Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 51 – Réunion à cinq
Si “Le Fou” représentait le début du Club du Tarot, “Le Monde” en était la fin, la parfaite fin d’un cycle et sa sublimation. Si Klein avait nommé son pantin “Le Monde”, c’était parce qu’il espérait un début et une fin magnifiques.
Par la suite, je pourrai lui faire présenter des requêtes ou autres choses que je ne peux faire moi-même sans risquer de ternir l’image du Fou.
Avec un soupir de soulagement, il fit un signe et Le Monde disparut.
Cela fait, il déploya son énergie spirituelle, s’en enveloppa, amorça sa descente à travers le brouillard gris et retourna dans le monde réel.
Il avait laissé là-bas l’Oeil Noir de Rosago. De toute façon et dans des conditions normales, il ne pouvait pas utiliser cet “objet” et ne voulait pas avoir à s’inquiéter constamment qu’on ne le découvre ou qu’il le perde.
Après avoir rangé les matériaux du rituel d’invocation, Klein, impatient d’être à la réunion du lendemain, leva les yeux vers le clair de lune qui filtrait à travers les rideaux.
En matière de connaissances sur l’aristocratie, il était convaincu que Mlle Justice surpassait 99% des habitants de Loen.
Et grâce au Monde, il allait pouvoir lui poser des questions sur la famille Pound sans craindre que cela n’affecte l’image Fou !
Cela, bien sûr, devrait être fait avec le plus grand tact. Après tout, le détective Sherlock Moriarty cherchait lui aussi des informations sur la famille Pound et lorsqu’il en aurait suffisamment, il pourrait procéder à une séance de divination au-dessus du brouillard gris.
Après avoir réfléchi un moment, Klein se détendit et s’endormit.
Au-delà du brouillard, on aurait dit que l’aura résiduelle de l’esprit maléfique avait complètement disparu.
Klein dormit jusqu’à l’aube, mais ne vit pas le soleil en raison de la fine brume.
Comme prévu, il parcourut les autres bibliothèques publiques de Backlund, mais s’abstint d’interroger les employés et de mentionner la famille Pound. Il se contenta de feuilleter seul les documents relatifs à la noblesse.
À 14H35, le jeune homme prit les devants et pénétra dans l’espace mystérieux.
Une fois dans le vaste et antique palais, il s’assit sur le siège du Fou et fit apparaître Le Monde à l’autre bout de la table pour se familiariser avec son fonctionnement.
Quelques minutes plus tard et après avoir jeté un coup d’œil à sa montre, il envoya un message à l’étoile cramoisie qui symbolisait Le Soleil en vue de la réunion.
En attendant, il se mit à jouer avec l’Oeil Noir, l'”équipa” d’une chaîne d’argent puis l’enroula autour de son poignet droit et le recouvrit de sa manche.
À 15 heures, des rayons de lumière jaillirent du palais qui ressemblait à la demeure d’un géant. Justice, le Pendu et le Soleil projetaient chacun une silhouette floue teintée de cramoisi.
– « Bonjour, M. Le Fou, bonjour… »
Audrey s’apprêtait à saluer tous les membres du club lorsque son regard tomba sur une silhouette assise tout au bout de la table.
C’était un étranger vêtu d’une robe noire à capuche, lui aussi irréel et brumeux.
– « Qui est-ce ? » Demanda la jeune femme en posant sur Le Fou un regard à la fois perplexe et ravi.
Le Club du Tarot se serait-il encore agrandi ? Serait-ce Fors ? Xio ? Non, la taille ne correspond pas. Alors qui est-ce ?
Tandis qu’Audrey était plongée dans ses pensées, Klein s’adossa tranquillement à sa chaise et annonça :
– « Je vous présente M. Le Monde, un nouveau membre. »
Dans le même temps et grâce à sa Vision Spirituelle améliorée par le brouillard gris, il s’aperçut que la couleur de surface de la Projection Astrale du Soleil était un peu plus pure, sans toutefois atteindre les normes de la Séquence 8. Sa première pensée fut que Derrick avait fini d’assimiler la potion du Barde.
– « Bonjour », salua poliment Audrey en posant un regard curieux sur le nouveau membre.
Très vite, elle “lut” certains détails le concernant à travers le brouillard et hocha la tête, pensive.
M. Le Monde est quelqu’un de réservé qui fait peu de mouvements et garde un visage impassible. Je serais curieuse de savoir d’où il vient. De Loen ? D’Intis ? A moins que ce ne soit d’un endroit mystérieux comme la Cité d’Argent ?
Après toutes ces réunions, elle avait fini par déduire que si Le Soleil ne pouvait pas participer à leurs conversations, c’était probablement parce qu’il parlait pas la langue de Loen. Les informations qui lui parvenaient devaient être traduites par Le Fou.
Après qu’Alger et Derrick aient respectivement salué Le Monde, ce à quoi le nouveau venu répondit assez froidement, Klein se tourna vers Justice :
– « Les deux candidates que vous m’avez proposées sont encore en cours d’évaluation. Je vais vous confier une mission simple dont vous pourrez les charger comme si cela venait de vous. Cela fait partie de l’examen. »
C’est tout à fait normal… Se dit Audrey qui loin d’être déçue, trouvait cela justifié.
La sélection se doit d’être stricte. N’importe qui ne peut pas devenir membre de ce club! Se dit-elle avec fierté tout en pensant avec un léger sentiment de culpabilité : Le fait que M. Le Fou m’y ait introduite dès le début prouve que j’ai de la chance, et la chance est une qualité bien spécifique !
– « Très bien, faites-moi part de cette mission s’il vous plaît », répondit-elle.
Klein posa sa main droite sur la table et créa une image de Lanevus qu’il fit apparaître devant la jeune femme :
– « Il s’agit de vous renseigner sur l’homme que vous voyez sur ce tableau. Il est à Backlund. »
Sur une peinture à l’huile colorée, Audrey vit un jeune homme aux cheveux noirs soigneusement peignés et aux lunettes rondes. Il avait un front bien rempli et ses yeux bruns provocants étaient étrangement saillants. Tout en bas étaient écrits ces mots : Anciennement connu sous le nom de Lanevus , suivis de quelques informations.
Si c’est une mission simple, c’est que la cible n’est guère puissante… Cependant, pour que M. Le Fou soit informé de son existence, cet homme doit bien avoir quelque chose de spécial… Il se pourrait que le but derrière tout ça soit plus sérieux qu’une simple enquête. Pour quelqu’un d’aussi puissant que M. Le Fou, ce ne saurait se résumer à un simple test…
Après quelques secondes de réflexion, la jeune femme répondit :
– « Je vais leur confier cette mission. »
Hmm… Ces deux dames semblent avoir à Backlund de nombreuses relations qui pourraient nous aider à trouver Lanevus, pensait Klein.
Après s’être occupés des différents points relatifs à sa vengeance, Le Fou laissa délibérément Le Monde prendre la parole.
Celui-ci regarda autour de lui et dit d’une voix rauque :
– « M. Le Fou m’a dit qu’ici, je pourrais lancer des missions et collecter des ingrédients. Est-ce exact ? »
– « Oui », répondit Audrey avec un gracieux signe de tête. « Cependant, vous allez devoir patienter car c’est maintenant le temps de lecture de M. Le Fou ».
J’ai accompli ma mission d’assassinat et je n’en ai même pas encore parlé… pensa-t-elle en levant légèrement le menton.
Miss Justice, vous avez vraiment un grand sens de la maîtrise… Je vais vous payer en informations et cette histoire d’assassinat sera enfin terminée… Se dit Klein, amusé, avant de se tourner vers Le Pendu.
Alger Wilson, que la présence d’un nouveau membre dissuadait de parler sans réfléchir, observait discrètement en silence. Voyant que Le Fou le regardait, il s’inclina promptement et humblement :
– « Je vous ai apporté six nouvelles pages. Je vous remettrai la dernière la prochaine fois »
– « Bien sûr », acquiesça Klein.
Aussitôt, Le Pendu se concentra pour se remémorer le contenu et l’exprima mentalement.
Il termina rapidement “d’écrire” les six pages du journal et les vit soudain disparaître pour réapparaître entre les mains du Fou.
Celui-ci parcourut la première page :
« 9 février. J’ai un troisième enfant que j’ai appelé Bornova.
« Ma fille aînée Bernadette a eu de la chance. Comme sa mère et moi n’étions que des Transcendants de Basse Séquence lorsqu’elle est née, elle est libre de choisir la voie qu’elle souhaite.
« Ciel, mon fils aîné, est le plus malchanceux. Bien qu’il n’ait hérité que d’une infime partie de mes caractéristiques Transcendantes, il doit suivre ma voie. Peut-être pourrait-il en changer une fois atteinte la Séquence 4, mais il n’est jamais simple de parvenir à de Hautes Séquences.
« Mon second fils, Bornova, se situe entre Bernadette et Ciel. Je lui ai transmis des caractéristiques équivalentes à celles d’un Transcendant de Séquence 5, ce qui a eu pour effet d’alléger mon fardeau, de me permettre de digérer plus vite ma potion et d’accélérer mon évolution. Il venait à peine de naître qu’il présentait déjà divers traits d’un Astromancien.
« Zaratul, venu me féliciter en secret, a dit que Bornova était un charmant petit ange. J’ai demandé à ce maître ès divination ce qu’il comptait accomplir à l’avenir et pour toute réponse, il s’est contenté de sourire.
« Alors que je l’interrogeais sur l’avenir de Ciel, il a fini par me dire que si la mort est une fin inévitable, c’est peut-être une bonne chose.
« Sérieusement, les propos d’un Voyant sont toujours si vagues qu’on aurait envie de le faire parler de force.
« Lorsqu’enfin je lui ai posé une question sur l’avenir de Bernadette, il a brusquement pris un air grave et m’a dit qu’elle me détesterait, me tournerait le dos et deviendrait quelqu’un d’important dans le monde mystérieux.
« Parfois, il est vraiment préférable de ne pas demander à connaître l’avenir. J’ai peine à croire que mon adorable et gentille Bernadette qui prend soin de son frère, adore son père et dorlote sa mère, puisse un jour me haïr et me trahir. Pourquoi cela se produirait-il ? Que suis-je sensé faire que je n’aurais pas dû faire ? Va-t-elle aimer quelqu’un qui ne me plaira pas ? Un voyou que je finirai par tuer ?
« Non, Zaratul, qui n’est pas Devin, pourrait très bien se tromper ! Oublie ça, Roselle ! »
La première page terminée, Klein ne put s’empêcher de penser :
Tout ça sent le mélodrame familial arrangé…
Mais ce que Zaratul avait dit sur Bernadette, à savoir qu’elle deviendrait quelqu’un d’important dans le monde mystérieux, lui revint à l’esprit.
Cela fait-il référence au monde des Transcendants ? Quel niveau doit avoir une personne pour être considérée comme quelqu’un d’important ?
Pensif, le jeune homme tourna la page.
« 22 mai. Floren, de la famille Sauron, insiste pour que je sois son subordonné !
« Ai-je l’air d’un laquais ? Son attitude est vraiment inacceptable.
« Je jure qu’un jour, je lui ferai payer le prix de son arrogance.
« Ceci dit, certaines des choses qu’il a dites sont très intéressantes et méritent réflexion. »