Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 64 – Finalisation du plan
L’avenir de Rafter Pound.
Klein agrippa les cheveux du Baronnet, ferma les yeux et aidé de la Méditation, entra dans un profond sommeil.
Dans ce monde gris et sombre, il vit une grotte étroite, irrégulière. Rafter Pound, avec ses poches sous les yeux et ses tempes grisonnantes, rampait sur ses coudes tel un reptile pour sortir du trou.
En un éclair, il récupéra un emblème de fer noir d’origine inconnue et l’accrocha sur sa poitrine.
Sur cet emblème était gravé un sceptre que tenait fermement une main !
« Les Tudor ! »
Klein émergea brusquement de son rêve et se redressa.
Miss Garde du Corps, en effet, lui avait présenté cet emblème de fer noir comme portant les armoiries de la maison royale de l’Empire Tudor, qui datait de la Quatrième Époque !
Il était identique à celui qu’il avait vu dans l’antique structure !
Concernant Rafter Pound, les choses ne sont certainement pas aussi simples qu’il n’y paraît… Se dit Klein en se massant le front.
En tant que Voyant, il avait sa propre interprétation de la révélation qu’il venait de recevoir. D’une part, il savait que c’était une image liée au futur et d’autre part, il en était convaincu, cela signifiait que Rafter Pound était profondément lié à la famille Tudor !
Au cours des trois tests que je lui ai fait subir, à savoir le questionnement direct, le sondage par le rêve et la canalisation de l’esprit, Rafter Pound n’a présenté aucun problème et je n’ai rien remarqué de louche. Si je n’avais pas pratiqué un quatrième test, j’aurais probablement été dupé. Bon… Peut-être… peut-être qu’il ne sait vraiment rien pour le moment et que son comportement était authentique. Il se pourrait que, dans le futur, il ait l’occasion de nouer des liens avec la famille Tudor…
Mais il est plus probable qu’il ait déjà beaucoup appris du vieux Vicomte. Sans aucune certitude, il est volontairement devenu décadent, jouant les fous et les ignorants. Pour qu’il ait pu dissimuler cela lors de mon rêve et du rituel, il faut qu’il possède certains pouvoirs Transcendants. Hmm… À ce moment-là, il ne jouait probablement pas. Il était vraiment dans un état de confusion sans quoi moi, qui suis très expérimenté dans ce domaine, je l’aurais démasqué…
De quels pouvoirs peut-il s’agir ?
Quelle est sa Séquence ?
A moins qu’il ne soit de ceux qui sont nés avec des pouvoirs Transcendants ?
A mesure qu’il réfléchissait, Klein s’aperçut bientôt qu’il était dans une impasse. Il changea aussitôt d’angle d’attaque.
Rafter Pound est en lien profond avec la famille Tudor…
Puis-je émettre l’hypothèse audacieuse qu’il serait en fait un descendant de cette famille ?
Si de plus il est vraiment lié par le sang au vieux Vicomte, les choses promettent d’être intéressantes.
La famille Pound serait-elle une branche de la famille Tudor qui a changé de nom pour échapper à des poursuites ?
Suite à d’importantes contributions, ils se seraient vus conférer des titres aristocratiques, et étape par étape, seraient revenus au centre du pouvoir. Simultanément et en secret, ils étaient à la recherche des reliques laissées par l’Empire Tudor à Backlund.
Au bout d’un certain temps, ayant finalement trouvé quelque chose, ils ont acheté la maison qui appartenait à Millet Carter et construit un sous-sol démesuré pour explorer les environs.
Il y a trente ou quarante ans, ils ont découvert les ruines et construit une porte secrète pour y accéder.
Mais durant l’exploration, un accident s’est produit. L’esprit maléfique n’ayant pas du tout reconnu les soi-disant descendants des Tudor, les deux héritiers du vieux Vicomte moururent l’un après l’autre au plus profond de cette salle. On ne put même pas récupérer leurs caractéristiques Transcendantes et autres objets occultes.
Quoique le Vicomte eut dépensé une somme faramineuse pour se procurer des caractéristiques similaires et faire croire que ses deux héritiers étaient morts de façon normale, leurs disparitions successives attirèrent les soupçons de la maison royale et des églises. Le vieux Vicomte disparu, Rafter Pound exagéra et déforma volontairement les investigations passées en vue de se faire peur et de se créer des problèmes mentaux. Puis il s’engagea dans la débauche pour éviter d’attirer l’attention des autres.
Cela pourrait expliquer ce qui, jusqu’ici, me laissait perplexe. Comment une famille de Vicomtes peut-elle être sous le contrôle d’une mystérieuse personne sans aucune intervention de la part de la maison royale ou des églises ? En admettant que ce soit nécessaire, ils auraient procédé avec plus de douceur, d’une manière indétectable en recourant, par exemple, à un Sans-visage, Séquence 6 de ma voie.
Un enfant pourrait déceler quelque chose d’anormal et pas les puissants Transcendants de la maison royale et des trois églises ?
La seule explication au fait qu’ils n’aient pas été “ au courant “ , c’est que ce sont eux qui ont envoyé ces gens.
Voyons… À l’époque, j’avais émis l’hypothèse que les familles Tudor et Trunsoest maîtrisaient la voie de l’Empereur Noir et que poussés par la nécessité d’agir, ils avaient établi des dynasties pour maintenir le style et le caractère bien spécifique de l’Empire Salomon. Indirectement, Mlle Garde du Corps a confirmé ce point.
La Séquence 9 de la voie de l’Empereur Noir est l’Avocat, un Transcendant très doué pour faire usage de l’ordre. C’est ce qui a permis à Rafter Pound de me duper dans mes capacités à canaliser les rêves et les esprits. Peut-être est-il allé un peu plus loin ? Il a pleinement coopéré avec moi, de sorte que dans son état de confusion, il a toujours été en mesure, inconsciemment, d’utiliser les failles de l’ordre et d’affecter le cours du rêve dans la direction qu’il souhaitait.
Après mûre réflexion, je ne pense pas que Pound ait menti durant le rituel. Cependant, il n’a dit qu’une partie de la vérité… les termes de “préserver la famille” et “se souvenir de la gloire” pouvant faire référence aux Tudor aussi bien qu’à la famille Pound…
À mesure que les pensées de Klein s’éclaircissaient, il put faire une évaluation globale de la situation.
À en juger par l’attitude de Rafter Pound, l’esprit maléfique ne doit pas pouvoir s’échapper sans aide extérieure, sans quoi le Baronnet aurait depuis longtemps réfléchi à un moyen de se préserver. Que l’entité se lance ou non à sa recherche, si elle échappait au sceau et générait une catastrophe, le secret des ruines souterraines serait alors dévoilé à la maison royale et aux églises et Rafter certainement mis en cause… Quoique la salle d’en face se soit effondrée, cela n’a pas affecté le pouvoir qui retient l’esprit maléfique, ce qui prouve que tant que la salle centrale n’aura pas été détruite, celui-ci ne pourra pas s’échapper…
Hmm… Le plan est maintenant très clair. Je vais me procurer des explosifs auprès de Kaspars et détruire l’entrée du souterrain pour que personne ne puisse y accéder. Le mauvais esprit y sera enseveli à jamais. Et quand je serai assez puissant, je pourrai envisager de l’éliminer afin de débarrasser les citoyens de Backlund de ce danger latent, et récupérer au passage quelques objets de valeur…
Mais comment le faire exploser sans risque ? Je n’y connais rien… Kaspars connaît peut-être un expert en démolition ? Il vend bien des armes au marché noir après tout.
Klein finalisa rapidement son plan. Il irait trouver Kaspars le lendemain soir et tenterait de régler la question des ruines souterraines dans le courant de la semaine.
Pour ce qui était de la véritable relation entre la famille Pound et la famille Tudor, et de l’anomalie de Rafter, il préférait ne pas chercher plus loin.
Ce ne sont pas mes affaires ! Grommela le jeune homme en amorçant sa chute pour revenir dans le monde réel.
…
Le vendredi matin, Klein sortit de bonne heure comme d’habitude et fit celui qui avait beaucoup à faire.
En réalité, il se rendit au club Quelaag où il prit grand plaisir à s’entraîner au tir et lire les journaux.
À l’heure du thé, alors qu’il avait passé là sa journée et s’apprêtait à partir, notre détective eut la surprise de voir entrer simultanément Mary Gale, son ancienne cliente, et Talim Dumont, le professeur d’équitation.
Ils étaient accompagnés de quelques messieurs en redingote à double boutonnage et de belles dames maquillées avec goût. Parmi eux se trouvait Mike Joseph, le journaliste du Daily Observer.
– « Détective Moriarty, quelle coïncidence ! » Salua Mike, cet homme aux yeux charmeurs mais à la peau plutôt rugueuse.
Klein sourit:
– « Monsieur le journaliste ! Avez-vous terminé votre enquête ? »
– « C’est fait, grâce à votre aide ! Laissez-moi faire les présentations » Il agita le bras : « Voici le célèbre détective Sherlock Moriarty, un grand ami de Talim. »
Les salutations faites il poursuivit : « J’ai à peu près compris qui était Capim. Je vous en parlerai en détail lorsque j’aurai un moment. En bref, j’ai toutes les raisons de croire que la mort de Siber est l’œuvre d’un imitateur et non celle du tueur en série. Haha, vous découvrirez les résultats de mon enquête demain matin dans le journal. »
– « C’est exactement ce que je me suis dit », répondit Klein en souriant.
Soudain, comme s’il venait de se rappeler quelque chose, Mike se tourna vers May Gale :
– « J’aimerais vous interviewer concernant la pollution atmosphérique à Backlund et ses solutions. Il faudrait que vous entriez en contact avec mon rédacteur en chef pour convenir du moment et finaliser la mise en page. »
Les yeux de Mary s’illuminent.
– « Très bien. Merci beaucoup, Mike ! C’est une excellente idée, pourquoi n’y ai-je pas pensé ? »
Est-ce pour la promotion du Conseil National de la Pollution Atmosphérique ? Ce journaliste, a beaucoup d’expérience après tout… Bien que le Daily Observer ne soit pas l’un des meilleurs journaux, son tirage est considérable… Est-ce parce qu’elle savait que les membres de la Chambre des Communes appartenant à ce club seraient là aujourd’hui que Mary a brusquement décidé de venir ? Ce genre de club privé est tout à fait adapté à la politique et aux affaires…
Klein, qui visiblement avait compris, s’empressa de leur faire ses adieux.
Il n’avait pas l’intention de s’impliquer dans des affaires d’une telle importance avant d’être devenu un Sans-Visage.
…
Le soir même, dans un appartement du Quartier Est…
Après une journée bien remplie, Williams revint au petit appartement qu’il avait loué, avec l’intention de changer de manteau et de prendre un peu d’argent après quoi il se rendrait au pub pour boire un verre et dîner.
Alors qu’il enfilait son manteau dans l’obscurité, il s’arrêta soudain.
Une silhouette sombre se tenait debout près de la fenêtre, le visage complètement masqué par l’ombre de sa capuche.
– « Qui vous a demandé de rechercher Lanevus ? » Demanda l’inconnu d’une voix grave et lente.
Williams enfila rapidement son manteau et ravala sa salive :
– « Une amie, une chasseuse de primes. »
Les chasseurs de primes désignaient les aventuriers qui vivaient essentiellement des primes offertes en récompense. Il y en avait beaucoup dans le Quartier Est, comme dans tout Backlund du reste.
La silhouette, particulièrement grande, s’approcha lentement.
– « Pourquoi ce soudain empressement à retrouver Lanevus ? Il y a longtemps que la prime a été offerte. »
– « Je ne sais pas. Peut-être voulait-elle simplement tenter une autre prime », répondit Williams en reculant d’un petit pas.
– « Qui est-elle ? » Insista la silhouette d’une voix rauque.
Durant quelques secondes Williams se retrouva pris en plein dilemme.
– « Xio, Xio Derecha », répondit-il d’une voix tremblante. « J’ignore où elle habite. »
– « Très bien, c’est très honnête », commenta l’inconnu en lui tapotant l’épaule. Puis, sans plus attendre, il se dirigea vers la porte.
Williams poussa un discret soupir de soulagement, persuadé que sa riche expérience au sein du milieu l’avait aidé.
Ne jouez pas les braves quand il ne le faut pas!
Au même moment, il vit l’ombre claquer des doigts.
Les pensées de Williams se figèrent, puis son corps se fissura et il explosa en morceaux, éclaboussant le sol et les murs de chair et de sang.
L’ombre brisa alors le tuyau de gaz, prit une bougie sur le bureau de Williams, la frappa contre la mèche et quitta aussitôt les lieux.
Quelques minutes plus tard, la bougie s’allumait toute seule !
Boum !
L’ explosion qui suivit détruisit tout.