit la main :
– « J’espère sincèrement que notre accord sera plaisant et que je n’aurai pas trop souvent à venir vous chercher au commissariat. »
Ce n’est pas à moi d’en décider… Se dit Klein avec un petit rire.
…
De retour au 15, rue Minsk, le jeune homme prenait un bain chaud pour se détendre lorsque soudain, il perçut des prières provenant d’une femme.
Melle Justice ? Aurait-elle un indice concernant Lanevus ?
Il sauta hors de la baignoire, se sécha, enfila ses vêtements et se rendit au-dessus du brouillard gris.
Là, il envoya son énergie spirituelle vers l’étoile cramoisie qui pulsait et écouta :
Fou qui n’appartenez pas à cette époque…
« Honorable Mr. Le Fou, il y a un problème concernant l’enquête sur Lanevus… »
Justice, qui, pour une raison inconnue, portait une robe blanche, lui raconta l’explosion qui s’était produite rue Dharavi, dans le Quartier Est, ainsi que la noyade de Gavin.
En tant que Télépathe qui avait acquis une certaine maîtrise, elle s’abstint de toute supposition de crainte d’affecter le jugement du Fou.
Après avoir écouté attentivement, Klein fronça les sourcils. La réaction du tueur était littéralement inimaginable.
Contrairement au Contre-amiral Qilangos, Lanevus, en tant qu’escroc, aurait aussitôt pris la fuite s’il s’apercevait de quelque chose de louche. C’était dans son instinct professionnel.Il n’avait aucune raison de remonter les pistes et de tuer ceux qui étaient à sa recherche.
Si telle était la norme, 80% des chasseurs de primes du Quartier Est disparaîtraient, ce qui ferait sensation et l’affaire serait aussitôt prise en main par les faucons de Nuit, les Punisseurs mandatés ou la Conscience Collective des Machines !
Hmm… Les avantages que Lanevus a tirés du rituel consistant à prier le Vrai Créateur de faire descendre son fils l’auraient-ils rendu fou ? Cela ressemble bien à la manière d’agir de cette divinité… Mais comment un fou pourrait-il se cacher ? Outre le potentiel…
Pris dans une profonde réflexion, Klein n’était pas pressé de répondre à Justice.
Comme il avait lu les journaux et était au courant de l’explosion, il décida de faire appel à la divination par le rêve pour se remémorer les détails et écrivit :
Indices concernant l’explosion rue Dharavi.
Puis il s’adossa à sa chaise et entra en état de rêve.
Devant lui se dressait un immeuble de deux étages aux tons gris-bleu.
Au dernier étage, une pièce avait perdu ses fenêtres et la moitié du mur était détruite. On pouvait voir des traces d’explosion.
Très vite, l’image vola en éclats et Klein revint à la réalité.
Tapotant le bord de la table, il réfléchit :
Les indices sont-ils sur la scène du crime ?
… Cette révélation pourrait aussi signifier que le meurtrier est toujours là à surveiller les lieux, prêt à éliminer quiconque viendrait enquêter.
Il aurait ainsi une chance de trouver celui qui est à l’origine de la prime offerte pour Lanevus.
Je vais me rendre déguisé sur les lieux et voir si je peux trouver le tueur. Même si ce n’est pas Lanevus, il est certainement lié à lui.
Mais il est sûrement bien caché. Comment le trouver sans attirer son attention ?
C’est alors que le regard de Klein tomba sur l’Œil Noir posé sur la longue table de bronze, une caractéristique Transcendante laissée par Rosago, le Maître Marionnettiste. Une idée lui vint :
En raison de la corruption mentale résiduelle issue du Vrai Créateur, je ne peux pas utiliser cet objet dans le monde réel pour manipuler ces fils étranges car au bout d’un certain temps d’interaction avec lui, cela pourrait causer des dommages irréversibles. Ceci dit, si je ne l’utilise que sur une courte durée, je peux me servir de ces fils pour localiser une personne cachée. C’est encore acceptable, je m’en servais bien pour savoir si Miss Garde du Corps était partie ou non…
Plissant les yeux, il détacha le pendule de son poignet et procéda à une divination pour savoir si ce qu’il s’apprêtait à faire était dangereux.
Quoique la réponse fût positive, l’amplitude et la fréquence de rotation n’étaient pas excessives.
C’est acceptable…
Le jeune homme resta quelques secondes silencieux et retourna dans le monde réel.
Là, s’invoquant lui-même, il replaça l’Œil Noir dans son étui à cigarettes et l’emporta dans sa chambre.
Il se changea, se prépara, colla sa fausse barbe et alla s’examiner dans le miroir.
Le léger air savant qui se dégageait de lui était totalement masqué par sa barbe et ses yeux bruns évoquaient une antique mare qui recèlerait quelque chose de scellé.
Il avait grand mal à reconnaître celui qu’il était à Tingen.
Un à un, il étira ses doigts, serra le poing et, regardant le miroir, dit d’une voix basse et rauque :
– « Capitaine, ceci est la première étape de notre vengeance, à vous comme à moi. »
Il n’avait pas fini de parler que le miroir lui renvoya le sourire radieux qui éclairait son visage.