Chapitre 51 – Monsieur 4200 Livres
Il y a du danger dans l’auberge.
Klein psalmodia doucement l’énoncé divinatoire, entra en Méditation puis lança la pièce d’or.
Un son léger mais net résonna dans la pièce silencieuse. La pièce tournoya et retomba dans la paume du jeune homme.
Pile. La réponse était donc négative.
Aucun danger… Les sourcils froncés, Klein regarda autour de lui et alla prendre dans son manteau un flacon d’huile essentielle répulsive pour les insectes.
Il en aspergea un cercle autour de lui, puis fit rapidement quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et traversa le brouillard gris pour effectuer une divination afin d’en avoir confirmation.
Au bout d’une dizaine de secondes, il reçut une révélation : il n’y avait toujours aucun danger.
De retour dans le monde réel, Klein secoua la tête, rangea la pièce d’or et le flacon, enfila son manteau, son pantalon, ses bottes de cuir, s’assit au bord de son lit et s’adossa à l’oreiller en faisant preuve d’une grande prudence face à la tournure que prenaient les événements.
Il n’avait pas oublié ses principes de Voyant, en particulier de celui selon lequel “la divination n’est pas toute puissante”. Même si, d’après les réponses qu’il avait reçues, il ne courait aucun danger, le jeune homme ne parvenait pas se détendre ni à replonger dans le sommeil.
Non pas qu’il doutât de la capacité du brouillard gris à le protéger des interférences, mais il y avait trop de possibilités. Sa méthode de divination n’était peut-être pas assez précise pour les couvrir toutes, d’où une possible erreur d’interprétation.
Il avait déjà une idée de ce qui venait de se passer. Les quatre aventuriers qu’il avait vus au restaurant avaient bien trouvé, dans la forêt sauvage de l’île, un antique temple abandonné. Ils avaient récupéré des richesses ou des reliques culturelles, mais également réveillé des esprits maléfiques, ce qui leur avait valu d’être assaillis par de mauvaises pensées et des malédictions.
Le temps passant, Klein sentit soudain une subtile fluctuation d’énergie spirituelle se répandre dans la pièce et se fondre aussitôt dans l’obscurité.
Le flux caché qu’il avait à peine perçu disparut et la tranquillité de la nuit revint.
Je m’en doutais… C’est dû à des pouvoirs Transcendants… Et ça disparaît comme ça ? Je vais attendre encore un peu. De toute façon, l’aube se lèvera dans une heure ou deux… Si vraiment il y a un problème, il y a ici une cathédrale et une équipe de Punisseurs Mandatés …
Klein ferma à demi les yeux et entra en Méditation.
…
Bayam, au Bar de la Feuille d’Amyris…
Bien décidé à déjouer toute surveillance, Danitz, qui était ivre, regardait les filles sur le ring évoluer dans une danse lascive et sexy.
– « Merde ! Ça fait un moment qu’elles n’ont pas perdu un seul vêtement ! » s’écria-t-il avec d’autres ivrognes.
Puis, sans se soucier de la réponse, ils éclatèrent de rire, firent tinter leurs verres et se remirent à boire.
Un homme qui traînait au bar tard dans la nuit rota et demanda à ses compagnons :
– « Avez-vous lu les journaux ? »
– « Ton cerveau a-t-il été mangé par un âne ? Tu crois… Tu crois que je peux lire ces lettres tordues ? Par le Seigneur des Tempêtes, je ne m’intéresse qu’à ce genre de torsions ! » Son compagnon leva son verre en désignant les danseuses et se mit à rire de sa réponse qu’il croyait humoristique.
L’homme qui avait posé la question se frappa l’arrière de la tête.
– « Steel est mort ! Il a été tué par Le Flamboyant ! »
Danitz, qui se trouvait à proximité, en fut un moment stupéfait, puis il se redressa et tourna légèrement la tête.
Il se racla la gorge et but une gorgée de liqueur comme si de rien n’était, mais il se rapprocha discrètement pour entendre ce que les autres avaient à dire sur le sujet.
L’aventurier et pirate à temps partiel qui l’avait fait entrer dans le métier lui avait dit un jour que la vie en mer n’aurait aucun sens sans l’alcool, les femmes et la vantardise.
– « Steel ? Quel Steel ? Lorsque j’étais jeune, j’ai eu raison d’un tube d’acier** ! » intervint un autre ivrogne.
– « Qu’aviez-vous fait à ce tube ? Suis-je censé dire quelque chose comme : Wow ! le vôtre est vraiment mince !? » fit le premier qui avait parlé avec un sourire complice.
Sans attendre de réponse, il poursuivit : « Steel Maveti est mort ! Le second de l’Amiral de Sang est mort ! »
Il avait prononcé ces derniers mots dans un sourd grognement. Cela eut pour effet d’effrayer l’un de ses comparses qui manquait déjà de glisser sous la table. Horrifié, celui-ci s’écria :
– « Ce n’est pas moi, je n’y suis pour rien… »
Merde ! C’est toujours le bazar dans les bars ! Dépêchez-vous d’en venir au fait ! J’attends que vous fassiez l’éloge du Seigneur Flamboyant !
Danitz, qui s’était déguisé, n’avait qu’une hâte : jeter le gobelet d’alcool qu’il tenait à la main sur le groupe.
– « Les journaux disent que c’est une opération conjointe de la Marine et de l’Église. Steel est mort, Ronces de Sang est mort. Même Squall Le Calme est mort. John Smith et cette bande de con*ards ont été pris aussi ! » intervint un buveur qui avait gardé quelque lucidité.
– « Non, non, non ! C’est faux ! » s’exclama l’homme qui, le premier, avait abordé le sujet. « J’ai un ami qui travaille à l’agence de presse. Il m’a dit qu’il avait des informations vérifiables qui ne peuvent pas être publiées. La Marine et l’Église ont juste été utilisées. Les véritables meurtriers sont Danitz Le Flamboyant et un mystérieux aventurier puissant et chevronné, un chasseur de primes. »
– « Impossible ! Danitz n’aurait jamais pu vaincre Steel ! Quand bien même il l’aurait attaqué sournoisement, il n’avait aucune chance de l’éliminer ! »
Quelques buveurs partageaient le même point de vue.
– « Le nœud du problème, c’est ce puissant aventurier. Je le soupçonne de n’être pas loin du rang d’amiral pirate ! » souligna l’homme qui avait entamé la conversation. « Je n’ai aucune idée de comment Danitz a pu connaître ce type. Il a contribué à l’affaire. Apparemment, c’est lui qui a éliminé Ronces de Sang ! Vous n’avez pas remarqué ? La prime du Flamboyant est passée à 4 200 Livres ! »
– « C’est vrai ! »
– « Vraiment ? »
– « Le Flamboyant n’est pas facile ! »
– « Quel pirate farouche ! Ou plutôt, quel grand pirate ! »
– « Un grand pirate ? Je n’ai rien remarqué la dernière fois que j’ai bu avec lui ! »
Pfff… Quand est-ce que j’ai bu avec toi, sal*pard ? Je ne te connais même pas ! pensa Danitz qui jubilait au cœur de toutes ces exclamations.
4 200 Livres ! Si les gars le savaient, ils m’envieraient tellement qu’ils se lèveraient sans doute la nuit pour nettoyer le pont. Hahaha, on peut désormais dire que je suis le maître d’équipage le plus fort de tout le Rêve d’Or !
En cet instant, Danitz aurait bien voulu retourner au navire pour boire un verre et se vanter auprès de gars comme Peau de Fer et Baril. Il leur raconterait tous les événements palpitants survenus au Port de Bansy, comment il avait vaincu l’évêque déchu, avec quelle habileté il avait échappé à l’embuscade de Steel et des autres, comment il avait tendu un piège pour éliminer tous ses ennemis et pourquoi il ne pourrait plus jamais jouer aux cartes de toute sa vie.
Hélas, pour le bien de notre Capitaine, je vais devoir continuer à servir ce fou de Gehrman Sparrow… Je suis désormais un grand pirate qui vaut 4 200 Livres ! soupira Danitz en se laissant engourdir par l’alcool.
…
Lorsque les cloches de la Cathédrale des Tempêtes sonnèrent, un soleil orange se levait seulement dans le ciel. Le calme était tel que l’on n’entendait que le bruit de l’eau.
N’ayant rien trouvé d’anormal, Klein soupira de soulagement, se déshabilla, se mit au lit et s’accorda deux heures de sommeil pour rattraper son retard.
Sa puissante énergie spirituelle lui ayant permis de se réveiller comme prévu à 8H30, il prit son temps pour se laver, se changer et descendit au rez-de-chaussée pour acheter du pain, des châtaignes cuites et un verre de Gurney Sap. Tout en mangeant, il se rendit sur le quai.
Le jeune homme, qui avait pris son billet de retour pour le paquebot de 9 heures, guettait l’heure de monter à bord.
C’est alors qu’il aperçut la dame aux yeux gris-verdâtres qui, accompagnée des trois aventuriers, achetait des billets au guichet.
Le paquebot est sur le point de partir. Ils n’arriveront certainement pas à temps pour le départ de 9 heures… Je me demande ce qu’ils ont bien pu récupérer dans le temple abandonné, mais la nuit dernière, ils ont attiré une entité qui m’a tout l’air d’un esprit maléfique. Je vous en prie, faites que si jamais ils prennent le bateau, il n’y ait pas d’incident…
Klein se cacha des aventuriers, sortit de sa poche une pièce d’or et procéda à une divination.
La réponse fut que le dernier paquebot ne courait aucun danger.
Le jeune homme hésita deux secondes, regarda les passagers qui, près du guichet, attendaient le paquebot de dix heures, se frotta silencieusement les doigts et mit le feu au billet qu’il tenait à la main.
Il retourna ensuite au guichet et mine de rien, acheta pour 4 Soli un billet pour le bateau de dix heures.
Puis, s’étant rendu aux toilettes publiques, il se transporta au-dessus du brouillard et fit une rapide divination concernant ses inquiétudes.
Si jamais le navire courait un grand danger, il ne prendrait pas le risque d’embarquer. Il chercherait plutôt un moyen d’empêcher le bateau de prendre la mer, quitte à le détruire pour éviter que des innocents ne meurent.
Si, en revanche, la réponse était toujours la même, il monterait à bord comme prévu tout en gardant un œil sur d’éventuels incidents.
La réponse, une fois de plus, fut négative.
Soulagé, Klein retourna dans le monde réel et plaça la vessie du murloc de façon à ce qu’elle soit facilement accessible.
Si vraiment un accident se produisait, cet ingrédient Transcendant lui serait d’une grande utilité sur ce vaste océan.
Cet ingrédient pouvait également être utilisé de manière simple, rudimentaire, tout comme l’Œil Noir contaminé par le Vrai Créateur.
…
Dix heures précises.
Klein, qui avait pris l’apparence de Gehrman Sparrow, prit sa valise, suivit les aventuriers et monta à bord du paquebot.
En cours de route, il fit mine de s’assoupir ou de lire de vieux journaux et magazines, mais en réalité, il gardait un œil sur la dame aux yeux gris-verts et sur ses acolytes.
Cette vigilance se poursuivit jusqu’au Port de Bayam sans qu’aucun incident ne se produise.
Ont-ils résolu tous les problèmes ? Qu’ont-ils réellement récupéré ?
Klein s’arrêta sur le bord de la route et tout en achetant le dernier journal, observa du coin de l’œil les quatre aventuriers jusqu’à ce qu’il ne les vît plus.
Il décida alors de ne plus y penser. Tant que cela ne mettait pas en péril la situation générale, il ne se préoccupait pas de ce que faisaient les gens. Il était juste un peu curieux.
Il prit sa valise et tel un passant ordinaire, feuilleta le journal tout en parcourant la Rue du Citron Acide.
Soudain, il eut un petit rire : La prime de Danitz est passée à 4 200 livres…
Si les choses continuaient ainsi, pourrait-il résister à l’envie de remettre ce type au bureau du gouverneur général ?
De retour à l’Hôtel du Souffle d’Azur et avant même de sortir sa clé, le jeune homme entendit des ronflements qui allaient crescendo.
Il ne s’est pas échappé ? se demanda-t-il, légèrement surpris mais sans plus.
Il avait trafiqué la Cape d’Ombre de telle sorte que si Danitz s’était enfui, il aurait pu le traquer à l’aide de la divination et localiser la vice-amirale Iceberg.
Même s’il est timide, il n’en est pas moins prudent… pensa-t-il en ouvrant la porte.
Danitz s’étant réveillé en sursaut, Klein eut un petit sourire.
– « Félicitations, Mr. 4,200 Livres ! »
En un instant, Danitz fut totalement réveillé. Il aurait voulu répondre par un petit rire sec, mais il n’y parvint pas.
Il avait le sentiment que sa vie était peut-être en danger.
** Steel, en anglais, signifie Acier.