Chapitre 54 – Première demande en divination
En voyant l’expression étrange de Klein, Angelica sentit ses croyances vaciller.
– « Est-ce vrai? M. Glacis prétend que vous aviez lui aviez décelé une maladie des poumons par le simple fait de l’observation… » Dit-elle doucement.
Par l’observation ? Klein secoua la tête avec un petit rire:
– « Je pense que M. Glacis a mal interprété les choses. » Il avait voulu être superficiel lors de la voyance, mais emporté par la frénésie, s’était laissé dépasser par les évènements. Son rôle de Voyant reprit le dessus: « C’était, en fait, une forme de divination. »
– « De divination ? Mais M. Glacis a dit que vous aviez uniquement observé son visage. Est-ce aussi considéré comme de la divination ? »
– « En tant que membre du Club, vous connaissez sans doute la chiromancie, non ? » Demanda-t-il, serein.
Même sur Terre, l’Inde et la vieille Europe avaient développé des principes similaires, alors que dire d’un monde aux pouvoirs Transcendants !
– « Je connais cet art, mais il semble que vous n’ayez pas lu dans sa paume. Vous l’observiez en secret ? » Demanda Angelica.
– « J’ai pratiqué la lecture faciale », mentit Klein. « Pour l’essentiel, ses principes ne sont guère différents de ceux de la chiromancie. »
– « Vraiment ? » S’exclama Angelica, une lueur d’incrédulité dans les yeux.
Il fit semblant de réfléchir en tapotant sa glabelle. Puis il concentra son regard et observa l’aura de la jeune femme. Sa tête était violette, ses membres rouges, et sa gorge bleue… Outre le fait que certaines couleurs étaient un peu ternes – simples signes de fatigue – la jeune femme ne présentait aucun souci de santé.
Klein se concentra ensuite sur ses émotions. Il vit de l’orange mêlé à du rouge et du bleu. Cela correspondait à de la chaleur associée à une certaine excitation et à des réflexions.
Heureusement… Se dit-il en constatant que tout était normal chez elle.
Sur le point de désactiver sa vision spirituelle, il aperçut une dense obscurité tapie dans les profondeurs de ses couleurs émotionnelles.
Il lui manque un peu de blanc, un peu de désir d’amélioration…
– « M. Moretti, êtes-vous en train de lire sur mon visage ? » Demanda-t-elle, mi-curieuse, mi-inquiète en voyant le jeune homme, soudain silencieux, l’observer méticuleusement.
Klein ne répondit pas immédiatement. Au lieu de cela, il tapota légèrement sa glabelle tout en lui portant un regard attentif.
– « Madame Angelica, il y a, dans votre coeur, des chagrins et des douleurs que vous ne devriez pas garder. »
La jeune femme écarquilla les yeux et, bouche bée, fixa Klein avec son semi haut-de-forme et son air d’érudit.
– « Il vous faut faire de l’escalade, du tennis, du théâtre pour épuiser votre corps. Laissez couler vos larmes sans retenue, et criez. Exprimez toutes ces émotions. Ce sera très bénéfique pour votre santé », dit-il d’une voix profonde, réconfortante et chaude.
Angelica se figea. Troublée, elle s’efforça de cligner des yeux en baissant la tête:
– « Merci pour votre suggestion… »
– « Il semble qu’il y ait beaucoup de membres présents aujourd’hui ? » Constata Klein en regardant la salle de réunion au bout du couloir.
– « Le dimanche après-midi… ils sont au moins cinquante… » répondit-elle. « Vous voulez du thé ou du café ? »
– « Du thé noir Sibe », répondit le jeune homme avec un léger signe de tête. Il ôta poliment son chapeau et se dirigea lentement vers la salle de réunion.
Angelica attendit qu’il eût disparu derrière la porte et soupira profondément.
…
La salle de réunion du Club de Divination était très grande, presque deux fois plus grande que la salle de classe du lycée de Klein. Autrefois, seuls cinq ou six voyants étaient présents, mais ce jour-là, des dizaines de membres vaquaient à leurs occupations.
La lumière du soleil brillait dans la salle au travers de quelques oriels. Les membres chuchotaient entre eux, posaient des questions à Hanass Vincent, s’exerçaient à la divination ou buvaient du café en lisant le journal.
Klein eut l’impression d’être de retour sur Terre lorsqu’il était étudiant, excepté que dans son ancienne vie, c’était plus bruyant et plus agité.
Il regarda autour de lui, mais ne reconnut aucun visage familier comme par exemple Glacis ou Edward Steve. Il prit donc prit un manuel de divination, trouva un coin où s’asseoir et se mit à le feuilleter tranquillement.
Peu de temps après, Angelica entra avec une tasse de thé et la déposa devant lui. Elle repartait tranquillement lorsqu’elle vit M. Moretti sortir de sa manche gauche une chaîne d’argent massif à laquelle était accroché un morceau de topaze.
Que fait-il ?
Angelica ralentit le pas et l’observa. Ce dernier tenait la topaze au-dessus et à fleur du thé noir de Sibe. L’air serein, il ferma à moitié les yeux à moitié et l’atmosphère autour de lui s’apaisa.
La topaze et la chaîne à laquelle elle était suspendue se mirent à tracer de légers cercles dans le sens des aiguilles d’une montre.
Décidément, M. Moretti était extrêmement mystérieux.
– « Votre thé noir est excellent ! » Dit doucement Klein en ouvrant les yeux.
Il avait fait en sorte d’être repéré par Angelica. S’il voulait que les gens le choisissent comme voyant, la recommandation de celle-ci était un facteur non négligeable !
De plus, il était totalement dans son rôle de Voyant.
– « Oui, M. Vannas est très pointilleux sur la qualité du thé ! »
Klein rangea son pendule spirituel en l’enroulant soigneusement puis, d’un geste courtois, il souleva sa tasse de porcelaine blanche ornée d’un motif floral.
…
Angelica retourna dans la salle de réception, mais elle n’avait plus envie de lire des magazines. Elle s’assit, le regard lointain, comme perdue dans ses pensées et resta ainsi jusqu’à ce qu’on frappe à la porte. Reprenant ses esprits, elle regarda aussitôt vers l’entrée et vit une dame vêtue d’une robe bleu clair.
Celle-ci ôta son chapeau à voilette surmonté d’un ruban bleu. Elle avait l’air calme et mélancolique.
– « Bonjour, chère madame. Voulez-vous adhérer au Club de Divination, ou cherchez-vous à consulter ? » Demanda Angelica, réglée comme une horloge.
– « Je voudrais consulter », répondit la dame aux beaux yeux voilés de chagrin en se mordant la lèvre.
Angelica l’accompagna jusqu’à un canapé et lui expliqua en détails le fonctionnement du club. Puis, elle lui tendit l’album des membres:
– « Choisissez qui vous voudrez. »
Visiblement déprimée, la dame feuilleta l’album avec un air grave. Mais le grand nombre de voyants la déconcerta.
– « Pourriez-vous m’en recommander un à partir de ces quelques pages? » Demanda-t-elle en pointant du doigt la partie centrale de l’album, omettant les voyants dont le prix était supérieur à deux Solis et inférieur à quatre Pences.
Angelica prit l’album et le regarda quelques minutes.
– « Je vous suggère ce monsieur. »
La dame, qui semblait plutôt mal à l’aise, jeta un coup d’œil. Il s’agissait de Klein Moretti.
– « M. Moretti vient à peine de rejoindre le club… Sa divination est-elle fiable ? »
Angelica hocha la tête en signe d’approbation.
– « Un autre membre et moi sommes certains que M. Moretti est un voyant exceptionnel. S’il n’était pas nouveau au sein du club,jamais il n’aurait accepté des honoraires aussi bas. »
– « Je vois. Je vais donc choisir M. Moretti pour une voyance, dans ce cas. »
– « Très bien, attendez une seconde s’il vous plaît. » Angelica prit l’album et se dirigea vers la salle de réunion. Elle s’approcha de Klein et dit d’une voix étouffée: « M. Moretti, quelqu’un souhaite vous consulter. Quelle salle voulez-vous utiliser ? »
Efficace, ma petite démonstration, pensa le jeune homme qui, posant sa tasse, hocha calmement la tête: « La salle Topaze. »
– « Entendu », répondit Angelica qui l’y conduisit.
Klein s’assit derrière la table sur laquelle étaient disposés divers instruments de voyance. Moins d’une minute plus tard, il entrer une femme en robe bleu pâle, qui regardait le sol avec son air mélancolique..
Tandis qu’elle fermait la porte, il tapota sa glabelle à deux reprises.
La couleur jaune de son estomac semble un peu terne… La couleur sombre de ses émotions est très lourde, principalement de l’inquiétude et de l’anxiété. Klein la regarda attentivement et se pencha en arrière, puis, d’un geste de la main, interrompit sa vision spirituelle.
– « Bonjour M. Moretti », dit la femme en s’asseyant.
– « Bonjour, quel est votre nom ? » Demanda-t-il poliment, sans grand espoir d’obtenir une réponse précise. En tant qu’aficionado du clavier, il savait pertinemment que beaucoup de gens n’étaient pas disposés à mentionner leur véritable nom lors d’une séance de voyance.
– « Vous pouvez m’appeler Anna. » La jeune fille posa son chapeau à côté d’elle et posa sur Klein un regard curieux et perplexe. « J’aimerais être éclairée sur mon fiancé. Il s’est rendu sur le Continent Sud en mars pour une affaire. Il nous a envoyé, à sa famille et à moi, un télégramme en date du 3 du mois dernier, disant qu’il était sur le point de rentrer. Mais vingt jours ont passé et il n’est toujours pas là ! Au début, j’ai cru que son retard était dû à la météo capricieuse de l’Océan Déchaîné mais à ce jour, le bateau qu’il a pris, la Luzerne, n’est toujours pas rentré au port d’Enmat. »
L’océan était bien connu pour ses calamités naturelles et ses innombrables courants dangereux. Sans l’Empereur Roselle, qui avait envoyé des hommes découvrir quelques routes de navigation plus sûres, les pays du Continent Nord n’auraient pas encore atteint l’ère de la colonisation, et encore moins posé un câble sous-marin pour la mise en œuvre d’un télégraphe transocéanique.
Klein regarda la toute première cliente de sa carrière de Voyant:
– « Quelle méthode de divination souhaitez-vous utiliser ? »