Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 42 – Expert en photographie
Tapi dans l’armoire, Klein activa sa Vision Spirituelle et vit entrer deux auras qui interféraient l’une avec l’autre.
La porte refermée, une voix grave se fit entendre :
– « Erica, je t’ai apporté un cadeau ».
C’est en effet un gentleman du Royaume de Loen. Même dans le cadre d’une aventure, il semble un peu vieux jeu. Un homme originaire d’Intis, lui, se serait certainement écrié “ma chérie”, “mon bébé”, “mon ange” et que sais-je encore… Ne put s’empêcher d’ironiser Klein.
Tout ceci, bien entendu, reposait sur les stéréotypes véhiculés par les journaux, les magazines et les romans.
Erica Taylor parut surprise :
– « Laissez-moi deviner… Est-ce de la crème pour les yeux, pour le visage ou de l’essence de chez Fassman ? Ou de chez Leshini ? »
Mais de quoi parle-t-elle ? Se demanda Klein, abasourdi par ce qu’il entendait.
De toute évidence, Doragu Gale n’était pas en mesure de réagir immédiatement. Il lui fallut environ huit secondes pour répondre :
– « … Non, ce sont des bas. »
Dans ce monde où le pétrole n’avait pas encore été découvert, il n’existait pas de produits chimiques et dérivés bon marché. De ce fait, les bas de soie étaient considérés comme des articles haut de gamme.
– « Pas mal, laisse-moi les voir ! » Répondit Erica, toujours aussi joyeuse.
– « Je les ai achetés hier chez Phillip. Cinq paires à trente Solis l’unité », dit Doragu sur le ton de la vantardise.
– « Que c’est cher ! » S’exclama Erica
Mais c’est cher ! Soupira Klein intérieurement.
Benson a travaillé des années pour seulement 1 Livre et 10 Soli par semaine, soit 30 solis. C’est tout juste l’équivalent d’une paire de bas et avec ce salaire, il a pu assurer les études de son frère et de sa sœur, les nourrir relativement bien et même leur fournir un endroit pour dormir… Un ouvrier moyen quelque peu compétent ne gagnerait pas plus de 20 Solis par semaine…
– « Pas du tout, c’est ce que valent les bas de soie. Je leur ai même laissé un pourboire de cinq Solis », répondit Doragu.
Tandis qu’il parlait, la couleur de son aura devint plus vive et Klein supposa qu’il avait enlevé son manteau.
– « Dans ce cas, je vais les essayer », dit doucement Erica sur un ton suggestif.
J’ai à nouveau l’impression de regarder un film porno… Et c’est même en direct… Par ailleurs, Miss Garde du Corps et là elle aussi… Se dit Klein.
Le coin de sa bouche tressaillit en regardant les couleurs rouges se mêler, signe que la passion, tel un feu, les enflammait tous deux.
Le violet est presque rouge et cela continue… Le rouge enveloppe le vert, l’orange… Tout en écoutant les respirations bruyantes et les légers rires, Klein pouvait juger des mouvements et positions du couple au changement de couleur de leurs auras.
Estimant que cela suffisait, le jeune homme poussa doucement la porte de l’armoire et regarda en direction du lit.
Les corps de Doragu et d’Erica étaient enchevêtrés, leurs vêtements à moitié défaits, leurs ébats intenses.
Klein leva sa “caméra spectrale” et la dirigea vers le couple passionné dans l’attente qu’ils montrent simultanément leurs visages.
Lorsque Doragu et Erica retombèrent sur le lit, Klein put enfin cadrer l’image la plus appropriée et appuya sur le bouton de l’obturateur.
Le clic de l’appareil était plutôt discret et le puissant flash limité à une si petite zone que le couple n’en fut pas alerté.
N’ayant aucune confiance dans ses talents de photographe, Klein prit quelques clichés supplémentaires dans l’intention de pouvoir choisir.
Il ne remettrait qu’une seule photo à son employeur car s’il y en avait trop, l’avocat pourrait se demander comment il se faisait que le couple n’avait rien remarqué.
Alors qu’un sous-vêtement tombait sur le sol et que les halètements s’intensifiaient, Klein attrapa son appareil photo portable et d’un geste adroit, roula hors de l’armoire en refermant la porte derrière lui.
Il roula ainsi jusqu’à la porte du salon, l’ouvrit doucement et se retrouva dans le couloir.
C’est fait ! Avec un soupir de soulagement, le détective, par politesse, referma silencieusement la porte et, la main sur le cœur, s’inclina en direction du lit.
Sans plus attendre, il retourna dans son salon.
Je toucherai bientôt les 7 dernières Livres… De plus, j’ai gagné une adhésion au Club Quelaag d’une valeur de 50 Livres qui couvre le gîte, le couvert et le divertissement… Tout cela vaut même plus que 50 Livres. Si je n’avais pas eu de relations ou de contacts, je n’aurais pas pu m’inscrire, même pour 100 Livres… Cette mission n’est pas mal du tout. C’est simple, sûr et rentable… Se dit Klein, ému, avec un soupir en posant son appareil photo.
Soudain, il vit une main sortir de l’objectif.
Son garde du corps, au visage toujours aussi pâle, sortit lentement de l’appareil et se mit à flotter dans les airs.
À la pensée du fait qu’il l’avait amenée à assister à une scène pornographique, Klein, embarrassé, s’efforça de changer de sujet.
– « J’ai l’intention d’aller manger quelque chose à la cafétéria. Voulez-vous m’accompagner ? »
Chaque membre, en effet, pouvait emmener un invité.
Quant à savoir comment expliquer l’apparition soudaine de cette invitée, Klein prévoyait de sortir un moment et de revenir.
– « Je peux rester sans manger durant deux semaines », répondit la femme d’un ton neutre.
Tournant le dos à Klein, elle flotta en direction du miroir et disparut en un instant.
Quelle peut bien être sa Séquence ? Se demanda le jeune homme, intrigué, en rangeant l’appareil photo dans son étui, après quoi il se rendit aux toilettes.
Après s’être lavé les mains et le visage, Klein se regarda dans le miroir.
Comme il ne s’était pas rasé ce matin-là, sa barbe commençait à pousser. Ses cheveux étaient coiffés sur les côtés sous un rapport de trois à sept et il portait une paire de lunettes à monture dorée. Cela lui donnait un air raffiné et érudit, ainsi qu’une touche de maturité.
J’ai nettement changé par rapport à il y a quelque temps. Ceci dit, si l’on m’observe bien, je suis encore reconnaissable. Lorsque ma barbe aura poussé, je n’aurais plus à me faire tant de souci… ni à craindre quoi que ce soit lorsque je serai passé à la Séquence 6, l’Homme Sans Visage.
Klein sortit sa montre à gousset l’ouvrit et quitta la salle de bain. Sa mallette à la main, il se rendit à la cafétéria située au rez-de-chaussée.
Il était à peine plus de neuf heures et l’on servait encore le petit déjeuner. Notre détective opta pour un œuf frit des deux côtés et mi- cuit, une miche de pain blanc, un pain de beurre, une tarte Desi, une portion de bacon et une tasse de thé noir Marquis avec une tranche de citron.
Tandis qu’il cherchait une place, il aperçut un visage familier. C’était le chirurgien qui l’avait recommandé auprès du club, Aaron Ceres.
Ce monsieur grand et mince était assis seul dans un coin. Il avait terminé son petit-déjeuner et sirotait son café tout en feuilletant le journal. Klein s’approcha et salua cet homme à l’air un peu froid :
– « Bonjour, Dr. Ceres. »
Le chirurgien repoussa la monture de ses lunettes sur son nez :
– « Appelez-moi Aaron, détective Moriarty. »
– « Dans ce cas, appelez-moi Sherlock », répondit Klein en s’asseyant. « Des nouvelles aujourd’hui ? Je suis sorti si vite que je n’ai même pas pris le temps de lire les journaux. »
– « L’ambassadeur d’Intis a été assassiné, un crime revendiqué par une organisation terroriste qui a pour nom l’Ordre Aurora. » Il soupira : « Ce monde devient de plus en plus chaotique. Tôt ou tard, il y aura une guerre générale qui touchera aussi bien le Continent Sud que le Continent Nord. »
– « Le monde a toujours été en guerre, Monsieur, nous avons simplement su profiter de la paix », répondit Klein avec un sourire en terminant son œuf. « Quel dommage que nous, détectives privés, ne soyons pas sollicités pour une affaire aussi importante. »
Aaron tournait les pages de son journal.
– « Cette nouvelle n’a pas grand-chose à voir avec nous. Le plus important, c’est qu’aujourd’hui ou demain, après de longs débats, la Chambre des lords et la Chambre des Communes vont enfin adopter certaines motions. D’abord, il s’agit du projet de loi sur l’Examen Unifié des Fonctionnaires, accompagné de ses orientations et projets de mise en œuvre. Ensuite la création du Conseil de la Pollution Atmosphérique et enfin de la mise en place d’un inspecteur indépendant de l’industrie alcaline. Les deux derniers concernent la pollution. Par Dieu, ils prennent enfin en considération ce problème. À l’hôpital, le nombre de patients souffrant de maladies pulmonaires ne cesse d’augmenter. »
Ça va enfin passer ? Je me demande où en sont les préparatifs de Benson… Seront-ils affectés par ma mort ?
– « C’est une bonne nouvelle », répondit Klein avec un large sourire.
– « Pour Mary, c’est même une excellente nouvelle dans la mesure où elle voudrait qu’elle-même ou Doragu devienne membre du Conseil National de la Pollution Atmosphérique. Elle a plus de chances que lui, car elle n’occupe pas de poste dans une société commerciale et c’est une fidèle de la Déesse. Par ailleurs, toute organisation, en définitive, a toujours besoin d’un équilibre. » Puis, toujours à propos de l’employeur de Klein, il ajouta : « Je lui ai suggéré de fréquenter le club dans la mesure où nous comptons parmi nos membres bon nombre de députés de la Chambre des Communes. »
Si, au Royaume de Loen, les députés de la Chambre des Communes étaient principalement des personnes fortunées et des représentants de nobles, il y avait aussi de nombreux professionnels comme des médecins, des avocats, des prêtres, des enseignants, des scientifiques et des comptables.
Le Club Quelaag ciblait divers professionnels de classe moyenne sans distinction d’opinions politiques.
Klein, qui n’y connaissait pas grand-chose, se contenta de répondre par quelques mots et changea de sujet :
– « Nous sommes vendredi, Aaron. Ne devriez-vous pas retourner à l’hôpital ? »
– « Non, je suis en congé. Depuis quelque temps, c’est terrible », répondit-il en fronçant les sourcils.
– « Que s’est-il passé ? » S’enquit Klein en buvant une gorgée de thé noir.
Bakerland venant d’être assassiné et le corps de Rosago jeté dans un égout loin de là, il ne savait pas quand il serait retrouvé. Inquiet des répercussions et imperfections dans son déguisement, Klein n’avait pas l’intention de prendre des missions trop difficiles où il risquait d’être facilement reconnu, aussi ne s’intéressait-il qu’aux affaires simples qui renfermaient un certain potentiel et bien payées.
Aaron posa son journal et soupira.
– « J’ai vraiment joué de malchance ces derniers temps. Plusieurs des interventions chirurgicales que j’ai réalisées ont échoué. Sans conséquences graves, fort heureusement, sans quoi je me serais vu retirer ma licence. »
Même s’il était courant, à l’époque, que des patients décèdent des suites d’une opération, si un accident survenait après la négligence du chirurgien, les sanctions étaient relativement sévères.
Eh bien, je ne peux guère vous être utile… Je connais bien un rituel destiné à augmenter la chance, mais il vous enverrait au-dessus d’un brouillard gris… Pensa Klein qui se mit à grignoter son pain.
Son petit-déjeuner terminé, il dit au revoir à Aaron, alla retirer 500 Livres en liquide, en remit 300 à Miss Garde du Corps et rentra chez lui. En attendant le développement des photos, il espérait qu’une mission simple lui soit confiée mais rien ne se présenta.
Le soir venu, Klein se prépara à sortir, direction le bar des Cœurs Vaillants.
Il espérait profiter de la présence de son garde du corps pour entrer en contact avec d’autres cercles de Transcendants.