Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 66 – Une joie extrême qui se change en tristesse
Une lanterne à la main, Klein inspectait minutieusement le hall de la sombre structure souterraine pour voir s’il n’y avait pas d’autres entrées. Il se garda bien d’emprunter le tunnel qui menait à la pièce située au centre. Quant aux serpents regroupés là, ils furent une nouvelle fois balayés par un vent froid et mordant.
Lorsqu’il en fut certain, il alla se placer à côté de la porte et, accompagné des trois zombies, regarda Sharron placer les explosifs en différents endroits.
– « Elle a l’air très professionnelle », soupira-t-il doucement.
Bien entendu, les trois zombies ne réagirent pas. Et pour cause :
Il gardait le sifflet de cuivre enveloppé de son énergie spirituelle pour se protéger des effets négatifs, sans quoi il aurait eu droit à une réaction particulièrement passionnée.
Si, au départ, il n’avait pas l’intention d’emporter avec lui cet antique et délicat sifflet, étant dans la nécessité de se prémunir contre les manipulations du mauvais esprit, il n’avait pas d’autre choix que de sacrifier une partie de son énergie spirituelle.
A première vue, Miss Garde du Corps… ou plutôt Miss Sharron, ne se vantait pas en affirmant qu’elle était experte en démolition…
Etait-ce son métier autrefois ou ses compétences sont-elles dues à une Séquence de sa voie Transcendante ? D’après ce que j’ai pu lire lorsque j’étais Faucon de Nuit, il y a quelques candidats comme le Criminel, le Prisonnier, le Guerrier ou le Chasseur pour la Séquence 9, le Shérif pour la Séquence 8 et pour la 7 le Maître d’Armes et le Gardien du Savoir. Tiens, ce dernier est surnommé le Détective ! Il appartient à l’Église du Dieu du Savoir et de la Sagesse… Pour ce qui est du reste, je n’en ai aucune idée.
Je me demande quelle voie suit Miss Sharron. Rien ne semble correspondre et de plus, elle fait montre d’une capacité à commander les zombies…
Pendant que le jeune homme faisait toutes sortes de recoupements, Sharron finissait de mettre en place les explosifs. Au passage, elle allumait la mèche.
Hé ! Pourquoi n’avez-vous pas prévenu ? Pensa Klein en retrouvant brusquement ses esprits et en se précipitant hors de la salle.
Les trois zombies, quant à eux, le suivirent calmement dans le couloir.
– « Nous sommes en sécurité ici », dit soudain la jeune femme en flottant jusqu’à lui.
Klein poussa un soupir de soulagement.
– « Les secousses vont-elles entraîner une chute de poussière ? » S’enquit-il.
– « Oui ».
– « Très bien », fit Klein en reculant d’un pas.
Le sifflement de la mèche en train de brûler parvint à ses oreilles et le rendit nerveux.
Non pas qu’il eût peur de l’explosion qui allait suivre, mais il n’était pas tranquille.
– « Un », annonça soudain Sharron.
– « Hein ? »
Que voulait-elle dire par là ?
Soudain, un grondement retentit. Le sol trembla violemment tandis que des panaches de poussière tombaient d’en haut. Les oreilles de Klein bourdonnaient et durant un moment, il n’entendit plus rien.
S’il n’avait pas été Clown, il aurait perdu l’équilibre et se serait effondré sur le sol.
Pris au dépourvu, il se mit à tousser tandis que des rochers et de la terre venaient bloquer l’entrée.
Durant les dernières secousses, le jeune homme saisit le sifflet que lui avait donné M. Azik et observa sa réaction.
Bien qu’il eût procédé à une séance de divination – et même au-dessus du brouillard gris étant donné qu’il était question des statues des six dieux orthodoxes – selon laquelle il ne courait aucun danger, il n’y croyait pas totalement c’est pourquoi et par prudence, il avait recours au sifflet pour savoir si le mauvais esprit n’avait pas été libéré.
Sa surface, froide et douce, ne présentait aucun changement notable. Totalement soulagé, le jeune homme regarda les zombies qui se tenaient près de lui et vit dans leurs yeux qu’il était particulièrement sale.
Parfait, c’est tout à fait conforme avec ce que je vais expliquer aux vieux Millet Carter… Je n’ai pas fait l’effort de me changer…
Il s’approcha de l’entrée et constata qu’elle était complètement bloquée.
Sans vouloir faire trop de bruit, il est vrai que seuls les Apprentis et autres Transcendants, comme Mlle Sharron pourront désormais y entrer. En faisant cela, elle a écarté de nombreux concurrents potentiels. Pas étonnant que son aide soit gratuite… Soupira notre détective en contemplant l’amas de rochers et de terre.
C eci dit, je le peux aussi avec ma capacité similaire à celle d’un corps spirituel ! Ajouta-t-il en souriant intérieurement sans que pour autant cela se voie sur son visage.
– « Ce sera tout pour aujourd’hui », annonça-t-il.
Sur un claquement de doigts exagéré, le jeune homme reconduisit les trois zombies jusqu’au spacieux sous-sol de la maison. Quant à Sharron, elle avait déjà disparu.
Nerveux, Millet Carter faisait les cent pas et de temps à autres, jetait un œil à la porte secrète.
Sitôt qu’il vit sortir le détective Moriarty et ses assistants, il poussa un long soupir et demanda sur un ton inquiet :
– « Que s’est-il passé ? »
Jouant celui qui était à court de souffle, Klein répondit :
– « Cette structure souterraine est très vieille et pas été réparée depuis longtemps. Nous chassions les serpents lorsqu’au premier mouvement, elle s’est effondrée. Heureusement, nous n’étions pas loin de la porte et avons pu nous échapper à temps. »
– « Seigneur des Tempêtes ! Cette structure était donc si dangereuse ? » S’exclama Millet Carter en portant la main sur son cœur.
– « Oui, rares sont les constructions anciennes qui parviennent à rester debout. Les autres sont emportées par le fleuve de l’histoire », expliqua le détective. « Je vais vous emmener voir ce qu’il en est. »
– « Se peut-il qu’il y ait d’autres effondrements ? » S’enquit le vieil homme, prudent.
– « Non, cette zone est relativement solide. »
Après avoir intentionnellement toussoté et chassé la poussière de ses vêtements, Klein conduisit son client jusqu’à l’éboulement qui bloquait l’entrée de la structure. Des murs attenant au couloir, eux aussi effondrés, il ne restait que pierres et poussière.
– « Vous pouvez utiliser cette zone », dit-il en désignant le secteur du couloir.
Millet resta silencieux quelques secondes et soupira.
– « Heureusement que je n’ai pas envoyé n’importe qui explorer et que je suis allée vous trouver vous, un professionnel, sans quoi j’aurais plusieurs vies sur la conscience.
« Votre mission étant terminée, je vais vous régler le solde. »
Tout en parlant, Millet Carter sortit son portefeuille et constata, un peu gêné, qu’il ne lui restait qu’une trentaine de livres en liquide.
– « Heureusement que j’ai d’autres monnaies d’échange », marmonna-t-il, « sans quoi je serais contraint de faire un saut à la banque. Des pièces d’or, cela vous dérange-t-il ? »
– « Non, l’argent est de l’argent », répondit Klein en souriant.
Au Royaume de Loen, la Livre d’Or pouvait se présenter sous la forme de pièces d’or, sauf pour les valeurs importantes. C’était la garantie de la dénomination sur la monnaie papier.
Cependant, au cours des cent dernières années qui avaient suivi le règne de l’Empereur Roselle, les habitants du Continent Nord s’étaient si bien habitués aux billets de banque que certains députés souhaitaient même les voir remplacer les pennies de cuivre.
L’or, au sens propre du terme, ne circulait déjà presque plus sur le marché. Seuls quelques vieux messieurs portaient, attachée à l’extrémité de leur chaîne de montre, une petite boîte contenant quelques pièces en cas d’accident.
Ils faisaient cela pour leur tranquillité d’esprit mais aussi par habitude.
Millet hocha la tête, suivit des doigts la chaîne d’or qui ornait son gilet et sortit de l’une de ses poches une petite boîte dorée scintillante qu’il ouvrit.
Il en sortit cinq pièces d’or qu’il tendit au détective, accompagnées des billets qu’il avait comptés précédemment.
Klein recompta l’argent sans chercher à s’en cacher et brusquement, fit voltiger une pièce qu’il rattrapa calmement.
– « Merci pour votre générosité », dit-il en levant les yeux vers la statue avec un sourire sincère, après quoi il s’inclina devant Carter, la main sur le cœur.
Il est vrai que n’importe quel détective, quand bien même il aurait démoli l’entrée, ferait certainement des cauchemars une fois rentré chez lui. Il entendrait des bruits et son esprit s’affaiblirait. Il aurait l’impression d’être observé en permanence et connaîtrait bien des problèmes résultant de l’infestation par l’esprit maléfique. Il se passerait du temps avant que ces effets ne disparaissaient. Mais il n’en va pas de même pour nous. Pour commencer, Miss Sharron est une sorte de fantôme et moi, je n’aurais qu’à me rendre au-dessus du brouillard pour aller parfaitement bien. Quant aux trois zombies qui n’ont même pas peur de la mort, que pourraient-ils craindre ?
Sur ces pensées, Klein, qui était de bonne humeur, fit ses adieux au vieil homme et quitta la demeure.
Une fois dans la rue et sans même l’en informer, les trois zombies prirent une autre direction.
Miss Sharron est partie…sans même demander d’argent pour les zombies , pensa-t-il en levant la main pour les saluer de dos.
Rentré chez lui, il se changea et se rendit au Club Quelaag pour s’entraîner au tir.
Après s’être offert un dîner en guise de récompense pour avoir accompli sa mission, le jeune homme reprit une voiture publique pour retourner rue Minsk.
Il se promenait tranquillement dans la rue sombre à la lueur des lampes à gaz lorsque soudain, il eut un pressentiment qui n’était ni bon, ni mauvais.
Que se passe-t-il ? Se demanda le jeune homme. Il leva les yeux et vit deux policiers qui tenaient un chien en laisse. De toute évidence, ils faisaient une enquête.
Une enquête ? Une enquête avec un chien policier ? Serait-ce lié aux meurtres en série ? Est-ce parce que la scène de crime sent le clou de girofle et la groseille qu’ils ont emmené un chien ? Railla notre détective en son for intérieur.
Si l’histoire des chiens policiers remontait à l’époque de Roselle, ceux-ci n’avaient jamais été nombreux.
Etant donné sa prémonition et vu qu’il avait beaucoup de choses sur lui, Klein s’apprêtait à faire un détour lorsque les deux hommes, l’ayant aperçu, lui firent signe de s’arrêter.
Le coin se ses lèvres se contracta et il les attendit, le sourire aux lèvres.
– « Enquête de routine », annonça l’un des agents en lui montrant sa carte.
– « Très bien… »
Klein n’avait pas terminé sa phrase que le chien se mit à grogner et à aboyer sur lui.
Sentirait-il l’odeur de la poudre ? L’odeur de poudre à canon résultant de mon entraînement cet après-midi ?
Comprenant ce qui se passait, il regarda les deux policiers désormais sur le qui-vive et expliqua en souriant :
– « Je vois. J’ai trouvé en chemin un revolver, son étui et des balles. J’avais l’intention de les remettre à la police. »
Lentement, il a sorti son revolver, leva les mains à hauteur des épaules et ajouta d’un ton sérieux : « Ce n’est pas un port d’arme illégal, messieurs les agents. »
Tandis que l’un deux restait en état d’alerte, l’autre prit le revolver et lui dit d’un ton grave :
– « Vous allez devoir nous accompagner au poste. »
– « Entendu », répondit Klein avec un large sourire. « Mais je vous prie d’en informer mon avocat, M. Jurgen Cooper. Je n’accepterai de fouille corporelle qu’en sa présence. »