Chapitre 41 – Coopération
Lorsqu’il quitta le 47 rue de la Corne Noire, Klein avait globalement compris ce qui était arrivé à Wendt.
Déguisé en policier, il s’était renseigné auprès des voisins du défunt.
L’île de Symeem, l’île la plus éloignée de l’Archipel de Rorsted. Depuis Bayam, il faut quatre à cinq heures pour s’y rendre en paquebot et il n’y a que deux départs par jour, à 9 heures et à 10 heures. Les parents de Wendt sont morts depuis longtemps et il n’a pas de famille. La seule personne impliquée est Renée, une jeune fille qu’il ne peut oublier. Elle est la cible parfaite pour ma première performance dans la peau de quelqu’un d’autre. Mais rien que de penser aux aveux que je vais devoir lui faire au nom de Wendt, je me sens terriblement mal à l’aise… Si jamais la fille disait oui… Bon sang, comment suis-je censé conclure ? Se demandait le jeune homme, perturbé.
Il tenta de se remémorer les romans qu’il avait lus, les films et les séries télévisées qu’il avait vus dans l’espoir de trouver la parfaite solution.
Il eut bientôt une idée globale de ce qu’il convenait de faire, ce qui lui permit de stabiliser son humeur. Ses pensées se mirent alors à dériver vers l’affaire concernant Steel Maveti.
J’espère que La Magicienne trouvera au plus vite un émetteur-récepteur radio…
Soupirant intérieurement, il monta dans une voiture de location.
…
Backlund, Quartier de Cherwood…
Fors ouvrit une lettre que Xio lui avait apportée.
Elle provenait d’Aville, l’auteur de romans de science-fiction, qui était ravi de partager avec Madame Wall le développement et les applications futurs de la technologie radio.
Fors passa très vite sur le début et la suite, et sauta directement à la fin de la lettre.
Il me présente trois types d’appareils, avec des adresses détaillées et des prix approximatifs. Le plus cher ne coûte que douze Livres.
La romancière hocha légèrement la tête. Ce n’était pas là une transaction trop importante.
Soudain, elle eut le sentiment que son amour-propre était un peu surdimensionné. Peut-être était ce parce qu’elle avait vu, au Club du Tarot, tant de transactions d’une valeur de centaines et de milliers de Livres, mais elle ne prêtait plus guère attention aux affaires de l’ordre de dix Livres.
M. World a les ressources et les moyens financiers nécessaires. À l’avenir, je pourrais avoir besoin de lui acheter des objets ou de vendre des choses dont je n’ai pas besoin. Voyons, je n’ai qu’à ajouter au prix initial les frais de port, mes frais de déplacements et le coût des matériaux utilisés pour le rituel…
Sa décision étant vite prise, Fors regarda machinalement par la fenêtre.
Backlund était toujours sombre et lugubre, et il tombait une légère bruine. Cependant, le brouillard n’était plus aussi épais.
Je me demande bien quand Le Soleil me remettra la poche stomacale de Mangeur d’Esprits… se dit la jeune femme qui avait hâte de progresser.
…
Dans la maison des Berg, à la Cité d’Argent…
Derrick, qui avait déjà préparé l’ingrédient de Fors et les matériaux que Le Pendu souhaitait acquérir, n’était pas pressé de les sacrifier à M. Le Fou.
Il préférait attendre que le Chef dirige une équipe d’expédition ou préside à un rituel sacrificiel spécifique avant de faire une tentative.
C’est le moyen le plus sûr et le plus fiable… Oui, prudence, prudence ! se répéta le jeune homme avant d’ouvrir le « Livre de la Roche Noire de la Cour du Roi Géant, Édition copiée à la main ».
Il avait récemment lu cet antique ouvrage, ce qui lui avait permis de découvrir certains des aspects de la Cour du Roi Géant dans les temps anciens.
D’après le livre, il s’agissait d’une Cour Divine !
Le temps semblait s’y être figé, comme suspendu dans un éternel crépuscule. Particulièrement grandioses et magnifiques, les édifices s’élevaient même jusqu’aux nuages.
Les humains qui y déambulaient étaient incroyablement petits et au fond d’eux-mêmes, ils vouaient une profonde vénération au propriétaire de ce décor.
…
Backlund, Quartier de Hillston, demeure de Waymandy…
L’explication terminée, Emlyn White se passa les doigts dans les cheveux et demanda intentionnellement :
– « Seigneur Baron, je ne me souviens plus d’où je tiens cela, mais durant la Seconde Époque, voire la première moitié de la Troisième, il existait une ville très célèbre appelée la Cité d’Argent. »
Le Baron Waymandy était un vampire âgé de plus de deux cents ans. Cependant, il n’avait pas l’air vieux. On aurait plutôt dit un homme mûr d’une trentaine d’années.
Ses cheveux noirs étaient soigneusement coiffés en arrière, il portait une chemise de coton rouge sombre et tenait à la main une pipe brune. Tout en appréciant la chaleur de la cheminée, il répondit d’un ton pensif :
– « Non, du moins pas dans mes souvenirs. Il n’y avait pas de Cité d’Argent avant le Cataclysme. »
Avant qu’Emlyn n’ait eu le temps de se réjouir, Waymandy reprit : « Cela dit, il existait un Royaume d’Argent qui, à l’origine, était gouverné par la Cour du Roi Géant et qui est ensuite passé sous sa juridiction. »
Un Royaume d’Argent ? Le jeune vampire réfléchit un instant :
– « Seigneur Baron, pourriez-vous être plus précis ? »
Waymandy leva les yeux vers lui, sourit et fit appel à sa mémoire :
– « Le Royaume d’Argent avait une position assez spéciale au sein de la Cour. Ils ne croyaient pas directement à Aurmir, le Roi Géant, mais plutôt à la reine Omebella. »
…
Cité de la Générosité, Bayam, quartier des docks. Rue du Citron Acide, Hôtel du Souffle d’Azur…
Klein se positionna au coin de la rue, défit le pendentif de topaze qu’il portait au poignet gauche et procéda à une divination pour savoir s’il n’y avait pas de danger à l’horizon.
Cela fait, il retourna à l’hôtel, monta au second et ouvrit la porte de sa luxueuse suite.
Il fut légèrement surpris de trouver Danitz qui, déjà de retour, était affalé dans son fauteuil, en train de boire.
Après un moment de réflexion, Klein demanda calmement :
– « Quelle heure est-il ? »
– « Il n’y a pas d’horloge ici ? » murmura le pirate avant de lever les yeux vers le mur qui lui faisait face : « 15 h 40… »
Il n’avait pas prononcé ces mots qu’il reprit brusquement ses esprits, se redressa et eut un rire sec :
« Je me suis rendu partout où je savais pouvoir obtenir des informations et interrogé tous ceux que je pouvais. Il n’était pas utile de m’attarder plus longtemps dehors. Cela augmenterait le risque d’exposition et affecterait votre plan de traque ! »
Klein prit une chaise et s’assit :
– « Racontez-moi. »
– « Quels est le problème ? Même si je suis essentiellement un aventurier à la poursuite de trésors, je suis aussi un pirate qualifié à temps partiel », répondit Danitz qui avait l’impression que l’on insultait ses compétences.
Gehrman Sparrow lui ayant lancé un regard froid, il sourit et lui donna un bref aperçu des endroits où il s’était rendu, des personnes qu’il avait rencontrées et des informations qu’il avait apprises le matin comme l’après-midi.
En entendant le pirate déplorer qu’un capitaine de vaisseau fantôme nommé Alger était au courant pour le Port de Bansy, Klein faillit soudain froncer les sourcils.
Malgré les relations qu’entretient Le Pendu avec l’Église des Tempêtes, il n’était pas au courant des faits survenus au Port de Bansy avant que je n’en parle par l’intermédiaire du Monde. Comment cet Alger a-t-il bien pu le savoir ? S’agit-il d’un membre influent de l’Eglise des Tempêtes déguisé en pirate ou de quelqu’un qui serait en lien avec les hérétiques du Port de Bansy ? Hmm… M. Pendu était actif dans les mers environnantes, il est donc possible que ce soit lui…
Le cœur de Klein s’emballa tandis qu’il se remémorait ce qu’il savait du Pendu.
Au-dessus du brouillard, même s’il ne pouvait pas voir distinctement à quoi ressemblaient les membres, il savait s’il s’agissait d’hommes ou de femmes et quelle était la couleur de leurs cheveux !
Klein leva la main pour empêcher Danitz de poursuivre et dit à voix basse :
– « Des cheveux ébouriffés de couleur bleu sombre ? »
– « Vous le connaissez ? Ce type n’est pas simple ! » soupira le pirate.
Je m’en doutais… Hé Hé, je ne m’attendais vraiment pas à le rencontrer comme ça…
Pour toute réponse, le jeune homme se pencha en avant :
– « Continuez. »
Sans trop réfléchir, Danitz lui fit un récit grossier de ce qui s’était passé ensuite et expliqua :
– « Vous savez, nul n’est jamais sûr d’obtenir quoi que ce soit lorsqu’il tente de recueillir des informations. Après avoir trouvé toutes les personnes qui pouvaient l’être, la seule chose à faire est d’attendre patiemment. Cela prendra certainement du temps. »
– « Il existe une autre solution qui ne nécessite pas d’attendre », répondit délibérément Klein d’un ton plat.
– « Quelle solution ? » s’étonna Danitz.
Klein repoussa ses lunettes à monture dorée et du coin des lèvres, esquissa un sourire.
– « Utiliser un appât. »
Un appât ? Danitz le regarda, momentanément perplexe.
Une seconde plus tard, il reprenait ses esprits :
Lui seul pouvait être l’appât !
Pour ce qui était de la pêche à l’ennemi, personne ne se souciait de savoir si l’appât serait englouti ou non. Tout ce qui comptait, c’était que la proie soit prise !
En d’autres termes, l'”appât” était une espèce à haut risque !
– « Haha, ce n’est pas une très bonne idée si j’en crois mon intuition. Je devrais pouvoir tirer quelque chose du Théâtre Rouge. Je vais aller y jeter un coup d’œil ! »
Danitz prit son manteau et se précipita vers la sortie.
Klein aurait bien voulu le suivre de loin pour voir s’il pouvait trouver des indices, mais il entendit soudain des prières qui se superposaient.
Elles venaient d’un homme.
Pensif, il marqua une pause et se dirigea vers les toilettes.
Dix secondes plus tard, il se retrouva au-dessus du brouillard gris. L’étoile cramoisie qui représentait Le Pendu ne cessait de se dilater et de se contracter.
Je m’en doutais… Klein s’assit, s’adossa à sa chaise et répandit son énergie spirituelle.
La voix du Pendu devint plus claire :
– « Honorable M. Le Fou, je suis actuellement à la recherche d’une clé liée à la vice-amirale Iceberg. J’ai rencontré Danitz le Flamboyant dans un casino et j’ai su qu’il avait été témoin de l’anomalie survenue au Port de Bansy. J’ai également appris qu’il avait l’intention de s’allier à un puissant personnage pour s’occuper de Steel Maveti.
« Je soupçonne Danitz de collaborer avec votre adorateur, d’où ma prière.
« Si c’est effectivement le cas et s’il souhaite bénéficier d’une certaine assistance, je peux lui être utile. »
Le Pendu a effectivement deviné qui était Gehrman Sparrow… Il n’avait probablement que des soupçons, mais en se renseignant sur le Port de Bansy auprès de Danitz, il en a eu confirmation… C’est une bonne chose. Avec l’aide d’un local expérimenté, le plan pour traquer Steel Maveti sera beaucoup plus facile… À moins que cela n’affecte directement Le Fou, il n’y a aucune raison pour que Le Pendu tente de piéger un adorateur… À en juger par son expression et son attitude, il n’a pas encore de soupçons vis-à-vis du Fou… Je n’ai rien laissé au hazard…
Alors que les pensées se bousculaient dans son esprit, Klein prit rapidement une décision.
Après avoir effectué une divination, il fit apparaître Le Monde, l’enveloppa de brouillard, le plaça en position de prière et lui fit dire solennellement :
– « Honorable M. Le Fou, j’ai besoin d’aide. »
Cette mise en scène terminée, il lança le message sonore et visuel sur l’étoile cramoisie qui symbolisait Le Pendu.